Il y a seulement deux années, une telle déclaration aurait au mieux fait sourire, au pire provoqué un vent de panique dans l’OTAN. Selon le quotidien turc Sabah proche du Parti de la Justice et du Developpement du président R.T Erdogan, les autorités turques seraient proches de la signature d’une commande de 36 avions de combat lourds Su35 auprés de Moscou. Pour l’heure, le montant, le calendrier ou le périmètre de cette hypothétique commande ne sont pas révélés. Mais il s’agirait, sans le moindre doute, d’un nouveau coup de semonce de la part d’Ankara vis-à-vis de l’OTAN, et une dernière tentative pour amener Washington à changer sa position concernant l’embargo sur le F35 appliqué à la Turquie après l’acquisition de batteries de S400 russes.
La semaine dernière, déjà, plusieurs articles étaient publiés pour faire état de probables commandes supplémentaires turques, notamment de systèmes S400 auprés de la Russie, alors que la dernière livraison de la première commande doit intervenir au mois de novembre cette année. Alors que Moscou et Ankara sont parvenus à prendre entièrement la main sur le conflit Syrien, suite au retrait américain, et en dépit d’une opposition européenne malheureusement atone, l’axe russo-turc sort renforcé de la crise syrienne, alors que le schisme entre occidentaux et turcs n’a jamais été aussi profond.
De fait, l’annonce du quotidien turc, reprise par l’agence de presse russe TASS, n’a aujourd’hui rien de surprenant, et peut même être qualifiée de prévisible. Elle intervient, qui plus est, alors que les positions entre l’administration Trump, favorable à la levée des sanctions contre Ankara, et le Congrès, qui souhaite au contraire un renforcement de ces dernières, vont probablement générer d’importants affrontements à Washington, en pleine campagne pour les élections présidentielles de 2020. Cette annonce est également destinée aux européens, qui ont fait savoir qu’ils soutiendraient Chypre dans le différent qui l’oppose à Ankara au sujet de l’exploitation des gisements de gaz découverts à proximité de l’île. De toute évidence, RT Erdogan a fait le choix de la provocation et du passage en force, notamment vis-à-vis des européens, conforté par le déroulement des événements en Syrie.
L’acquisition de Su35 par la Turquie avait été évoquée depuis plusieurs mois, comme une alternative au refus de vendre des F35A par les Etats-Unis, suite à l’acquisition des systèmes S400 russes par l’armée turque. En aout 2019, à l’occasion du salon MAKS 2019, le président Erdogan avait rencontré le président Poutine pour se faire présenter l’appareil, ainsi que le Su57, le futur avion de combat furtif des forces aériennes russes, qui entrera bientôt en service, mais dont la production en série n’a pas encore démarrée. En achetant deux escadrilles, 36 appareils, de Su35s, la Turquie pourrait dés lors entamer le remplacement des appareils les plus anciens en service dans ses forces aériennes, comme les F4 Phantom 2, dans l’attente du Su57 et, à partir de 2026, du TFX qui doit remplacer les F16 turcs. A noter que l’article turc fait également état d’une coopération industrielle entre les deux pays, ce qui laisse présager une coopération à long terme, notamment sur les deux programmes de 5ème génération Su57 et TFX. On remarque, d’ailleurs, qu’un TFX turco-russe compléterait parfaitement le Su57 sur le marché international, pour proposer une gamme complète d’appareils de nouvelle génération.
Le Su35, dernier représentant de la famille des Flanker initiée par le Su27, est un chasseur lourd, atteignant une masse maximum au décollage de 36 tonnes, et de grandes dimensions. L’appareil, s’il est multi-rôle, est toutefois spécialisé dans la Défense aérienne, notamment grâce à son radar Irbis-E, souvent considéré comme le plus performant des radars PESA en service sur un chasseur dans le monde. Avec ses deux moteurs 117S à flux vectoriel, il atteint une vitesse de Mach 2,3 à haute altitude, et un plafond de 19.000 m, avec une impressionnante vitesse ascensionnelle de 18.000 m / min. Les 11,5 tonnes de carburant interne lui confèrent un rayon d’action de combat de 1600 km, très supérieur à celui des appareils occidentaux, tout en emportant 8 tonnes d’armement et d’équipement sur 12 points d’emports. Il dispose, en outre, d’une Optique de Secteur Frontal OLS-35 considérée comme très performante, et d’une suite de guerre électronique efficace renforcée par le pod L175M Khibiny-M. Enfin, l’appareil peut emporter un grand nombre de missiles air-air, air-sol, anti-navire et anti-radiation, dont les Wympel NPO R77 à moyenne portée (type AMRAMM), le R73 pour le combat aérien rapproché, ou le missile de croisière 3M54 Kalibr.
L’information d’aujourd’hui doit être considérée avec les réserves d’usage dans l’attente d’une éventuelle confirmation officielle, même si de nombreux faisceaux pointent déjà vers cette hypothèse crédible. Toutefois, si elle venait à l’être, cela renforcerait encore davantage la trajectoire centripète de la Turquie vis-à-vis de l’occident, et de l’OTAN. Cela ferait également peser un regain de menace sur Athènes et Chypre, ainsi que sur Sofia, Tbilissi, Kiev et Bucarest, qui dépendent d’un accès des forces occidentales au Bosphore pour garantir leur sécurité en mer Noire. Il est possible que l’OTAN reste figée face à une telle annonce, il reviendra donc à Bruxelles, ou Paris le cas échéant, d’y répondre en renforçant, plus que symboliquement, les capacités défensives des iles grecques, de Chypre et de la Thrace orientale, afin de marquer sans le moindre doute l’engagement des européens à garantir l’intégrité territoriales de ses membres.