La menace des drones d’attaque sur les navires de surface est-elle transitoire ?

Mi-février 2024, un rapport obtenu par la chaine américaine CBS, mit en évidence la menace des drones d’attaque sur les navires de surface, et en particulier sur les destroyers et croiseurs de l’US Navy.

Celui-ci affirmait, en effet, que les escorteurs américains déployés en mer Rouge et dans le golfe d’Aden, avaient déjà tiré presque une centaine de missiles antiaériens Standard SM-2 et SM-6, pour intercepter les missiles, et surtout les drones lancés par les rebelles Houthis contre eux, ou contre les navires marchands escortés.

Ces drones Houthis, comme les drones de surface employés par les Ukrainiens en mer Rouge, ont fait apparaitre une nouvelle menace, contre laquelle les unités d’escorte navales alliées, ne sont pas équipées efficacement, provoquant une utilisation rapide et peu efficace de missiles antiaériens onéreux, sans pouvoir remplacer, à la mer, les missiles tirés. La situation est encore plus préoccupante pour la Marine russe, obligée de mettre fin à la majorité de ses opérations navales en mer Noire.

Dans ces conditions, de nombreuses voix se sont élevées pour mettre en évidence la menace drone sur les navires militaires, allant jusqu’à remettre en question la pertinence, pour les états, de se doter d’une couteuse marine militaire de surface, incapable de se prémunir contre ces drones peu onéreux et pouvant être employés simultanément en grand nombre, pour saturer les défenses, et en venir à bout.

Alors, les drones vont-ils signer l’arrêt de mort des grandes unités de surface navales ? C’est loin d’être certain, car les parades, pour répondre à ces menaces, existent déjà, et sont activement déployées à bord des navires militaires.

Utilisation massive de drones d’attaque en mer Rouge et épuisement des magasins des navires d’escorte

Depuis le début des attaques, en novembre 2023, les rebelles Houthis ont lancé de 300 à 350 drones, ainsi qu’une centaine de missiles antinavires, pour une cinquantaine d’attaques contre les navires marchands croisant en mer Rouge et dans le golfe d’Aden, ainsi que contre la vingtaine de destroyers et frégates occidentales évoluant dans cette zone, pour les protéger. Plusieurs navires marchands ont été endommagés, et un cargo battant pavillon du Bélize, le Rubymar, a coulé suite à ces attaques, le 2 mars 2024.

Cargo Rubymar coulé mer rouge
Le cargo Rubymar a coulé après avoir été touché par des drones d’attaque Houthis au debut du mois de mars 2024

Pour protéger ce trafic commercial, depuis le début de cette campagne Houthis « en soutien à la cause Palestinienne », l’US Navy, mais aussi la Royal Navy, la Marine nationale, ainsi que plusieurs autres Marines occidentales, ont déployé des destroyers et des frégates. Jamais, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les marines occidentales n’avaient tiré autant de missiles, et abattu autant de vecteurs aériens, que lors de cette mission.

En dehors de quelques incidents spécifiques, concernant la frégate allemande Hessen, et la frégate danoise Iver Huitfeldt, les navires d’escorte occidentaux, comme leurs systèmes embarqués, se sont bien comportés face aux drones et missiles Houthis, y compris contre les missiles balistiques antinavires interceptés par des missiles Aster 30 français et SM-6 américains.

Toutefois, l’intensité des tirs Houthis a rapidement mis à mal les magasins de missiles et VLS des escorteurs déployés. Ne pouvant être réapprovisionnés à la mer, ces navires ont fait davantage usage d’autres moyens au fil du temps, comme les missiles sol-air à courte portée ESSM ou Ram, l’artillerie navale de 127 et 76 mm, et même leurs hélicoptères embarqués, pour intercepter les drones Houthis, des cibles relativement lentes et faciles à intercepter.

Pour autant, s’agissant d’intercepter les drones restés hors de portée pour attaquer les navires marchands, ainsi que les missiles de croisière plus rapides, les missiles à moyenne et longue portée Aster et SM-2, ont souvent été privilégiés, épuisant rapidement les réserves des navires, et limitant, donc, leur autonomie de combat.

Aster frégate Alsace
Bien que très efficaces, les missiles surface-air à moyenne et longue portée, n’ont pas été conçus pour intercepter des drones légers et économiques.

Dans le même temps, de nombreuses questions sont apparues, quant au dimensionnement de ces magasins, jugés trop réduits, y compris pour les destroyers de l’US Navy et leurs 90 à 96 silos verticaux, pour soutenir une telle activité, et surtout pour faire face à de possibles attaques massives et coordonnées, visant à saturer ces systèmes de défense, en épuisant leurs missiles.

