Le 29 novembre 2019, le gouvernement espagnol s’engageait auprès de la société de construction navale Navantia à lui fournir une solution de financement à un taux d’intérêt préférentiel avec remboursement différé au profit des études détaillées du programme Fragata F-110 (Frégate F-110) destiné à remplacer les frégates F-80 ou classe Santa María. Ces études détaillées, d’une durée d’une année, sont la dernière étape avant la mise sur cale de la première unité. Les frégates F-110 avec les sous-marins S-80 Plus achèveront la modernisation de l’Armada española (marine espagnole) débutée au cours des années 1990.
Le programme des frégates F-110 était l’une des capacités opérationnelles visées par le le Plan de Alta Mar (PAM) ou Plan de Haute Mer publié en mars 1990. Il visait à la constitution d’une marine dite de « deuxième ligne » dont l’utilité stratégique était d’assurer au profit de l’OTAN le contrôle des eaux comprises entre la Galice, l’archipel des Canaries et Barcelone, en coopération avec le Portugal et le Royaume-Uni. Le point clefs du dispositif est la protection du détroit de Gibraltar. Le point d’orgue du plan ALTAMAR devait être l’accession à la permanence aéronavale grâce à l’acquisition d’un deuxième porte-aéronefs devant servir aux côtés du porte-aéronefs Príncipe de Asturias (1988). Dans cette perspective, les bâtiments non-modernisés par le PLAN GENeral de la ARmada (PLANGENAR) devaient être remplacés.
La succession des frégates F-70 (classe Baleares (5) assurée par le programme F-80 ou classe Santa María (Santa María (1986), Victoria (1987), Numancia (1988), Reina Sofía (1990) bénéficiait de la commande supplémentaire de deux unités : les Navarra (1994) et Canarias (1994). Ces six bâtiments sont des constructions sous licence des frégates américaines de la classe Oliver Hazard Perry.
Le remplacement des destroyers anti-aériens de la classe Gearing (Churruca (1972 – 1989), Gravina (1972 – 1991), Méndez Núñez (1973 – 1992), Lángara (1973 – 1992) et Blas de Lezo (1973 – 1991) reçus au titre du programme FRAM-I (Fleet Rehabilitation and Modernization) était conduit par le programme F-100. Il devait comprendre quatre frégates à mettre sur cale entre 1997 et 2000. La planification fut respectée mais avec cinq années de retard : les frégates F-100 devinrent la classe classe Álvaro de Bazán (Álvaro de Bazán (2002), Almirante Juan de Borbón (2003), Blas de Lezo (2004), Méndez Núñez (2006). L’Armada española modifiait ses plans en ajoutant une cinquième unité (Cristóbal Colón (2012) tout en ayant longtemps désiré une sixième frégate.
Le programme F-110 avait pour objectif la conception et production (2000 – 2005) de cinq frégates devant s’ajouter aux six F-80. Les F-110 auraient alors été des versions agrandies et modernisées des frégates F-100. Mais le retard pris par le plan ALTAMAR, avec en outre la contraction budgétaire inhérente aux années 1990, obligeait à une modification de la planification : les F-110 ne devaient plus s’ajouter aux frégates F-80 et F-100 mais assurer la succession des F-80 dont la première unité atteindrait les 25 ans de service dès 2001.
Le programme F-110 ainsi repositionné reçu comme nom programmatique Buque de Superficie de la Armada (BSA). L’industriel Izar (2000) devenu Navantia (2005) travaillait à la satisfaction du besoin militaire de la marine espagnole par le projet F2M2 (Future Frigate Multi Missions). La mission principale des futurs bâtiments est logiquement la lutte anti-sous-marine, en remplacement des F-80. À la mission principale doit s’ajouter des capacités de lutte asymétriques ainsi que la faculté à agir dans le cadre de crises et conflits dits de « basse intensité ».
Le projet F2M2 de Navantia présenté dès 2004 était dans la veine des programmes Futur Surface Combatant (Royal Navy), Littoral Combat Ship et DDG(X)/DDG-1000 (US Navy). Il s’agissait d’un bâtiment trimaran à étrave inversée, disposant d’une grande plateforme hélicoptères et d’une entière intégration des antennes aux superstructures. L’ensemble de la silhouette du projet témoignait d’une recherche tous azimut de la surface équivalente radar la plus petite possible.
Les caractéristiques du projet ne furent données qu’à titre indicatif quand Navantia fit sa présentation de sa proposition pour l’Armada española en 2010 : une coque longue de 140 mètres, un maître-bau (plus grande largeur) de 30 mètres. Le déplacement à pleine charge aurait été voisin des 5000 tonnes. La propulsion permettait une vitesse maximale de 35 nœuds. La pièce d’artillerie principale devait être un 76 mm ne bénéficiant pas d’une superstructure permettant de « cacher » la pièce au repos. Un système Millennium de 35 mm (Oerlikon) installé sur le toit du hangar aéronautique devait participer aux capacités de défense anti-aérienne à courte et très courte portée. Le système de lancement vertical se composait de quatre lanceurs octuples, portant le total à 32 silos dont 16 devaient recevoir 64 missiles anti-aériens RIM-162 Evolved Sea Sparrow Missile (ESSM) Block 2.
