Depuis l’annonce du lancement du programme de Porte-avions de Nouvelle Génération français par le Président de la République, de nombreuses voix se sont élevées pour s’interroger sur la pertinence d’un tel investissement, notamment face à la menace que représentent, désormais, les missiles anti-navires hypersoniques à longue portée, comme le 3M22 Tzirkon russe, ou le DF26 chinois. Selon eux, et selon d’autres notamment aux Etats-Unis, de tels mastodontes des mers sont aisément localisables, et constituent dès lors des cibles de choix pour les nouveaux missiles anti-navires adverses. Pourtant, une analyse factuelle et objective des capacités offertes par les porte-avions, ainsi que de la réalité de la menace effective, pourrait offrir une lecture bien différente de la situation.
La menace des missiles hypersoniques à longue portée
Un missile est dit hypersonique lorsque sa vitesse dépasse le seuil de Mach 5, engendrant, entre autres, divers phénomènes comme la création d’un plasma sur les faces de contact du missile. Surtout, aucun système anti-missile ne peut, aujourd’hui, s’avérer efficace pour intercepter un tel missile. Plusieurs programmes ont été lancés de par le monde pour disposer de tels missiles, aussi bien dans le domaine des frappes de cibles terrestres, que des frappes de navires, et notamment des grandes unités, comme les porte-avions. La Chine dispose ainsi depuis plusieurs années de deux missiles balistiques présentés pour avoir certaines capacités anti-navires, le DF21D d’une portée de 1500 km, et le DF26 d’une portée de 4000 km. La trajectoire semi-balistique du missile laisse supposer que le véhicule de rentré maintient effectivement un vitesse hypersonique. Un nouveau missiles, aéroporté cette fois, et dérivé du missile so-sol DF17, a été observé cette année en Chine. Equipé d’un planeur hypersonique, il pourrait s’agir d’un nouveau missile anti-navire.
La Russie pour sa part a développé jusqu’ici deux missiles hypersoniques tactiques. Le Kh47M2 Kinzhal est lancé par un Mig31 ou un Tu22M3M, et pourrait atteindre des cibles à 2000 km à une vitesse hypersonique en trajectoire semi-balistique. Il est présenté comme pouvant potentiellement être utilisé comme une arme anti-navire, même si, comme le DF21D et DF26, il s’agit d’un missile dépourvu d’un autodirecteur, et donc dirigé de toute évidence par recalage spatial. Le missile 3M22 Tzirkon, quand à lui, est un missile mer-mer lancé à partir des silos verticaux UKSK, et capable d’atteindre des cibles à 1000 km à une vitesse de Mach 7. Son système de guidage est pour l’heure inconnu, mais eu égard à son contexte d’utilisation tactique, on peut imaginer qu’il dispose en effet d’un autodirecteur pour détecter et frapper sa cible.
Les Etats-Unis, mais également la France, l’Inde, et le Japon, développent eux aussi leurs propres programmes de missiles anti-navires hypersoniques, bien qu’aucun des projets ne soit pour l’heure suffisamment avancé pour en connaitre les performances. Toutefois, il est probable que ces systèmes, prévus pour entrer en service entre 5 et 15 ans d’ici, emporteront des capacités de détection et de discernement propre, à l’instar des missiles anti-navires modernes. Notons enfin qu’il existe déjà plusieurs missiles supersoniques en service dans certaines marines, comme le P-800 Onyx russe et le Brahmos indien. Sans être supersoniques, ces missiles sont déjà suffisamment rapides pour peser d’importants problèmes aux systèmes anti-aériens et anti-missiles protégeants les porte-avions.
Petit rappel historique
Présenté ainsi, on peut effectivement conclure que l’avenir du porte-avions est pour le moins menacé. Comment expliquer, dans ce cas, que toutes les grandes Marines du Monde fournissent des efforts significatifs pour se doter rapidement de tels navires, et qu’en 2035, il naviguera plus de porte-avions sur les mers qu’il n’en a jamais navigué depuis la fin de la seconde Guerre Mondiale ? Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de faire un petit retour en arrière.
Car en effet, ce n’est pas la première fois que la fin prochaine du porte-avions est annoncée. Ainsi, à l’issue de la seconde guerre mondiale, nombres de hauts gradés au Pentagone, mais également au sein des armées européennes, estimaient que le porte-avions n’avait désormais plus de rôle à jouer, avec l’arrivée des armes nucléaires. La Guerre de Corée et le débarquement stratégique d’Inchon montra aux militaires américains que l’arme nucléaire n’était pas la solution à toutes les crises, et que le porte-avions restait un outil indispensable pour contrôler les océans, et pour protéger les actions amphibies. Le rôle des porte-avions lors des conflits pendant les années 50 et 60 ne fit qu’accroitre cette certitude.
C’est alors que la Russie commença à se doter de bombardiers à long rayon d’action armés de missiles anti-navires lourds à longue portée. Les Miassichtchev M-4 Bison étaient alors remplacés par des Tu-16 Badger et des Tu-22 Blinder, capables d’emporter des missiles anti-navires comme le Kh22 d’une portée de 600 km et d’une vitesse terminale en piqué supérieure à Mach 4. Le situation devint encore plus difficile avec l’entrée en service des premiers Tu-22M Backfire, un bombardier lourd supersonique capable d’emporter à 2500 km et à Mach 1,9 3 missiles Kh22. Là encore, de nombreuses voix s’élevèrent pour souligner l’obsolescence et la vulnérabilité apparente du porte-avions, surtout en occident. Et là encore, le porte-avions s’imposer comme la solution pour contrer cette menace, par l’association du nouveau chasseur F14 Tomcat emportant jusqu’à 6 missiles air-air à longue portée AIM54 Pheonix conçu pour intercepter les bombardiers russes et éventuellement les missiles lancés contre la flotte, et le système AEGIS associé au radar SPY-1 et au missile SM2 qui deviendra la colonne vertébrale de la protection anti-aérienne des porte-avions assurées par les croiseurs Ticonderoga, bientôt renforcés par les destroyers Arleigh Burke.
Quand au porte-avions, il s’avéra l’outil indispensable à la gestion de toutes les crises dans le monde, du début des années 70 à aujourd’hui, qu’il s’agisse de la crise iranienne, irakienne ou libanaise, de la guerre des Malouines, des tensions avec la Corée du Nord, de l’intervention dans les guerres Yougoslaves, des crises syriennes et libyennes, et même de l’intervention en Afghanistan.
La lance et le bouclier
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