Affaire Huawei : le point sur le bras de fer Chine-US et ses conséquences pour la Défense

Après avoir d’abord émis un décret présidentiel pour interdire l’achat par les entreprises américaines de technologies développées par Huawei, le Ministère américain du Commerce accorde finalement un sursis de 3 mois au constructeur Chinois. En apparence, ces changements de cap ont pu laisser penser que le gouvernement américain naviguait à vue. Toutefois, Donald Trump a annoncé ce vendredi ne pas se fermer à la possibilité d’inclure le cas Huawei dans les négociations d’un accord commercial avec la Chine. Malgré la fermeté des mesures adoptées, les Etats-Unis dévoilent leur main : exploiter l’affaire Huawei pour établir un rapport de force favorable dans la guerre commerciale livrée contre la Chine.

Sur le fondement de l’International Emergency Economic Powers Act, l’ordre exécutif sur la sécurisation des technologies et des services de l’Information et des Communications de la Supply chain signé par Donald Trump, interdit aux opérateurs américains de télécoms de se fournir auprès de certaines firmes étrangères considérées comme faisant porter un risque à la sécurité nationale. La responsabilité revient au Secrétaire au Commerce de juger si des personnes physiques ou morales représentent ou non un risque pour les Etats-Unis. Il n’est pas précisé si les critères de sélection ou les motivations de bannir ou non seront rendus publics. Dans tous les cas, bien que n’apparaissant pas explicitement dans le décret exécutif, Huawei et la Chine sont bien évidemment les premiers à être visés et impactés par cette mise au ban.

« Malgré la fermeté des mesures adoptées, les Etats-Unis dévoilent leur main :
exploiter l’affaire Huawei pour établir un rapport de force favorable
dans la guerre commerciale livrée contre la Chine« 

Parallèlement, Huawei ainsi que 68 de ses filiales ont été placées sur l’ « Entity List » du Bureau de l’Industrie et de la Sécurité (BIS) du Ministère du Commerce. Cette liste soumet à l’octroi d’une licence d’autorisation « l’export, le ré-export ou le transfert » d’articles spécifiques vers les personnes, entreprises, organisations ou pays qui y figurent. S’ils n’obtiennent pas d’autorisation explicite du gouvernement américain, Huawei et ses filiales devront se passer des composants américains pour fabriquer leurs smartphones.

Sur le plan pratique, Huawei se voit brutalement dénier l’accès au système d’exploitation Android développé par la firme américaine Google pour ses futurs modèles ainsi qu’aux composants stratégiques fabriqués par Qualcomm, Broadcomm et Xilinx. Ainsi, ce ne sont pas seulement les agences gouvernementales mais aussi les acteurs privés qui se désengagent. Des opérateurs taiwanais (Chungwa Telecom), Japonais (Ymobile, KDDI, etc) et britanniques (EE) ont annoncé ne plus commander les dernières versions des téléphones Huawei.

« S’ils n’obtiennent pas d’autorisation explicite du gouvernement américain, Huawei et
ses filiales devront se passer des composants américains pour fabriquer leurs smartphones.« 

Chant du Cygne des Etats-Unis ?

Si la situation semble se corser pour Huawei, le constructeur Chinois semble loin de tomber des nues. Deux lettres internes rendues publiques et reconnues par Huawei révèlent que HiSilicon, sa filiale en charge des semi-conducteurs, a depuis plusieurs années consacrées des ressources pour élaborer des plans de continuité d’activité si un jour les Etats-Unis venaient à couper l’accès à des technologies clefs pour la fabrication de leurs produits.

De part et d’autres du Pacifique, les industries technologiques Américaines et Chinoises sont interdépendantes. Il est vrai qu’aucun concurrent ne peut fournir des composants d’une qualité similaire aux produits américains pour le même prix. Les équipementiers Chinois devront se satisfaire de produits moins performants et probablement plus chers. Cela ne signifie pas pour autant que la Chine sera perdante. Ren Zhengfei, fondateur du géant Chinois, assurait que les Etats-Unis sous-estimaient les capacités de la firme notamment quant à sa capacité à produire elle-même les puces jusqu’alors fournies par l’industrie américaine.

