samedi, novembre 9, 2024

La Chine: futur Goliath de l’IA?

Le 1er octobre dernier, la Chine montrait au monde sa puissance militaire par le défilé fêtant les 70 ans du régime. Le but affiché est de prouver que son armée se modernise au plus haut point. Les efforts chinois afin de maîtriser l’IA ne sont pas à négliger. Le rêve affiché du Parti Communiste Chinois (PCC) est d’être la première puissance en la matière. En outre, la Chine reste un acteur premier du cyberespace. Par exemple, en 2018, le nombre d’internautes chinois était estimé à 800 millions. Pour comprendre la stratégie de cette puissance en vue d’acquérir la supériorité technologique en terme d’IA, il faut comprendre la structure de son cyberespace lui permettant de capter un maximum de données en vue du développement de l’IA.

L’instauration d’un intranet national : le Big Brother chinois

Le cyberespace a été perçu comme étant une priorité de développement par le PCC pour accroître la croissance économique. Dès lors, l’intégralité du développement numérique sur le territoire chinois a été impulsée et coordonnée par le Parti unique.

Dès 1993, le Conseil conjoint de l’informatisation économique nationale a été fondé dans le but de concevoir et planifier le réseau national. Depuis 2008, ce Conseil a fusionné avec d’autres entités afin de devenir le ministère de l’Industrie et des Technologies de l’Information. Selon le discours du PCC, 4 300 milliards de yuans, environ 561 millions d’euros, ont été ainsi investis entre 1997 et 2009. De plus, un réseau de câbles à fibre optique a été mis en place pour être constitué de sept câbles à fibre optique maritimes, et de vingt câbles à fibre optique terrestres. Le PPC a également lancé de vastes programmes de recherche pour accroître les capacités de son réseau Internet. Ainsi, la Chine a massivement investi dans le réseau IPv6. Cette technologie a permis d’augmenter le nombre d’adresses web disponible. En effet, lorsque le réseau Internet chinois était en IPV4, il n’y avait pas assez d’adresses IP différentes pour les besoins des utilisateurs chinois. L’adaptation vers l’IPV6 a permis de contrer cette restriction. De nombreux plans ont détaillé les objectifs que la Chine visait dans son cyberespace. Par exemple, les buts fixés actuels pour développer le réseau Internet chinois dépendent de la Stratégie pour le développement de l’informatisation au niveau national (2006-2020) élaboré en novembre 2005 et mis à jour par le treizième Plan quinquennal 2016-2020. Cette implication étatique a également permis au Parti de limiter le nombre de FAI. In fine, l’architecture réseau chinois se compose de neuf FAI tous autorisés et liés au PCC. Ces derniers permettent aux internautes chinois de se connecter au réseau mondial. Le principal FAI, China Public Computer Internet, bénéficiait d’un quasi-monopole en fournissant l’accès Internet à 80% des internautes chinois en 2007.

L’encadrement du Parti sur l’architecture de l’Internet en Chine explique que le cyberespace chinois est considéré comme étant un intranet national. En effet, les neuf FAI sont en pratique de « véritables postes-frontières du réseau chinois » en limitant les contenus étrangers pour les internautes chinois. Le pouvoir politique chinois étant de nature autoritaire, le contrôle des données a été une priorité pour assurer son autorité. A cette fin, la Chine use de la censure sur Internet, contrairement à ce qui est prétendu dans le Livre Blanc sur la situation de l’internet en Chine ayant un chapitre nommé « Assurer aux citoyens la liberté d’expression en ligne ».

