Publiée le 5 septembre 2024, la nouvelle Revue Stratégique 2024 des armées néerlandaises dresse un tableau objectif et, à juste titre, inquiétant, des tensions internationales actuelles et à venir, et des menaces qu’elles font peser sur le pays, sur l’Europe et l’Alliance Atlantique, et des efforts qui seront produits, dans les années à venir, par La Haye, pour y répondre, et pour tenter de les dissuader.
Le document de 68 pages, concis et synthétique, martèle ainsi certaines vérités que de nombreux européens feignent d’ignorer, comme la réalité de la menace russe sur les pays d’Europe de l’Est, les conséquences d’un conflit sino-américain pour l’Europe, ou la nécessité, pour les pays européens, d’acquérir des équipements européens, pour accroitre la résilience globale du bloc occidental.
Sommaire
La transformation des armées néerlandaises depuis 2017
Si les armées néerlandaises ont été parmi les plus affaiblies par les bénéfices de la paix, après la guerre froide, les Pays-Bas ont aussi été le pays d’Europe de l’Ouest ayant le plus tôt et le plus fermement réagi au retour des tensions en Europe.
Ainsi, au début des années 2010, La Haye consacrait à peine plus de 1 % de son PIB pour ses armées, par ailleurs largement réduites après avoir perdu la totalité du millier de chars Leopard 2A4NL, ou encore 75 % de sa flotte de chasse.
Comme l’ensemble des membres de l’Alliance Atlantique, les autorités néerlandaises s’engagèrent à augmenter leur effort de défense à 2% du PIB pour 2025, à l’occasion du sommet de Cardiff en 2014. Et comme tous les alliés d’Europe de l’Ouest, La Haye n’a pas montré, initialement, d’empressement pour y parvenir.
La destruction du vol MH17, au-dessus du Donbass, par la défense aérienne russe, et les 196 néerlandais qui perdirent la vie à ce moment-là, provoqua une prise de conscience brutale dans le pays, et un profond traumatisme.
Dès lors, les Pays-Bas ont été le pays d’Europe de l’Ouest ayant fourni l’effort relatif le plus important pour accroitre ses dépenses de dépense, mais aussi pour rapidement redonner à ses armées les moyens nécessaires pour faire face aux évolutions des menaces, en Europe et dans le Monde.
Ainsi, les dépenses de défense néerlandaises sont passées de 8,5 Md€ et 1,2 % du PIB en 2017, à 22 Md€ et 1,9 % du PIB en 2024, permettant notamment aux armées de lancer plusieurs programmes majeurs, comme l’extension de la flotte de chasse passée de 36 à 52 F-35A, le remplacement des frégates ASM de la classe Karel Doorman et des chasseurs de mines Tripartite, la commande d’hélicoptères de manœuvre H225 M Caracal pour les forces spéciales, et, plus récemment, le lancement du programme pour le remplacement des sous-marins de la classe Walrus par 4 sous-marins Blacksword Barracuda.
La Revue Stratégique 2024 veut préparer les armées néerlandaises à une confrontation directe ou larvée avec la Russie et la Chine
La Revue Stratégique 2024, qui vient d’être publiée par le ministère de la Défense néerlandais, constitue le cadre qui permettra de structurer et d’achever cette transformation profonde des armées du pays.
Celle-ci est construite autour des évolutions des menaces, en Europe et dans le Monde, et plus spécifiquement, sur deux scénarios principaux, une confrontation entre l’OTAN et la Russie, d’une part, à la suite d’une offensive russe contre un ou plusieurs pays membres de l’Alliance, et d’autre part, une confrontation sino-américaine dans le Pacifique autour d’une tentative d’annexion de Taïwan par l’APL.
Pour le ministère de la Défense néerlandais, les risques d’une prochaine confrontation entre l’OTAN et la Russie sont désormais élevés, et doivent être pleinement pris en compte, pour que l’alliance soit suffisamment dissuasive afin d’éviter un passage à l’acte de la part des autorités russes.
Outre le renforcement des capacités militaires néerlandaises engagées dans le cadre de l’OTAN, la nouvelle Revue Stratégique met l’accent sur la position particulière du pays qui, par ses ports, pourrait devenir une plateforme centrale de l’envoi de renforts venus des États-Unis ou du Canada, faisant des infrastructures néerlandaises des cibles majeures pour les armées russes.
Au même titre, la RS2024 considère qu’un conflit entre les États-Unis et la Chine touchera pleinement la sécurité du pays, que ce soit parce que son économie est directement liée à celle des États-Unis, ou en raison du probable retrait des troupes américaines d’Europe dans un tel scénario, pouvant créer un appel d’air dangereux face à la Russie, par ailleurs alliée de la Chine.
