jeudi, mars 28, 2024

L’Armée de Terre française peut-elle se tourner vers le char KF-51 Panther de l’allemand Rheinmetall ?

Ça y est… ils ont craqué... C’est probablement en ces termes que l’immense majorité des lecteurs, tout du moins les plus mesurés d’entre eux, ont abordé ce nouvel article au titre un tantinet provocateur.

En effet, le nouveau char KF-51 Panther présenté par son concepteur, l’allemand Rheinmetall, lors du salon Eurosatory 2022, est aujourd’hui le principal outil dans les mains de son PDG, Armin Papperger, pour tenter de faire dérailler le programme franco-allemand MGCS qui vise à concevoir, précisément, le remplaçant du char français Leclerc comme du Leopard 2 allemand. Développé en fonds propres, le Panther est proposé par Rheinmetall à quiconque montre un intérêt pour acquérir un nouveau char lourd, y compris dans des montages pour le moins improbables.

Comment, dans ce cas, peut-on ne serait-ce qu’imaginer que la France puisse se tourner vers ce blindé, alors même qu’elle développe le MGCS et modernise le Leclerc ?

Comme souvent, le point de vue par lequel on aborde un problème conditionne sensiblement le raisonnement et donc la conclusion que l’on peut y apporter. Ainsi, aujourd’hui, les autorités françaises, comme l’opinion publique du pays, soutiennent activement le concept d’armée globale pour les armées françaises, à savoir une force armée disposant de la majorité des capacités requises pour répondre à un champ d’utilisation très étendu.

C’est ainsi que l’Armée de terre dispose à la fois de forces adaptées à l’engagement de haute intensité symétrique qu’à la projection de forces en environnement dissymétrique, que la Marine dispose d’une composante aéronavale enviée de nombreux autres pays et d’un savoir-faire en matière de suprématie navale et de projection de puissance très élargi, et que l’Armée de l’Air est apte à soutenir ces deux armées dans l’ensemble des scénarios d’emploi.

Qui plus est, la France dispose d’une dissuasion à deux composantes, par ailleurs technologiquement très avancée, lui conférant un poids sensiblement égal à celui de la Chine dans ce domaine. Ce qui est encore plus rare, la France dispose d’une base industrielle et technologique Défense, ou BITD, elle aussi globale, lui conférant une très grande autonomie d’action et de décision quant à l’emploi de ses forces armées, ainsi qu’un atout de poids sur la scène internationale grâce aux exportations d’armement.

Pour venir renforcer le parc de chars Leclerc, l'Armée de Terre peut-elle se tourner vers le KF-51 Panther de Rheinmetall ?
L’Armée de Terre ne va moderniser que 200 de ses 226 Leclerc encore en service

Pour y parvenir, la France consacre chaque année plusieurs Milliards d’euros pour financer les programmes de Recherche et de Développement de la BITD, de sorte à conserver des armements aussi performants sur le terrain qu’attractifs sur la scène export, ce qui lui permet notamment d’engranger d’importantes recettes budgétaires et fiscales liées à ce dernier aspect et permettant d’alléger le fardeau budgétaire pour les finances publiques, en particulier grâce à certains équipements stars des exportations comme l’avion Rafale, le canon CAESAR, le sous-marin Scorpène ou la frégate FDI. Dans ce contexte, la question posée en titre de cet article, apparait probablement inutilement provocante.

Pourtant, pour peu que l’on étudie avec méthode et objectivité le sujet, il apparait que la conception de certains équipements, notamment les chars lourds, engendre en France des couts loin d’être compensés par les recettes à l’exportation, mais également loin d’offrir un bénéfice opérationnel ou politique suffisamment significatif pour justifier de tels développements, plutôt que de se tourner vers des solutions proposées par des partenaires internationaux, et qui pourraient s’avérer plus économiques et moins contraignantes tant pour l’acquisition que pour la mise en œuvre de ces équipements. On continue ?


