La Chine va-t-elle arrêter de construire des porte-avions ?

Selon le site d’information en ligne « Hong-Kong South China Morning », les autorités chinoises auraient laissé entendre que la production de porte-avions sera suspendue, au moins pour un temps, après la construction du deuxième exemplaire du modèle Type 003, un navire à propulsion conventionnelle équipé de catapultes électromagnétiques, et devant jauger plus de 70.000 tonnes. Pour justifier cette décision, Pékin expliquerait que les difficultés technologiques et les couts de ces programmes obligeraient à réduire le rythme de production. Cette déclaration, pourtant relativement peu étayée et isolée, a été reprise par de nombreux sites d’information, notamment à Taiwan. Pourtant, de nombreux facteurs permettent de modérer les propos tenus.

En premier lieu interviennent des paramètres opérationnels et organiques liés à la structure de la Marine Chinoise. Celle ci est composée de 3 flottes, les flottes du nord, de l’est et du sud, chacune chargée d’un théâtre et de missions propres. Chacune de ces flottes devaient recevoir, d’ici 2035, deux porte-avions, soit le premier Type 001 Liaoning, le nouveau Type 002 Shandong qui entre en servie aujourd’hui même, deux porte-avions Type 003 à propulsion conventionnelle, et deux navires Type 004 à propulsion nucléaire, de sorte à pouvoir disposer d’une permanence aéronavale opérationnelle propre, indispensable pour soutenir les actions de projection de force, et notamment les actions du groupe amphibie. En limitant le nombre de porte-avions à 4, dont deux Type 001/A ne disposant pas de catapultes, cette capacité d’intervention et de projection de force sera fortement diminuée, allant en contradiction avec les discours tenus par le président Xi Jinping depuis 2012.

Shandong Type 001A Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | Construction aéronautique militaire
Le premier porte-avions entièrement conçu et fabriqué en Chine, alternativement identifié Type 001A ou Type 002, est entré en service le 17 décembre et a reçu le nom de baptème « Shondang »

En second lieu, cela constituerait une aberration budgétaire et industrielle. En effet, le pays vient d’entamer des travaux de très grande ampleur pour transformer les chantiers navals Jiangnan, à proximité de Shanghai, afin de leur permettre de produire en grand nombre des unités navales majeures, soit des porte-avions ou des navires d’assaut porte-hélicoptères lourds, comme le tout nouveau Type 075 de 40.000 tonnes. Ces travaux permettront de construire simultanément jusqu’à 3 navires lourds, et autant de navires en finition à quai, soit une capacité de production de plus de 1 grand bâtiment par an. La construction d’une telle infrastructure, de l’outil industriel qui l’accompagne, ainsi que le recrutement et la formation des personnels, représentent à eux seuls une part déterminante du prix d’un porte-avions, ou d’un LHD. Il apparait donc inconcevable de s’être engagé dans de tels investissements pour ne faire fonctionner cet outil au quart ou au tiers de ses capacités.

En revanche, il est tout à fait possible que les infrastructures actuelles, là ou sont construits les porte-avions Type 003 à propulsion conventionnelle, soient mal adaptées à la construction d’un porte-avions à propulsion nucléaire qui se veut être l’équivalent de la classe Gerald Ford américaine. Dès lors, et puisque le besoin de navires d’assaut Type 075 est également fort, on peut certainement imaginer que les autorités chinoises préfèrent attendre de disposer pleinement de leur nouvel outil de production avant d’entamer la construction de leurs super porte-avions nucléaires, privilégiant la construction de navires moins sensibles par les infrastructures existantes. En outre, Il est également probable que la Marine Chinoise souhaite marquer une pause après l’entrée en service des deux Type 003, de sorte à assimiler les retours d’experience liés à l’utilisation de tels navires, très différents des version à tremplin comme le Liaoning ou le Shondang.

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La marine chinoise dû apprendre à mettre en oeuvre un groupe aérien embarqué sans assistance étrangère importante

D’autre part, ces navires ayant des capacités d’emport d’aéronefs sensiblement supérieures à celle de leurs prédécesseurs, il est également possible que le planning de fabrication des aéronefs ainsi que celui concernant la formation des personnels navigants obligent à plus de retenus en matière de construction de navires. Ainsi, l’aéronavale embarquée chinoise ne disposerait aujourd’hui que d’une quarantaine de chasseurs J15 embarqués, et d’une centaine de pilotes qualifiés, soit un nombre insuffisant pour armer pleinement les deux porte-avions en service qui, à eux deux, disposent d’une capacité de 60 appareils s’ils devaient être mis en oeuvre simultanément, et à peine suffisant pour armer le Shandong et ses 36 avions de chasse embarqués. Quand à la production des chasseurs embarqués dérivés du J-20, rien n’indique qu’elle pourrait être plus dynamique que celle produisant ces appareils pour les forces aériennes chinoises.

De fait, loin de représenter un renoncement vis-à-vis de l’utilisation de porte-avions, la pause annoncée avant d’entamer le construction de la nouvelle classe de porte-avions à propulsion nucléaire chinois, aurait en réalité des fondements opérationnels et industriels bien justifiés. La Marine Chinoise, comme son industrie navale, n’ayant bénéficié que de transferts de technologies et de savoir-faire très limités de la part des Marines et industries occidentales ayant l’experience de ce type de navire (Etats-Unis, France, Royaume-uni), ainsi que d’une assistance restreinte de la part de la Russie, elle se voit contrainte d’apprendre rapidement et de façon autonome l’ensemble des subtilités de la conception et de la mise en oeuvre d’une forcée aéronavale embarquée.

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Les porte-avions Type 003 et ultérieurs pourront mettre en oeuvre des avions d’alerte aérienne avancée comme le KJ-600

La construction, en à peine 15 ans, de deux porte-avions STOBAR (à tremplin), puis de deux CATOBAR (équipés de catapultes) mettant en oeuvre des catapultes électromagnétiques (qui posent également problèmes au Etats-Unis sur le Ford), tout en concevant une force aérienne embarquée composée de chasseurs lourds J15 (certes, copiés du Su33) et J-20, de drones de combat ainsi que d’avions d’alerte aérienne avancée, constituent en soit un exploit que personne, il y a 15 ans, ni même 5 ans, n’imaginait possible. Il serait dès lors plus que surprenant que Pékin s’arrête en si bon chemin.

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