C’est devenu récurrent depuis le mois de février 2022, et le début de l’invasion russe de l’Ukraine. À chaque nouvelle étape franchie par un pays allié de Kyiv, en matière de livraison d’armement, Moscou réplique en menaçant ce même pays, ou l’Ukraine, de faire usage de ses armes nucléaires.
Ces menaces n’ayant jamais été mises à exécution jusqu’à présent, les nouvelles menaces proférées par les seconds couteaux de Vladimir Poutine, font à présent rire sur les plateaux télé et sur les réseaux sociaux. Il en est un, toutefois, qui ne rie pas du tout, c’est le Pentagone.
Celui-ci sait parfaitement que le problème des lignes rouges, les vrais, c’est qu’on ne sait les avoir franchis, qu’une fois qu’il est trop tard. Surtout, l’arrivée de nouveaux vecteurs, plus rapides, et plus précis, ouvre désormais un vaste champ d’utilisation potentiel de l’arme nucléaire, craignant, de fait, un abaissement général du seuil nucléaire, même si le seuil stratégique, lui, demeure figé.
Sommaire
Le retour de la menace nucléaire désormais sensible sur plusieurs théâtres
À la fin de la guerre froide, les États-Unis et l’Union Soviétique disposaient, chacun, de 6000 têtes nucléaires prêtes à l’utilisation, réparties dans plusieurs dizaines de systèmes d’armes différents, allant de l’arme nucléaire tactique de quelques kilotonnes, du champ de bataille, aux missiles ICBM et SLBM armés de plusieurs têtes indépendantes de 100 kt ou plus, et aux bombes aéroportées de plusieurs mégatonnes.
Si, à ce moment-là, la menace stratégique était considérable, et avait le potentiel de rayer irrévocablement l’Amérique du Nord, l’Europe et une grande partie de l’Asie de la carte, ce potentiel destructeur était tel, et les armes à ce point imprécises et destructrices, que l’utilisation même de l’arme nucléaire, ouvrait systématiquement la porte à un emballement stratégique, synonyme de fin des temps.
Les vingt-cinq premières années ayant suivi cette période, ont, quant à elles, été marquées par la presque disparition de la menace nucléaire. Ainsi, à la fin des années 2000, la Russie ne parvenait pas même à maintenir un sous-marin nucléaire lanceur d’engins en patrouille, alors que les missiles chinois étaient, pour l’essentiel, des modèles largement obsolètes dont l’emploi semblait irréaliste.
Dès lors, la menace nucléaire, alors, se concentrait sur des théâtres secondaires, comme en Corée ou dans la confrontation Inde/Pakistan, et restait, pour l’essentiel, sous le contrôle des États-Unis.
Les choses ont considérablement évolué ces dix dernières années. Non seulement la Russie a-t-elle retrouvé une puissance stratégique et tactique très significative, avec 2000 têtes armant 1500 vecteurs modernisés, pour l’essentiel intercontinentaux, mais la Chine s’est engagée dans un immense effort pour se doter, à son tour, d’une puissance stratégique majeure, avec une flotte de 6 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, qui ne tardera pas à passer à 12 navires, plus de 400 silos pour missiles ICBM de nouvelle génération, et une vaste panoplie de missiles à moyenne portée et de vecteurs aéroportés.
Les nouvelles armes nucléaires définissent un seuil très différent de celui de la guerre froide
Surtout, les vecteurs ont considérablement évolués, ces deux dernières décennies, avec l’arrivée de missiles de très haute précision, ne nécessitant plus que des charges réduites pour atteindre leurs objectifs, et des armes très rapides, voire hypersoniques, capables de passer outre les boucliers antimissiles déployés çà et là.
Ces nouvelles armes, associées à la montée des tensions, en Europe, face à la Russie, et dans le Pacifique, face à la Chine et la Corée du Nord, tendraient à rendre plus probable, selon le Pentagone, l’utilisation d’armes nucléaires de faible puissance, censées ne pas franchir le seuil stratégique que tous redoutent, y compris au Kremlin et à Pékin.