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Pour Aller plus loin

33 Commentaires

    • Ah bon ! Une seule une chose compte, l’indépendance industrielle de notre pays et que nous n’ayons pas à nous coucher devant des états étrangers pour agir où la nécessité le demande ! Et par là, il nous faut maîtriser l’ensemble des filières d’armement, quoi qu’il en coûte ! Nous avons les marges économiques largement suffisantes pour nous passer des allemands ou autres donneurs de leçons européens ou d’outre atlantique. Cela ne plait pas aux profiteurs de la mondialisation, mais nous voyons chaque jour les limites de cette dérive extra nationale. Nous dépensons « sans compter » des sommes astronomiques pour « aider » ou acheter une paix sociale interne ou externe, qui seraient mieux utilisée à valoriser nos industries, nos infrastructures donc aussi notre indépendance !

      • C’est toute la question : est il préférable de donner 500 chars allemands à l’armée de terre, ou 250 chars français, à budget identique (10 Md€) ?
        La question s’est posée en 1993 pour la Marine, qui préférait acquerir alors 48 Hornet et non 12 Rafale M. Mais dans le cas du char, il convient également de prendre en considération que l’influence politique lié à l’exportation / importation est relativement très faible car l’utilisation du char est beaucoup plus spécifique et rare que celle d’un avion de combat. Par ailleurs, force est de constater que si Dassault a jusqu’ici très bien exporté ses avions de combat, les exportations de chars le sont beaucoup moins, d’autant que la concurrence est de plus en plus dure.
        Bref, on peut naturellement soutenir le concept de BITD globale, mais il faut admettre que cela aura un effet très sensible sur les formats des armées françaises.

  1. Comme toujours, un article passionnant, structuré, avec une belle hauteur de vue et du pragmatisme.

  2. Compte tenu des qualités du K2 sud-coréen et des capacités de production de l’industrie sud-coréenne, n’y aurait il pas un intérêt à se tourner, comme la Pologne, vers la Corée pour obtenir rapidement ce qui nous manque cruellement?

    Y a t’il des perspectives de collaboration possible avec la BITD coréenne ou les liens de la Corée avec les USA interdisent ils toute coopération globale avec la France?

    • Si, d’ailleurs c’est dans l’article. Mais comme Hanwa a déjà un partenaire majeur en Europe, on peut supposer que les marges de négociation seraient moindres qu’avec Rheinmetall qui semble prête à tout pour avoir une première référence pour le KF51.
      D’autre part, le K2 apporterait probablement moins de plus-values que le Panther, notamment du fait de l’intégration d’un APS hardkill double contre les tirs tendus et les menaces plongeantes.

  3. Quand on observe les méthodes de M. Papperger pour s’imposer dans l’accord initial franco-allemand puis pour ne laisser à la France et à Nexter qu’un rôle mineur dans le projet soi-disant « commun »et enfin pour empêcher la réussite du MGCS, on ne peut que douter de la possibilité d’obtenir quoi que ce soit de Rheinmetall L’idée semble de faire de la RFA le seul constructeur de chars en Europe
    La revue RAID a publié récemment un HS sur les blindés , regrettant l’absence de modernisation en temps et en heure du Leclerc Cependant l’auteur semble suggérer que la France dispose encore des savoir-faires pour créer un successeur du Leclerc
    Au-delà du problème des coûts et de l’amortissement des investissements sur un nombre important de blindés produits, qu’en pensez vous?
    Le Leclerc lui-même n’était pas propulsé par une turbine MTU allemande?

    • Sauf erreur, le Leclerc ATF est motorisé francais. C’est celui des EAUs qui est motorisé MTU

      • Du coup le modele export ne bénéficie pas de la principale force du char ( ce qui est bèta ) : une vélocité démentielle au démarrage ( moteur hyperbar )
        Cette particularité rend le char extrement difficile a cibler et toucher pour l’adversaire

    • Oui, l’auteur est M. Chassillan, l’un des plus grands experts en Europe du sujet. Il ne fait aucun doute que nous pourrions le faire, simplement en assemblant des briques technologiques existantes. Toutefois, la question est de savoir s’il est pertinent de le faire. C’est tout le sujet de l’article.
      Ainsi, s’il faut investir 5 Md€ pour développer un MBT aujourd’hui, et si on part sur un parc de 250 MBT, on a un cout de R&D reparti de 20 m€ par machine, soit le prix d’un second char. Et comme le marché export est très difficile, rien n’indique que nous pourrions nous « refaire » sur l’export, comme dans le cas du Rafale par exemple.
      En outre, la plus value opérationnelle d’un MBT national est très discutable, alors qu’elle l’est beaucoup moins pour d’autres équipements qui peuvent être employés dans des contextes de souveraineté exclusive.