Toutefois, l’émergence d’Internet a fait évoluer la communication des autorités politiques chinoises avec la population. D’un dialogue à sens unique venant du Parti envers la population durant les années maoïstes, le Parti actuel souhaite dialoguer avec sa population. Mais ce dialogue reste strictement encadré par le Parti. Par exemple, le 31 avril 2019, les autorités chinoises ont rendu obsolètes une centaine de Virtual Private Network (VPN) par une mise à jour de leur Firewall. Les opposants au système gouvernemental chinois se servaient de VPN pour s’émanciper de la censure du Parti sur Internet. Le contrôle du Parti sur le cinquième milieu est nommé « Bouclier doré » ou encore le Great Firewall en référence à la Grande Muraille de Chine. Les agissements du PCC sont justifiés par sa philosophie d’Internet. « Sur le territoire chinois, Internet est sous la juridiction de la souveraineté chinoise. La souveraineté de la Chine sur Internet doit être respectée et protégée.»

Par le nombre limité de FAI, le pouvoir chinois s’assure de filtrer le contenu internet étranger afin de le limiter pour les internautes situés sur son territoire. De même, de véritables patrouilles du Net sévissent sur l’intranet chinois. Elles s’assurent que certains mots clés, voire des thèmes de sujets, soient inaccessibles. A ce titre, les évènements de la place Tian’Anmen et l’indépendance du Tibet sont proscrits. Cette censure a été raillée lorsque le terme de Winnie l’ourson a été prohibé. En effet, le président chinois Xi Jinping était comparé à ce personnage de fiction par les opposants au régime.

Par ailleurs, le PCC utilise les données des citoyens chinois de manière à régir l’ordre social. D’ici fin 2020, le système de crédit social devrait être totalement instauré dans les provinces chinoises. Chaque citoyen chinois sera noté en fonction de certains critères, comme la légalité et la moralité, contrôlés par le PCC. En fonction de leur notation, certains services leur seront proposés, ou, à l’inverse, retirés. Pour le moment, seul l’historique bancaire des citoyens est appliqué. Par exemple, 23 millions de mauvais payeurs chinois ont été privés de voyager.

Le marché chinois étant un vivier sans cesse en expansion, les sociétés numériques occidentales tentent de s’y installer en suivant les directives du Parti. Par exemple, en 2005, Yahoo a dévoilé le nom d’un dissident, Shi Tao, aux autorités chinoises faisant arrêter par la même cet opposant au régime. De même, Google a appliqué la censure du Parti sur son moteur de recherche en 2006, et songerait à mettre sur le marché un moteur de recherche spécifiquement adapté au marché chinois. En effet, la volonté chinoise de renforcer le contrôle des informations sur Internet en Chine tend à se maintenir. Le dernier Livre Blanc, publié le 24 juillet 2019, dispose qu’il faut préserver la cyber-souveraineté nationale, et la sécurité de l’information. L’imbrication entre les BATX et le PCC a été prouvée par la création de la Fédération chinoise des sociétés de l’Internet visant à censurer tout contenu contraire aux valeurs du PCC. Les vice-présidents de cette fédération sont les dirigeants des BATX.

En instaurant le Great Firewall, le PCC a pu strictement encadrer la datasphère de son territoire faisant apparaître des frontières numériques par ces pratiques. Mais l’ambition chinoise tend à s’étendre au plan international.

Les BATX : fer de lance de la stratégie chinoise en matière numérique

A la différence de la Russie, la Chine dispose de véritables entreprises liées aux technologies de l’information et de la communication (TIC) amenées à rivaliser avec les GAFAM. Il s’agit principalement de Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaom (BATX). Ces quatre entreprises disposent du soutien inconditionnel du PCC.

Ce protectionnisme étatique explique le manque de présence des GAFAM sur le territoire chinois. Pour l’instant, la présence des BATX reste encore ancrée sur le territoire chinois. Alibaba est ainsi la plate-forme principale d’achats en ligne en Chine tandis que Tencent y est l’application de messagerie la plus courante. Le PCC a assis sa souveraineté numérique en instaurant les BATX. Dès lors, le Parti s’est assuré que les BATX ne soient pas concurrencés sur le marché national par des entreprises étrangères. Leur relative visibilité sur les marchés occidentaux est due à leur expansion touchant en priorité la zone asiatique et les pays en voie de développement où les GAFAM ont moins d’assises. Pour preuve, en Indonésie, Alibaba a massivement investi dans la plate-forme de e-commerce indonésienne Lazada.

