IRIS-T SLM vs Aster 15/30 : Diehl va-t-il faire main basse sur la défense aérienne européenne ?

Jusqu’il y a deux ans, les systèmes de défense aérienne européens, en particulier la gamme Aster du Français MBDA, et l’IRIS-T SLM de l’Allemand Diehl, étaient souvent perçus, sur la scène internationale, comme des systèmes aux performances inférieures aux systèmes équivalents américains, russes ou israéliens.

Tous trois pouvaient, en effet, s’appuyer sur des expériences de combat plus ou moins réussies, parfois habillement présentées pour les rendre plus attractifs et compétitifs qu’ils ne le sont vraiment.

Ces derniers mois, toutefois, cette perception a considérablement évolué, en raison des résultats plus que probants obtenus par les systèmes antiaériens de conception européenne, que ce soit en Ukraine pour l’Iris-T SLM et le SAMP/T Mamba, ou en mer Rouge, pour les missiles Aster 15 et 30, ouvrant la voie à une compétition frénétique entre ces deux systèmes en Europe.

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La compétition Iris-T SLM vs Aster 15/30 en Europe

Les deux systèmes européens rencontrent, aujourd’hui, un intérêt renouvelé et insistant, sur la scène internationale comme en Europe. C’est cependant l’Iris-T SLM allemand apparait comme bien plus efficace, commercialement parlant, que le Mamba franco-italien et l’Aster 15/30.

Alsace Aster 15
Près d’une cinquantaine de grands navires de surface sont équipés de missiles Aster 15/30.

En effet, alors qu’il n’est proposé que depuis 2019, celui-ci a déjà enregistré six commandes internationales, dont cinq en Europe : Allemagne, Autriche, Estonie/Lettonie, Slovénie et Suède. À l’inverse, le SAMP/T Mamba franco-italien, proposé depuis 2009, n’est en service, en Europe, que dans les Armées de ses deux concepteurs, alors que seul Singapour s’est porté acquéreur du système sur la scène internationale.

Le missile français a toutefois percé avec beaucoup plus d’efficacité sur un autre marché, celui des missiles surface-air navals. En effet, il équipe, aujourd’hui, pas moins de 46 grandes unités de surface, porte-avions, destroyers, frégates et corvettes, au sein de neuf forces navales, dont les trois plus puissantes marines militaires en Europe (France, Italie et Royaume-Uni).

Cette prédominance navale de l’Aster pourrait prochainement être mise à mal, alors que Diehl a annoncé qu’il développait une version navale de son SLM à moyenne portée et de son SLX à longue portée, concurrent direct de l’Aster 30.

De toute évidence, se prépare, aujourd’hui, une formidable guerre commerciale entre l’Aster de MBDA et l’IRIS-T SL de Diehl, et plusieurs éléments paraissent donner l’avantage au système allemand, en particulier en Europe.

La gamme Aster de MBDA : un pionnier technologique qui secoue l’hégémonie américaine

Pourtant, dans cette compétition, l’Aster de MBDA, peut s’appuyer sur de nombreux atouts. Le premier n’est autre que les performances éprouvées du système, et de la gamme de missiles qui l’arme. Si l’Aster 15, avec une portée de 30 à 45 km, selon les sources, est un concurrent direct de l’IRIS-T SLM et ses 40 km, l’Aster 30, lui, dépasse les 120 km, et se pose donc comme une alternative au Patriot américain.

SAMP/T Mamba Aster 30
Le SAMP/T Mamba a été construit à 22 exemplaires à ce jour, pour les armées françaises, italiennes et singapouriennes.

En outre, l’Aster dispose, comme évoqué, d’une version navale complète avec le système PAAMS, disposant de ses propres Systèmes de Lancement Verticaux, les SYLVER, et compatible avec de nombreux radars et systèmes de guidage.

La gamme Aster intègre, également, des versions dédiées à la lutte antibalistique endoatmosphérique, les Aster Block 1 et Block 1NT, ce dernier entrant en service cette année. L’efficacité des Aster contre tous les types de cible aérienne, y compris les missiles balistiques, a été démontrée ces derniers mois, avec des taux d’interceptions réussies très élevés.

