Les tensions entourant les relations irano-britanniques ont servi de révélateur d’une faiblesse majeure de la Royal Navy, à savoir le faible nombre de ses unités de surface, trop insuffisant pour pouvoir déployer une force cohérente et dissuasive par elle-même. Et en effet, depuis 1990, elle a perdu, au travers des différents programmes de « modernisation » et de « rationalisation » qui furent légions en Europe sur l’autel des « bénéfices de la Paix », pas moins de 30 frégates sur la cinquantaine dont elle disposait alors. De son coté, la Marine nationale n’a pas connu meilleur sort, en ayant vu sa flotte d’aviso éliminée des inventaires, comme le sera prochainement celle des frégates de second rang, représentée par la classe La Fayette.
De fait, les deux principales marines européennes, celles qui disposent de porte-avions et sous-marins nucléaires, font face à un important déficit en matière de flotte de surface, déficit qui ne sera pas comblé par les programmes en cours, que ce soit les frégates Type 26 et 31 britanniques, ou par les classe Alsace et les FDI françaises. Or, toutes deux pourraient trouver de gros bénéfices à déployer une flotte de corvette, des bâtiments plus légers et moins onéreux que les frégates, mais parfaitement adaptés pour de nombreuses missions allant de la lutte anti-sous-marine à l’escorte de bâtiments civils. Dans cet article, nous étudierons l’opportunité de developper une nouvelle classe de corvettes franco-britanniques, afin de rapidement réduire le déficit operationnel constaté, avec une impact minimum sur les finances publiques.
Sans entrer dans le détail des besoins exacts des deux marines, nous prendrons comme base de travail une corvette de 2200 à 2500 tonnes en charge, disposant d’une capacité d’autoprotection et de protection rapprochée anti-aérienne par 2×8 missiles CAAM ou Mica VL, d’une réelle capacité ASM avec tubes Mu90 et sonar de coque, de 8 missiles anti-navires type MM40, d’un canon de 57mm, de 2 tourelles de protection 20mm, et d’une plate-forme et hangar hélicoptère pour un appareil de 6 tonnes type HIL ou Super-Lynx. Le nouveau navire devra disposer d’un très haut degré d’automatisation, et d’un équipage réduit vis-vis des standards, d’une endurance à la mer de 20 jours et d’une vitesse de pointe de 30 noeuds. Ces caractéristiques en font le successeur direct de la corvette Gowind 2500, mais également des frégates Type 21 britanniques. Ces corvettes seront, en outre, optimisées pour collaborer ensemble, notamment en ASM, ainsi qu’avec les frégates des deux marines. Nous pouvons dès lors viser un prix unitaire de 300 m€, et un prix de conception de 600 m€, avec pour seule obligation d’avoir un taux d’équipements importés ne dépassant pas 5% (contrairement aux Gowind par exemple, dont une grande part des équipements ne sont pas d’origine française).
Pour la Marine nationale, le besoin peut -être évalué à 18 unités, soit 6 unités pour la façade Atlantique, 6 unités pour la façade méditerranéenne, et 1 unité par zone outre-mer en complément de la Frégate de Surveillance, afin de disposer de 2 bâtiments armés par zone. Pour la Royal Navy, nous admettrons un besoin similaire, sachant que les besoins exacts méritent une étude propre. Dans ce modèle, nous admettrons que chaque pays construira 1,5 navire par an, soit 18 navires en 12 ans, avec une phase d’étude de 2 ans, soit un programme ayant une durée de vie de 14 ans.
Le cout pour chaque état sera donc de 1,5 x 300 m€ = 450 m€, soit 500 m€ en tenant compte des hélicoptères et drones nécessaires à la mise en oeuvre de cette flotte.
En prenant en considération les études faites par la doctrine Défense à Valorisation Positive, nous savons que l’augmentation d’un million d’euro investi dans l’industrie de Défense finance 10 emplois directs de la BITD, 9 emplois de sous-traitance, et 8 emplois induits par la consommation des 19 emplois industriels. Les 500 m€ par an nécessaire au financement de ce programme financeront ou génèreront donc 5000 emplois directs, 4500 emplois de sous-traitance, et 4000 emplois induits, soit 13500 emplois.
En France, un emploi génère en moyenne chaque année 24.000 € de charges sociales et d’impôts payés par les sociétés, alors que chaque salarié pait, de son coté, en moyenne, 6000 € d’impôts et taxes, par la TVA, l’impôt sur le revenu, etc.. De fait, un emploi génère 30.000 € de recettes sociales et fiscales chaque année. Or, aujourd’hui, l’Etat compense les déficits des organismes sociaux, qui n’ont pas le droit, statutairement, de faire de la dette. De fait, l’Etat économise directement les recettes sociales payées dans le cadre de ce contrat. Il a donc un solde budgétaire de 30.000 € par emploi et par an. Les 13.500 emplois liés vont donc générer 405 millions de solde budgétaire direct, ramenant le cout réel sur le budget à 95 m€ par an, soit 1,140 m€ sur les 12 années de fabrication.
A ce montant vont s’ajouter deux niveaux de recettes complémentaires :
- les économies sociales donc budgétaire sur la part des emplois créés quittant le chômage indemnisé, ainsi que les économies budgétaires sur l’accompagnement des personnes en recherche d’emploi (indemnisées ou non), comprenant notamment les formations professionnelles. Les estimations de ces couts sont très variables selon les méthodes utilisées, allant de 15.000 € par an à 55.000 € par an. Un montant de 20.000 € par an semble raisonnable, sachant que les chômeurs perçoivent en moyenne 15.000 € par an net d’indemnités.
- Les recettes liées aux commandes à l’exportation potentielles de ces corvettes.
Sans entrer dans une étude approfondie, il apparait donc plus que probable que le retour budgétaire du programme pour la France soit positif dans les faits. En prenant une économie sociale de 20.000 € sur 50% des emplois, et un taux d’exportation de 15%, cohérent avec les programmes navals français précédents, le taux de retour budgétaire dépasse les 120% pour l’Etat. Pour le Royaume-Uni, ce taux s’élève à 80%, les taux de prélèvement sociaux et d’imposition en Grande Bretagne étant moins élevés qu’en France. Il n’en demeure pas moins que chaque corvette ne coutera que 60 m£ au budget de l’Etat britannique, déduction faite des taxes, prélèvements sociaux et impôts supplémentaires perçus.
La Phase d’étude, soit 300 m€ par pays, subit la même ventilation, hors exportation, avec un retour neutre pour la France, et un retour de 65% pour le Royaume-Unis, ramenant son cout budgétaire à 85 m£. Au total, un programme de 2×18 corvettes de nouvelle génération pour la Royal Navy et la Marine nationale couterait donc 1,165 m£ sur 14 ans au budget britannique, alors qu’il rapporterait un peu plus de 1 Md€ au budget français, ceci en tenant compte des 28 hélicoptères navals supplémentaires par marine, et autant de drones aériens embarqués.
La mise en oeuvre d’un tel programme est donc largement à la portée des finances publiques des deux pays, et marquerait, en outre, une volonté forte de coopération dans le domaine naval pour les deux pays, appelé à devenir de plus en plus stratégique dans les années à venir. Il ne manque, en somme, qu’une volonté politique marquée pour donner naissance à ce programme, et reconstituer, en à peine plus de 10 ans, une part importante de la puissance navale des deux plus vielles nations européennes.