L’Ukraine neutralise la flotte en mer Noire russe avec des drones d’attaque de surface

Si les drones Houthis posent un sérieux problème aux marines occidentales en mer Rouge, les drones de surface Ukrainiens, eux, sont effectivement parvenus à repousser la puissante flotte de la mer Noire russe, y compris au-delà de son port d’attache de Sevastopol.

Ainsi, 7 des 17 grandes unités navales russes coulées ou endommagées, depuis le dragueur de mine Ivan Golubets, le 29 octobre 2022, jusqu’au grand navire de débarquement de chars Tsezar Kunikov, le 24 mars 2024, l’ont été par les petits drones de surface envoyés par les Ukrainiens, parfois jusqu’au port de Novorossiysk, de l’autre côté de la mer Noire.

À l’inverse des drones aériens Houthis employés en mer Rouge, contre lesquelles les marines occidentales disposaient d’armes somme toute efficaces du point vu opérationnel, les drones de surface ou semi-submergés ukrainiens, comme le Sea Baby ou le Magura V5, ont pris au dépourvu les navires russes, souvent incapables de s’en protéger.

drones d'attaque Ukrainiens
Le Olenegorsky Gonyak, attaqué près du port de Novorossiysk par des drones navals ukrainiens.

Au fil du temps, des parades ont été déployées par la Marine Russe, alors que les Ukrainiens produisaient de nouvelles versions de leurs drones d’attaque navals, leur permettant de les contourner.

Notons, à ce titre, que les ukrainiens ont privilégié les drones de surface, et non aériens. En effet, comme les marines occidentales, la Marine russe dispose de moyens bien plus performants face à des cibles aériennes, que contre des cibles de surface de très petite taille et rapides.

Les frégates et destroyers mal équipés face à ces menaces émergentes

Qu’il s’agisse de lutter contre les vagues de drones aériens Houthis, ou contre les flottilles de drones de surface Ukrainiens, les navires d’escorte, occidentaux comme russes, étaient donc mal équipés contre ces types de menaces, lorsqu’elles sont apparues.

Destroyers, frégates et corvettes étaient, en effet, conçus pour lutter contre des unités navales militaires majeures, à minima de la taille d’un patrouilleur, ou contre des cibles aériennes rapides et relativement imposantes, comme les avions de combat, les hélicoptères navals, ou encore les missiles antinavires.

Si la menace drone, dans le domaine naval, est apparu il y a une dizaine d’années, il ne s’est longtemps agi que de drones de reconnaissance légers, traités par des armes elles-aussi légères, ou de drones de type MALE, contre lesquels les missiles antiaériens étaient justifiés.

SM-3 Burke
Les magasins des destroyers et frégates ont été dimensionnés pour faire face à des menaces de missiles ou d’aéronefs, beaucoup plus onéreux que les drones Houthis, qui necessitent pourtant le même missile pour être interceptés.

En revanche, rien n’était expressément conçu pour contrer des drones d’attaque beaucoup plus économiques que les missiles de croisière antinavires, ni contre des drones d’attaque de surface, ayant à peine la taille d’un hors-bord ou d’un RHIB, d’autant que l’un comme l’autre sont mis en œuvre en groupe, pour mener des attaques coordonnées visant à diviser les défenses des navires visés, ou de leur escorte.

C’est souvent à ce niveau de l’analyse, que certains ont vu une trajectoire de supériorité majeure des drones et systèmes autonomes, contre les couteuses unités de surface, prédisant, alors, la fin des Marines de haute mer, de leurs destroyers et frégates, mais aussi de leurs grandes unités amphibies et des porte-avions.

Les réponses technologiques à la menace navale des drones arrivent

Si les escorteurs sont, aujourd’hui, le plus souvent dépourvus des technologies adaptées pour répondre efficacement à ces deux types de menace, celles-ci existent déjà. Certaines marines ont d’ailleurs pris le parti d’en équiper partiellement, mais rapidement, certains de leurs navires, ou tout simplement de faire évoluer leur doctrine d’emploi, pour permettre l’utilisation des systèmes existants à cet effet.

Utilisation accrue de l’artillerie navale et les nouveaux dispositifs électro-optiques de surveillance et conduite de tir

La première des alternatives aux couteux missiles, repose sur l’utilisation, plus intensive, de l’artillerie navale, déjà disponible à bord des destroyers et frégates. Ainsi, si les premières interceptions par missiles de drones Houthis par l’US Navy, remontent à la mi-novembre 2023, il faudra atteindre plus d’un mois, pour qu’un de ses destroyers, l’USS Carney, utilise son canon de 127 mm pour abattre ce type de cible.