  4. Super article comme d’habitude.
    Après je reste peu convaincu de l’intérêt d’un grand parc de char.
    Le conflit ukrainien a a mon sens surtout démontrer que sans domination aérienne c’est la galère.
    Nous avons un outil fantastique de domination aérienne avec le Rafale. Augmenter son volume opérationnel a 350 exemplaires me semblent plus intéressant tactiquement parlant.
    Avec ce zoizo, plus d’artillerie et plus d’appuie feu et du coup un véritable enfer pour un attaquant.
    N’oublions la doctrine militaire qui nous a permis de gagner toutes nos batailles : lla vitesse c’est la vie.
    En Syrie, les Rafales entraient comme dans du beurre dans les zones contestées ( S300/400 ), balancaient les BGU et rentraient au bâteau.

    Je vois plus un avenir de ce genre que des cohortes de blindés qui se canardent a longueur de journée. 🙂 .

  5. Analyse très pertinente. On peut ajouter (sur la base de vos précédents articles) qu’une partie importante du programme (électronique, communications, etc.):pourrait être fournie par des acteurs français . Reste à concilier la préférence française pour des chars moins lourds et plus mobiles que ceux privilégiés par les allemands.

    • Précisément, le Panther est plus léger que le Leo2. Mais vous l’aurez compris, le but ici n’est pas de faire la promotion du Panther, que d’interroger sur le dogme de la BITD globale.

  6. Merci à tous et chacun pour vos commentaires instructifs

    Il me semble que la réflexion sur le dogme de la BITD globale est nécessaire mais qu’elle doit tenir compte des enseignements récents:

    – si tu inclues certains produits étrangers , américains ou allemands par exemple, tu ne peux plus exporter librement, donc tu n’amortis plus tes coûts de R&D sur d’éventuelles ventes à l’étranger

    – au pire, tu restes le bec dans l’eau car tu ne produits plus de paracétamol ou d’autres médicaments, de masques. de puces et tu dépends du bon vouloir de tes fournisseurs d’aujourd’hui qui demain éclaireront le Courbet ou t’interdiront le détroit de Taiwan

    Alors oui le coût unitaire est élevé mais au moins tu disposes du produit….

    La BITD est couteuse mais c’est le prix de l’indépendance nationale

    Il y a des économies à faire ailleurs et, comme le montrent nombre d’excellents articles de ce site, il est désormais temps de reconstruire une Défense nationale

    ..

    • Une chose est certaine, ces échanges sont constructifs et pertinents, et je ne regrette pas une seconde l’activation des commentaires aux abonnés.
      Pour rebondir sur vos propos, le problème aujourd’hui est que la planification industrielle et technologique repose sur des considérations opérationnelles, industrielles et politiques à courts termes, et n’integrent que rarement une réelle réflexion objective sur l’exportation et donc sur le concept de solde budgétaire et de soutenabilite. C’est lié à de nombreux facteurs notamment la manière dont le budget fonctionne, mais également à un certain conservatisme qu’il est très difficile de bouger, même avec des arguments solides. Bien souvent, l’intérêt direct et à court terme supplante une réflexion à moyen terme salutaire. L’exemple le plus parlant est la décision par DA de demonter la ligne M2000, non pas par manque de perspective, mais par crainte que le gouvernement (Fillon à l’époque) ne se tourne à nouveau vers le 2000 au détriment du Rafale. On imagine bien combien qu’une ligne de 2000 rafalises aurait eu de succès depuis 2015-2016 face au Gripen C et F16 block 70.

