jeudi, mars 28, 2024

L’OTAN face à ses contradictions

Quelques jours avant le 70e sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) qui s’est tenu à Londres du 3 au 4 décembre 2019, Emmanuel Macron s’était félicité d’avoir réveillé l’Alliance atlantique. Bien qu’irritant nombre d’Alliés, les propos du président français ont eu le mérite d’étaler au grand jour les dissonances stratégiques et de susciter un débat plus profond sur le bien-fondé de l’Alliance. Mais au regard des mots forts et des désaccords évidents qui ont émaillé le sommet de Londres, l’adoption d’une déclaration commune affirmant « la solidarité, l’unité et la cohésion » peine à convaincre.

La déclaration finale a ménagé toutes les susceptibilités : réaffirmation de la mission nucléaire de l’OTAN, reconnaissance de l’Espace en tant que milieu opératif de l’Alliance, dénonciation des « actions agressives » de la Russie, condamnation du terrorisme « sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations », recours à un conseil de sages et d’experts pour mener une « réflexion prospective visant à renforcer la dimension politique de l’OTAN ». Un communiqué contentant toutes les préoccupations donc, sous couvert d’une unité généralisée, mais l’Alliance est-elle parvenue à conjurer sa « mort cérébrale » ?


METTRE FIN AUX ATERMOIEMENTS DE L’ALLIANCE

Cela fait plus de vingt ans qu’elle répète sans conviction, à chacun de ses sommets, qu’elle se réforme et s’oriente vers de nouvelles missions et de nouveaux objectifs stratégiques. Force est de constater que les désaccords ne datent pas d’hier : la campagne du Kosovo (1998-1999), puis l’intervention américaine en Irak (2003), furent révélatrices aussi bien des divergences stratégiques et politiques que des déséquilibres capacitaires entre les Alliés. Le président Macron n’est certainement pas le premier à attirer l’attention sur les défaillances de l’OTAN, la seule différence étant aujourd’hui que cette dernière est confrontée à des défis existentiels bien plus profonds qu’elle ne laisse paraître.

Car d’après le secrétaire général Jens Stoltenberg, l’organisation n’est pas en crise. Et pourtant, que faut-il penser des manquements dysfonctionnels de son organisation face à l’offensive turque et au volte-face de Washington sur le dossier syrien ? Que dire des alliés européens qui confondent l’Alliance et la protection bienveillante américaine ? Ou bien encore des menaces de Washington à l’encontre des Européens afin que ceux-ci s’investissent de manière plus active dans leur propre défense mais que cette implication se fasse au bénéfice des industriels américains ? Force est de reconnaître que l’OTAN ne peut plus fonctionner sur les bases qui sont les siennes. Le retrait graduel américain du leadership occidental est d’ores-et-déjà acté et quand bien même le futur locataire de la Maison Blanche serait d’obédience démocrate, la ligne amorcée par Barack Obama et consolidée sous Donald Trump ne serait connaître une quelconque inflexion. Pourtant, nombre de nos alliés – si ce n’est l’entièreté – se refusent à faire le deuil des Américains et entretiennent de fait une profonde méfiance à l’encontre de la France qu’ils soupçonnent de vouloir placer le continent sous sa tutelle.

CLARIFIER LES RELATIONS TRANSATLANTIQUES

Il convient de souligner que ce n’est pas moins l’OTAN qui est au cœur du problème que la relation entre l’Europe et les Etats-Unis. Jusqu’à présent, les Européens ont tenté de répondre à l’évolution des priorités stratégiques américaines comme s’il ne s’agissait que de nouvelles conditions pour maintenir l’ancien contrat transatlantique. Or, le pivot américain qui assure la sécurité et la défense de l’Europe occidentale a sensiblement évolué depuis la fin de la Guerre Froide. L’océan Pacifique est devenu un espace stratégique de premier ordre pour des Etats-Unis qui ont amorcé leur pivotement stratégique sous l’ère Obama, créant de fait un sérieux doute quant à la solidarité américaine en cas d’attaques sur le sol européen.

u.s. pacific Alliances militaires | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense
Les Etats-Unis ont renforcé leur présence militaire sur l’immense étendue de l’océan Pacifique et travaille à convaincre de nouveaux partenaires potentiels – et à cultiver des relations jusqu’ici négligées – par des investissements et de l’aide en mettant l’accent sur l’alliance avec Washington plutôt qu’avec Pékin.