     
De l’autre côté du Pacifique, il est également difficilement imaginable que des firmes technologiques américaines telles que Apple puissent se passer des manufactures Chinoises. De la même manière, Huawei dispose d’une longueur d’avance sur la concurrence en termes de 5G. Si les Etats-Unis lui ferment les portes du marché américain, ils devront eux-aussi se satisfaire d’un pis-aller en matière de 5G. D’un point de vue historique, le simple fait que Washington déploie autant d’effort pour protéger son territoire contre l’importation de technologies étrangères peut révéler un aveu de faiblesse.

Sur le long terme, on peut légitimement se demander, qui de l’industrie Américaine ou Chinoise,
aura le plus à perdre ?

Cette décision, aussi médiatique soit-elle, ne doit donc pas empêcher de prendre du recul et d’adopter une vue d’ensemble. Cette décision radicale fait suite à une longue liste de vives charges mutuelles entre Pékin et Washington depuis 1 an. Après des tractations diplomatiques infructueuses, le gouvernement américain a augmenté en mai 2019 ses droits de douanes sur les biens chinois faisant passé la taxe de 10% à 25%. La Chine a de son côté pris des mesures de représailles en augmentant à son tour ses propres tarifs.  En décembre dernier, la fille du fondateur de Huawei et directrice financier a été arrêtée au Canada à la demande des Etats-Unis pour ses soupçons de violation des sanctions à l’encontre de l’Iran. Ces crises successives s’inscrivent dans un contexte plus vaste d’une compétition technologique entre deux des Etats les plus puissants du monde avec des conséquences directes dans le domaine de la défense et de la sécurité nationale.

Focus sur les enjeux technologiques dans le domaine de la Défense et de la Sécurité Nationale

A l’origine du décret, un constat fait par Washington : l’augmentation de la création et de l’exploitation de vulnérabilités des technologies et des services de l’information et des communications par des puissances étrangères accrues par l’acquisition ou l’utilisation de matériel venant de puissances étrangères. Les préoccupations sécuritaires exprimées par les Etats-Unis pour justifier la levée de bouclier face à l’avancée Chinoise sont loin de n’être qu’une construction rhétorique. La polarisation du débat autour de Huawei est symptomatique et révélateur des enjeux technologiques et de sécurité nationale.

« un constat fait par Washington : l’augmentation de la création et de l’exploitation de vulnérabilités des technologies et des services de l’information et des communications par des puissances étrangères »

Huawei est accusé d’espionnage et de servir de cheval de Troie pour le compte du gouvernement Chinois. En ligne de mire : une loi Chinoise de 2017 qui obligerait les entreprises sur le territoire à coopérer avec les services de renseignement Chinois s’ils le demandaient. Face à ces accusations, Liang Hua a tenté de rassurer le gouvernement britannique en adoptant une réponse pour le moins audacieuse : si les préoccupations soulevées par cette loi sont légitimes, il n’existe toutefois aucune loi qui sanctionnerait l’équipementier s’il refusait de se conformer à la requête des agences de renseignement. Dans la pratique, la loi ne pourrait donc pas s’appliquer. Cette assurance semble toutefois bien mince face aux inconvénients qu’un regain de tension avec les USA engendrerait si le Royaume-Uni accueillait le réseau 5G huawei sur ton territoire. Dépourvu de preuves avérées de collusion avec le gouvernement Chinois ou d’acte d’espionnage, le Royaume-Uni s’est toutefois refusé à bannir purement et simplement l’équipementier Chinois mais l’a limité à ses activités non-essentielles.

Faisant fi des mises en garde de ses Ministres de la Défense (renvoyé dans la foulée pour une accusation de fuite), de l’intérieur et des Affaires étrangères, Theresa May a donné le feu vert au géant Chinois pour participer au réseau 5G national en ce qui concerne les matériels non-critiques. Les britanniques excluent une pure et simple interdiction pour y préférer un entre-deux. De son côté, Huawei renouvelle les actes de bonne foi en promettant notamment de signer un « No-spy agreement » avec le gouvernement britannique. « No spying, no back doors » assure le président de Huawei, Liang Hua.

