jeudi, novembre 7, 2024

Le Congrès US menace de transférer les avions d’appui légers à l’US Army

Le député républicain de Floride Michael Waltz a, à l’occasion d’un événement au Mitchell Institut, menacé de transférer le programme d’avions d’appuis légers à l’US Army, considérant la mauvaise volonté évidente de la part de l’US Air Force à mener à bien programme. Le programme d’avions de soutien rapprocher léger, lancé en 2012 et confié à l’US Air Force, n’a en effet jamais représenté un enjeu pour cette dernière, focalisée sur des programmes plus « ambitieux », comme le F35 ou le B21. Avec le retour des hypothèses de conflits de haute intensité, le programme perdit encore davantage son intérêt pour une force aérienne déjà déterminée à éliminer les A10 Thunderbolt II de son inventaire. En Janvier 2019, le programme fut suspendu pour une durée indéterminée.

Or, ce programme représente un intérêt tactique majeur pour les forces terrestres comme les forces spéciales, encore massivement engagées sur des théâtres de faible intensité, mais non moins meurtriers, en Irak, en Syrie ou en Afghanistan. En outre, les A29 Tucano en services dans les forces armées locales depuis quelques années, montrent un potentiel très apprécié par les troupes au sol, l’appareil pouvant évoluer longtemps au dessus de la zone d’engagement, et mener des attaques de précision à demande. Suite à la suspension du programme, le commandement des forces spéciales, l’US SOCOM, a obtenu l’autorisation de mettre en oeuvre ses propres aéronefs légers pour soutenir ses forces. Mais faire de même avec l’US Army serait d’un tout autre niveau …

AH56 Cheyenne Analyses Défense | Aviation d'entrainement et d'attaque | Conflit Afghanistan
L’AH-56 Cheyenne, très en avance par sa technologie comme par son concept, fut abandonné suite à des pressions très importantes de l’US Air Force

En effet, depuis sa création officielle en 1947, l’US Air Force, précédemment l’US Army Air Forces, a l’exclusivité des appareils de combat à voilure fixe vis-à-vis de l’US Army, qui elle a l’exclusivité des voilures tournantes de combat. L’US Navy et l’US Marines Corps disposent, eux, de leurs propres forces aériennes encadrées strictement quand aux missions et conditions d’utilisation. Ce périmètre stricte à été jalousement gardé par les forces américaines, donnant parfois lieu à des arbitrages absurdes. Ainsi, lorsqu’en 1967, Lockheed présenta le très prometteur hélicoptère AH-56 Cheyenne, le programme fut cassé par l’US Air Force, car menaçant ses prérogatives en matières de CAS pour Close Air Support. Finalement, l’US Army opta pour l’AH-64 apache, un appareil certes très performant, mais 150 Km/h plus lent que le Cheyenne.

De fait, la menace portée par le député républicain est loin de n’être qu’une adaptation technique vis-à-vis d’un besoin spécifique. Elle remettrait en cause les périmètres accordés aux armées, et créerait un précédent pour autoriser l’US Army à assurer ses propres missions de CAS, ce qu’elle réclame à corps et à cris depuis plusieurs décennies. Ainsi, l’Etat-Major de l’US Army usa de toutes ses ressources, notamment politiques, pour amener le congrès à rejeter la décision de l’Air Force de retrait du A10 pour privilégier le F35. En effet, pour les forces terrestres, le A10 reste incontestablement l’appareil le plus apprécié dans les missions de CAS, de par son puissant armement, sa manœuvrabilité à basse altitude et basse vitesse, et par l’entrainement spécifique des pilotes aux missions de soutien rapproché. Ce Lobbying a porté ses fruits puisque l’appareil restera en service jusqu’en 2030.

A10 sur piste sommaire Analyses Défense | Aviation d'entrainement et d'attaque | Conflit Afghanistan
Même s’il est vulnérable sur les théâtres haute intensité, le A10 reste plébiscité par l’US Army pour ses capacités d’appui rapproché

A contrario, l’Etat-Major de l’Air Force fut, il faut le reconnaitre, le premier à se préparer au retour des menaces de hautes intensités, aux environnements contestés, et aux systèmes de défense anti-aériens avancés. Dans ce contexte, les appareils de soutien légers, comme le A29 Tucano ou le AT-6 Wolverine, n’ont presque aucune utilité tant ils sont vulnérables aux défenses aériennes modernes. Même le A10 Thunderbolt II, malgré ses immenses qualités, apparait désormais très exposés et vulnérables. La décision de concentrer ses efforts et ses investissements sur les systèmes aériens modernes comme le F35 apparaissait, dès lors, raisonnable.

Et donc, au delà des querelles de clochers sur les prérogatives de chaque armée, c’est avant tout une question de concentration de moyens, et d’engagement à court terme, qui créent la dichotomie à l’oeuvre dans ce dossier. Le schisme entre l’US Army et l’US Air Force est renforcé par la notion d’appareil polyvalent, très en vogue dans les forces aériennes. En effet, si un appareil qui « peut le plus, peut le moins », il apparait également qu' »il fait le moins au prix du plus ». Ainsi, à titre d »exemple, les crédits et forces mobilisés pour mettre en oeuvre 2 escadrons de 15 F35A sont équivalents à ceux requis pour mettre en oeuvre 10 escadrons de Tucano, soit une force suffisante pour assurer la couverture aérienne rapprochée des forces américaines engagées au sol sur l’ensemble des théâtres d’opération de l’US Army, avec une utilisation raisonnée des ressources. C’est une chose impossible à faire avec seulement 30 F35A, pas même avec 60 appareils.

Le Rafale F3R Analyses Défense | Aviation d'entrainement et d'attaque | Conflit Afghanistan
Les avions super-polyvalents, comme le Rafale, imposent souvent une réduction de format des forces

Ce débat n’est d’ailleurs pas spécifique aux forces américaines, puisque pour nombre de forces européennes, le choix d’un unique appareil pour assurer l’ensemble des missions, s’il facilite la maintenance et la formation des personnels, entraina la réduction des formats des forces, et de leurs capacités à intervenir en opération extérieure. Si les chasseurs lourds polyvalents ont un intérêt indubitable, les chasseurs légers ou les appareils spécialisés dans les missions d’appui rapproché, apportent bien souvent des capacités suffisantes, voir supérieures dans certains aspects, à un cout sensiblement moindre, permettant de disposer d’une flotte plus étendue, et donc de moyens déployés plus importants. Une étude objective de cette question permettrait, sans le moindre doute, d’apporter un éclairage différent aux paradigmes ayant courts dans la conception des forces aériennes et de leurs moyens.

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