Aujourd’hui, à l’occasion du Singapore Air Show, Airbus a annoncé que la force aérienne de la République de Singapour était le client de lancement d’un nouveau système de ravitaillement en vol automatisé dénommé SMART MRTT. La force aérienne singapourienne et le groupe européen Airbus collaboreraient ainsi depuis déjà plusieurs mois afin d’intégrer le SMART MRTT sur la flotte de six ravitailleurs A330 MRTT singapouriens.
Cela fait déjà plusieurs années que Airbus a annoncé vouloir développer une capacité de ravitaillement automatique pour ces A330 MRTT. La technologie de ravitaillement air-air automatique (A3R) est en développement chez Airbus Defense and Space depuis au moins 2017. Une campagne d’essai réalisée en 2018 avait d’ailleurs permis à un avion d’essai A310 MRTT équipé d’une perche de ravitaillement A3R d’effectuer plusieurs contacts automatiques avec le réceptacle de ravitaillement d’un F-16 puis d’un A300MRTT de la force aérienne australienne.
Désormais, Airbus et la force aérienne singapourienne vont travailler ensemble sur des essais en vol et la phase de certification permettant de développer un système A3R opérationnel sur des A330 MRTT de série. L’automatisation du ravitaillement en vol devrait permettre des ravitaillements en vol plus rapides, plus de sécurité et une plus grande endurance pour les opérations de ravitaillement. Ces dernières sont considérées comme particulièrement critiques pour l’île-Etat dont les bases aériennes seraient particulièrement exposées en cas de conflit et qui déploie une partie de ses effectifs aériens sur des territoires alliés.
Au-delà des besoins singapouriens, Airbus entend proposer une mise à jour au standard SMART MRTT à l’ensemble des utilisateurs actuels de l’A330 MRTT mais aussi à ses futurs prospects export. Cette nouvelle capacité serait en effet principalement d’ordre logicielle, sans lourde modification technique des consoles de l’opérateur de ravitaillement. Ce dernier resterait d’ailleurs embarqué à bord des A330 MRTT en tant que superviseur des ravitaillements automatisés, prêt à intervenir en cas de besoin.
D’une certaine manière, ce que propose Airbus avec son SMART MRTT, c’est de généraliser au système de ravitaillement rigide « Flying Boom » une automatisation déjà possible avec le système de ravitaillement souple « probe-and-drogue ». Le système souple est utilisé par les avions embarqués à bord des porte-avions ainsi que par la plupart des chasseurs de conception européenne, dont les Mirage 2000, Rafale, Gripen et autres Eurofighter. L’avion ravitailleur déploie un tube souple équipé d’un panier, et c’est au pilote de l’avion ravitaillé d’y introduire sa perche de ravitaillement en vol. La charge de travail est donc quasiment intégralement portée par le pilote de l’avion ravitaillé, l’opérateur à bord du A330 MRTT se contentant simplement de dérouler et d’enrouler le tuyau souple et de veiller au bon déroulement de la procédure.
Le système de ravitaillement par perche rigide est très différent : dans ce cas-là, l’avion ravitaillé se contente de maintenir sa position à proximité du ravitailleur ; l’opérateur de ravitaillement guide alors à distance une perche rigide qu’il vient enficher dans le réceptacle de ravitaillement situé sur le nez ou le dos de l’avion à ravitailler. Cette solution est particulièrement pratique pour les avions lourds et peu maniables qui ne seraient pas en mesure de se connecter facilement sur un « probe-and-drogue ». De plus, il permet de transférer du carburant beaucoup plus rapidement. On le retrouve donc assez logiquement sur des bombardiers lourds, mais aussi sur des avions-radars AWACS ou sur le nez des ravitailleurs, notamment l’A330 MRTT. Les chasseurs américains développés pour l’USAF, qui emploie de nombreux bombardiers lourds, font également appel au système de ravitaillement rigide… notamment les F-16 et F-15 utilisés par la force aérienne de Singapour !
En automatisant le pilotage de la perche et la procédure de connexion entre celle-ci et le réceptacle de l’avion ravitaillé, Airbus devrait permettre des ravitaillements plus rapides, avec plus de précision et moins d’erreurs de manipulations. La charge de travail de l’opérateur sera également allégée, ce qui devrait permettre de faciliter les opérations de ravitaillement sur de longues durées, voire de permettre de ravitailler simultanément un avion sur la perche rigide centrale (par exemple un F-15SG) et un ou deux avions sur les tuyaux souples déployés sous les ailes (par exemples des F-35B récemment acquis par Singapour).
Airbus Defense & Space espère une certification du SMART MRTT dès 2021, ce qui lui permettra d’accroître encore un peu plus le fossé technologique et opérationnel qui sépare sa solution A330 MRTT de la proposition américaine basées sur le Boeing KC-46 Pegasus. En effet, l’avion américain, bien que plus petit et capable de délivrer moins de carburant, est aujourd’hui considérablement plus cher que la proposition européenne tout en accumulant les déboires techniques. Ainsi, alors que l’opérateur de ravitaillement de l’A330 MRTT effectue ses opérations à partir de multiples écrans projetant l’image filmée de la perche de ravitaillement et des avions en approche, Boeing et l’USAF ont absolument tenu à développer un système de visualisation 3D projeté sur un casque de réalité virtuelle. Une solution qui aurait ainsi tendance à rajouter de la pression sur les épaules de l’opérateur, mais qui est aujourd’hui très loin d’être opérationnelle. De fait, alors qu’Airbus a livré plus de 40 appareils à sept armées de l’air différentes, sans compter les appareils destinés à équiper un pool de cinq nations de l’OTAN, le KC-46 reste encore et toujours interdit d’opérations extérieures.
Avec le SMART MRTT, Airbus répond aux même problématiques que la solution de visualisation 3D (réduire les erreurs d’appréciation de distance qui rallongent les délais de ravitaillement) tout en contournant la majorité de ses défauts (latences d’affichage, fatigue de l’opérateur). L’avionneur européen confirme ainsi son statut de leader sur le marché des ravitailleurs en vol, même si le seul marché interne de l’USAF à destination du KC-46 représente plus de la moitié des capacités de ravitaillement moderne dans le monde.
D’ici quelques années, toutefois, Airbus ne désespère pas de pouvoir s’établir sur le marché du ravitaillement en vol américain. Les besoins en ravitailleurs sont bien réels pour l’USAF, notamment pour remplacer les KC-10 Extender dont le retrait est imminent. Actant le fait que l’USAF n’aura sans doute pas le budget pour acheter simultanément des KC-46 et un nouveau modèle de ravitailleur lourd, Airbus s’est allié avec Lockheed Martin afin de proposer des solutions de ravitaillement complémentaires à celles du KC-46. Il pourrait s’agir de passer éventuellement par un service de leasing ou encore par une exploitation par le biais de sociétés privées, une solution en cours d’étude par l’USAF mais déjà utilisée par l’US Navy. La présence à bord du MRTT d’un système de ravitaillement automatique plus fiable, plus performant et moins coûteux que la solution proposée par Boeing ne serait alors qu’un argument de plus en faveur d’une solution commune d’Airbus et de Lockheed.