samedi, décembre 14, 2024

GERAN-2 : Défense ukrainienne contre adaptation russe

Pour contrer le nombre croissant de drones Geran-2[1] envoyés par la Russie, l’Ukraine a mis en place une série de mesures de protection. Jusqu’à présent, cette stratégie a prouvé son efficacité mais les Russes adaptent également leurs tactiques en continu.

Selon une analyse statistique, en moyenne[2], seuls 13 à 14 % des Geran-2 atteignaient leur cible entre février et mai 2024, ce que les Russes ont jugé insuffisant malgré le volume d’engins déployés. En conséquence, ils ont travaillé à améliorer techniquement leurs drones et à adapter leurs doctrines d’emploi.

Depuis septembre 2024, le taux de réussite des drones semble effectivement avoir progressé. De leur côté, les Ukrainiens font face à un défi croissant dans cette guerre technologique, alors que certaines limites structurelles commencent à apparaître dans leurs propres capacités de défense.

Article partenaire proposé par CERBAIR, le leader français de la lutte anti-drone

Les 3 niveaux de la défense ukrainienne

La stratégie de défense de l’Ukraine face aux drones russes Geran-2 repose sur trois niveaux de protection, visant à limiter leur impact militaire autant que possible :

Le brouillage et le spoofing des signaux GNSS

Le premier niveau repose sur un large déploiement de brouillage et/ou de spoofing des signaux GNSS dès que les radars détectent l’approche de drones. Les zones de brouillage couvrent les différentes trajectoires possibles, souvent complexes, que ces drones peuvent emprunter.

Usine drones d'attaque Geranium-2
Production en grande série des drones Geranium par la Russie

Cette technique se révèle efficace pour désorienter les Geran-2 et les éloigner de leurs cibles, mais elle présente des inconvénients[1]. Tout d’abord, ce brouillage perturbe également les signaux GNSS pour tous les utilisateurs civils et militaires.

Si les particuliers peuvent percevoir cela comme une simple gêne (certains GPS affichant parfois des localisations erronées et éloignées comme la Turquie[2]), les convois logistiques peuvent rencontrer des difficultés à suivre des itinéraires sécurisés et praticables. Les unités d’artillerie et de drones sont également impactées : elles peuvent se retrouver dans l’incapacité d’utiliser certains équipements (obus et roquettes guidées, drones) ou voir leur précision réduite.

Enfin, bien que le brouillage empêche certains drones de réussir leurs frappes, il n’en dispense pas pour autant les défenseurs de devoir abattre les engins restants, sauf si ceux-ci sont déroutés suffisamment loin, voire en arrivent à sortir du territoire ukrainien comme cela arrive parfois.

Cependant, il reste toujours une incertitude quant à l’efficacité du brouillage, car il est difficile de connaître la cible réellement visée par chaque drone ; il faut aussi noter que, si un Geran-2 erre trop longtemps, il pourrait regagner le signal GNSS. Cette stratégie de brouillage reste donc surtout préventive, bien qu’efficace.

En outre, bien que le brouillage GNSS soit également utile contre les bombes planantes russes, il est souvent difficile de l’activer à temps pour ces armes. En effet, le délai entre la détection d’une bombe planante et son impact est généralement trop court pour engager les brouilleurs sur la zone. Par ailleurs, les radars ukrainiens ayant été éloignés de la ligne de front pour les préserver, la détection de ces bombes est d’autant retardée.

Les unités d’artillerie sol/air

Le second niveau repose sur des unités d’artillerie sol/air déployées pour abattre les drones s’approchant de zones particulièrement sensibles. Les systèmes les plus performants sont ceux équipés de radars, comme le ZSU-23-4 Shilka ou les Guepard allemands.

ZSu-23-4
GERAN-2 : Défense ukrainienne contre adaptation russe 10

Cependant, leur nombre limité oblige la majorité des unités d’artillerie sol/air à se contenter de mitrailleuses de calibre 12,7 mm, 14,5 mm et, de plus en plus souvent, de simples mitrailleuses de 7,62 mm qui, dans ce dernier cas, manquent de puissance pour garantir la destruction des drones.

L’efficacité de ces mitrailleuses reste limitée, surtout la nuit, où les tirs sont souvent orientés en fonction du bruit des drones et à l’aide de projecteurs. De plus, leur faible portée opérationnelle nécessite un nombre conséquent de ces unités pour espérer protéger une zone efficacement. Enfin, ces mitrailleuses ne peuvent viser que les drones volant à basse altitude, ce qui limite leur efficacité.