Frégate Lorraine Paseo XR
Installation du Paseo XR sur la frégate Lorraine repéré par Navalnews.com.

L’exemple du destroyer américain a rapidement été suivi par d’autres unités navales, américaines comme européennes, les frégates britanniques, françaises, allemandes ou italiennes, ayant rapporté avoir abattu des drones Houthis à l’aide de leur artillerie navale, à une ou plusieurs reprises.

Il faut dire que celle-ci compense une bonne partie des défauts des missiles employés jusque-là : non seulement les obus sont-ils considérablement moins onéreux que les missiles, dans un rapport pouvant atteindre 1 pour 200, mais le navire dispose d’une grande quantité de ce type de munitions à son bord, et peut, sans aucun mal, recharger la pièce à la mer.

Dans ce domaine, la Marine nationale a même pris les devants, en installant, à bord de ses frégates, le système de surveillance et de conduite de tir balistique électro-optique Paseo XR, dérivé du Paseo qui équipe les EBRC Jaguar de l’Armée de Terre, pour améliorer la détection, l’engagement et la destruction, des cibles aériennes ou navales, y compris lorsque le navire évolue en émissions restreintes, pour préserver sa discrétion.

Les missiles antiaériens et polyvalents légers à très courte portée

La seconde alternative pour renforcer les capacités d’auto-protection de ces navires d’escorte, repose sur l’utilisation de missiles antiaériens légers, à courte ou très courte portée, pour renforcer les capacités CIWS (Close-In Weapon System ou Système d’arme à courte portée) du navire.

Contrairement aux missiles antiaériens navals à longue portée, comme l’Aster 30 ou le SM-2, ou à moyenne portée comme l’ESSM, le CAAM ou le MICA VL, ces missiles légers, Stinger, Mistral, ou RAM, sont sensiblement plus économiques à l’achat, coutant de 10 à 50% du prix des missiles plus imposants.

SADRAL Charles de Gaulle
Les missiles sol-air à très courte portée, comme le Mistral 3, représentent une alternative economique et opérationelle pertinente face aux drones aériens. Leur autodirecteur infrarouge devrait également permettre d’engager des drones de surface, au besoin.

Ils sont aussi beaucoup plus légers. Il est ainsi possible, pour un navire à la mer, de recharger ses lanceurs après le tir, pour régénérer son potentiel défensif immédiat, pour peu qu’il dispose effectivement de munitions de réserve.

Enfin, l’autodirecteur infrarouge, dont ces missiles sont le plus souvent dotés, permet d’engager des cibles aériennes, y compris des drones, ainsi que des cibles navales, le cas échéant, y compris des drones d’attaque de surface.

Les CIWS de nouvelle génération qui arrivent

De nouveaux systèmes de protection rapprochée sont en cours de développement, voire de déploiement, et vont, rapidement, apporter des moyens supplémentaires tant pour se protéger des drones navals que des drones d’attaque aériens.

Le Rapid Fire de Thales, peut contenir une attaque simultanée de plus de 8 drones

C’est le cas, par exemple, du système CIWS Rapid Fire développé par Thales et Nexter, sur la base du canon CT40 qui arme l’EBRC jaguar français, ou l’Ajax britannique. Par son calibre de 40 mm, ce canon peut engager des cibles aériennes ou navales jusqu’à 4 km, venant créer un rideau défensif très efficace contre ce type de menace.

Thales Rapid Fire
Le RapidFire de Thales offre un excellent compromis de portée et de cadence de tir, pour optimiser le potentiel de contre-saturation d’une unité navale.

En effet, un drone volant à 200 km/h, va mettre 1min 16s pour parcourir les 4 km nécessaires jusqu’à sa cible. Le Rapid Fire, lui, peut se mettre en position de tir et tirer une salve de trois obus en cinq secondes seulement. En d’autres termes, un Rapid Fire, à lui seul, à un potentiel de contre saturation contre les drones aériens (200 Km/h), de 15 drones se présentant simultanément, à cette distance, puis d’un nouveau drone toutes les cinq secondes.

Même en considérant un taux d’impact, particulièrement bas, de 50 %, une unique pièce peut contenir une menace simultanée de 7 à 8 drones aériens d’attaque. Ce chiffre descend à 2 contre des missiles de croisière antinavires évoluant à 900 km/h, qui parcourent 15 km/ min. Au-delà, le Rapid Fire peut contenir un drone ou un missile, franchissant cette limite d’engagement à 4 km, toutes les 10 secondes (à 50%).

On comprend, ici, tout l’intérêt du calibre de 40 km, offrant un compromis très efficace entre la portée opérationnelle et la cadence de tir, pour obtenir un potentiel de contre-saturation le plus élevé possible.

