jeudi, mars 28, 2024

Les leaders politiques européens et la Défense, histoire d’une incompréhension grandissante

L’affrontement qui vient d’avoir lieu en Allemagne entre la ministre de la Défense, Ursula Von der Leyen, et son homologue des Finances, Olaf Sholtz, est symptomatique de l’incompréhension qui sévir en Europe entre la classe politique et les sujets de Défense, incompréhension qui n’a fait que s’aggraver depuis la fin de la guerre froide.

Alors que les armées allemandes font face à de très graves problèmes de disponibilité et de modernisation de ses équipements, d’entrainement de ses forces et de recrutement de ses personnels, une part importante de la classe politique allemande a fait barrage au plan d’augmentation du budget des armées, pouvant mettre à mal les engagements de la Chancelière Merkel sur la scène internationale et envers ses partenaires européens. Le cas allemand n’est pas isolé, des situations similaires ont lieux aujourd’hui en Italie, aux Pays-Bas, en Belgique, et même en France.

Quelles sont les raisons du divorce entre la classe politique européenne, et les questions de Défense, au point que de nombreux spécialistes du sujet, qu’ils soient militaires et civiles, ne cessent aujourd’hui de tirer la sonnette d’alarme face aux risques à venir ?

  1. Une mauvaise perception des évolutions géopolitiques

En premier lieu, et c’est regrettable, mais une majorité de leaders politiques ont un intérêt très limité des affaires internationales, et de l’évolution de la situation géopolitique mondiale. Ainsi, de nombreuses menaces sont sous-évaluées, voir ignorées, entrainant une perception du risque altérée, renforcée par un élan idéologique issu des mouvements antimilitaristes des années 70 et 80, et par l’illusion des « bénéfices de la Paix » des années 90.

  • Des positions dogmatiques quand à la Russie et la Chine

Une part significative de la classe politique européenne a une position très dogmatique concernant la menace potentielle Russe ou Chinoise. En France, ce mouvement couvre quasiment l’ensemble des mouvements politiques, bien que plus représenté aux extrêmes. En refusant de concevoir le réarmement russe et chinois comme un risque, ces leaders politiques construisent une vision fantasmée d’un monde sans menace majeur, ignorant que ces deux pays, eux, perçoivent l’Europe comme un adversaire potentiel, et s’équipe et d’entraine pour la vaincre militairement.

  • Le dialogue de sourd avec les militaires

Avec la fin de la guerre froide, toutes les armées européennes ont été réformées pour s’adapter à l’évolution de la menace, d’intensité et de nature bien différente de celle du pacte de Varsovie. Lorsque les réformes sont allées trop loin, les militaires ne cessèrent d’alerter les politiques quand aux risques de rupture dans les armées. Mais, fidèles à leurs engagements, elles ont toujours répondu présent lorsque le besoin s’est fait sentir, quitte à user le potentiel militaire bien au delà du raisonnable. En conséquence, il s’est développé dans la classe politique, comme dans la haute administration, un sentiment selon lequel les militaires surévaluaient leurs besoins. Ainsi, le dialogue entre les militaires qui expriment leurs besoins et leurs inquiétudes, et les politiques et leurs conseils, s’est transformé en « dialogue de sourds », engendrant des crises comme la démission du Chef d’Etat-major Français en juillet 2017.

  • La vision du « lobby des armes »

La perception politique de l’industrie de l’armement est la directe conséquence de la perception publique de cette industrie, souvent désignée comme « le lobby des armes », révélant au passage une imprégnation forte des thèses antimilitaristes. Ainsi, pour beaucoup, les industries de l’armement agissent avant tout pour engranger des bénéfices, quitte à créer des menaces imaginaires.

L’industrie elle-même n’est pas étrangère à cela, en fournissant parfois à des pays douteux avec des contrats tout aussi douteux des équipements de Défense. En outre, l’industrie de Défense néglige beaucoup sa communication publique, estimant qu’elle n’a aucun potentiel décisionnaire, oubliant que le publique conditionne bien souvent les actions et décisions politiques …

  • Une perception économique erronée

Comme l’économiste Keynes, l’immense majorité des hommes et femmes politiques adhèrent à l’idée que l’investissement de Défense est un investissement non rentable, que ce soit pour l’économie comme pour les finances publiques. De fait, en période de crise économique, les budgets de la Défense ont été largement amputés pour concentrer les ressources sur des sujets perçus comme plus rentable. Or, ce paradigme est faux, et la baisse des investissements de défense a impacté des pans entiers de l’économie et de la production industrielle européenne. Des doctrines économiques comme la Défense à Valorisation Positive montrent le potentiel économique, social et budgétaire de l’investissement de Défense, dépassant bien souvent l’ensemble des mesures économiques déployées ces 30 dernières années.

  • Un manque de retour politique de la Défense 

Enfin, le manque d’intérêt des électeurs eux-mêmes pour les questions de Défense engendre, en grande partie, le désintérêt des politiques eux-mêmes, phénomène renforcé par l’écart entre le temps politique et le temps long de la Défense. Ainsi, un leader politique n’a que très peu de chances de pouvoir exploiter politiquement l’entrée en service d’une équipement qu’il aurait décidé sur sa mandature, ou de voir les bénéfices d’allocations de moyens supplémentaires. 

Là encore, l’écosystème Défense n’est pas exempt de responsabilité, puisque rassemblant prés d’un million de personnes en France (militaires et réservistes, civils de la Défense, pensionnés de la Défense, personnels de l’industrie de Défense..), il est incapable de convertir cette masse en pouvoir électoral, comme le font les chasseurs, par exemple. 

Surtout, c’est la conséquence d’un manque très sensible de sensibilisation du public européen aux questions et enjeux de Défense, le laissant évolué dans une perception très idéalisée des menaces et des risques.

Bien souvent, le premier reflexe de l’écosystème Défense européen est de blâmer les politiques pour leur manque de considération pour les questions de défense, leurs enjeux et leurs besoins. Or, nous le voyons, les causes sont bien souvent liées aux actions, ou inactions, de ce même écosystème, et les solutions potentielles ne peuvent être mises en œuvre que par lui. 

Comme pour la Défense à Valorisation Positive qui s’appui sur un changement de paradigme pour proposer une approche nouvelle de l’économie de la Défense, l’écosystème Défense devra faire table rase de nombreuses de ses propres paradigmes pour renouer un dialogue efficace et objectif avec la classe politique.

- Publicité -

Pour Aller plus loin

RESEAUX SOCIAUX

Derniers Articles