Depuis plusieurs années, la cours des comptes américaine, le Government Accountability Office ou GAO, se montre très attentive quand aux performances effectives et aux dérives des couts du programme F35. Mais c’est avant tout les questions de disponibilité opérationnelle et de maintenance qui focalisent désormais ses critiques, aidée en cela par le POGO, qui effectue un suivit précis des dépenses de l’Etat fédéral américain. Ensemble, ces deux organismes ont mené une étude sur la disponibilité de l’escadron interarmées destiné aux essais opérationnels, stationné sur la base d’Edwards en Californie, dont le rapport a été publié début aout. Et les résultats sont, on peut le dire, calamiteux …
Ainsi, les 23 appareils en parc affichent qu’une disponibilité opérationnelle complète qui évolue entre 11 et 5% ces derniers mois. Or, cet escadron bénéficie de personnels de maintenance supplémentaires et d’un flux privilégié pour l’accès aux pièces détachées vis-à-vis des escadrons opérationnels, et devrait, selon le directeur des essais du Pentagone, atteindre une disponibilité de 80% pour préfigurer celle escomptée dans les unités opérationnelles. Ces chiffres sont en outre divulgués à un bien mauvais moment, à peine quelques mois avant le lancement de la production en grande série, qui devait débuter cet automne, et qui sera, dès lors, probablement remise en cause. On voit mal en effet comment les autorités militaires américaines pourraient justifier une telle décision alors que l’appareil présente de telles défaillances opérationnelles.
Ces très mauvais chiffres sont le résultat, comme souvent, de plusieurs facteurs concomitants, chacun rognant la disponibilité des appareils : taux de panne trop élevé, maintenance longue et complexe, difficulté d’approvisionnement en pièces détachées, manque de maturité de certaines technologies employées … Si un programme complexe comme un avion de combat fait généralement face à ces problèmes dans sa phase de developpement, le F35 semble ne pas parvenir à en sortir, malgré les presque 500 appareils déjà construits et livrés. Il est d’ailleurs notable de constater que certains de ces problèmes, comme le nombre de panne bien supérieur à ceux constater sur d’autres appareils, ne semblent pas trouver de solution, bien qu’étant identifiés depuis plusieurs années, et que plusieurs versions du F35 soient passées par là.
On peut se demander, dès lors, si, à l’instar d’autres programmes récents, le F35 n’aurait pas dépassé un certain seuil de stabilité technologique, au delà duquel il devient impossible par des correctifs de rétablir la situation, sans engendrer de nouveaux dysfonctionnements. On peut se rappeler, à une autre échelle, le logiciel Louvois qui n’a jamais pu atteindre une niveau opérationnel satisfaisant, au point qu’il fut décidé purement et simplement, de le remplacer. Ce phénomène intervient surtout dans l’ingénierie logicielle, et notamment dans l’implémentation excessive des ERP, lorsque le nombre de modules dépasse un seuil au delà duquel il devient impossible de modéliser efficacement l’architecture logique du système. Ce seuil est évidemment évolutif, le temps apportant souvent de nouvelles approches logiques et de nouveaux paradigmes pour ordonner la structure logique du programme, afin d’augmenter ses capacités de traitement et d’interactions. Mais à structure donnée, il est immuable, même en augmentant artificiellement la puissance de traitement du système, la limite étant logique, et non physique.
Si tel est le cas pour le F35, cela signifierait que l’appareil ne sera jamais à même de résoudre efficacement ses problèmes actuels, et qu’il sera condamné à ne proposer qu’une disponibilité opérationnelle faible, avec des couts de maintenance élevés, et une resilience opérationnelle très limitée, contribuant à affaiblir très massivement l’efficacité opérationnelle d’une grande partie de la flotte aérienne de combat occidentale. Peu importe, dans ces conditions, la furtivité de l’appareil, ou ses extraordinaires capacités de fusion de données, si il est incapable de suivre un rythme opérationnel soutenu.
Avec plus de 250 Md$ déjà investis, le programme F35 est souvent présenté comme « too big to fail », trop gros pour échouer, selon l’expression anglo-saxonne consacrée. Mais en ces temps de regain de tensions majeures sur de nombreux théâtres, le retour d’une certaine course aux armements, une logique de réthorique nucléaire qui apparait à nouveau, parier l’avenir de l’occident sur un appareil que l’on sait présenter d’importants défauts, ne représente-t-il pas un risque majeur dépassant largement les intérêts économiques et politiques en jeux ici ?