mardi, novembre 5, 2024

Les faiblesses et dangers du programme SCAF

Voilà un article on ne peut plus polémique, tant le programme SCAF est aujourd’hui paré de toutes les vertus, tant par les industriels que les états-majors, et ce programme est devenu l’alpha et l’oméga des programmes de défense. Pourtant, il ne manque pas de risques, de faiblesses et même de dangers pour les capacités de défense françaises et allemandes. 

  1. le calendrier

Le programme SCAF a pour objectif de fournir aux forces aériennes françaises et allemandes un système global de combat aérien à horizon 2040, incluant un appareil piloté de nouvelle génération, un drone de combat, des drones de reconnaissance et de renseignement, et l’ensemble des outils de communication et de traitement des données nécessaires. 

Du point de vu industriel, il y aura donc presque 45 ans d’écart entre le programme SCAF et les programmes précédant, Rafale et Typhoon. Un tel écart engendre des risques industriels très marqués, avec des gap technologiques très importants, notamment en terme de cellule et surtout de moteur, sachant que le dernier moteur conçu par SAFRAN était le M88.

 Du point de vu opérationnel, ce calendrier implique que les Rafales et Typhoon français et allemands devront tenir la ligne jusqu’en 2040, et même 2045 le temps d’avoir les premiers escadrons opérationnels. Or, en dépit des performances des appareils, l’évolution des systèmes de défense anti-aérienne, comme le S-400 et S-500 russes, rendra presque impossible l’exécution des missions. Initialement, la France était engagé avec la Grande Bretagne dans le programme de drone de combat FCAS, devant entrer en service en 2030, pour traiter ce contexte. L’intégration du FCAS au SCAF est certainement une optimisation industrielle, mais laissera les forces aériennes françaises et allemandes sans capacités haute-intensité pendant au moins 10 ans.

  • le paradigme de l’avion polyvalent

Le SCAF repose sur le même paradigme que celui qui prévalu pour le Rafale et le Typhoon, à savoir qu’un unique appareil est pertinent pour l’ensemble des missions de combat. Or, cette logique a montré ses faiblesses ces 20 dernières années. Du point de vu industriel, le fait de ne travailler que sur un unique appareil augmente sensiblement les délais entre 2 appareils, rendant le maintien de compétence très délicat. En outre, avec un unique appareil, qui plus est un bimoteur de 25/30 tonnes, l’industrie se coupe d’une part non négligeable du marché, car l’immense majorité des pays n’ont tout simplement pas les moyens de financer de tels appareils, et doivent se tourner vers des avions plus légers, et moins chers, comme le F16, le JAS39 ou les J-10 et JF-17 chinois. 

Du point de vu opérationnel, cela oblige d’utiliser un appareil pour toute les missions, même lorsqu’il est clairement surdimensionné. Sachant qu’une heure de vol d’un Rafale coute le prix de deux heures de vol de mirage2000, l’intérêt économique pour les armées est évident.

  • Ecarter les autres pays européens

Le SCAF est le symbole de l’initiative franco-allemande en faveur de la Défense, et de la consolidation des industries de Défense des deux pays. Mais, ce faisant, il marginalise les industries aéronautiques des autres pays européens, au premier rang desquels la Grande-Bretagne. La réaction britannique ne s’est pas faite attendre, avec l’annonce coup sur coup du lancement d’un programme d’UCAV et l’ouverture de discussion avec le Suédois Saab en vu de construire un appareil ne nouvelle génération. L’Italie tape également à la porte du projet, et pourrait bien se rapprocher des britanniques si le couple franco-allemand faisait la sourde oreille. 

Certes, plusieurs projets récents ont montré que les projets européens multi céphalées avaient tendance à se convertir en mécano industriel inefficace ; mais il ne faut pas négliger le fait que la Grande-Bretagne, l’Italie et la Suède disposent de qualités industrielles avérées, et de qualités commerciales encore plus marquées, et qu’à eux trois, ils maitrisent de nombreux marchés exports.

  • Penser le SCAF autrement

Une fois ces faiblesses posées, comment les traiter ? Comme souvent, il s’agit avant tout de changer ses paradigmes pour envisager le programme sous un angle nouveau. Il serait par exemple bénéfique de fonctionner sous forme de gamme d’appareils, et non d’appareil unique, et de redéfinir le calendrier et les opportunités industrielles en fonction. 

Ainsi, si la gamme d’appareils intégrait un chasseur léger monomoteur, comme le mirage 2000, un chasseur moyen polyvalent, comme le Rafale, et un chasseur lourd spécialisé dans la défense aérienne, à l’image du F-22 ou du J-20, le planning de développement pourrait être tout autre, avec un premier appareil à horizon 2030, destiné à remplacer les 2000 et F-16 en fin de vie, un second en 2040, pour remplacer les Rafales et Typhoon les plus anciens, et un troisième en 2050, pour amener des capacités jusque là inaccessibles au forces aériennes européennes. En fonctionnant ainsi, le gap technologique entre chaque appareil serait réduit, et les retours d’expériences très pertinents. En outre, le partage industriel avec un nombre d’acteurs supérieur serait plus aisé. Enfin, le marché adressable pour l’exportation serait très étendu.

Du point de vu opérationnel, une telle approche permettrait aux forces aériennes de disposer d’un nouvel appareil dés 2030, donc de traiter le défi des nouveaux systèmes antiaériens. En outre, chaque nouvel appareil apportera des atouts spécifiques, permettant d’optimiser l’utilisation et la performance de la force aérienne, comme ses couts. Enfin, cela permettra de s’adapter aux évolutions technologiques très rapides liées à la reprise de la course aux armements, avec des acteurs, comme la Chine, particulièrement actifs et innovants. 

  • Peut-on le financer ?

Bien évidemment, les objections concernant le cout d’une telle approche ne manqueront pas de se manifester. Pour autant, sont-elles pertinentes ?

Car si, au lieu de conserver le dogme de pilotage par la dépense des investissements de défense, nous appliquions la doctrine Défense à Valorisation Positive, les résultats seraient très différents de la perception instinctive. Plusieurs facteurs clés sont de nature à changer les couts réels d’un tel modèle, comme le lissage de la recherche et développement dans le temps et la baisse du risque technologique, son application aux programmes civils notamment aéronautiques, la cible d’appareils étendues par le nombre d’acteurs mais également par une offre très étendue. 

Une étude approfondie révèlerait, j’en suis certain, que le potentiel fiscal d’un SCAF étendu compenserait très largement les couts supplémentaires, et serait même de nature à réduire le cout effectif pour les finances publiques de chaque état.

On le voit, le SCAF, dans sa forme actuelle, est loin d’être un programme optimum, et les développements actuels, notamment en Grande-Bretagne du point de vue industriel, ou en Russie et en Chine du point de vue opérationnel, devrait inciter à envisager des approches alternatives, tenant compte de ces données. La Défense, et d’autant plus lorsqu’il s’agit de la Défense Européenne, est un exercice en valeur relative, qui se doit d’évoluer concomitamment des évolutions de contexte. Le dogmatisme, qu’il soit industriel ou opérationnel, n’est pas un conseillé pertinent, même s’il est basé sur des décennies de succès

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