Le LMP de Naval Group, un pouvoir d’arrêt de 8 missiles antinavires en saturation

Le Lanceur Modulaire Polyvalent, de Naval Group, est un autre dispositif offrant des capacités accrues de lutte contre les drones, qu’ils soient aériens ou de surface. Celui-ci permet, en effet, d’armer dynamiquement chacun de ses 4 modules, de 4 missiles Mistral 3, ou de 2 missiles Akeron MP, voire de 10 roquettes de 70 mm.

Ainsi, dans sa version anti-aérienne, le LMP offre un pouvoir d’arrêt pouvant atteindre 8 missiles antinavires, à raison de 2 Mistral par missile, ou de 14 drones, avec un taux d’impact supérieur à 85 %. Contre des drones navals, il peut employer jusqu’à 8 missiles Akeron MP, avec un taux d’impact très élevé, ou jusqu’au 40 roquettes de 70 mm, là encore, avec un pouvoir d’arrêt considérable contre ce type de menace.

LMP Naval group
Si le LMP n’a pas de potentiel de contre-saturation glissant, comme le Rapid Fire, il offre toutefois un excellent pouvoir d’arret contre les drones aériens et navals, ainsi que contre les missiles antinavires.

Comme évoqué précédemment, outre sa polyvalence, le LMP a l’avantage crucial de pouvoir être réarmé à la mer, permettant au navire de reconstituer son potentiel défensif rapidement, voire de l’adapter à l’évolution de la menace.

Qu’il s’agisse du Rapid Fire ou du LMP, ces systèmes permettent de réduire considérablement l’utilisation de missiles antiaériens à moyenne et longue portée, pour traiter des drones aériens, tout en offrant des capacités renforcées contre les drones de surface, surtout s’ils sont couplés à des systèmes de surveillance et de conduite de tir, comme le Paseo XR.

La portée réduite de ces systèmes, entre 4 et 8 km, est sans doute satisfaisante pour la protection du navire porteur. En revanche, pour ce qui concerne celle des navires escortés, il faudra à l’escorteur, soit assurer une grande proximité, ce qui réduit de fait le nombre de navires potentiellement escortés, soit faire tout de même usage de ses missiles, lorsque l’interception par ces moyens est impossible. Dans tous les cas, ces systèmes doivent être considérés en complément des systèmes existants, et non en substitution de ceux-ci.

Vers une transformation radicale du potentiel de contre-saturation instantanée des escorteurs navals

Les menaces posées par les drones aériens et de surface, telles qu’employés par les Houthis et les Ukrainiens, ne représentent, cependant, qu’un premier échelon dans l’évolution à venir de ces nouvelles armes.

En effet, pour l’heure, si l’un comme l’autre ont utilisé plusieurs drones simultanément, pour mener leurs attaques, celles-ci n’ont jamais fait l’objet de véritables schémas d’attaque coordonnée massifs visant à saturer les défenses instantanées adverses, par l’usage d’essaims ou, plus simplement, d’un grand nombre de drones simultanément.

Essaim de drones
L’arrivée des essaims de drones d’attaque navals, devrait intervenir dans les années à venir. Il convient de se doter des moyens pour s’en prémunir efficacement.

Or, c’est précisément ce vers quoi tendent les recherches entreprises dans de nombreux pays, y compris en Europe, avec un calendrier d’entrée en service désormais particulièrement proche.

Dans ce domaine, le calcul du potentiel de contre-saturation de l’artillerie navale, évoqué plus haut, compensé, ou pas, par le pouvoir d’arrêt de systèmes CIWS employant des missiles, va certainement devenir un paramètre clé dans l’évaluation de la survivabilité d’une unité navale, et donc dans son efficacité potentielle au combat.

En outre, l’ajout d’un unique RapidFire et d’un LMP, à bord d’une frégate, peut radicalement transformer sa survivabilité, mais aussi son autonomie au combat, en préservant l’utilisation de ses missiles principaux, aux cas les plus nécessaires.

Concernant les unités navales majeures, comme les grands navires amphibies et les porte-avions, ces systèmes permettront de sensiblement densifier les capacités de défense, tant contre les menaces classiques, tels les missiles antinavires, que contre les menaces hybrides ou émergentes.

Cette transformation est d’autant plus indispensable, qu’elle est, toute proportion gardée, peu onéreuse, y compris au regard des prix des missiles employés jusqu’ici, et d’autant plus urgente, que le niveau de menace actuel que représentent ces drones, n’est qu’un avant-gout de celui qui va émerger dans les années à venir.

Article du 8 avril en version intégrale jusqu’au 12 Mai

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