Des exercices de l’Armée populaire de libération (APL) ont récemment été annoncés au large de la côte sud-est de la Chine par le ministère de la Défense nationale chinois. L’APL aurait déjà effectué un exercice en mer et dans l’espace aérien dans cette zone ces derniers jours selon un communiqué publié dimanche par le ministère de la Défense nationale.
Ces exercices font écho à l’annonce par Washington de l’autorisation de vente de 108 chars Abrams M1A2 à Taïwan, mais également à une réception organisée par la présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen, pour des représentants de l’ONU à New York. La Chine maintient son cap en réalisant de nouvelles manœuvres, elle qui avait déclaré que des sanctions seraient imposées aux entreprises américaines impliquées dans les ventes d’armes à Taïwan. De plus, l’organe de presse officiel du Comité central du PCC a récemment identifié les entreprises américaines qui pourraient être ciblées par des sanctions : Honeywell International Inc, constructeur des tanks Abrams, et Gulfstream Aerospace, constructeur de jets privés.
Plusieurs éléments intéressants sont à relever dans cette annonce. Premièrement, il est assez inhabituel pour ce ministère d’annoncer activement de tels exercices et aucune branche précise de l’APL n’a été mentionnée. Les milieux militaires chinois annoncent que nous pouvons nous attendre à un exercice de grande envergure incluant les cinq branches de l’APL : la Force terrestre, la Marine, la Force aérienne, la Force des fusées et la Force de soutien stratégique. De plus, la formulation de la déclaration suggère que l’exercice pourrait être organisé par le commandement conjoint d’un commandement de théâtre – Le commandement méridional ou oriental – ou par la Commission militaire centrale directement, organisme présidé par Xi Jinping.
Finalement, ces exercices menacent certes directement Taïwan et sa souveraineté, mais viennent également contester l’hégémonie américaine en Asie du Sud-Est. Cet évènement, d’une façon plus général, montre la pente que semble emprunter ces deux nations vers un piège de Thucydide – Concept polémologique nommé par Graham Allison en référence à Thucydide qui écrivait dans La Guerre du Péloponnèse que « ce fut l’ascension d’Athènes et la peur que celle-ci instilla à Sparte qui rendirent la guerre inévitable. ». Qu’il s’agisse de la Chine et son hubris ou des États-Unis et sa paranoïa, ce piège semble contraindre ces deux acteurs à une guerre future. Cependant, la Chine sur le plan capacitaire reste loin d’égaler les États-Unis à l’échelle mondiale, mais demeure une menace régionale pour les alliés de Washington en Asie. Graham Allison laisse suggérer que le piège serait encore évitable en conseillant à Pékin la modération, et à Washington de ne pas confondre ses intérêts vitaux et ceux de ses alliés asiatiques. Néanmoins, la Chine et plus particulièrement les projets de Xi Jinping sont aux antipodes de la modération, quant aux États-Unis, soutenir plus légèrement ses alliés asiatiques reviendrait à laisser la sphère d’influence de cette puissance régionale qu’est la Chine se développer davantage. Ce cas se présente comme une variante du dilemme du prisonnier d’Albert W. Tucker : c’est-à-dire une situation où deux joueurs auraient intérêt à coopérer, mais où, en l’absence de communication entre les deux joueurs, chacun choisira de trahir l’autre si le jeu n’est joué qu’une fois.
Clément Guery
Spécialiste des questions de politiques étrangère et de sécurité de la République populaire de Chine.