Quelques semaines à peine avant le début de l’offensive russe en Ukraine, la presse polonaise se faisait l’écho des résultats d’un exercice de simulation bien inquiétant. Désigné « Zima-2020 » (Hiver 2020), celui-ci montra qu’une offensive russe contre la Pologne verrait la chute de Varsovie en seulement 4 jours, et de l’ensemble des points clés du pays en une semaine seulement. Quatre semaines plus tard, les forces russes qui menaient l’offensive sur Kyiv étaient bloquées dans les faubourgs de la ville, et subissaient de très lourdes pertes de la part d’une armée ukrainienne très combative mais encore mal équipée et désorganisée. Un mois plus tard, Moscou décida de retirer son dispositif dans le nord de l’Ukraine, pour tenter de se tourner vers le Donbass et Kharkiv qui continuaient de résister effrontément aux offensives successives menées par les troupes russes et leurs supplétifs du Donbass, et le sud du pays afin de s’emparer de Marioupol et ainsi faire la jonction avec le Donbass d’une part, et pour s’emparer d’Odessa d’autre part. Aujourd’hui, nous savons que seul Marioupol finit par céder après un combat d’un rare héroïsme, alors que les forces ukrainiennes ont lancé, depuis quelques jours, de vastes offensives pour reprendre une partie du territoire perdu dans le Donbass comme face à Kherson.
De toute évidence, la perception de la puissance militaire russe qu’avaient les experts, qu’ils soient militaires ou civils, était largement erronée. Le comportement des troupes russes en Ukraine, mais également l’efficacité des materiels et celle du commandement, remirent en question de nombreuses certitudes qui existaient en amont de cette guerre. Parmi ces découvertes et révélations surprises, 5 d’entre elles méritent un regard plus particulier : les défaillances de la planification et du renseignement, les difficultés de l’action interarmes, la faiblesse de la puissance aérienne, l’inefficacité de la force navale ainsi que la resilience du pays et des armées face aux pertes.
1- Les défaillances de la planification et du renseignement russe
Jusqu’au 23 février 2022 au soir, de très nombreux experts miltaires, ainsi qu’une majorité de services de renseignement à l’exception notable des Etats-Unis, estimaient qu’une offensive russe contre l’Ukraine était improbable, voire impossible. Au pire s’agissait-il, selon eux, d’un nouveau déploiement de forces aux frontières ukrainiennes pour peser sur les négociations avec l’Europe et l’OTAN. Pour ces experts, il ne s’agissait nullement de naïveté vis-à-vis du régime russe, ni d’une complaisance mal placée pour son président, mais d’une analyse factuelle de la situation. En effet, le dispositif militaire déployé par Moscou, un peu plus de 200.000 hommes, aux frontières de l’Ukraine, semblait bien trop limité pour s’assurer d’une victoire sur les quelques 300.000 défenseurs ukrainiens, même en tenant compte de la supériorité alors supposée du commandement, du matériel, de la puissance de feu, de la puissance aérienne et des troupes russes.
En outre, si l’offensive venait à ne pas atteindre ses objectifs en quelques semaines, les armées russes pouvaient alors se retrouver sévèrement handicapées dans leurs manoeuvres par le dégel dans le nord et l’Est du pays. En d’autres termes, les armées russes n’avaient pas les moyens de mener de manière sereine une offensive aussi élargie géographiquement que celles que pouvaient laisser supposer les déploiements de forces. La suite, évidemment, nous la connaissons. L’offensive russe fut stoppée à Kyiv, Kharkiv et dans le Donbass, et seule le front sud permit aux armées russes de réaliser des gains territoriaux substantiels. L’arrivée du dégel à la fin mars obligea l’Etat-major russe à retirer ses troupes du nord du pays, incapables qu’elles étaient de manoeuvrer efficacement, alors qu’elles subissaient des pertes croissantes et lourdes de la part d’unités ukrainiennes plus légères et très mobiles.
De toute évidence, l’opération militaire russe avait souffert de graves défaillances, tant en matière de planification que de renseignement. Les stratèges russes, en premier lieu desquels Vladimir Poutine paré de toutes les vertus y compris d’un talent de grand maitre en matière de jeu d’échec, n’avaient visiblement pas su anticiper les revers auxquels les armées allaient être exposées, et avaient gravement sous-estimé la combativité et la capacité de résistance des ukrainiens eux-mêmes, comme de leurs chefs. A ce jour, on ignore encore les raisons de telles erreurs, qui pourtant apparaissaient évidentes aux yeux des analystes occidentaux. Il est probable que, comme souvent, plusieurs facteurs concomitants ont engendré un tel échec, allant des pressions exercées par le pouvoir à la sur-evaluation des capacités opérationnelles des unités russes sur fonds de corruption endémique, ainsi qu’à la grave sous-estimation du potentiel de résistance et de mobilisation du pouvoir ukrainien. Reste que, de toute évidence, la supériorité stratégique et tactique des armées russes, encore supposée au début de l’année 2022, a largement été battue en brèche par une armée composée de conscrits et de réservistes, et il est probable que si « Zima 2020 » venait à être rejoué aujourd’hui, les résultats seraient très différents.
2- Les difficultés des unités russes en matière d’action interarmes
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