A l’occasion de la conférence internationale sur la coopération de Défense COMDEF 2019, la sous-secrétaire à La Défense en charge des acquisitions, technologie et de la logistique du Département de La Défense américain, Ellen Lord, a précisé la stratégie en cours au sujet de plusieurs dossiers cristallisant les inquiétudes des industriels occidentaux, et notamment au sujet de l’approvisionnement en minéraux extraits des terres rares, aujourd’hui très majoritairement produits par l’industrie minière chinoise.
Ainsi, Ellen Lord a précisé que le président Trump avait autorisé le Departement de La Défense à puiser dans les réserves du Titre III de la loi sur La Défense de la production, pour entamer des investissements visant à garantir ces approvisionnements, notamment en Australie, dont le sous-sol contient beaucoup de ces précieux minéraux et métaux. Les autorités australiennes attendaient avec impatience cette décision, et avaient prévenu Washington qu’en l’absence de réaction de leur part, les risques de voir la production australienne de terres rares tomber aux mains d’entreprises chinoises, et donc du pouvoir politique de Pékin, étaient grands.
Mais les terres rares ne sont pas les seules à susciter l’inquiétude à Washington du fait de l’hégémonie chinoise. Les drones légers, comme les quadcoptères qui sont légions dans le commerce, sont également identifiés comme un domaine sensible par le DoD. En effet, aujourd’hui, ces drones sont presque exclusivement conçus et fabriqués par les usines chinoises, alors qu’ils sont de plus en plus utilisés par toutes les branches de l’économie du pays. Les autorités américaines craignent, à l’instar de l’affaire entourant les smartphones Huawei, que les productions chinoises puissent être détournées à des fins de renseignement par Pékin. Le DoD va donc, là encore, procéder à des investissements sectoriels, aux Etats-Unis comme chez ses alliés, visant à voir émerger une offre alternative sûre, susceptible de prendre le relais des drones légers chinois sur le marché US comme occidental, si les conditions l’exigeaient.
On comprend, dans l’allocution d’Ellen Lord, que le Departement de La Défense anticipe, à plus ou moins court terme, une aggravation des tensions entre les Etats-Unis et la Chine, et l’application par cette dernière de l’embargo sur les terres rares dont elle a menacé Washington. Mais elle révèle également la grande défiance qui s’instaure désormais entre les deux pays en matière de technologie, même concernant les équipements à usage essentiellement civil. Ceci dit, cette défiance réciproque est dans la parfaite continuité de l’évolution des positions des deux pays depuis une dizaine d’années, et le rôle de plus en plus prépondérant que Pékin veut jouer dans le monde, au détriment de Washington.
A l’occasion de cette conférence, Ellen Lord a également fait un point sur la Turquie, et notamment sur l’exclusion de cette dernière du programme F35. Selon ses dires, cette exclusion serait actée et définitive, et le DoD s’emploie désormais à remplacer les fournisseurs d’équipements et de technologies turques appartenant au programme F35, par d’autres fournisseurs, aux Etats-Unis ainsi que dans les pays partenaires du programme. Cependant, les positions exprimées par le président Trump sont beaucoup moins fermes, et peuvent encore être soumises à variation, notamment dans le cadre des négociations engagées en vue de mettre fin à l’offensive turque dans le nord de la Syrie. A noter toutefois que moins de 24 heures après l’accord de cesser le fin signé par RT Erdogan et Mike Pence, le vice-président Américain, obtenu en promettant l’évacuation des forces kurdes de la bande de 30 km jouxtant la frontière turque, des sources indiquent la reprise de l’avancée des forces turques.
L’anticipation dont fait preuve le Département de la Défense américain met en lumière l’absence d’anticipation des Européens dans ces domaines pourtant stratégiques. Il semble pourtant évident que si la Chine venait à mettre les Etats-Unis sous embargo concernant les extraits des terres rares, cet embargo aurait de grandes chances d’être étendu aux pays européens, qui eux aussi, ont des industries qui en dépendent cruellement. De même, la main mise chinoise sur les drones légers touche aussi bien les européens que les américains. Sur de tels sujets, c’est bel et bien à l’Union Européenne, et non aux pays membres, de prendre des initiatives, ou tout au moins d’alerter ses membres sur les risques encourus. Il semble que, comme souvent, l’Europe préfère feindre l’insouciance, quitte à minimiser la portée et l’utilité des initiatives américaines dans ces domaines. Il n’est pas acquis que ce soit l’attitude la plus adéquate considérant la trajectoire d’évolution de la situation politique internationale depuis une dizaine d’années.