La bombe nucléaire B-61 de l’OTAN a-t-elle encore un intérêt militaire ou politique ?

Dès l’entame de la Guerre Froide, les Etats-Unis entreprirent de déployer sur le sol de leurs alliés européens des armes nucléaires de différents types, comme des bombes gravitationnelles, des missiles sol-sol ou sol-air, et même des missiles air-air que l’AIR-2 Génie, afin de dissuader la très puissante Armée Rouge de tenter de profiter de son avantage numérique en Europe. Sans que l’on sache précisément quand le principe du partage nucléaire a débuté, il apparait que celui-ci était déjà mis en oeuvre en 1968, lors des premières discussions entre soviétiques et américains sur les questions de limitation des armes nucléaires, puisque Moscou fut informée de cette disposition. Concrètement, il s’agissait alors d’équiper des avions de combat de certains alliés de l’OTAN de bombes gravitationnelles B-61, avec un principe de double clés permettant aux Etats-Unis, mais également au gouvernement du pays concerné, de s’opposer à la mise en oeuvre de ces armes dans le cadre de l’OTAN. 5 pays participent aujourd’hui encore à cette mission de l’OTAN, à savoir l’Allemagne et l’Italie à bord de leurs avions Tornado, la Belgique, les Pays-Bas et la Turquie à bord de leurs F-16. Prochainement, les munitions seront remplacées par la nouvelle bombe gravitationnelle B61 Mod 12, qui ne pourra être mise en oeuvre qu’à partir de F-35 spécialement modifiés à cet effet.

Le couple F-35 & B61 Mod12

Alors que les 180 bombes nucléaires gravitationnelles Mod 3,4 et 7 encore en service en Europe et en Turquie arrivaient à obsolescence, tout comme les avions qualifiés pour les mettre en oeuvre, il devint urgent, au début de la décennie 2010, pour l’OTAN de statuer sur le devenir de cette mesure. Washington décida alors qu’une nouvelle bombe, plus précise mais moins puissante, la B-61 Mod12, serait développée à partir des bombes tactiques Mod 4 existantes, afin de remplacer les 340 kt de puissance et la précision de 110 m de la B61 Mod 7 par une puissance de seulement 50 kt avec une précision de 30 mètres, et ainsi de disposer d’une puissance équivalente à celle une bombe stratégique de 750 kt pour éliminer des bunkers par exemple, tout en limitant les retombées radioactives et les pertes collatérales grâce à une charge nucléaire « tactique ».

tornado nuke Allemagne | Analyses Défense | Armes nucléaires
Les Tornado IDS de la Luftwaffe continue d’assure des missions de dissuasion au profit de l’OTAN aujourd’hui.

Il fut également validé que le F-35 serait le vecteur de prédilection de cette munition, grâce à la précision de ses systèmes de visée, précision par ailleurs confirmée lors des tests, puisque le couple F-35A et B61-Mod12 enregistra un score de 100% de coups au but lors des 31 tests menés d’octobre 2018 à Septembre 2019 avec des munitions inertes. On comprend dès lors pourquoi la Belgique, les Pays-Bas, la Turquie et l’Italie n’ont pas hésité à choisir le F-35A pour remplacer leurs F-16 et Tornado. Et même si la Turquie s’est vue expulser du programme F-35, et que l’Allemagne tente un coup de bluff avec Washington en annonçant vouloir acquérir 45 Super Hornet et Growler pour remplir cette mission plutôt que le F-35, la volonté de ces pays de demeurer au sein de cet accord de partage nucléaire semble prévaloir sur toute autre considération. Pour autant, et au delà des fantasmes de puissance nucléaire portés par certains, ce schéma opérationnel a-t-il encore du sens aujourd’hui, dans le contexte géopolitique et technologique qui prévaut désormais ?

Un intérêt stratégique ou tactique très limité

C’est en effet une question clé, qui n’a jamais été posée publiquement par aucun des gouvernements qui pourtant participent à cette mission, et engagent donc l’ensemble de leur nation à ce titre, notamment en devenant des cibles prioritaires pour un adversaire potentiel de l’OTAN. Commençons donc par en étudier le potentiel purement opérationnel, pour en évaluer les bénéfices potentiels en cas de conflit. La B61 est une bombe gravitationnelle, c’est à dire qu’elle n’est équipée d’aucun dispositif sustentateur ou propulsif permettant à la munition de parcourir une certaine distance après son lancement. En d’autres termes, la bombe doit être larguée presque à la verticale de sa cible. Or, si le F-35A est effectivement un avion furtif, cette furtivité est concentrée sur le secteur avant et, dans une moindre mesure, arrière de l’appareil. En outre, même furtif, un appareil comme le F-35 peut être détecté par les radar des systèmes de défense anti-aériens comme le BUK, le S350 ou le S400 à plusieurs dizaines de kilomètres, raison pour laquelle l’appareil emploie majoritairement des munitions dites « Stand-off », c’est à dire capables d’être lancées à une distance de sécurité de la cible, pour la majorité de ses mission dès lors que celles-ci sont à risque.

F35 netherlands Allemagne | Analyses Défense | Armes nucléaires
La capacité de mise en oeuvre de la bombe nucléaire B61 a été un point important dans le choix du F-35A par les Pays-Bas et la Belgique.

Dans ces conditions, les chances qu’un F-35A puisse arriver en position de larguer une B-61-Mod12 au dessus d’une cible justifiant l’emploi d’une arme nucléaire sont, pour ainsi dire, nulles face à un pays comme la Russie, qui dispose d’une densité de systèmes anti-aériens 12 fois supérieures à celle actuellement en oeuvre au sein de l’OTAN. Les seuls hypothèses dans lesquelles un F-35A puisse arriver en position de larguer sa munition gravitationnelle sont soit que l’ensemble des défenses anti-aériennes et des chasseurs adverses a été neutralisé, soit que la cible ne représente pas un intérêt significatif suffisant pour que l’adversaire estime devoir la protéger. En d’autres termes, lorsque le contexte de mission ne justifie pas l’emploi d’une arme nucléaire. Cette conclusion est d’autant plus accablante lorsque l’on prend en considération le rayon d’action limité du F-35 à partir des bases desquelles les munitions nucléaires sont effectivement mises en oeuvre, et qui ne permet pas d’atteindre, dans une majorité de cas, le sol russe en dehors de l’enclave de Kalinigrad, du saillant de Saint-Petersbourg, et de la Crimée pour la Turquie, même si celle-ci n’aura pas de F-35.

Des contraintes et conséquences politiques importantes

L’aspect politique n’est guère plus encourageant. En effet, le partage nucléaire est par nature en opposition avec le Traité de Non Prolifération auquel ont adhéré les 5 membres de l’OTAN qui participent à cette mission. Les Etats-unis avancent une interprétation hautement discutable selon laquelle ces munitions seraient sous controle exclusivement américain en temps de paix, mais passeraient en controle partagé en temps de guerre, lorsque le TNP ne s’appliquerait plus. Si la défense présentée par Washington est critiquable tant sur le fond que sur la forme, par le simple fait qu’une foi la bombe chargée sur un appareil allié en mission d’entrainement, elle n’est plus sous le contrôle de Washington, personne n’a cependant jamais porté le sujet sur la scène internationale avec force, probablement du fait que les Etats-Unis imposeraient immédiatement leur veto si le sujet devait en arriver devant le Conseil de Sécurité des Nations Unis.

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