Faisant suite à l’annonce par Washington de l’autorisation de vente de 108 chars Abrams M1A2 à Taiwan, le directeur adjoint du Département de l’information du Ministère des affaires étrangères de la République populaire de Chine, Geng Shuang, a déclaré que « la Chine imposera des sanctions aux entreprises américaines impliquées dans les ventes d’armes à Taïwan ». La nature des mesures de représailles envisagées n’a pas été précisée, pourtant l’annonce de sanctions contre des entreprises américaines est inhabituelle mais fait naturellement écho aux récentes sanctions américaines contre Huawei, entreprise chinoise.
Dans sa déclaration, Geng Shuang invoque notamment le droit international et les trois communiqués conjoints entre la Chine (RPC) et les États-Unis pour justifier de la supposée illégalité de ces ventes d’armes. Toutefois, ni la Chine, ni les États-Unis, ni même Taïwan n’ont signé et ratifié le Traité sur le commerce des armes (TCA). De plus, dans les trois communiqués conjoints, aucune conclusion définitive n’a été tirée sur la question de la vente d’armes à Taïwan, bien que les États-Unis ont déclaré leur intention de réduire progressivement ces ventes. Un point qui sera clarifié par l’un des principes du « Six Assurances » de John H. Holdridge, ancien Secrétaire d’État adjoint aux affaires de l’Asie de l’Est et du Pacifique : « Nous n’avons pas accepté de fixer une date précise pour la fin des ventes d’armes à Taïwan ».
Les réactions de la Chine pourrait démontrer une crainte que le rapport de force entre la Chine et Taïwan tende vers l’équilibre dans le cas d’une offensive chinoise, bien que la différence entre le budget militaire chinois (177,6 milliards de dollars en 2019) et taïwanais (10,7 milliards de dollars en 2019) demeure considérable. Les technologies modernes rendent plus difficiles les actions de projection de forces, qui plus est dans le cadre des nouvelles stratégies de déni d’accès favorisant la défense. Ainsi une nation comme Taïwan, avec un soutien matériel suffisant des États-Unis, peut espérer être en mesure de tenir la Chine à distance en rendant les « coûts » humains et matériels d’une intervention bien trop élevés au regard des bénéfices politiques et économiques espérés. Toutefois, la population taïwanaise, elle, semble de moins en moins confiante dans les capacités dissuasives de leurs forces, 65% d’entre eux estimant que les armées taïwanaises ne seraient pas en mesure de faire face à une offensive militaire de Pékin.
De plus, la puissance militaire chinoise ne sera à son potentiel maximum en 2050, et Pékin pourrait être tenté d’attendre pour obtenir le meilleur gradient de puissance. Mais cela irait en contradiction avec les engagements de Xi Jinping, qui a fait de la réunification avec Taïwan un objectif stratégique prioritaire de son action politique. De fait, le dilemme actuel réside entre des moyens encore trop limités pour mener une action de front (la Chine n’a que 6 navires d’assaut Type 071 aujourd’hui, mais aura 9 LPD Type 071 et 9 Porte-hélicoptères d’assaut Type 075 en 2030, ainsi qu’au moins 5 PA dont 3 dotés de catapultes, et 12 à 15 croiseurs Type 055), la faiblesse relative de Taïwan et des États-Unis aujourd’hui sur ce secteur, et la volonté de « réaliser son destin » du leader chinois. En outre, l’invasion n’est pas le seul moyen d’action de Pékin pour parvenir à ses fins, comme par exemple un blocus naval et aérien, au prétexte d’empêcher la livraison d’armes sur l’ile. Dans cette hypothèse, Pékin aurait dès à présent les moyens de mener une telle action, bien qu’il serait préférable d’attendre 2025, pour disposer de davantage de croiseurs Type 055, de sous-marins d’attaque Type 039B (parfois identifiés comme Type 041), de sous-marins nucléaires Type 093 et 095, ainsi que de davantage de destroyers, frégates et corvettes modernes .
Clément Guery
Spécialiste des questions de politiques étrangère et de sécurité de la République populaire de Chine.