Conscient de l’avancée de l’entreprise Chinoise au sein même de la Communauté des Five Eyes, Washington était allé jusqu’à menacer de revoir ses partenariats stratégiques en matière de renseignements si ses alliés optaient pour le réseau 5G Chinois. En l’espèce, pour les Etats-Unis la distinction entre les éléments essentiels et non-essentiels du réseau 5G est sans importance au vue des enjeux de cybersécurité et de sécurité nationale. Le partage de renseignements sera certainement réévalué avec les britanniques avertit Washington. Ils en ont également profité pour rappeler que les mêmes mesures seront prises pour l’ensemble de leurs partenaires qui ouvrirait ses portes au réseau 5G de Huawei ou de n’importe quel autre fournisseur non fiable.

« Conscient de l’avancée de l’entreprise Chinoise au sein même de la Communauté des Five Eyes, Washington était allé jusqu’à menacer de revoir ses partenariats stratégiques en matière de renseignements si ses alliés optaient pour le réseau 5G Chinois« 

Face à ce que Pékin dénonce comme une entreprise de concurrence déloyale par les Etats-Unis, Huawei se lance dans une vaste opération « patte blanche » vis-à-vis de l’Ouest. Le 5 mars 2019, Huawei ouvre un Centre de transparence cybersécurité en plein cœur de l’Europe à Bruxelles. L’objectif de ce centre est de se rapprocher des parties prenantes clefs de la cybersécurité européenne. Huawei cherche à démontrer ses bonnes pratiques en termes de sécurité et de transparence pour renforcer le dialogue et la confiance avec les institutions. En guise de bonne foi, Huawei est allé jusqu’à dévoiler son code source pour rassurer sur l’implémentation d’une 5G Chinoise sécurisée en Europe et contre les accusations de backdoors intégrées.

En parallèle la marque multiplie les initiatives pour renforcer son soft-power notamment en restant très active sur les réseaux sociaux pour mettre en valeur les publications qui lui sont favorables et opposer un contre-discours à ses critiques.

Pour ces mêmes alliés, à l’exception de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie, 5G Huawei et sécurité nationale ne semblent pas incompatibles. En ce qui concerne la France, Emmanuel Macron assure que l’interdiction de Huawei sur le territoire national n’est pas à l’ordre du jour. « Notre position est différente des Américains sur ce sujet » déclarait Bruno Le Maire, Ministre de l’Economie. Le gouvernement français adopte une position similaire aux Britanniques en ce qu’elle préfère une stratégie du compromis : tirer profit de l’innovation technologique de la 5G Chinoise pour son industrie tout en s’assurant des garanties pour préserver sa souveraineté et se protéger de possibles ingérences.

D’un point de vue opérationnel, le déploiement d’un réseau de 5G Chinois en Europe est un sujet de vives préoccupations. Outre les risques d’espionnage et de pillage de propriétés intellectuelles, la technologie 5G est une technologie duale par nature. Alors que le champ de bataille est de plus en plus connecté, la maturité en termes d’infrastructure que la Chine est en train de développer se traduira par un avantage opérationnel incontestable (systèmes d’information plus fiables, plus rapides et pouvant interconnecter plus d’éléments, etc).

Conclusion

Il serait extrêmement trompeur de penser que Pékin se conforterait dans une position de victime. Ce mardi 21 Mai, le président Xi Jinping a rendu une visite remarquée par les médias Chinois à l’entreprise JL Mag, spécialisée dans les terres rares et dont les produits sont utilisés dans de nombreux composants électroniques et dans l’armement de pointe. Dans une sorte de pied de nez aux Etats-Unis, Pékin a ainsi rappelé la dépendance américaine à l’approvisionnement Chinois. François Lenglet, journaliste à RTL, rappelle que

«  la Chine produit 61% du sillicium mondial, 67% du germanium, 84% du tungstène mondial et 95% des terres rares » ce qui en fait désormais « le pays le plus influent en ce qui concerne l’approvisionnement mondial en maintes matières premières critiques »[1].


[1] https://www.rtl.fr/actu/conso/huawei-pourquoi-le-monde-entier-est-il-dependant-de-la-chine-7797680048

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