La vente du motoriste ukrainien Motor Sich à des entreprises chinoises préoccupe les États-Unis

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Les médias ukrainiens ont annoncé le 24 août que les entreprises chinoises Skyrizon et Xinwey Group avaient acquis plus de 50% des actions du producteur de moteur d’avion ukrainien Motor Sich et ont demandé au comité anti-monopole de confirmer la transaction. De plus, les compagnies chinoises ont promis au comité de fournir un financement de 100 millions de dollars au secteur aéronautique ukrainien. La détermination des Chinois est visible puisqu’ils se sont engagés à laisser à l’État ukrainien 25% de ses actions tout en payant plus afin de prévenir les critiques à l’égard du gouvernement. 

Cependant, comme le rapporte The Wall Street Journal les autorités américaines ne sont pas satisfaites par un tel développement de la situation. Le Conseiller à la sécurité nationale John Bolton, fermement opposé à cet accord, a même décidé de se rendre personnellement à Kiev le 28 août afin d’aborder ce problème[efn_note]B. Forrest, « U.S. Aims to Block Chinese Acquisition of Ukrainian Aerospace Company »,Wall Street Journal, 23 août 2019[/efn_note]. La source du site Strana.ua affirme que le responsable américain a non seulement exigé l’annulation de la transaction, mais aussi la nationalisation de Motor Sich. L’informateur précise que le round actuel de la rivalité technologique entre Pékin et Washington se joue en ce moment en Ukraine[efn_note]ЛюдмилаКсенз, « 500 млндолларовкитайцамотЗе. КакСШАдобиваютсясрочнойотменысделкипо“МоторСичи” ичтотеперьбудетспредприятием », Strana.ua, 27 août 2019[/efn_note].

En effet, Motor Sich est un des plus importants producteurs mondiaux de moteur d’avions, et de turbines à gaz industrielles. En 2018 l’entreprise a réalisé un bénéfice net de 1,9 milliard de grivnas ($71 millions), mais a enregistré une perte nette de 420 millions de grivnas ($16 millions) au premier semestre 2019. Cette tendance négative était pourtant prévisible. Comme nous l’avons expliqué dans l’article sur la substitution des importations au sein du secteur de la défense russe, les sanctions ukrainiennes ont mis un terme à des échanges lucratifs entre le constructeur ukrainien et les producteurs d’hélicoptères militaires russes. Pire, les anciens clients ont été contraints de développer leurs propres solutions afin de continuer à fabriquer les hélicoptères des constructeurs Mil et Kamov, et seraient en phase de devenir totalement indépendant dans ce domaine.

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Le Mil Mi-28, comme de nombreux hélicoptères russes, a subit les effets de l’embargo sur les moteurs ukrainiens

Les sanctions imposées par Kiev contre la Russie n’auraient pas été absolument désintéressées puisque pour certains commentateurs de la vie politique ukrainienne Petro Poroshenko avait essayé de s’emparer de Motor Sich à plusieurs reprises, tout d’abord en 2005 et puis pendant sa présidence entre 2014 et 2019. Ce dernier aurait fait pression sur le directeur Bogouslaev en annulant des commandes étatiques et en incitant le SBU à poursuivre juridiquement contre l’entreprise. Le CEO déclare quant à lui que tout aurait été fait par le gouvernement afin de « tuer » cette compagnie stratégique. 

L’intérêt des Chinois pour le constructeur ukrainien est justifié selon les experts par la quête de l’Empire du Milieu pour les technologies détenues par l’entreprise, la Chine s’étant fixé pour objectif de devenir la première puissance technologique. Il ne s’agit pas seulement pour Pékin d’obtenir un savoir-faire en matière de construction de moteurs aéronautiques, mais également dans le domaine des missiles de croisière, c’est-à-dire de technologies militaires. L’expert ukrainien Viacheslav Konovalov explique que Motor Sich fournit des moteurs pour l’intercepteur d’entraînement Iak-130, le moteur AI-222 pour les hélicoptères de la famille Mi-8, le moteur TV-317 fonctionnant à des altitudes records et enfin dispose des technologies nécessaires à, la production du plus grand hélicoptère au monde, le Mi-26. Les Chinois ayant précédemment essayé sans succès de copier ces matériels ont décidé de procéder à l’achat pur et simple des technologies et des spécialistes capables de les mettre en œuvre. 

La volonté américaine de prévenir la vente se heurte néanmoins à une dure réalité économique, en cas d’annulation de la transaction une réparation allant de 500 millions à 2 milliards de dollars devra être payée aux entreprises chinoises. Les nouvelles autorités ukrainiennes sont ainsi dans une position délicate, les slogans de la campagne électorale du président Zelensky annonçant clairement une ligne non interventionniste et libérale dans le domaine économique. De plus, la cession de biens étatiques est une ressource notable pour le budget ukrainien, qui n’est encore jamais parvenu à atteindre ses objectifs en matière de privatisation. Une annulation de la vente impliquerait ainsi, au lieun d’une recette, des dépenses supplémentaires substantielles et une crise diplomatique avec un partenaire commercial et un investisseur important. 

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Quelle que soit l’issue de cette péripétie, il est clair pour les experts ukrainiens que les États-Unis souhaitent « euthanasier » Motor Sich en douceur. Le plan consisterait à garantir au constructeur des commandes minimales pendant une période de 10 à 15 ans. Celles-ci suffiront pour maintenir l’entreprise à flot et préviendront les prédations chinoises, tout en obtenant le temps indispensable afin de rendre les technologies de Motor Sich obsolètes[efn_note]Андрей ГАЦЕНКО, « Могут ли США помешать продать “Мотор Сич” Китаю », КП в Украине, 29 août 2019[/efn_note].


Oleg Lypko – Analyste Russie et CEI

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