Du point de vue du parc installé, l’Aster s’appuient sur 22 systèmes SAMP/T Mamba, et 46 navires de surface le mettant en œuvre, alors que 20 autres navires (5 FDI françaises et trois grecques, 8 PPA et 2 DDx italiens, 2 PPA indonésiennes) en seront dotés, dans les mois et années à venir, de manière certaine.

En termes d’évolution à venir, MBDA a annoncé, il y a peu, le développement de l’Aster 15 EC, d’une portée étendue à plus de 60 km, qui permettra au missile de rester, en matière de performances, dans le haut de la gamme des missiles antiaériens à moyenne portée.

Les 4 atouts de l’Iris-T SL de Diehl pour s’imposer en Europe

Beaucoup plus récents, les systèmes Iris-T SL de Diehl, sont loin de pouvoir s’appuyer sur une gamme et un parc installé aussi étendus que la famille Aster. Pourtant, alors qu’elle n’est proposée que depuis 2019, la famille IRIS-T SLS/M affiche déjà un carnet de commande ferme, et en finalisation, de 35 systèmes, dont seulement six sont destinés aux armées allemandes.

IRIS-T SLM
L’IRIS-T SLM a une portée de 40 km.

Les atouts de l’Iris-T SL sur l’Aster, ne sont pourtant ni technologiques, ni opérationnels, les deux systèmes ayant montré une efficacité comparable au combat, alors que l’Aster dispose d’une gamme bien plus étendue. Ceux-ci sont à chercher dans une remarquable stratégie commerciale allemande, conçue pour s’imposer d’abord en Europe, puis au-delà, et bâtie sur quatre piliers.

Une gamme complète et intégrée, allant du SHORAD Canon à l’antimissile hypersonique

Si, aujourd’hui, la famille Iris-t SL ne se compose que de deux missiles, l’Iris-T SLS à courte portée (12 km) et l’Iris-t SLM à moyenne portée (40 km), Diehl travaille activement à l’étendre rapidement, avec le développement de l’IRIS-T SLX à longue portée (80 km), ainsi que l’IRIS-T HYDEF, d’une portée de 100 km, et surtout d’un plafond de 50 km.

Conçu dans le cadre du programme européen HYDEF piloté par l’Espagne, l’Iris-T HYDEF sera destiné à intercepter les planeurs hypersoniques lors de leur phase de manœuvre atmosphérique.

En outre, le plafond de 50 km du missile lui permettra d’intercepter, en transit, les missiles à trajectoire semi-balistique, comme l’Iskander-M ou le Kinzhal russes, qui posent aujourd’hui un problème aux défenses antiaériennes et antibalistiques.

Gamme IRIS-T Diehl défense
La gamme IRIS-T SL de Diehl Defense.

En outre, Diehl a annoncé qu’il travaillait sur une version navale de l’Iris-T SLM, alors que les missiles à venir, dont l’Iris-T SLX, et probablement l’Iris-T HYDEF, seront systématiquement déclinés, eux aussi, en version embarquée.

Enfin, le missilier allemand, comme le radariste Hensoldt, qui fabrique le radar 3D TRML-4D de l’Iris-T SLM, participent, avec Rheinmetall, à la conception de la tourelle antiaérienne Skyranger armée d’un canon de 30 ou 35 mm.

Il y a fort à parier, dès lors, que les systèmes Iris-T et Skyranger seront complémentaires et intégrés, permettant de proposer une gamme particulièrement étendue allant du SHORAD canon, au missile antibalistique hypersonique endoatmosphérique haut, dans une approche unique en occident.

Une gamme conçue pour compléter l’offre américaine, sans l’empiéter

Diehl prend grand soin, dans ses développements, et surtout dans sa communication, à ne pas venir empiéter sur les platebandes des systèmes sol-air ou surface-air américains. Mieux encore, la complémentarité des systèmes allemands et américains, est mise en avant partout ou cela est possible.