Le programme F-110 fut une nouvelle fois retardé en raison de la construction non-prévue à l’origine d’une cinquième F-100 (Cristóbal Colón (2012) et de l’allongement de la série des Buques de Acción Marítima (BAM). Par ailleurs, le projet F2M2 de Navantia fut refusé par la marine espagnole en raison, notamment, de la propulsion jugée trop bruyante par rapport à la future mission principale : la lutte anti-sous-marine.
Repositionnées sur une architecture monocoque plus traditionnelle, les futures frégates F-110 ne seront plus seulement une version agrandie et modernisée des F-100. Elles bénéficieront des retours d’expérience des classes conçues et construites au profit des marines norvégiennes (classe Fridtjof Nansen (5 puis 4) et australienne (classe Hobart (3). Le plus critique sera probablement le retour d’expérience au sujet du naufrage de la frégate norvégienne Helge Ingstad (18 novembre 2018). La capacité de la frégate à continuer à naviguer avec un ou deux compartiments envahis par l’eau ne fut manifestement pas possible.
Le programme F-110 bénéficia le 23 décembre 2011 d’un premier financement de 2 millions d’euros afin que Navantia et Indra mènent les études de conception du mât intégré. Le développement se poursuivit par un contrat supplémentaire en août 2015 portant l’étude préliminaire du dessin général de la F-110 (Etapa de Preparación de la Ejecución (EPE) qui s’acheva en 2018. Le programme fut approuvé par le gouvernement espagnol le 14 décembre 2018 pour la somme de 4.317 millions d’euros. La phase d’industrialisation débutait par la notification du contrat à l’industriel le 23 avril 2019.
La phase préliminaire de conception (Revisión Preliminar de Diseño) sera achevé, quant à elle, au cours du dernier trimestre de l’année 2019. Les études détaillées de la F-110 ne débuteront qu’ensuite pour une durée d’une année. Et pour ce faire, le gouvernement espagnol annonça l’attribution le 29 novembre 2019 d’un prêt à un taux d’intérêt préférentiel avec remboursement différé de 1.638 millions d’euros afin de financer le « programme de développement des F-110 Frégates ». La majeure partie du prêt sera remboursée à partir de 2025.
C’est lorsque la revue critique (Revisión de Diseño Crítica) sera terminée fin 2020 que la quille de la première frégate sera posée. L’admission au service actif pourrait être prononcée dès 2026 La cinquième frégate pourrait entrer en flotte en 2031, voire 2032.
Cela permet de comprendre la répartition des coûts de ce programme de 4317 millions d’euros : 1638 millions pour les études détaillées, 2679 millions d’euros pour la construction des cinq frégates. Le coût unitaire de production à 535,8 millions d’euros et de 863,4 millions d’euros en tenant compte des études.
L’Armada española demande que ces frégates aient une vie opérationnelle de 40 années avec une rénovation à mi-vie menée après 20 ans de service. Elles seront disponibles par tranche de 240 jours pour les opérations et demeureront en haute disponibilité par période de 18 mois. La première rénovation à mi-vie de la tête-de-série interviendrait vers 2046 et la dernière frégate quitterait le service vers 2071.
Les futures frégates F-110 auront une architecture monocoque avec une mâture intégrée et unique. Leur longueur sera de 146 mètres pour un maître-bau de 18,6 mètres. Le tirant d’eau serait de 4,95 mètres. Le déplacement à pleine charge sera de 6179 tonnes tandis que le déplacement lège pourrait être de l’ordre des 4800 tonnes. Les F-110 marcheront jusqu’à 30 nœuds tout en ayant une vitesse de croisière supérieure à 17 nœuds. L’autonomie sera de plus de 4100 nautiques à 15 nœuds avec 30 jours de vivres. Elle seront armées par des équipages de 150 marins.
La propulsion des futurs bâtiments est du type CODELADOG (COmbined Diesel-ELectric And Diesel Or Gas). Elle serait composée d’une turbine à gaz GE LM-2500, de deux moteurs diesels de propulsion, deux moteurs électriques de propulsion et d’une usine électrique alimentée par quatre diesel-générateurs (11,5 MW) « encapsulés » afin de réduire leur signature acoustique. Les frégates bénéficieront d’une marche tactique silencieuse (moteurs électriques alimentées par l’usine électrique), d’une marche croisière (moteurs diesels) et d’une marche à pleine vitesse (turbine à gaz couplée aux moteurs diesels). La propulsion entraînera deux lignes d’arbre se terminant chacune d’une hélice à pas variable.