En outre, les Nouvelles routes de la soie voulues par le PCC ont un aspect numérique visant à créer une Route de la Soie numérique. Relativement méconnue pour le moment, il s’agit d’un des aspects des Nouvelles routes de la soie qui aura le plus d’impact pour les territoires liés à cette ambition. En effet, ces États useront des technologies des entreprises numériques chinoises telles que la dorsale de fibre optique voulue par Pékin. Dès lors, l’implantation chinoise dans de telles infrastructures représente un risque dans la souveraineté numérique de ces États. Les TIC chinoises auront plus de facilité à développer le réseau numérique sur ces territoires qu’une entreprise locale. Le danger est donc de voir ces entreprises chinoises dominer ces marchés locaux au point de former une oligarchie numérique chinoise. Le Cloud est le principal domaine de risque de domination des entreprises chinoises sur la Route de la Soie numérique. Toutefois, il est annoncé que de nombreuses entreprises occidentales, telles que Oracle, établiront des partenariats avec la Chine pour couvrir les besoins Cloud à venir de ces zones. En effet, Pékin ne souhaite pas avoir de monopole sur les Nouvelles Routes de la soie. Si cela était le cas, ses gains, notamment réputationnels, seraient trop limités par rapport aux efforts investis. Une des craintes majeures de cette Route de la Soie numérique est une surveillance des données par la Chine. Les États, européens notamment, souhaitent éviter un scandale pouvant être comparable au programme PRISM américain.

Le succès de la fusion des sphères publique et privée en vue de la maîtrise de l’IA

Le 12 mars 2016, l’IA « AlphaGo » de DeepMind remporte sa série de confrontations contre le champion sud-coréen de jeu de Go Lee Sedol. Ce succès est considéré comme une véritable prouesse car ce jeu comprend une multitude de combinaisons. Le jeu de Go était considéré comme un palier majeur à franchir dans le développement de l’IA. Ce succès a été un traumatisme pour la Chine. En effet, le jeu de Go est d’origine chinoise et a longtemps été dominé par les joueurs de cet État. Ainsi, dès 2017, la Chine a publié sa stratégie nationale en matière d’IA. Trois étapes majeures se détachent de ce document officiel.

Premièrement, l’objectif est d’avoir procédé à une découverte majeure d’ici 2020 afin de pouvoir asseoir ses normes au niveau international en matière d’IA. A cette fin, la Chine compte accroître le nombre de ses spécialistes en la matière..

Deuxièmement, le PCC compte avoir procédé à une technologie de rupture dans le champ de l’IA à des fins principalement civiles telles que la médecine, les smarts cities, les industries. Néanmoins, les utilisations militaires ne sont pas exclues. Cette technologie de rupture pourrait concerner la « national defense construction », c’est-à-dire la construction de la défense nationale chinoise. Comme lors de son premier objectif, le but est d’innover en premier pour fixer les normes juridiques et éthiques de manière la plus légitime possible.

Troisièmement, la Chine se veut être la puissance principale et dominante en matière d’IA dès 2030. A cette fin, elle a annoncé investir 22 milliards d’euros dans l’IA jusqu’en 2020, puis de monter à 59 milliards d’euros par an d’ici à 2025. Cependant, le Pentagone estime que ce chiffre est d’or et déjà largement dépassé en avoisinant les 70 milliards.

Ainsi, le domaine de l’IA est un moyen efficace pour renforcer l’économie et le rang sur la scène internationale de la Chine. Il est bien rappelé que l’IA affectera tous les domaines. Dès lors, il est vital pour la Chine de se positionner en tant que puissance principale en la matière pour espérer acquérir ce marché qui est estimé à 15 700 milliards de dollars.

