vendredi, septembre 5, 2025

La France s’appuie-t-elle trop sur sa dissuasion nucléaire pour assurer sa sécurité stratégique ?

Il n’y a de cela que quelques années encore, l’hypothèse qu’un pays disposant d’une dissuasion nucléaire, puisse être attaqué militairement, sur son territoire, par une autre puissance militaire qui, elle, n’en serait pas dotée, semblait tenir du fantasme, ou plutôt du cauchemar.

Depuis trois ans, maintenant, il semble que nombre de ces certitures, qui entourait le rôle et l’efficacité de la dissuasion, particulièrment en France, aient été taillés en brèche, que ce soit par le conflit en Ukraine ou ceux au Moyen-Orient et en Asie.

Dans le même temps, une nouvelle menace stratégique conventionnelle cette fois, et non nucléaire, a fait son grand retour dans les engagements militaires, sur fonds de technologies numériques, spatiales et de fabrication industrielle, permettant de produire en grande quantité, et pour un cout ne reprenant qu’une fraction de celui des missiles de croisière actuels, des capacités de frappes conventionnelles à longue portée.

Susceptibles de mettre à genoux un pays développé, en détruisant une grande partie de ses infrastructures d’intérêt stratégique en quelques jours seulement, ces moyens sont à présent accessibles à un grand nombre de nations, sans que la dissuasion nucléaire puisse y répondre, et donc l’empêcher.

La question qui se pose, alors, est de savoir si la France, qui a beaucoup misé sur cette dissuasion nucléaire, est effectivement exposée à ces nouvelles menaces ? Qu’en est-il des pays européens qui souhaitent être, eux aussi, protégés par la dissuasion française ? Enfin, quels seraient les moyens nécessaires pour y répondre et, ainsi, disposer d’une dissuasion étendue contre toutes les menaces symétriques sur le sol national ?

La dissuasion nucléaire, un outil unique et indispensable à la France et à l’Europe

Comme le montrent les discussions récentes, en Europe, au sujet de l’extension potentielle de son périmètre à d’autres pays alliés, avec le spectre d’un éventuel retrait des États-Unis de ce théâtre, la dissuasion française représente, aujourd’hui, un enjeu stratégique et central, tant pour la sécurité du pays que celle du continent.

Dissuasion nucléaire missile M51
Le missile SLBM intercontinental M51 arme les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins français de la classe Triomphant.

En effet, face à la menace d’un pays disposant de près de 1600 vecteurs nucléaires, les quelque 250 à 300 têtes nucléaires tricolores, emportées par ses quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins et ses deux escadrons de frappe stratégique, représentent une capacité nécessaire, mais aussi suffisante, pour contenir la menace nucléaire de n’importe quel adversaire, y compris les plus lourdement armés dans ce domaine.

Rappelons, à ce titre, que contrairement aux rapports de forces conventionnels, qui reposent presque exclusivement sur la comparaison des moyens détenus entre les parties, pour déterminer un résultat probable, et donc, envisager leur utilisation, l’efficacité des armes nucléaires reposent, elle, sur des effets de seuils.

Ainsi, bien qu’ayant huit fois moins de têtes nucléaires actives que la Russie, la France dispose, toutefois, d’un potentiel de destruction représentant de 50 à 75% de la population et 80 à 100% des 62 grandes villes russes de plus de 300,000 habitants, sans que les systèmes antimissiles de l’adversaire soient en mesure de s’y opposer, autre que marginalement.

En d’autres termes, si la Russie peut éliminer 38 fois les 42 villes de plus de 100,000 habitants françaises, elle aura, en retour, la certitude d’y perdre ses 62 villes de plus de 300,000 habitants, et avec elles, son économie et sa structure sociale et politique. Même en étendant le périmètre de la dissuasion française à l’ensemble de l’Union européenne, soit 90 villes de 300,000 habitants ou plus, les destructions potentielles pour la Russie (ou la Chine, ou les États-Unis, peu importe l’adversaire potentiel), sont telles, qu’elles éliminent toute possibilité de victoire, pour l’assaillant.

Il s’agit, en effet, du fondement de la dissuasion française, et de son dimensionnement, qui reposent sur le principe de la stricte suffisance, c’est-à-dire atteindre le seuil au-delà duquel un adversaire n’a plus aucun intérêt à user de ses armes nucléaires contre la France ou ses alliés stratégiques, sans y perdre bien plus que soutenable.

autonomie stratégique Mirage IV
L’Armée de l’Air a reçu 62 Mirage IV.

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10 Commentaires

  1. Excellent papier, comme d’habitude. Les moyens industriels, techniques, financiers, nous les avons. Les décideurs….restent amarrés dans leur zone de confort: « mondialisation heureuse + dividendes de la paix ». Cela vaut pour nos militaires, « souples et félins », nos pilotes (excellents, au demeurant) qui ont perdus l’habitude de mourir au combat, etc. Ce qui est rare, dans votre article, c’est le catalogue des cibles, pour une fois explicite. 200 data center? Adieu haut débit, carte bleue, france connect, amazon, Max et netflix, déclaration en ligne… et communication sécurisée justice, force de l’ordre..nous sommes à genoux. Sans frappes anti-cités ( la déontologie de ce concept est à vomir, voir ce qui se passe à Gaza en ce moment). Bonne journée.

    • bonjour, juste une petite réserve sur les militaires qui ont perdu « l’habitude » de mourir au combat. comme l’on ne meurt qu’une fois, il est difficile d’en prendre l’habitude. modérez quand même vos propos car pour ma part j’ai malheureusement vu des camarades tomber, et ce n’est pas comme sur canal+ ou à la fin de la prise les morts se relèvent. bonne journée néanmoins !