  7. Le citoyen qui se préoccupe de questions de défense ne peut que ressentir de l’effroi et de la consternation devant le paysage militaire français qu’il se voit contraint de contempler: armées réduites en effectifs et qui ne parviennent ni à recruter, ni à fidéliser, matériels pour lesquels la qualification d’échantillonnage revient le plus souvent, engins et bâtiments sous-équipés et sous-armés, manque criant de munitions de toutes catégories…
    Je me souviens d’un excellent article, je crois de Michel GOYA, dans DSI sur le thème : qui la France pourrait elle affronter victorieusement? l’Iran? , la Turquie?: la réponse n’allait pas de soi, semble t’il et l’hypothèse d’une défaite cuisante n’était pas écartée….
    Après des années ou les « dividendes de la paix » ont permis de faire à peu près n’importe quoi, peut on espérer un retour à une salutaire lucidité et au pragmatisme? renforcer les points forts de la BITD et investir pour combler les béances ?

  8. Bonsoir,

    Merci pour cet article stimulant et les commentaires à l’avenant.

    Idée peut-être saugrenue, mais je teste : est-il réaliste de proposer a Rheinmetall une production sous licence ?

    Dans l’idée :
    – d‘un partenariat de long terme ;
    – d’avoir une chaîne dans l’hexagone ;
    – de moins « craindre » le déséquilibre avec l’Allemagne dans le char du futur.

    • C’est ce qu’ont obtenu les Hongrois au sujet du KF41 Lynx donc rien ne l’exclût, au contraire puisque Rheinmetall est désespérément à la recherche d’une référence crédible pour lancer leur char. On pourrait également discuter avec les italiens qui veulent acquérir 125 chars et 200 VCI. Il pourrait y avoir des synergies industrielles et commerciales intéressantes à faire émerger.

  9. Question au expert sur le sujet et NEXTER n’aurait elle pas les moyens de concevoir un char seul a l’image du ceasar ?

    • Technologiquement parlant, sans aucun problème. C’est d’ailleurs Nexter qui a développé la tourelle EMBT. Mais il s’agit d’un démonstrateur, et non d’un prototype permettant de preparer une mise en production.

      • Qui est capable en France ,d’une part , de concevoir et de produire le système de propulsion d’un nouveau char et , d’autre part, surtout de proposer une solution plus économique en consommation de carburant que celle d’un Abrams, par exemple?

        Fabriquer un char à propulsion uniquement électrique – et non pas hybride- est ce concevable aujourd’hui ?

        • Marie,
          Je ne pense pas qu’il existe un réservoir d’énergie aussi efficace qu’un plein de pétrole pour bouger une telle masse.
          L’électricité pose également d’autres problèmes logistiques à défaut d’équiper les chars de CNR (mini reacteur)….

  10. Passe la spontanéité souverainiste de développer seul un remplaçant du Leclerc, la solution de l’extension rapide de la flotte de rafales est séduisante!
    Et de fabriquer rapidement sous licence pour attendre le MGCS en 2045.
    Reste qu’on serait encore en droit d’espérer un peu plus de réciprocité de nos amis outre Rhin…..

    • Vous l’aurez compris, le Panther est ici employé comme un exemple d’illustration pour réfléchir sur la pertinence (ou pas) de s’attacher à un BITD globale. on a par exemple beaucoup critiqué la décision de se tourner vers le FA HK416 allemand ou les BRF italiens. Pourtant cela relevait du même raisonnement.

      • Sait on où en est le projet d’acquisition de 1770 chars par les autorités Indienne.

        11 professionnels, dont KNDS, avaient été intéressés….
        Or le timing des premières livraisons serait parfait pour nos deux pays….

        • Je vois mal les indiens habitués au T-72 ou T-90S à moins de 4 m$ l’unité, se tourner vers du Leopard 2 à 15 m$ ou vers le K2 à 10 à 12 m$. Pour ce prix, il feront un développement local avec transfert de technologies de la part des russes qui n’attendent que ça pour financer la poursuite de la famille Armata…

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