Et pourtant, le statu quo adopté par nombre de nos Alliés demeure inchangé, particulièrement pour ceux qui continuent à entretenir cette nostalgie secrète du temps où l’Europe s’abritait confortablement sous un parapluie américain peu coûteux. Ainsi, il n’est pas surprenant de constater l’isolement du locataire de l’Elysée lorsque ce dernier pointe du doigt l’ambiguïté de son homologue américain et ses conséquences sur l’architecture de sécurité européenne. Pour autant, l’unilatéralité des Américains dans les décisions prises en matière sécuritaire souligne un peu plus le désintérêt stratégique de Washington pour l’Europe car elle porte directement atteinte aux intérêts de sécurité des Européens mais également au dialogue transatlantique sur ces questions. Outre les atteintes faites au bien-fondé de l’article 5 – celui de la clause d’assistance mutuelle – c’est également l’article 4 qui prévoit que « les parties se consulteront chaque fois que l’avis de l’une d’elles, l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité de l’une des parties sera menacée » qui est égratigné à son tour.

METTRE UN TERME À LA POLITIQUE DE LA PORTE-OUVERTE ET RENOUER AVEC LA RUSSIE

Ainsi, souffrant d’un manque de cohésion et de confiance certain, il semble n’y avoir rien de bon à élargir continuellement la table à des nations qui n’ont rien à apporter sur le plan stratégique et militaire. Quelle contribution de sécurité des Etats comme le Monténégro – un pays dont le budget de Défense atteint péniblement 100 millions d’euros – peut-il apporter à l’OTAN ? La même question peut se transposer aux cas albanais et macédonien dont les forces armées recouvrent un spectre capacitaire très limité si ce n’est dérisoire. Il n’existe aucun argument valable à l’adhésion de ces pays, si c’est n’est l’augmentation de la pression artérielle du locataire du Kremlin.

La proposition française d’assainir l’architecture de sécurité européenne en renouant un dialogue permanent avec la Russie est une proposition intéressante, susceptible d’apaiser les tensions qui minent l’environnement sécuritaire du continent depuis plus d’une décennie. Mais rallier les partenaires européens à cette vue est certainement le défi le plus ardu à relever pour Emmanuel Macron car il ne doit pas pour autant négliger le ressenti de ces pays vis-à-vis de la menace russe. A cet égard, le véto opposé par la France à l’adhésion de l’Albanie et de la Macédoine du Nord à l’OTAN a vexé nombre de capitales dans la région, un acte perçu comme une énième expression du scepticisme historique de la France à l’endroit des Etats anciennement communistes. Dans les faits, ce refus recouvre une réalité tout autre : l’élargissement de l’Alliance a causé bien plus de problèmes qu’il n’en a résolu.

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Le ministre polonais des affaires étrangères, Jacek Czaputowitcz, a soupçonné publiquement la France d’être « le cheval de Troie de la Russie » et a affirmé que le manque de cohésion au sein de l’OTAN était provoqué « non par le manque d’engagements des Etats-Unis mais de manière évidente, de la France »

En effet, en choisissant d’intégrer de nouveaux alliés sans armée ni moyens, l’Alliance n’a fait que creuser un peu plus le fossé entre les moyens et les objectifs poursuivis jusqu’à en flouter la finalité stratégique. En 1957, Lord Ismay, alors premier secrétaire général de l’organisation, expliquait que l’OTAN avait pour vocation de « garder les Russes à l’extérieur, les Américains à l’intérieur, et les Allemands en bas ». Or, à la chute de l’URSS, la formule ne fonctionnait plus et l’OTAN s’est lancée en quête d’une nouvelle raison d’être et elle a substitué le néant doctrinal au processus d’élargissement, sans pour autant redéfinir sa mission. Sans le vouloir, elle a alimenté cette nouvelle confrontation avec Moscou justifiant de facto le prolongement de son existence.

Pour Bertrand Badie, professeur émérite des universités à l’IEP de Paris, l’OTAN est devenue « une sorte d’alliance mêlant intérêts divers, identité confuse et valeurs floues » et à Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman, de souligner que « les Européens s’en remettent toujours à d’autres pour assurer leur défense ». Ces constats sont justes, si ce n’est clairvoyants, notamment à la lumière de la mort tragique de treize soldats français, pertes qui nous pousse à questionner, une fois de plus, la place des Européens dans leur propre défense : ont-ils pleinement conscience de ce qui se joue aux périphéries de l’Europe ? Au regard de la solitude française dans une région au combien stratégique pour l’Europe, la dichotomie entre les intérêts de sécurité de nos alliés et la réalité du terrain instaure un doute profond sur la propension des Alliés à faire table rase de ce que François Mitterrand nommait très justement en 1991 : la « Sainte-Alliance ».

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Axel TrinquierQuestions de défense européenne

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