Concrètement, le Pentagone estime que les différentes options que fournissent désormais les armes émergentes, en termes de précision comme d’effets, associés au renforcement des effets destructeurs globaux du seuil stratégique, pourraient redéfinir le seuil nucléaire non stratégique, et favoriser l’utilisation de ce type d’armes, y compris pour atteindre des objectifs qui, jusqu’à présent, auraient été traités de manière purement conventionnelle.
À cette évolution inquiétante du seuil nucléaire, s’ajoute l’augmentation du nombre de points de frictions, et l’intensité de ces frictions, rendant l’hypothèse nucléaire bien plus pressante, aujourd’hui, qu’elle ne l’était durant la guerre froide.
Le pentagone forme ses officiers à comprendre et agir face aux différents scénarios nucléaires
Alors que, durant la guerre froide, la question nucléaire était strictement réservée aux élites politiques et militaires, la nouvelle réalité, à ce sujet, aujourd’hui, exige que les officiers soient en mesure de réagir, soit pour éviter le franchissement des seuils, soit pour y répondre de manière appropriée, et ainsi éviter l’escalade et le franchissement du seuil stratégique.
C’est dans ce contexte que les Armées américaines ont entrepris de former leurs officiers, pour comprendre ces menaces, et pour y répondre de la manière la plus appropriée. C’est en tour cas ce qu’a indiqué le Lieutenant. Général André J. Gebara, chef de cabinet adjoint pour la dissuasion stratégique et l’intégration nucléaire, à l’occasion de la conférence de l’Air and Space Forces Association, qui s’est tenue dans la banlieue de Washington DC en début de semaine.
« Que se passerait-il s’il y avait l’utilisation d’une arme nucléaire de faible puissance en Europe ? Ou s’il y avait une démonstration de force employant une arme nucléaire, ou un essai nucléaire ?« , a-t-il évoqué pour soutenir son propos. » Et que se passerait-il, si nous venions à franchir une ligne rouge en INDOPACIFIQUE, sans que nous soyons au courant ?« , ajouta-t-il.
» C’est le genre de choses que nos combattants doivent comprendre dès le début. Il n’est pas nécessaire que ce ne soit connu qu’au niveau présidentiel« , a-t-il poursuivi, avant d’éclairer l’audience quant à la formation qui sera donnée aux officiers américains dans ce domaine.
Vers un abaissement inévitable du seuil nucléaire dans un avenir proche, et l’échec probable des mesures de non-prolifération
Quoi qu’il en soit, le propos du général Gebara, ne laisse guère de doutes, quant à la certitude, pour le Pentagone, qu’il faut s’attendre à un inévitable abaissement du seuil nucléaire dans un avenir proche, avec deux théâtres, l’Europe et le Pacifique occidental, et trois adversaires, la Russie, la Chine et la Corée du Nord, considérés comme les plus probables de franchir ce seuil.
Or, si le statuquo offert par la présente distribution des moyens nucléaires stratégiques, principalement aux mains des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies, venait à ne plus garantir la non-utilisation de toutes les armes nucléaires, y compris de faible intensité, il est très probable que de nombreux pays choisiraient l’option de se doter, eux aussi, d’armes nucléaires non stratégiques, afin de tenter de neutraliser cette menace.
Plusieurs pays, dont la Turquie, la Corée du Sud, ou encore l’Arabie Saoudite, ont déjà évoqué le sujet, chacun ayant des critères de décision propres à ce sujet, liés le plus souvent à la réalité des menaces régionales perçues, ou des objectifs politiques de leurs dirigeants.
On comprend, dans ces conditions, que de nombreux spécialistes des questions nucléaires et de proliférations, estiment que les risques d’utilisation d’armes nucléaires sont, aujourd’hui, bien plus élevés qu’ils ne l’étaient durant la guerre froide, et pourquoi le Pentagone forme ses officiers à savoir réagir dans de tels scénarios.
Article du 20 septembre en version intégrale jusqu’au 2 novembre 2024
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