Les systèmes sol/air à base de missile

Le troisième et dernier niveau de protection repose sur les systèmes sol/air à base de missiles, qui détruisent les drones représentant les menaces les plus élevées ou volant trop haut pour être interceptés par l’artillerie.

Les Russes adaptent fréquemment l’altitude de vol de leurs drones en fonction des effets recherchés, avec des hauteurs variant de 35-50 mètres jusqu’à 4000-5000 mètres. Cela oblige les forces ukrainiennes à ajuster en permanence les systèmes utilisés en fonction de l’altitude de vol des engins.

De façon plus anecdotique, on peut noter que des hélicoptères et avions sont également utilisés pour détruire ces drones ; toutefois, en dehors des chasseurs, ces interventions ne sont possibles que de jour.

IRIS-T SLM faisant feu
GERAN-2 : Défense ukrainienne contre adaptation russe 11

L’ensemble de ces mesures a permis de réduire significativement l’impact militaire de ces drones. Cependant, les engins perdus, endommagés ou abattus retombent, ce qui entraîne des dommages collatéraux, particulièrement en milieu urbain où les infrastructures civiles sont souvent touchées.

Par ailleurs, certains drones finissent par s’écraser hors des frontières ukrainiennes, soulevant des interrogations pour les pays affectés. Il est alors difficile de déterminer si ces incidents sont intentionnels de la part de la Russie, s’ils résultent d’une erreur ou bien d’un accident lié aux actions de brouillage et de spoofing des signaux GNSS.

Les adaptations russes

Il est évident que l’adversaire ne reste pas passif : les forces russes observent attentivement l’efficacité de leurs frappes en fonction des moyens déployés et des contre-mesures prises par l’armée ukrainienne. Devant le faible taux de réussite enregistré au début de 2024, les forces russes ont ajusté leur stratégie en appliquant divers correctifs.

Lutter contre le brouillage GNSS 

Les Russes semblent avoir identifié le brouillage GNSS comme le principal facteur limitant l’efficacité des drones Geran-2. En effet, même si ces vecteurs échappent aux systèmes de défense sol-air, ils échouent à atteindre leur cible si leur précision de localisation est insuffisante.

Jusqu’à récemment, les Geran-2 étaient équipés du réseau d’antennes adaptatives GNSS Comet P8, doté de huit éléments d’antennes capables de recevoir les signaux GNSS GPS L1 et GLONASS L1. Cette configuration permettait de réduire les effets du brouillage en rétrécissant le faisceau d’antenne vers le haut, rendant ainsi les drones moins sensibles aux interférences latérales.

Cependant, cette solution n’étant pas encore optimale, un nouveau modèle d’antenne, le Kometa R8, a été installé. En plus des bandes GNSS L1, cette antenne couvre également les bandes L2 et L5, améliorant ainsi la résilience au brouillage. Cette solution très directive présente néanmoins un inconvénient : lors de la phase d’attaque en plongée, le faisceau, trop étroit, limite la réception des signaux GNSS avec un angle d’incidence de 45°, entraînant une perte de précision dans la phase finale de l’attaque.

Pour pallier ce problème, les ingénieurs russes envisagent d’intégrer le système d’antenne Stena E8, qui dispose de neuf antennes positionnées en cercle permettant un pilotage du faisceau plus flexible, même durant l’attaque, tout en couvrant davantage de bandes GNSS.

Stena-E8
Stena E8

D’autres options sont également à l’étude, comme l’antenne CRPA NUT16 AR16L à 16 éléments, qui fonctionne uniquement sur la fréquence L1, ou le système SENA-E9 à 12 antennes, spécialement conçu pour contrer le spoofing

SENA-E9
SENA-E9

Ainsi, les Russes espèrent accroître considérablement la résilience des Geran-2 face aux brouillages, assurant une continuité de réception jusqu’à l’atteinte des objectifs.

Augmentation du nombre de vecteurs 

Selon le président ukrainien[3], la Russie aurait lancé dix fois plus de drones Geran-2qu’à l’automne précédent. Pour le seul mois d’octobre 2024, pas moins de 2 023 engins de ce type ont été envoyés contre l’Ukraine, portant le total depuis le début de l’année à 6 987. La production de Geran-2 est également passée de 500 unités par mois en début d’année à 600 par mois depuis août 2024, avec pour objectif d’en produire jusqu’à 6 000 d’ici la fin de l’année.

