Jusqu’au début des années 2000, l’US Army ne disposait, pour transporter ses forces d’infanterie, que de moyens lourds, comme le transport de troupe blindé M113 et le véhicule de combat d’infanterie M2/3 Bradley, ou de véhicules non protégés. Mais en 1999, le chef d’Etat-Major de l’US Army, le général Erick Shinseki, prit la décision de passer sous blindage l’ensemble des déplacements de forces combattantes, à l’instar de ce que fit l’Armée de terre française dans les années 80 avec l’entrée en service du Véhicule de l’Avant Blindé, le célèbre VAB, qui fit merveille lors de la guerre du Golfe, et montra d’excellentes qualités en Yougoslavie ou au Liban. Début 2000, une commande de 4 Md$ était lancée pour produire plus de 2000 blindés Stryker, destinés à devenir la colonne vertébrale des brigades légères américaines, qui prendra d’ailleurs le nom de « Brigades Stryker ».
Ce blindé 8×8 de 7 mètres de long pour 2,65m de haut, atteignait initialement une masse de combat de 16 tonnes, avec la capacité à transporter jusqu’à 9 hommes armés, en plus de son équipage de 2 personnes. Son moteur de 350 cv le propulse à plus de 90 km/h, avec une autonomie de 500 km. Il est aérotransportable par avions C5, C17 ou C130, et dans sa version transport de troupe, est armé d’une mitrailleuse manuelle de 12,7 mm. Le Stryker est arrivé à point nommé pour les engagements américains en Afghanistan et en Irak, ou il apporta une plus-value significative en complément des Bradleys et des Humvees, mais il s’avéra rapidement qu’il était relativement vulnérable, que ce soit aux roquettes anti-chars comme aux IED, les dispositifs explosifs improvisés largement employés dans les opérations de guérilla. Apparurent alors des versions du Stryker disposant d’une coque en V pour résister aux IED, et/ou parées de grillages anti-roquettes. En outre, la puissance de feu s’avéra également trop faible, et l’US Army entreprit alors de concevoir une version équipée d’une tourelle téléopérée de 30 mm, donnant naissance au Stryker Dragoon.
Mais chacune de ces modifications se fit au prix de centaines de kilos d’équipements supplémentaires, amenant progressivement la masse du Stryker de 16 à plus de 18 tonnes, entravant de fait sa mobilité tout terrain. Dès lors, lorsqu’en 2017, l’US Army décida, pour renforcer ses capacités d’engagement haute-intensité, d’équiper l’ensemble de ses blindés de ligne d’un système de protection active contre les missiles et les roquettes anti-chars, désigné souvent sous le terme Hard-Kill, les modèles proposés par les industriels allemands (Rheinmetall) et Israéliens (Rafael, IMI) s’avèrent trop lourds pour équiper le Stryker sans compromettre au delà du raisonnable sa mobilité. La compétition fut donc ajournée en juin 2019, sans qu’aucun vainqueur ne soit désigné, alors que le Trophy de Rafael et l’Iron Fist de IMI Systems furent sélectionnés pour équiper respectivement les M1 Abrams et les M2/3 Bradley.
Mais l’US Army n’entend pas en rester là, puisqu’elle vient d’allouer une contrat de 11 millions de $ à l’allemand Rheinmetall en partenariat avec l’américain Unified Business Technologies pour fournir et tester son système hard-kill Strikeshield APS System sur Stryker, alors qu’un montant similaire a été alloué à l’israélien Rafael et son partenaire américain DRS pour le système Trophy VPS, une version allégée du Trophy APS équipant le M1 Abrams. Les équipements devront être livrés en octobre 2020 au centre de test de Huntsville, en Alabama, pour une campagne de tests de 6 mois qui se déroulera sur l’année 2021. Avec plus de 4000 Stryker en service dans l’US Army, le marché potentiel pour les industriels est considérable, même si, comme pour l’Abrams et le Bradley, il ne s’agit là que d’une solution temporaire en attendant le developpement d’une suite de protection unifiée pour les blindés US actuellement en developpement.
Les progrès en matière de systèmes anti-chars, qu’ils s’agissent de roquettes comme de missiles guidés, font peser une menace très importante sur les blindés engagés sur la ligne de front aujourd’hui. Et l’arrivée de missiles de nouvelle génération, comme le MMP français capable d’être tiré à couvert et de détecter sa cible, distante de 5 km, après le lancement, va encore renforcer cette menace. Les revers critiques des colonnes russes face à l’infanterie tchétchène à Grosny en 1995, ou des pourtant très performants Leopard 2 A4 turcs lors de la première intervention en Syrie en 2018, en sont la caractérisation. Dès lors que l’adversaire a accès à de tels systèmes, les blindés deviennent très vulnérables, nonobstant leur dimension indispensable pour toute action offensive. Les Etats-Majors s’évertuent désormais à accentuer la survivabilité de leurs blindés en s’appuyant sur plusieurs nouvelles technologies, comme les blindages composites, les plaques de blindage réactif qui explosent lorsqu’elles sont frappées par un missile et neutralisent la charge creuse du projectile, des grilles anti-roquettes qui font détonner les ogives avant d’atteindre la caisse. Mais ce sont les systèmes soft-kill et hard-kill qui représentent le plus grand potentiel défensif.
Les systèmes soft-kill sont conçus pour empêcher le tir d’avoir lieu, ou pour le leurrer de sorte à ce qu’il ne menace pas le blindé. Ils reposent sur des systèmes de détection avancés comme des détecteurs de visée laser, des détecteurs électromagnétiques et infrarouges, ainsi que sur des effecteurs, comme des laser de brouillage, des contre-mesures électromagnétiques, des fumigènes masquant la signature infra-rouge et optique du blindé. Les systèmes hard-kill sont conçus, eux, pour détecter une menace effective, comme un missile ou une roquette, et l’intercepter et la détruire par un dispositif pyrotechnique avant qu’elle ne frappe le blindé. Il s’agit la plupart du temps de munitions explosives propulsées vers la menace pour exploser à proximité, et ainsi le détruire.
Ces systèmes ont été conçus et déployés pour la première fois par l’armée israélienne sur ses chars Merkava à la fin des années 2000, avec des résultats très significatifs. Depuis, plusieurs forces armées ont entrepris de se doter de ces systèmes, comme la Russie avec le système Afghanit qui protégera l’ensemble des blindés de nouvelle génération de facture russe et le système Arena-M pour la protection des blindés modernisés, mais également la Chine, le Japon, la Corée du Sud. En Europe, l’Allemagne et les Pays-Bas ont entrepris d’équiper leurs chars de combat de tels dispositifs. En revanche, en France, l’acquisition de systèmes hard-kill n’est pas prévue, ni pour les nouveaux blindés intermédiaires VBMR Griffon et EBRC Jaguar, ni pour la modernisation Scorpion des 200 chars Leclerc restant en service. Il s’agit là, sans le moindre doute, d’une erreur qui risque de couter bien plus cher aux armées françaises que les quelques centaines de million d’euros économisés en faisant une telle impasse ….