Dire que l’US Navy navigue aujourd’hui à l’estime pour ce qui concerne l’évolution de ses programmes de construction navale tiendrait de l’euphémisme. Entre le plan visant les 355 unités navales en 2030 qui ne sera probablement pas atteint, celui qui visait les 450 navires en 2045 présenté par une administration Trump sur le départ et qui n’aura pas survécu plus de quelques jours une fois l’équipe de Joe Biden en place, les errements multiples et répétés concernant des programmes mal conçus et hors de prix comme les destroyers Zumwalt et les Littoral Combat Ship, et des programmes qui voient, à chaque itération, leurs prix exploser, la marine américaine est aujourd’hui dans une situation de grande fébrilité, alors que dans le même temps, son principal compétiteur désigner, la marine Chinoise, applique avec méthode et précision un plan de montée en puissance qui devrait lui permettre, d’ici quelques années, de prendre l’ascendant dans le Pacifique et dans l’Océan Indien sur les Marines occidentales.
Afin de répondre à ce défi, l’US Navy, qui doit présenter d’ici quelques mois un nouveau plan de charge industriel pour le renouvellement de ses moyens dans les 2 décennies à venir, s’appuie aujourd’hui sur cinq classes de navires susceptibles de lui conférer, pour un temps encore, l’avantage sur les océans : Les porte-avions nucléaires lourds de la classe Ford, les sous-marins nucléaires d’attaque de la classe Virginia, les porte-hélicoptères d’assaut LHA de la classe America, les nouvelles frégates de la classe Constellation et les destroyers lourds de la classe Arleigh Burke Flight III. Ultime version des destroyers qui forment la colonne vertébrale de l’US Navy de ces 30 dernières années, les Burke Flight III, s’ils peuvent assumer les missions des croiseurs Ticonderoga en phase de retrait comme des destroyers, n’en sont pas moins arrivés aux limites de leur évolutivité. Le programme Large Surface Combattant, lancé en 2015 après l’abandon du programme CG(X) qui devait initialement remplacer les Ticonderoga et l’échec de la classe de destroyer Zumwalt qui sera limitée à 3 unités, a précisément pour but de remplacer ces navires pour constituer la force de frappe lourde de la flotte de surface américaine à partir de 2030.
C’est dans ce cadre que s’est tenu, le 4 juin, une discrète cérémonie pour célébrer la création du nouveau bureau consacré au programme DD(X) et chargé de concevoir le ou les remplaçants des Arleigh Burke comme des Ticonderoga au sein de l’US Navy, après que le Secrétaire Adjoint aux acquisition et à la Recherche et au Developpement par Interim Jay Stefany ait avalisé officiellement sa constitution. La mission de ce bureau sera de préparer et d’encadrer les travaux visant à la conception puis à la fabrication de cette nouvelle classe de grands navires de surface combattants appelés à intervenir là ou les navires de format plus réduits, comme les frégates, ne pourront aller. Naturellement, très peu d’information sont actuellement disponibles concernant ce que pourrait être cette future classe. Au mieux sait on que l’US navy ne prévoit pas de commander le premier navire avant 2028, et donc que l’entrée en service n’interviendra qu’au début de la prochaine décennie. Un point est cependant largement mis en avant dans la communication américaine à ce sujet, la propulsion intégrée électrique du navire qui sera au coeur du programme, et recevra un soin tout particulier.
Ce type de propulsion, appelé à s’imposer dans les années et décennies à venir pour de nombreux navires de combat, sépare la production d’énergie d’une part, en l’occurence sous forme d’énergie électrique, de l’utilisation faite de celle-ci. Traditionnellement, les turbines et moteurs diesels qui équipent les navires entrainent directement la ou les lignes d’arbre actionnant les hélices propulsives, et l’alimentation électrique est soit générée par des générateurs, soit par des alternateurs captant une partie de l’énergie mécanique produite. Dans une propulsion électrique intégrée, les turbines ou moteurs diesel ne produisent que de l’électricité, et des moteurs électriques à induction alimentés par cette énergie produite entrainent les lignes d’arbre. Cela permet, tout du moins du point de vue théorique, d’optimiser à chaque instant la production énergétique, donc la consommation de carburant, aux besoins énergétiques de l’ensemble du navire, qu’il s’agisse de sa propulsion ou de l’alimentation de ses systèmes.
