Les autorités indiennes ont annoncé la suspension, puis l’annulation, du contrat pourtant sur la re-motorisation de 80 de ses avions d’attaque Jaguar par des réacteurs F125 de Honeywell, l’offre financière du constructeur américain de 2,4 Md$ étant jugé trop élevée. Cette annonce remet en question l’ensemble du planning déjà très chaotique de modernisation de la force aérienne indienne, menaçant à court terme 6 de ses escadrons de chasse sur les 29 en service, alors que l’Indian Air Force estime devoir disposer de 40 escadrons pour assurer l’ensemble de ses missions. Les Jaguars indiens font déjà l’objet d’une modernisation de leur avionique, mais l’abandon de la nouvelle motorisation risque de précipiter le retrait du service de l’ensemble de la flotte, puisque les moteurs adour qui propulsent les appareils auraient vu leurs performances diminuer de 15 à 30% aux fils de années.
Outre un programme visant à récupérer des pièces détachées pour prolonger l’entretien des appareils auprés d’anciens utilisateurs du Jaguar, le gouvernement envisagerait également, selon l’article de « The Print », d’augmenter le nombre de Su-30MKI supplémentaires commandés, de sorte à palier le déficit opérationnel que provoquerait le retrait des Jaguars.
De fait, ces dernières semaines, les annonces se sont succédées concernant les nouveaux programmes d’acquisition d’appareils par l’IAF, avec des arguments souvent contradictoires entre eux. Nous nous étions fait l’écho il y a deux semaines de la rumeur concernant une possible commande de 200 Rafale, mais depuis, une nouvelle rumeur parlant cette fois d’une nouvelle commande de 36 Rafale est apparue. Parallèlement, des commandes supplémentaires de Su-30MKI et de Mig-29 auprés de la Russie sont régulièrement abordées, mais ne donnent lieu à aucune commande ferme. Plus récemment, c’était au tour du Tejas de faire la une, avec une possible commande de 80 appareils pour 3 Md$.
Toutes ces hypothèses se heurtent à la même dichotomie conceptuelle qui entrave l’effort de Défense indien depuis des années. En effet, Le Premier Ministre Modi, réélu avec une majorité absolue au parlement ce printemps, a fait du « Make in India » un des piliers de sa politique économique et industrielle, voulant faire de l’Inde un acteur mondiale de l’industrie de Défense et des technologies aéronautiques. Mais cette doctrine se heurte violemment à une réalité qui semble inamovible, à savoir l’inefficacité critique de l’industrie indienne. Ainsi, le constructeur d’Etat HAL a proposé son Tejas au tarif de 450 Crore, soit 60 m$ l’unité, alors que Saab propose son Gripen E/F à seulement 42 m$, un appareil pourtant beaucoup plus évolué, performant, et fiable. Des problèmes similaires sont apparus concernant la chaine de production des Su-30MKI de HAL, les appareils fabriqués en Inde coutant 50% plus chers que ceux venant de Russie, avec en outre d’importants soucis de qualité. Le Consortium Rafale avait lui aussi rencontré des difficultés de cet ordre, ayant amené Dassault à refuser de garantir la disponibilité des appareils s’ils étaient construits par HAL, entrainant l’annulation du contrat MMRCA de 114 appareils pour commander 36 appareils construits en France.
Ces atermoiements politiques et industriels ont entrainé un affaiblissement très sensible des forces aériennes indiennes, qui ne disposent aujourd’hui plus que de 29 escadrons de chasse, dont seulement 18 sont équipés d’appareils jugés « modernes » comme les 225 Su-30MKI, les 65 Mig29 et les 60 mirage 2000. Le reste de la flotte indienne est équipée d’appareils anciens, même si régulièrement modernisés, comme le Mig21, le Mig27 et le Jaguar, représentant plus de 360 appareils devant être rapidement retirés du service et remplacé, ne serait-ce que pour maintenir le format actuel. De fait, aujourd’hui, la force aérienne indienne « utile » est sensiblement équivalente à celle du Pakistan, qui aligne plus de 150 JF-17 Thunder et 76 F16 en partie portée au standard Block 52. Impossible dès lors de faire face simultanément au Pakistan et à la Chine le cas échéant, ce qui représente aujourd’hui le principal sujet d’inquiétude de l’état-major indien, et la raison pour laquelle il milite pour lancer rapidement de nouveaux contrats concernant le Rafale, le Mig-29 et le Su-30MKI, même si sa préférence va vers l’avion français.
Une chose est certaine, l’industriel qui saura effectivement « cracker » le modèle indien, et pourra assurer une production efficace tout en respectant le « make in India », aura face à lui une voie pavée pour de nombreuses années à New Dehli. Il semble que ce soit ce à quoi s’est employé le consortium « Rafale », mettant à profit les clauses d’offset accompagnant le premier contrat de 36 appareils pour concevoir un écosystème efficace prêt à prendre en charge une production locale économique et fiable de l’avion français, que ce soit dans les domaines de l’aéronautique, de l’électronique embarquée et de la propulsion. Il ne reste plus qu’à espérer, pour le Rafale comme pour l’Inde, qu’un accord émergera rapidement pour palier le déficit opérationnel mortifère qui menace le pays.