De fait, la Revue stratégique néerlandaise n’exclut pas la nécessité d’envoyer des forces aux côtés des armées américaines dans le Pacifique, pour le Royaume, et plus largement pour plusieurs pays européens partageant les intérêts de La Haye dans la stabilité de ce théâtre et de l’économie américaine,
Outre ces scénarios d’engagements directs, la Revue Stratégique étudie d’autres scénarios de guerre hybride menée, al encore, par la Russie et/ou la Chine, contre elle-même ou ses voisins, au travers de campagnes de manipulation, d’attaques cyber, voire de sabotages, ou par l’instrumentalisation d’autres acteurs, notamment en Afrique, en Amérique du Sud, dans les Caraïbes ou au Moyen-Orient, pour lancer des campagnes de stabilisation, par exemple, en instrumentalisant les flux migratoires, contre les Pays-Bas et l’Europe.
De fait, dans son diagnostic, la Revue Stratégique 2024 néerlandaise constitue un document de synthèse sans concession, sur la réalité des menaces contre lesquels le pays, et plus largement, l’Europe, doivent se préparer, insistant à plusieurs reprises sur le fait que l’efficacité des postures militaires et politiques, qu’il s’agisse de dissuader ou contrer l’adversaire, repose avant tout sur la cohésion européenne au sein de l’Alliance et de l’Union européenne.
Les armées néerlandaises vont gagner en masse et en résilience, dans les années à venir
Bien que ce ne soit pas spécifiquement la fonction du document, la Revue Stratégique 2024 donne plusieurs informations sur certains des programmes d’équipements, ainsi qu’en matière d’infrastructures et de ressources humaines, qui seront financés grâce à une nouvelle augmentation du budget des armées de plus de 10 %, afin d’atteindre 24 Md€ et de dépasser les 2% de PIB.
2 nouvelles frégates ASM, 6 F-35A et 6 NH-90 NFS supplémentaires, et un bataillon de chars pour les armées néerlandaises
Ainsi, le programme de frégates de lutte anti-sous-marine, codéveloppé avec la Belgique, et destiné à remplacer les deux frégates ASM de la classe Karel Doorman de la Marine néerlandaise, sera porté à quatre unités, pour une flotte d’escorteurs de haute mer homogène forte de quatre frégates à vocation ASM, et 4 à vocation antiaérienne, les frégates de la classe De Zeven Provicien.
La flotte d’hélicoptères NH90 de lutte anti-sous-marine, destinée à opérer notamment à bord de ces nouveaux navires, sera, elle aussi, étendue de six exemplaires. Conçu et construit par Airbus hélicoptère, Leonardo et Fokker, le NH90 NFH (NATO Frigate Helicopters), est un des meilleurs, si ce n’est le meilleur hélicoptère de lutte ASM aujourd’hui, disposant d’une excellente autonomie associé à une importante capacité d’emport, et de senseurs très performants.
La flotte de chasse néerlandaise sera, elle aussi, étendue par 6 F-35A supplémentaires, qui seront répartis au sein des trois escadrons de chasse, afin d’en accroitre le potentiel opérationnel et la disponibilité immédiate.
Il s’agira de la troisième commande supplémentaire de ce chasseur américain par les Pays-Bas, après celle de 9 appareils en 2018, puis de 6 autres en 2022, amenant la flotte prévue en 2013 de 37 appareils à 58 chasseurs. À noter qu’en 2010, les Pays-Bas avaient initialement commandé 85 F-35A pour 5,5 Md€, avant de ramener cette commande à 37 appareils, une fois la réalité du prix d’achat des chasseurs devenue incontournable.
Enfin, l’Armée de terre néerlandaise retrouvera un bataillon de chars lourds, très certainement des Leopard 2A8, ou la version suivante encore désignée AX aujourd’hui, pour amener sa brigade d’infanterie lourde au standard requis par l’OTAN. En outre, le véhicule de combat d’infanterie CV90 seront modernisés, tout comme les APC Boxer 8×8, qui verront en particulier leurs tourelles légères remplacées par une tourelle armée d’un autocanon et de missiles antichars.
9000 militaires supplémentaires par an à partir de 2029
À l’instar de toutes les armées occidentales, les armées néerlandaises ont été marquées par le conflit en Ukraine, sa capacité à durer, et l’immense cout humain et matériel qu’il engendre. La Revue Stratégique évoque en particulier les actions à venir, et les pistes étudiées, pour accroitre la masse des armées, spécialement dans le domaine des ressources humaines.
L’objectif affiché est d’accroitre, à partir de 2009, les effectifs de 9000 hommes et femmes par an, ceci concernant les militaires d’active, mais surtout les réservistes, au sujet desquels un grand effort de recrutement et de fidélisation sera réalisé dans les années à venir.
En outre, le document, s’il écarte un éventuel retour à un service militaire obligatoire, comme pendant la guerre froide, évoque plusieurs pistes qui seront explorées pour accroitre les effectifs des armées, en particulier en temps de guerre ou de tensions. Si l’exemple scandinave de conscription choisi est évoqué, il apparait qu’un modèle de service national basé sur le volontariat semble devoir être privilégié.
Préparation des infrastructures, de la résilience civile et sourcing européen des équipements
Enfin, la Revue stratégique 2024 néerlandaise consacre un volet à l’adaptation et l’évolution des infrastructures, militaires et civiles, nécessaires à l’évolution du format des armées, mais également destinées à accueillir et fluidifier le transit des forces alliées vers l’Est, et, plus généralement, pour le durcissement de toutes les infrastructures critiques du pays, qu’elles soient physiques ou numériques.
