Suite à sa récente nomination, le nouveau ministre de la Défense chinois, Wei Fenghe, a réservé sa première visite internationale à son homologue Russe, le général Choïgou. « Je me suis rendu en Russie en tant que ministre de la Défense de Chine pour montrer au Monde le haut niveau de développement de nos relations bilatérales, et la ferme détermination de nous forces armées de renforcer leur coopération stratégique » a déclaré le ministre chinois à l’issu de sa visite, selon l’agence Tass.
Il a par ailleurs spécifiquement indiqué que cette visite s’inscrivait dans l’effort conjoint entre Russie et Chine pour « lutter contre un ordre mondial libéral dominé par les Etats-Unis ».
Les déclarations du ministre de la Défense chinois sont loin d’être anodines, ou de s’inscrire dans une simple escalade sémantique liée au regain de tensions économiques entre la Chine et les Etats-Unis. En effet, pour la première fois, il est fait état d’une coopération militaire entre les deux puissances nucléaires, bien que le terme « alliance » n’ai pas été prononcé.
Et ce rapprochement a de quoi préoccuper les stratèges occidentaux et américains. Car, si les forces occidentales restent globalement supérieures à celles de la Chine ou de la Russie, une dégradation simultanée sur les deux théâtres, poserait un problème très important aux forces occidentales, les Etats-Unis devant déployer plus de 50% de ses forces pour équilibrer chaque front. En d’autres termes, en cas d’action de guerre simultanée de la Russie (et alliés) eu Europe, et de la Chine (et alliés) en zone Pacifique et/ou contre l’Inde, les occidentaux seraient en bien mauvaise posture.
Pour autant, que penser de ce qui ressemble à une alliance russo-chinoise ?
Si le rapprochement politique sur la scène internationale entre Russie et Chine est souvent mis en avant, la coopération économique et sociale est loin d’être aussi dynamique. Ainsi, la Chine n’est que le 4eme investisseur économique en Russie, après l’Italie, l’Allemagne et surtout, la France, dont plusieurs entreprises (Renault, Auchan, Société Générale ..) ont massivement investi dans l’économie russe, et ont continué de le faire en dépit de la crise et des sanctions. Le Chine, elle, s’est contentée de racheter quelques entreprises en faillites, sans pour autant les sauver, et proposa fort à propos ses produits agricoles pour compenser l’embargo russe sur les importations agricoles européennes.
En outre, des tensions apparaissent en Sibérie Orientale, ou la population chinoise expatriée a dépassé en nombre la population russe dans plusieurs Oblasts, créant des frictions sociales et économiques, et faisant craindre à Moscou des revendications territoriales « historiques » de Pékin sur des territoires ayant appartenu à l’Empire Chinois, voir à l’Empire Mongol. Or, la protection des minorités russophones et les revendications historiques ont été les deux leviers utilisés par le Kremlin pour justifier ses opérations en Géorgie et en Ukraine, et il craint désormais de se retrouver du mauvais coté de la frontière.
D’autre part, les tensions entre la Chine et l’Inde ne cessent de croitre depuis plusieurs années, et une guerre fut même évitée de peu à l’été 2017 sur le plateau de Doklam. Or, l’Inde est le premier client de l’Industrie de Défense russe, avec plus de 10 Md$ de commandes annuelles. Ces commandes contribuent très largement à soutenir l’industrie de Défense Russe et ses 1,3 millions de salariés, tout en agissant comme une source importante de devises et de revenu pour l’Etat fédéral russe. Une guerre entre la Chine et son allié Pakistanais, et l’Inde, mettrait la Russie dans une situation politique et économique extrêmement délicate.
Enfin, bien que la Russie ait accepté récemment d’exporter son chasseur Su-35S et le système de défense antiaérienne S-400 en Chine, à la fois pour apparaître moins isolé sur la scène internationale suite à l’annexion de la Crimée, et pour enregistrer les premières commandes à l’export de ces systèmes d’armes et engranger des devises indispensables, il existe de très nombreux contentieux entre la Russie et la Chine concernant des copies illicites des équipements militaires russes exportés. Ainsi, les chasseurs J15et J11sont des copies dérivées des chasseurs russes Su-33 et Su-27, et sont construits sans licence. De nombreux missiles et blindés chinois sont également des copies sans licence de matériels russes. Cette façon de procéder avait amené la Russie à suspendre toutes les livraisons d’armes à la Chine, notamment les équipements les plus modernes.
Quoiqu’il en soit, l’alliance en construction entre la Chine et la Russie ressemble d’avantage à une alliance de circonstances, comme celle qui lia les Etats-Unis et l’URSS pendant la deuxième guerre mondiale, qu’à une alliance de principes, à l’image de l’alliance entre les Etats-Unis, le Royaume-Unis, et la France. Ce n’est pas rassurant pour autant, car cela indique que la perception du besoin d’alliance face à l’occident dépasse les divergences structurelles entre les deux pays. Cela en dit long sur le ressenti des deux pays face aux Etats-Unis, et par transitivité, à l’occident, et aux risques qui en découlent.