Outre une optimisation énergétique évidente, et une certaine simplification conceptuelle du schéma énergétique du navire, la Propulsion Electrique Intégrée permet également d’alimenter des systèmes nécessitant de fortes quantités d’énergie électrique sans alourdir inutilement le navire en multipliant les sources d’énergie. C’est notamment une architecture très efficace pour l’intégration de systèmes d’arme à énergie dirigée, comme les laser à haute puissance, ou pour les canons électriques de type Rail Gun, tous deux nécessitant une importante puissance électrique pour fonctionner. En outre, les progrès réalisés ces dernières années en matière de stockage de l’énergie électrique avec les nouvelles générations de batterie, permettent aux navires de fonctionner en mode électrique à l’instar par exemple des sous-marins à propulsion conventionnelle, donc de matière trés discrète, voire de disposer d’une réserve d’énergie prête à l’emploi pour répondre à une menace dans des délais très brefs, même lorsque les turbines sont au ralenti.
On ne s’étonne guère, dès lors, que ce mode de propulsion soit au coeur des objectifs du programme DD(X), l’US Navy n’ayant jamais fait mystère de ses ambitions dans le domaine des armes dirigées à l’avenir, notamment pour assurer la protection anti-drones et anti-missiles de ses navires. Cette nouvelle propulsion, ainsi que l’arrivée de nouveaux systèmes d’arme comme les missiles hypersoniques nécessitant des silos plus longs que ne le sont les Mk41 actuels, et de nouveaux systèmes de détection radar/sonar et de protection, ne peuvent être adaptés à la coque des Arleigh Burke déjà en limite de saturation dans son standard Flight III. On comprend dès lors les déclarations de l’Admiral Gilday, le Chef des Opérations navals, qui indiquait que désormais, la conception des navires de combat de l’US Navy se ferait en partant des systèmes pour définir une coque, et non en adaptant les systèmes à une coque existante. A ce sujet, le programme DD(X) représente la caractérisation même de ce nouveau paradigme.
Il faut dire que ce programme aura des défis particulièrement difficile à relever, alors que la Russie et surtout la Chine ont eux aussi entamé la conception de leur destroyers de nouvelle génération. Pour Moscou, il s’agira de la classe de destroyer lourd Lider, des bâtiments très lourdement armés et potentiellement à propulsion nucléaire d’une jauge supérieure à 12.000 tonnes, destinés à remplacer les croiseurs de la classe Slava et Kirov à compter de la fin de la décennie, si le plan nébuleusement annoncé par Vladimir Poutine en 2019 venait à être respecté. En revanche, pour Pékin, ils construction des destroyers Type 055A, évolution des Type 055 déjà très remarqués, devrait débuter dans les prochains mois. Seules quelques rumeurs ont filtré concernant ce navire, qui sera plus imposant que son ainé et donc dépassera les 12.000 tonnes afin de pouvoir accueillir des missiles anti-navires balistiques potentiellement dérivés des Type 26 ou 21D, et qui devrait être lui aussi équipé d’une propulsion électrique intégrée pour alimenter des systèmes d’arme à énergie dirigée et un canon Rail Gun déjà testé depuis plusieurs années par Pékin. Dans le respect de la planification chinoise, toujours très précise, ces navires doivent entrer en service à partir de 2025, et seront très probablement alors les navires de surface combattants les plus puissants du moment.
Une chose est certaine, le petit bureau en charge du programme DD(X) qui vient d’être créé n’aura plus le loisir de l’échec, comme purent encore se le permettre des programmes comme Zumwalt, LCS ou CG(X). Désormais, chaque année perdue dans des errements technologiques et/ou budgétaires se paiera dans le rapport de force naval sino-américain, avec le risque de voir les Etats-Unis et l’US Navy décrochés par Pékin et la Marine Chinoise, cette dernière capitalisant chaque année davantage de confiance et de capacités operationelle par l’application d’un plan industriel et opérationnel rigoureux, ambitieux et d’une redoutable efficacité. Pourquoi s’en priverait-elle, puisqu’en 2021, l’APL recevra plus de nouveaux destroyers que l’US Navy ne recevra de navires, tous modèles confondus.