Comme en Suède, La Haye semble vouloir impliquer plus amplement la population dans la résilience de la nation, que ce soit au travers de différents programmes de communication, mais également en augmentant sensiblement la porosité entre armées et société civile, notamment au travers de la Réserve et du retour possible d’une forme de service militaire.
Enfin, la Revue Stratégique met l’accent sur la soutenabilité de l’effort militaire dans la durée. Ainsi, le dogme du prix le plus bas ne sera plus dominant dans les programmes d’équipements de défense, et une priorité sera donnée aux équipements néerlandais, d’abord, et européens, ensuite, avec pour objectif de garantir le soutien industriel, y compris en temps de crise, et d’étendre la base industrielle défense nationale et européenne, précisément pour les mêmes raisons.
Un exemple pour les armées d’Europe de l’Ouest, et spécialement pour la Belgique
En bien des aspects, l’effort de reconstruction des armées néerlandaises, aura été jusqu’ici exemplaire en Europe de l’Ouest, loin des circonvolutions de nombreux autres pays, pour expliquer qu’ils n’atteindront pas l’objectif de 2% en 2025.
Surtout, contrairement à beaucoup de ces pays, exception faite de la Grande-Bretagne et de la France, il apparait que les décisions prises et efforts produits par La Haye, ces sept dernières années, ont avant tout visé à renforcer ses capacités militaires, et non simplement à étendre le potentiel industriel défense du pays, même si beaucoup de travail reste à faire dans ce domaine.
On comprend, dès lors, pourquoi l’ancien premier ministre néerlandais, Mark Rutte, a été désigné pour prendre la succession de Joan Stoltenberg comme Secrétaire général de l’OTAN, et pourquoi, pour la première fois, un officier néerlandais a pris le commandement du Multinational Battlegroup de l’OTAN en Lituanie.
Reste que la trajectoire néerlandaise accroit aussi le contraste vis-à-vis d’autres pays, plus prompt à investir dans leur propre industrie de défense que dans leurs capacités militaires opérationnelles, comme c’est le cas de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Espagne, et encore davantage concernant son voisin et partenaire privilégié, la Belgique, qui reste le pénultième pays de l’alliance en matière d’effort de défense avec seulement 1,3 % du PIB du pays, et l’objectif d’atteindre 1,7 % en 2030.
Il est probable que Bruxelles, coincé entre les Pays-Bas d’un côté, et la France de l’autre, par ailleurs ses deux principaux partenaires et alliés en matière de défense, n’aura d’autres choix, bientôt, que d’augmenter radicalement ses dépenses de défense, ce qui ne se fera pas sans heurts, alors que le pays est très endetté et en déséquilibre budgétaire chronique.
Article du 9 septembre en version intégrale jusqu’au 13 octobre 2024
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C’est une bonne tendance. Cependant, gardons un peu les pieds sur terre. Les Pays-Bas se sont enrichis non pas par une excellence technique particulière mais simplement par l’abaissement des droits de douanes et les exportations sans limites vers leurs voisins européens. Ils n’ont donc pas contribué à un enrichissement de l’Europe, ils n’y juste capté à leur seul bénéfice l’accroissement du commerce européen. D’où une situation financière avantageuse, résultante du libéralisme économique. Rien de prodigieux. Je serais curieux de voir leur position le jour où ils devraient tirer un coup de canon sur un cargo chinois, qui reste à ce jour la raison de leur prospérité. On ne passe pas de passager clandestin de la prospérité et de la sécurité européenne à monstre de vertu en un claquement de doigts. Certains actes sont posés, tant mieux. Mais les politiques non coopératives de l’Allemagne et des pays bas ont laissé des traces importantes.
En tant qu’ancien marin, je vous dirais que je ferais certainement plus confiance à la Marine néerlandaise qu’à certaines autres marines européennes, bien plus importantes de l’OTAN, s’il s’agissait d’aller au combat… Les néerlandais, c’est un peu comme les belges. Leurs gouvernements la ramène peu, mais leurs militaires font le job.
Petit retour en arrière:
Le responsable Pim Fortuyn politique d’extrême droite néerlandais a été assassiné dans les années 2000
Il était un opposant à la participation des Pays-Bas au programme du F-35 (Joint Strike Fighter). Il considérait ce projet comme un gaspillage de fonds publics et un mauvais choix stratégique pour les Pays-Bas. Selon lui, les milliards d’euros que le gouvernement prévoyait de dépenser dans l’acquisition de ces avions de combat auraient pu être mieux utilisés ailleurs, notamment pour renforcer les services publics ou d’autres priorités nationales.
En 2002, The Guardian avait publié un article mentionnant des hypothèses autour de l’assassinat de Fortuyn et son opposition au programme F-35. Certains spéculaient que ses positions contre ce projet pourraient avoir créé des tensions avec certains groupes influents, bien que rien de concret n’ait jamais émergé pour prouver un lien direct entre son meurtre et cette question.
Le vote fut acquis derechef!