SSN(X) : concevoir le meilleur sous-marin nucléaire d’attaque du monde

Tango Bravo, Futur Attack Submarine, Improved Virginia, SSN(X), New SSN : ce sont les différents avatars depuis 2004 de l’idée que la marine des États-Unis (United States Navy (USN) s’est faite successivement du Sous-marin Nucléaire d’Attaque (SNA ou Ship Submersible Nuclear (SSN) qui succèdera au dernier Virginia dans les chantiers navals américains. Au fur et à mesure que les années passent, l’US Navy ne souhaite plus prolonger la série des SSN de classe Virginia mais entamer une nouvelle série de ce type de bateaux et qui comprendrait le remplacement des SSN de classe Seawolf. Ce futur programme repose sur une belle promesse : concevoir le meilleur SSN du monde pour le XXIe siècle.

Les prémices : Tango Bravo (2004 – 2009)

L’affaire débutait véritablement par un premier programme de recherche mené conjointement par la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) et l’US Navy qui s’est achevé en mai 2004. Ses résultats devaient être poursuivis par 79,3 millions de dépenses supplémentaires entre 2004 et 2009 dans le cadre d’un nouveau programme : Tango Bravo, c’est-à-dire les initiales de Technological Barriers.

Ces recherches servaient à préparer les choix technologiques pour la conception d’un nouveau sous-marin nucléaire doué de toutes les capacités opérationnelles d’un SSN de classe Virginia (115 mètres de longueur) dans une coque deux fois moins longue (~ 70 mètres) et donc deux fois moins coûteuse. Ces efforts servaient à viser une commande annuelle de deux SSN pour le coût d’un seul Virginia. La mise sur cale simultanée de deux SSN n’a pas été effectuée depuis 1992.

Plusieurs domaines de recherche étaient explorés par la DARPA dans le projet Tango Bravo :

  • concepts de propulsion sans ligne d’arbre,
  • stockage des armes à l’extérieur de la coque résistante,
  • alternatives aux sonar sphérique et de flanc comme, par exemple, un réseau d’antennes sonar conformes,
  • technologies réduisant ou simplifiant les systèmes électriques, mécaniques et électriques,
  • technologies d’automatisation pour réduire la charge de travail de l’équipage.

Au lancement du programme en mai 2005, la DARPA retenait seulement trois de ces domaines : la propulsion sans ligne d’arbre, le stockage des armes tactiques à l’extérieur de la coque résistante et la rationalisation des réseaux au profit des actionneurs électriques en lieu et place des systèmes hydrauliques et pneumatiques. Northrop Grumann travaillait sur ces problématiques dès 2005 et remportait même le contrat Tango Bravo en 2007. La communication s’est tue au sujet de la suite donnée à ce programme dont le calendrier s’étalait jusqu’en 2009.

Entre 2007 et 2012, une autre solution fut trouvée afin de réussir à commander deux SSN pour chaque année fiscale : augmenter le budget dédié à ces commandes et augmenter le volume des commandes jusqu’à quatre, puis dix sous-marins afin d’optimiser l’outil industriel, lui donner une vision à long terme et donc obtenir des économies d’échelle.

Improved Virginia (2012 – 2018)

Les recherches reprennaient en 2012 sous un autre angle : trouver un successeur aux Virginia. C’est le rôle du projet Futur Attack Submarine. Il devait s’appuyer sur l’architecture du programme Virginia qui est divisée en cinq « blocks ». Chacun d’eux incorpore des évolutions plus ou moins significatives afin de construire les bateaux au meilleur coût et de les tenir à jour de l‘évolution des technologies sous-marines. C’est pourquoi le Futur Attack Submarine devenait rapidement l’Improved Virginia afin de faire l’économie du développement de la mise à l’étude d’un sous-marin entièrement nouveau.

L’Improved Virginia devait succéder dans les cales aux Virginia Block V par l’entremise d’une première commande en 2025 finalement repoussé à 2033 dans l’optique d’une mise sur cale en 2038. 13 Improved Virginia étaient prévus. Le rythme de construction devait être d’un ou deux SSN mis sur cale chaque année jusqu’en 2042. Ces sous-marins auraient pu intégrer certaines évolutions significatives visées par le programme Tango Bravo. Profiter du plein rendement des ruptures technologiques du programme Tango Bravo nécessitait la conception d’un nouveau SSN plutôt que l’ajout de « blocks » au programme Virginia. Cela revenait à repousser le SSN de l’ « entière rupture » à la fin de la production des Improved Virginia, c’est-à-dire à 2042.

Sur le plan stratégique, l’US Navy préférait en 2012 accélérer la cadence de production du programme Virginia grâce à la commande annuelle de deux SSN. Ce n’était qu’en 2018 que, pour la première fois depuis 1992, deux SSN furent mis sur cale simultanément. Et le rythme perdurera jusque dans les années 2030.