Ainsi, les Iris-T navals seront prévus pour prendre place à bord des VLS Mk41 américains, du module tactique, plus court, pour les versions M et S, et du module de frappe, destiné à embarquer des missiles plus longs comme le Tomahawk, le LRASM, ainsi que les SM-3 et SM-6, pour l’IRIS-T HYDEF.

Patriot PAC
L’IRIS-T SL est présenté comme complémentaire des systèmes américains, comme le Patriot PAC2 ou PAC-3 MSE.

Dans ce domaine, l’IRIS-T SLM/X naval est présenté comme une alternative, notamment concernant les navires mettant en œuvre des versions du missile SM-2 ou ESSM qui ne sont plus produites, comme c’est le cas des frégates allemandes de la classe Hessen.

C’est aussi le cas dans le domaine terrestre, les Iris-T étant systématiquement présentés comme complémentaires au Patriot américain, plus spécialement au Patriot PAC-3 MSE, choisi par plusieurs forces armées européennes ces dernières années.

Une stratégie commerciale bottom-up pour s’appuyer sur une base étendue

Pour marquer cette complémentarité, particulièrement efficace auprès des armées européennes, souvent équipées de systèmes antiaériens américains, et pour éviter de subir une bienveillante obstruction de la part des industriels, des armées et du Département d’état US, Diehl a développé une stratégie commerciale que l’on peut qualifier de Bottom-Up.

Celle-ci vise, en effet, à positionner l’IRIS-T SLM comme un système moyenne portée, accessible, et donc complémentaire au Patriot ou aux SM-2/SM-6, avec l’objectif, par la suite, de faire monter ses clients en gamme, avec l’arrivée du SLX puis de l’HYDEF, mais également en étendant le socle SHORAD, avec le Skyranger voire le SLS.

Skyranger 30 Boxer Rheinmetall
Le Skyranger 30 est codéveloppé par Hensoldt et Diehl Defense, aux cotés de Rheinmetall, les deux entreprises au coeur de l’IRIS-T SL.

De fait, dès lors qu’une armée s’équipe de l’Iris-T SLM, elle aura, par la suite, tout intérêt, pour des questions de coopération entre les systèmes, et donc d’économies en ressources budgétaires comme humaines, à étendre sa propre gamme Iris-T ou assimilée, y compris de manière progressive.

Cette stratégie commerciale est d’ailleurs l’exacte opposée de celle mise en œuvre par MBDA, Eurosam et la technosphère Aster franco-italienne, qui ont toujours présenté les systèmes Aster comme des alternatives aux systèmes américains (Patriot, SM-2, ESSM) ou russes (S-400, Buk).

L’European Sky Shield Initiative pour faire de la gamme Iris-T le standard de la défense aérienne européenne, et de l’Allemagne son pivot

Enfin, et surtout, l’IRIS-T SL et Diehl peuvent s’appuyer sur un appui particulièrement efficace de la part du gouvernement fédéral allemand, au travers de l’European Sky Shield Initative.

Lancée par Olaf Scholz en aout 2022, quelques mois après le début de la guerre en Ukraine, celle-ci propose de créer un réseau de défense antiaérien et antibalistique européen interconnecté.

Olaf Sholz
En aout 2022, a Prague, Olaf Scholz a présenté l’European Skyshield initiative, rassemblant dejà 18 pays européens, mais ecluant la France, l’Italie, et surtout la famille Aster.

Pour séduire ses partenaires européens, Berlin a construit son initiative sur trois systèmes complémentaires, l’IRIS-T SLM à moyenne portée, le Patriot PAC à longue portée et capacités antibalistiques endoatmosphériques, et le système Arrow 3 israélien, conçu pour l’interception antibalistique exoatmosphérique.

Chacun de ces systèmes à un rôle commercial précis dans ce modèle. L’Arrow 3, acheté uniquement par l’Allemagne pour près de 5 Md€, doit permettre d’assurer une protection antibalistique exoatmosphérique couvrant l’ensemble des pays européens participants à l’initiative.