  2. Bonjour Fabrice, petite coquille :
    « Or, l’Armée de l’air et de l’Espace ne prévoit de disposer, en tout et pour tout, d’ici à 2032 ou 2035, que de douze batteries antiaériennes SAMP/T NG à longue portée et capacités antibalistiques, ainsi que de 12 batteries antiaériennes à courte et moyenne portée VL MICA, pour défendre le ciel français, ainsi que pour protéger les forces stratégiques, prioritaires DANS CE domaine, et les forces armées engagées au combat. »

    Bonne semaine !
    RS

  3. Merci pour cet article très pertinent, cela vaut la peine d’insister sur ce sujet régulièrement. La résilience devrait effectivement devenir un axe de réflexion majeur notamment pour la protections de nos moyens militaires et des infrastructures énergétiques et industrielles. Quelques exemples :
    – rétablir un maillage cohérent de bases aériennes pour couvrir le pays
    – disposer d’un chasseur léger furtif mais peu coûteux pour la défense aérienne, les dom-tom et l’appui de petites opex (avec notamment des missiles air-air low-cost)
    – installer l’industrie de défense dans le périmètre de protection des bases aériennes
    – renforcer nos emprises militaires en tenant compte des risques et en enterrant une partie des installations. Exemple : casernement extérieur pour la vie courante, mais larges bunkers sous-terrains pour abriter les troupes en cas de tension où accueillir les réservistes ponctuellement / hangars enterrés sur les camps de manœuvre pour y abriter les matériels / nouveaux abris bétonnés pour les avions de combat / entretien de bases aériennes « de desserrement » (anciennnes bases des années 80) pour y répartir les appareils en cas de tension… Cela ferait un bon plan de relance pour le BTP…

    Je me demande depuis longtemps ce qui se passerait avec un sous-marin russe tirant une salve de missiles de croisière sur Mont de Marsan depuis le golfe de Gascogne, ou une équipe de forces spéciales russes tirant au mortier de 120mm des obus guidés laser depuis une villa toulonnaise avec vue sur le porte-avions… Ou un porte-conteneurs qui passe dans la manche et lache quelques centaines de drones vers la région parisienne…

  4. @Fabrice Wolf
    Analyse très pertinente. A part vous, hélas, pas grand monde pour tirer les leçons du changement de paradigme qu’introduit l’apparition des drones suicide low cost à très longue portée. Peut-être un espoir avec la prochaine mise à jour de la revue stratégique ?
    Pour revenir à l’article, avez vous une estimation, ou un ordre de grandeur, du nombre de systèmes antiaériens qui seraient nécessaires pour établir le 1er et le 2nd rideau défensif ? Est-ce vraiment réaliste et à notre portée ? Ne faudrait-il pas imaginer d’autres moyens de défense antiaérienne plus efficients ? (Drones antidrones, capteurs et lasers placés sur des ballons stationnaires ou évoluant à très haute altitude…)

    • cela demanderait une étude assez approfondie, qui deprendra de nombreux arbitrages et des technologies disponibles. Je pense notamment au programme Pilum de railgun qui peut apporter de réelles plus-values immenses dans ce domaine. Si on devait simplement proteger en perimetrique l’hexagone et la corse, il faudrait autour de 35 SAMP.T NG et autant de VL MICA, qui seraient positionné entre et en arriere des SAMP.T. C’est donc 15 Md€. a cela, il faut ajouter 1 SAMPT par grande ville de plus de 300,000 habitants, et 3 pour Paris, et 1 MICA par ville de 100 à 300k, soit 10 SAMPT et 34 VL MICA, soit 8,5 Md€ supplémentaires. Enfin, il y a les systèmes de guerre electronique. C’est donc une enveloppe de 25 à 30 Md€, sur ces arbitrages, q’il faut prevoir.
      En revanche, si on a un railgun par tranche de 20 km en périmétrique,et si on compte large pour le prix du système 50 m€, il en faudrait 200 pour cercler la france et la corse, deux par ville de 100 à 300, soit 270 systèmes et 13,5 Md€. On ne coupe pas aux 10 SAMPT pour les villes de plus 300 pour les menaces balistiques 3,5 Md€) et à ma guerre elec, mais le cout total passe autour de 20 à 22 Md€. et j’ai prix un railgun super super cher (plutot le prix d’une batterie de 6 systèmes, à 50 m€)
      Enfin, on peut prendre l’option du mur de drones, qui coute encore moins cher, contre les drones d’attaque, mais qui ne sera pas efficace contre les croisière supersonique ou les balistique.
      A cela, il faut ajouter au moins 10 à 15,000 drones d »ataque à longue portée (disons 100k€ quand fabriqué par la BITD fr), et 1000 balistiques et croisière (2 m€ par munition), soit soit 3,5 à 4 Md€, pour le volet offensif.
      Dans tous les cas, traiter cette menace, c’est donc depenser 2,5 à 3 Md€ par an pendant 10 ans au moins.
      Il faudra, en outre, les faire evoluer et les moderniser. donc c’est une depense glissante. Cela dit, meme declassé pour la protection de la france face à la Russie, ces systèmes auraient certainement de la valeur pour d’autres pays. Donc on peut imaginer un modèle de soutenabilité budgétaire assez efficace, pour un cout résiduel qui ne devrait pas depasser 1,5 Md€ par an.

  5. L exemple de la Russie et de la Turquie montre qu il n’est pas necessaire d’avoir une situation économique florissante pour développer des fortes capacités militaires, voir même l’industrie de l’armement peut tirer l’économie globale

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