Même dans leurs prédictions les plus défavorables, il est peu probable que les stratèges militaires occidentaux aient pu prévoir une conclusion aussi pitoyable de l’épisode Syrien de la guerre contre l’Etat Islamique. En effet, la logique qui a amené le président Trump à retirer les forces américaines de la frontière turc-syrienne, entrainant l’intervention des forces armées turques, puis des forces syriennes et russes pour « sécuriser » la bande de 30 km occupées par les Forces Démocratiques Syriennes du YPG, arrive désormais à son terme. Et quel terme !
Le Président Américain a ainsi annoncé qu’il entendait lever les sanctions prises contre la Turquie, notamment en matière d’armement, puisque « Le pays avait mis fin à son offensive comme l’exigeaient les Etats-Unis ». Dans la foulée, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a immédiatement indiqué qu’il entendait reprendre la coopération militaire avec la Turquie, et notamment renforcer à nouveau, comme le demande Ankara, la Défense anti-aérienne du pays. Le président américain a par ailleurs développé ses positions sur le sujet, en expliquant que l’intervention américaine dans la région avait créée beaucoup plus d’instabilité et de menaces qu’elle n’en avait éliminée (ce qui n’est pas fondamentalement faux), et qu’une fois Daesh éliminé, il était donc nécessaire pour les forces US de se retirer et de ne pas être impliquées dans des conflits jugés « intérieurs ». Ce discours s’adresse naturellement à la branche protectionniste et isolationniste de l’opinion publique américaine, qui constitue une bonne part de l’électorat du président aujourd’hui.
Du coté russe, conscients de la victoire incontestable remportée, on exige désormais le retrait immédiat de « toutes les troupes étrangères présentes illégalement sur le sol Syrien« , rappelant que les forces étrangères autorisées à le faire par le gouvernement Syrien « légitime » étaient les forces russes. Ce message s’adresse plus particulièrement aux forces françaises, restées au coté des kurdes pendants l’assaut turc, ainsi qu’aux forces américaines qui, si elles avaient quitté la ligne de front kurde avant l’attaque déclenchée d’Ankara, avaient toutefois maintenu des forces pour assurer la « sécurité » des installations pétrolières syriennes en zone kurde. Il faut noter toutefois que cette revendication russe a été portée par Dmitry Peskov, le porte-parole du Kremlin, et non par Vladimir Poutine lui-même, permettant, comme souvent dans la diplomatie russe, de conserver un axe de négociation notamment avec les européens dans ce dossier.
La diplomatie européenne est, quand à elle, atone depuis quelques jours, ne parvenant pas à définir un axe de communication commun à la fois raisonnable diplomatiquement, et acceptable par les opinions publiques européennes. Reste à voir si, dans les semaines qui viennent, elle parviendra à créer un consensus suffisamment fort pour faire valoir une position qui ne serait pas strictement alignée sur Washington.
Il semble que coté Turc, ce qui est perçu politiquement comme une grande victoire, aussi bien sur les kurdes que sur les européens, n’ait fait que renforcer la determination des autorités du pays à défier l’Union européenne. Ainsi, les navires de forage turcs ont mené des opérations de sondage en zone chypriote, escortés par des bâtiments de la marine turque, alors même que l’Union européenne, et la France en particulier, avaient mis en garde Ankara contre ce type d’action. L’absence de réponse forte aux multiples provocations turques ne plaident certainement pas en faveur d’une attitude réservée et conciliante des autorités turques. Il est donc plus que probable que, dans l’avenir, Ankara continu d’ignorer les positions européennes, voir américaines, que ce soit vis-à-vis du gaz chypriote, comme des iles grecques de la mer Égée, dans un scénario qui n’est pas sans rappeler celui des années 30.