Que l’Arrow 3 ait été conçu pour intercepter les MRBM et IRBM iraniens, alors que la Russie ne met en œuvre que des SRBM et MRBM à trajectoire semi-balistiques, et des ICBM et SLBM, tous hors fenêtre d’interception du système, n’est que secondaire.

Le Patriot PAC permet de séduire les cinq pays européens mettant déjà en œuvre ce système d’armes onéreux, mais efficace, et surtout de s’assurer du soutien et Washington et de l’industrie US, qui y voient, là, un moyen de promouvoir encore davantage son système antiaérien en Europe.

L’IRIS-T SLM, quant à lui, constitue le pivot technologique de l’ESSI, ou son plus petit commun dénominateur, de sorte que, pour participer effectivement à l’initiative, les pays devront, très certainement, acquérir ce système. Avec 22 pays européens (+ Turquie) ayant déjà rejoint l’ESSI, Berlin a ainsi assuré à Diehl un marché captif remarquable, qui plus est, avec le soutien des États-Unis.

IRIS-T SLS, Iris-t SLM et radar 3D TRML 4D
L’IRIS-T SLS (à gauche) a une portée de 12 km, alors que l’IRIS-T SLM (au centre) a une portée de 40 km.

Comme évoqué plus haut, une fois les armées européennes équipées d’IRIS-T SLM, celles-ci auront alors tout intérêt à rester dans cette gamme, pour étendre leurs capacités, que ce soit dans le domaine SHORAD avec le Skyranger, dans l’interception à longue portée avec l’IRIS-T SLX, ou dans l’interception endoatmosphérique, avec l’IRIS-T HYDEF. Pour peu que l’ESSI s’étendent technologiquement aux systèmes navals, on peut s’attendre, par la suite, à ce qu’il en soit de même d’une majorité de marines européennes.

Conclusion

On le voit, si la famille IRIS-T SL de Diehl, est incontestablement un système d’arme efficace, celle-ci s’appuie, surtout, sur une formidable stratégie de conquête industrielle et commerciale, pour faire main basse sur la défense antiaérienne et antimissile européenne, avec, en son centre, l’Allemagne.

Face à cette déferlante en perspective, la famille Aster franco-italienne, a, certes, des atouts à faire valoir, en particulier par son efficacité opérationnelle étendue et confirmée, y compris dans le domaine antibalistique.

Toutefois, il sera certainement nécessaire, pour MBDA, Eurosam et surtout pour Paris, de changer de stratégie commerciale, pour espérer contenir la stratégie allemande, alors que, de manière évidente, Berlin n’a strictement aucun intérêt à ouvrir l’ESSI aux autres systèmes, en particulier à l’Aster, son principal rival en Europe.

RapidFire Thales NExter
la declinaison d’une version terrestre du RapidFire s’impose pour completer l’offre Aster dans la gamme SHORAD, à l’instar du Skyranger pour la gamme IRIS-T

Un line-up prévisionnel ambitieux et ferme, plutôt que des développements itératifs à la demande, une coopération internationale rassemblant, au-delà de la France et de l’Italie, d’autres pays européens, comme la Grande-Bretagne et la Pologne, en interconnectant leurs systèmes de defense, et l’intégration, à la gamme Aster, les systèmes SHORAD et courte portée (Rapid Fire, MICA VL NG, CAMM, Dragon Fire…) présents et à venir, permettraient certainement de répondre à cette stratégie allemande, et même, possiblement, de la mettre en défaut.

Encore faut-il qu’il y ait, conjointement, une volonté politique, une volonté industrielle, et le soutien des armées, sachant que se joue, ici, la pérennité même de la filière missile antiaérien française.

En l’absence de réaction, celle-ci pourrait bien voir ses perspectives s’étioler face à une stratégie commerciale plus efficace et volontaire de la part de l’Allemagne, comme ce fut le cas, il y a quelques décennies, dans le domaine des blindés.

Article du 16 avril en version intégrale jusqu’au 18 mai 2024

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