Les études préliminaires du programme devant permettre le remplacement des SSBN (Ship Submersible Ballistic Nuclear (SSBN) ou Sous-marin Nucléaire Lanceur d’Engins (SNLE) de la classe Ohio atteignent les limites de ce qu’il est possible de faire en matière de réduction de la signature acoustique avec les technologies actuelles (comprendre le système permettant aux turbines de propulsion de transmettre la puissance jusqu’à une ligne d’arbre entraînant le propulseur). L’intégration d’un moteur électrique à aimant permanent sur les SSBN(X) de classe Columbia est l’une des dernières possibilités d’amélioration du système propulsif existant.

SSN(X) ou New SSN (2018 – 2024 ?)

Entre 2012 et 2018, plusieurs facteurs expliquaient le passage de l’Improved Virginia au SSN(X) :

L’augmentation de l’activité sous-marine chinoise jusque dans l’océan Atlantique et russe amenaient une partie de l’establishment de la marine américaine à réviser les priorités stratégiques. Les futurs SSN(X) n’auront plus comme horizon l’action littorale, raison d’être des Virginia, mais bien l’action en haute mer (chasse aux sous-marins, destruction de groupes navals).

Ces activités sous-marines furent relativisées par certains à qui il fut répondu que les sous-marins russes servant de « bateaux-mères » (sous-marins de poche et robots téléopérés) pour les opérations clandestines sous-marines ne sont pas à négliger. L’amirauté américaine aurait été tout de même favorablement impressionné par le nouveau SSGN (Ship Submersible Guided Nuclear) russe du projet 885 Yasen/Yasen-M.

Et dans le cas chinois, l’apparition d’une infrastructure de grandes dimensions dans les chantiers navals de Bohaï (CSIC) laisse entrevoir un changement de braquet en matière de construction sous-marine, plus particulièrement pour les bateaux à propulsion nucléaire.

L’évolution du contexte international vers un retour à la compétition entre grandes puissances et une augmentation de la probabilité de conflits symétriques et de haute intensité oblige la Navy à réviser ses plans. L’existence de la torpille à grande autonomie et porteuse d’une charge de l’ordre des mégatonnes dénommée Status-6 Kanyon est citée comme l’une des menaces à prendre en compte.

Retour au concept du Seawolf

Si la nécessité de concevoir une nouvelle classe de SSN pour cette menace est discutable, cela amène la question de l’emploi des SSN américains pour la chasse aux SSBN des autres compétiteurs stratégiques. Cette mission n’est pas évoquée mais justifierait amplement des efforts financiers dans un cadre stratégique général où les États-Unis se sont retirés de deux traités majeurs (ABM (2002), INF (2019) afin de remettre en cause la parité stratégique avec la Russie et se libérer d’engagement jugées comme étant des entraves vis-à-vis de la Chine. Prétendre à pouvoir amoindrir, voire annihiler la capacité de seconde frappe de ces pays pourraient participer de cette manœuvre.

Dans le cadre de la communication institutionnelle, le SSN(X) est alors logiquement comparé avec la classe Seawolf dont la conception débutait en 1983. Le programme visait un sous-marin entièrement conçu pour les opérations en haute mer et doué de la supériorité sur tous ses rivaux, en particulier soviétiques. La cible du programme prévoyait 30 puis 12 SSN pour 33 milliards de dollars (2,75 M$/SSN). Mais la fin du conflit Est-Ouest (1947 – 1991) révise cette cible à seulement 3 SSN dont le coût unitaire ajusté en 2018 par le Congressional Budget Office à 5,5 milliards de dollars (ou 4,82 milliards d’euros (2018).

Cette première comparaison permet d’asseoir et de légitimer le futur effort financier qui sera demandé car à la hauteur des ambitions intrinsèques du programme Seawolf : le programme SSN(X) reprend les mêmes rationalités et sera donc bien plus coûteux que les 1810 millions d’euros nécessaires à l’acquisition d’un Virginia Block IV. Cela posera la question du nombre de SSN(X) pouvant être commandé chaque année car chacun d’eux représentera probablement le coût de plus de deux Virginia. Mais les années 2030 verront les États-Unis être habitués à la mise sur cale simultanée d’un Columbia (7000 millions) et de deux Virginia (~ 3620 millions d’euros).

La deuxième comparaison touche aux caractéristiques nautiques et opérationnelles. C’est un futur SSN capable d’opérer à une profondeur d’immersion au-delà des 350 à 500 mètres qui est recherché. Les Seawolf plongent à plus de 610 mètres, les Yasen/Yasen-M (projet 885) russes sont réputés plonger aussi profondément. Et les armes tactiques embarquées devront pouvoir intercepter les Status-6 Kanyon qui plongeraient jusqu’à 950 à 1000 mètres d’immersion. La marine américaine s’interdit-elle d’envisager de telles immersions ?

La troisième comparaison avantageuse permet de justifier la cible du programme SSN(X) : il devait y avoir 30 SSN de la classe Seawolf, il y aura 30 SSN(X). Les 38 Virginia aujourd’hui prévus sont peu par rapport aux 62 SSN de classe Los Angeles qui précédaient les Seawolf.