Pour parvenir à ses fins, la Chine bénéficie d’un avantage structurel. Le PCC contrôle aussi bien les sphères publiques que privées. Ces sphères sont historiquement liées. Dès lors, les BATX sont des acteurs indispensables pour le Parti dans le but de réaliser ses projets IA. Grâce à leur développement dans le marché intérieur chinois, ces entreprises ont pu investir massivement dans ce domaine. La société Tencent a ainsi inauguré un laboratoire dédié au machine learning, tandis que Alibaba a lancé un programme de recherche sur l’IA estimé à 15 milliards de dollars sur trois ans.

Toutefois, l’intérêt des BATX pour cette technologie a précédé celui de l’État chinois. Dès 2013, Baidu a lancé son Institut de deep learning pour améliorer ses capacités en IA. En 2014, la même entreprise a ouvert un centre de recherche dans la Silicon Valley. De même, en 2015, le dirigeant de Baidu, Robin Li, a proposé le plan « China Brain » au PCC. Les propositions de ce programme sont au cœur de la stratégie nationale chinoise en matière d’IA. Ainsi, les volontés d’accroître le nombre de spécialistes, les financements, et de soutenir les innovations sont les principales clés.

En outre, la Chine ne dispose pas de législation protectrice des données personnelles. Il est donc aisé de disposer d’une quantité importante de données. Concernant le territoire chinois, le PCC peut donc exploiter les données des 800 millions d’utilisateurs internet chinois, sans compter celles des individus dont la présence numérique est captée par vidéosurveillance par exemple. L’anonymat est une notion en voie de disparition avec l’émergence des smart cities multipliant le nombre de caméras, donc potentiellement le risque de l’omniprésence de reconnaissance faciale.

Afin d’asseoir ses ambitions, les chercheurs chinois sont de plus en plus présents dans le champ des publications de recherche liées à l’IA. Ainsi, entre 2001 et 2010, la Chine n’avait produit que 554 publications liées à cette technologie contre 6 046 pour les États-Unis. Or, les positions se sont inversées sur la période 2011-2015. Toutefois, quantité n’implique pas qualité.

Pourtant, le PCC est suspecté d’afficher une capacité d’innovation en matière d’IA plus importante qu’elle ne l’est réellement. En effet, le nombre de chercheurs spécialisés en IA est a priori insuffisant pour que les trois objectifs cités puissent être accomplis selon les dates données. Il est donc vital que la Chine capte les cerveaux de manière efficace si elle souhaite respecter les échéances de ses objectifs. Cette volonté de captation des esprits tend à se mettre en place progressivement mais son effectivité reste fragile. Par exemple, en 2014, Baidu a réussi à convaincre Andrew Ng, pilier de la recherche en deep learning, de diriger son centre de recherche en la matière. Néanmoins, dès 2017, ce dernier a quitté le groupe Baidu. Sa démission n’a pas été isolée, Baidu a dû surmonter le départ de certains de ses piliers en matière d’IA.

Pour conserver les profils les plus prometteurs pour ses programmes concernant l’IA, le PCC souhaite également limiter la migration d’étudiants et ingénieurs chinois vers les États-Unis pour qu’ils incorporent des entreprises nationales.

Enfin, les États-Unis conservent leur avantage technologique sur les matériaux nécessaires au développement des IA. En effet, les entreprises outre-atlantique telles que Intel ou Nvidia conservent leur leadership sur les microprocesseurs. Or ces composants sont indispensables pour affiner les méthodes d’apprentissages des IA. Pour illustration, Intel est impliqué dans la construction d’un supercalculateur « Aurora with Intel » censé être livré pour 2021. La Chine tente de palier à ce retard en construisant ses propres microprocesseurs tel que XuanTie 910 par Alibaba via sa filiale Pingtouge.

Ainsi, la Chine se positionne encore dans la position d’outsider à défaut de ne pas encore pouvoir prétendre être à la tête des puissances en matière d’IA.Cependant, seule la Chine semble en mesure de pouvoir rivaliser frontalement avec les États-Unis dans ce domaine. Pourtant, la volonté de l’Union Européenne émerge dans le but de devenir l’arbitre de cette rivalité en imposant ses normes telles que ses lignes directrices éthiques.

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