Les capacités anti-sous-marines, en plus de bénéficier de cette marche tactique silencieuse, seront articulées autour d’une suite comprenant un sonar de coque (Hull-Mounted Sonar (HMS) UMS 4110 CL Kingklip de Thales. Il pourrait être remplacé lors d’une grande modernisation par un sonar de coque spécialement conçu pour les opérations anti-sous-marines dans les eaux côtières. En outre, les frégates disposeront d’un sonar remorqué à immersion variable (Variable Depth Sonar (VDS) à Actif Très Basse Fréquence (ATBF ou Low Frequency Active Sonar (LFAS) CAPTAS 4 (Combined Active & Passive Towed Array Sonar) de Thales. Les bâtiments recevront quatre tubes lance-torpilles doubles de 324 mm installés en deux lanceurs doubles au milieu du bâtiment. Ils pourront tirer des torpilles légères Mk 46 et Mk 54. L’embarquement d’un hélicoptère SH-60B SeaHawk Lamps III (ASM) ou NH-90 MTH (transport) complétera les capacités de lutte sous la mer.
Le système de combat sera le Sistema de COMbate de los Buques de la Armada (SCOMBA) Baseline 5 conçu sur la base de certaines des briques technologiques du système de combat AEGIS. L’AEGIS Weapon System Mk 7 assurera la gestion du radar à fanes planes AN/SPY-7(V) devant équiper la mâture intégrée, en plus du radar bande S.
La configuration de l’artillerie navale des frégates se composera d’une pièce unique pièce de 127 mm/64 calibres Lightweight d’OTO-Melara qui sera disposée sur la plage avant. Il est possible que dans un proche avenir la marine espagnole passe commande d’obus Vulcano dont la portée maximale annoncée par l’industriel est d’environ 120 km. L’artillerie secondaire se limitera à deux canons télé-opérés de 30 mm installés de part et d’autre sur le toit du hangar aéronautique, ce qui permettra de couvrir simultanément les secteurs bâbord et tribord mais pas de croiser les tirs. Des réserves ont été prises afin de pouvoir intégrer à l’avenir un système d’arme à énergie dirigée.
Les capacités de lutte anti-surface seront articulées autour de deux lanceurs quadruples pour missiles anti-navires RGM-84L Harpoon Block II de 278 km de portée.
Le système de lancement vertical des F-110 ne comptera finalement que deux lanceurs octuples Mk 41 Baseline VII. Les frégates F-100 et F-110 sont et seront dotées du Mk 41 « strike lengh ». Cette variante du Mk 41 possède la profondeur utile nécessaire à l’emploi de missiles de croisière RGM-109E Tomahawk Land Attack Missile (TLAM Block IV) ou bien des missiles anti-balistiques RIM-161 Standard Missile 3 (SM-3). Madrid avait conclu un accord en 2005 avec les États-Unis pour la commande de Tomahawk, accord révoqué par Madrid en 2008. Les dispositions matérielles laissent ouvertes les choix vis-à-vis d’un nouveau choix pour le missile de croisière ou bien pour offrir une contribution navale aux capacités anti-missiles balistiques de l’OTAN.
Le ministère espagnol de la Défense confirmait à Jane’s le 20 septembre 2018 que le choix s’était porté au profit des RIM-162 Evolved Sea Sparrow Missile (ESSM) Block 2 afin d’assurer la défense anti-aérienne à courte portée jusqu’à environ 50 km. Ils seraient ensilotés par quatre (« quad-pack ») dans six des seize silos, assurant ainsi une dotation de 24 ESSM Block 2. Les dix silos restant seraient occupés par autant de RIM-66M-5 Standard Missile-2 Block IIIB Medium Range ou SM-2 Block IIIB MR dont la portée serait de 166,7 km (90 miles nautiques). 36 exemplaires de ce missile furent acquis en 2007 au profit des frégates F-100 plus 20 autres en 2018 pour les F-110.
Par rapport aux caractéristiques initialement désirées, les installations aéronautiques ont été réduites pour opérer non plus deux mais une seule voilure tournante qui pourra être un SH-60B ou un NH-90. Cette réduction du volume dédiée au hangar aéronautique disposé sur la moitié bâbord permet la création sur la moitié tribord d’un espace multi-missions pouvant recevoir jusqu’à quatre conteneurs, ou toute embarcation ou drones compatibles avec les dimensions de cet espace. Comme pour les Type 31, cet espace laisse la porte ouverte au possible embarquement d’un module de mission de guerre des mines avec son système de drones. Aussi, cet espace serait suffisamment modulaire au point de permettre de recevoir un hélicoptère.