Outre les comparaisons avec les devanciers de la classe Seawolf, l’US Navy précisait en 2018 les objectifs du programme SSN(X) : plus rapide, plus furtif et capable de transporter plus de torpilles que la classe Virginia. Les Virginia peuvent marcher jusqu’à 32 nœuds, sont certainement parmi les sous-marins les plus silencieux du monde. Les seuls qui soutiennent la comparaison sont américains, britanniques et russes. Et la soute à armes tactiques d’un Virginia accueille d’ores et déjà 37 armes. La marine américaine porte l’objectif à 62 armes sur le SSN(X).

Le calendrier du programme viserait une décision à prendre en 2023, 2024 au plus tard. Cela correspondrait au début des différentes études dans l’optique d’une première commande en 2033, 2034 au plus tard à l’achèvement du dernier Virginia (Block VII ?).

Vers un changement de paradigme technologique

Il semblerait que l’US Navy soit prête à changement de paradigme vis-à-vis des technologies employées pour la conception et la construction de sous-marins nucléaires. Une partie des domaines d’évolution, voire de ruptures technologiques, explorés par le programme Tango Bravo serait retenue dans le cadre du programme SSN(X). D’où, aussi, la préparation à l’importance des dépenses nécessaires, notamment pour les études.

Du point de vue de la propulsion, les SSBN(X) serait la dernière classe de sous-marins comportant une ligne d’arbre. Le SSN(X) ne comporterait plus de systèmes mécaniques rotatifs. Seuls des turbo-générateurs permettraient la transformation de la vapeur fournie pas le réacteur nucléaire en énergie mécanique transformée en électricité transmise au moteur électrique qui actionnerait directement le propulseur. Il serait même envisagé que ce moteur électrique de propulsion soit placé à l’extérieur de la coque résistante. Une propulsion biomimétique est même évoquée. Cela permettrait de réduire d’un tiers la longueur du futur bâtiment par rapport à un Virginia.

62 Armes tactiques par submersible

Les caractéristiques opérationnelles visent, en premier lieu, à l’embarquement de 62 armes tactiques, soit 25 de plus qu’à bord des Virginia, 12 de plus qu’à bord des Seawolf. Le nombre de tubes lance-torpilles serait augmentée par rapport aux Virginia (IV x 550 mm) et aux Seawolf (VIII x 660 mm). Le stockage de ces armes tactiques à l’extérieure de la coque résistante laisse entrevoir un certain nombre de tubes lance-torpilles alimentés par des automates via des unités de stockages ou un très grand nombre de dispositifs de lancement de ces mêmes armes.

L’US Navy évoque aussi pour ses futures caractéristiques opérationnelles la capacité à interagir avec un réseau de drones qu’il soit déployé depuis le bord du SSN(X) ou par d’autres plateformes, aériennes et navales. La marine américaine aurait démontré à RIMPAC 2018 la capacité d’un Virginia à soutenir une veille tactique prolongée au-dessus et sous la surface (par des communications assurées par laser ou ondes radioélectriques reçues via une bouée ?). Le principal intérêt de ces capacités est de permettre au SSN(X) de pouvoir tirer des torpilles de très grande autonomie, c’est-à-dire ayant une portée de l’ordre des 220 à 230 km. Les capteurs déportés permettrait un tir discret et un réseau de drones guiderait l’arme jusqu’à sa cible.

Mais la marine américaine évoque aussi la possible faculté de tirer des armes hypersoniques. Dans cette perspective, comment lancer de telles armes et des drones ? La « norme » existante dans l’US Navy est le tube lance-missile qui équipe les Ohio refondus, les Virginia, les SSBN(X) de classe Columbia et les SSGN(X) qui en seront dérivés. Sans système de lancement vertical à bord des SSN(X), il faudra à l’US Navy développer un mode de lancement de ces armes et de ces charges supplémentaire. Cela se fera-t-il par l’entremise des tubes lance-torpilles ? De lanceurs dédiés à chaque charge et embarqués ponctuellement selon la mission ?

Conclusion

L’importance de ce changement de paradigme est mesuré, au point que des interrogations naissent sur la pertinence de lancer le SSN(X) d’un seul bloc, sans étape intermédiaire. C’était la force de l’Improved Virginia d’être bâti sur les Block VI et VII de la classe Viriginia afin, une nouvelle fois, d’incorporer de manière incrémentale des évolutions qui finiraient par devenir des ruptures et de lisser l’effort dans le temps. Il va s’en dire que le Virginia bénéficie des efforts produits au profit des Seawolf et, d’une certaine manière, les Virginia sont une version réduite de ces derniers. Les déconvenues technologiques des programmes Littoral Combat Ship (LCS) et DDG-1000 de la classe Zumwalt ou les lourdes difficultés du programme du porte-avions CVN-78 Gerald R. Ford invitent à une certaine prudence.

L’US Navy n’entretient plus de politique de prototypes. Mais elle a pu, par le passé, lancer des sous-marins uniques devant permettre d’explorer de nouvelles voies technologiques en préparation à un programme majeur doté d’une cible de plusieurs dizaines d’unités. Le SSN(X) et ses ruptures technologiques pourrait obliger à réviser.

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