Cependant, cette hausse de production ne suffit pas à expliquer l’augmentation spectaculaire du nombre d’attaques qui dépasse désormais régulièrement la centaine de drones envoyés chaque nuit. En plus des Geran-2, les forces russes produisent et lancent également des drones Gerbera, considérés comme des « mini-Geran ».

Ces appareils partagent des performances similaires mais embarquent une charge militaire plus légère, pour un coût inférieur à 10 000 $ l’unité[4]. Les Gerbera existent en trois versions : une version « kamikaze », une version dédiée à la guerre électronique équipée de capteurs de renseignement et une version leurre sans charge militaire. 

Gerbera
Drone Gerbera

Les Russes utilisent également des drones leurres de type Parody, très bon marché[5]dont le coût  serait compris entre 1000 et 1300 $ pièce pour une autonomie de 600 km. Équipés d’une lentille de Luneberg pour augmenter leur signature radar, ces petits drones sont conçus pour attirer l’attention de la défense anti-aérienne et épuiser les ressources ukrainiennes en déviant les tirs vers eux.

Même s’ils sont détruits par de l’artillerie anti-aérienne, moins chère que les missiles, le très faible coût de ces leurres fait que cela reste très rentable pour épuiser la défense aérienne adverse. A titre indicatif, le coût d’un drone Parody est équivalent à celui d’une dizaine d’obus de 30 mm, d’une vingtaine d’obus de 23 mm ou d’environ 160 cartouches de 12,7 mm. 


[1]    https://www.cerbair.com/articles/brouillage-gnss-une-arme-a-double-tranchant

[2]    https://web.telegram.org/a/#-1001694108014_363151

[3]    https://www.twz.com/news-features/russia-firing-record-number-of-shahed-136s-at-ukraine

[4]    https://www.drone-actu.fr/drone-militaire/gerbera-le-drone-militaire-low-cost

[5]    https://english.nv.ua/nation/parody-russians-use-a-new-type-of-uav-to-imitate-the-shahed-what-is-known-50465488.html


[1]    https://www.cerbair.com/articles/geran-2-du-missile-low-cost-a-la-munition-rodeuse

[2]    https://isis-online.org/isis-reports/detail/update-alabugas-production-rate-of-shahed-136-drones


Cet article vous a été proposé par CERBAIR, le spécialiste français de la lutte anti-drones

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3 Commentaires

  1. Merci pour ce panorama très complet sur les contre-mesures actuelles contre les drones de ces types. Une question me vient régulièrement à l’esprit –> pourquoi les systèmes GNSS (Global Navigation Satellite System) n’intègrent-ils pas une authentification robuste ? Cela pourrait régler de manière définitive le problème du spoofing et en limiter l’usage de nos compétiteurs. La mise en place d’un système basé sur des identifiants uniques pour chaque émetteur et récepteur ne semble pourtant pas insurmontable d’un point de vue technique. Il existe aussi la possibilité d’utiliser des centrales inertielles pour contrer le brouillage mais je suppose que leur coût élevé rend sans doute cette solution peu adaptée pour les drones cités ici? Peut-être qu’un expert dans ce domaine, qui passerait par ce très bon site, pourra éclairer ces points.

  2. Dommage que le sponsoring de l’article nous fasse passer a coté d’une autre couche qui marche très bien et donc le youtubeur Tytelman s’est fait le rapporteur. Des patrouilles en pick up avec de la 50 mm ou de la 7.62 et des spots d’éclairage.

    Le systeme est basique mais au final assez efficace selon les temoins de cette vidéo.

    • Relisez l’article. C’est traité. Le but ici n’est pas de servir de porte-voix à la propagande ukrainienne, ni à la propagande russe d’ailleurs. Si c’était efficace, il n’y aurait pas une telle augmentation des taux d’impact des drones. J’avoue avoir assez la dent dur contre ces voix qui portent avec vigueur la propagande ukrainienne, aussi absurde qu’elle puisse être, car je considère qu’ils sont en grande partie responsables de la baisse du soutien à l’Ukraine dans l’opinion publique en France, et plus largement, en occident.

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