Depuis plusieurs semaines, la Russie a intensifié le nombre et l’intensité des frappes stratégiques conventionnelles contre l’Ukraine, mobilisant simultanément plusieurs centaines de drones et des dizaines de missiles de croisière ou balistiques. L’ampleur et la régularité de ces attaques, visant aussi bien les infrastructures énergétiques que les centres logistiques et militaires, témoignent d’une volonté de saturation qui dépasse largement le cadre des seules opérations tactiques.
Dans le même temps, l’incursion d’une vingtaine de drones russes Geran en territoire polonais, présentée comme accidentelle par Moscou, a fait émerger une inquiétude d’une tout autre nature. Car cet épisode ne ressemble pas à une bavure technique, mais bien davantage à une levée de doute stratégique, destinée à observer la réaction des Européens et des Américains face à une violation volontaire de l’espace aérien de l’OTAN.
Dès lors, une question centrale s’impose : assistons-nous à un simple durcissement ponctuel des opérations russes, ou bien à un véritable basculement doctrinal, par lequel Moscou chercherait à faire de l’arme conventionnelle de frappe stratégique – drones et missiles – son levier principal de coercition et de dissuasion face à l’Europe, en complément de son arsenal nucléaire ?
Sommaire
La montée en puissance des frappes stratégiques conventionnelles russes depuis 2022
Depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022, l’armée russe a progressivement fait évoluer sa doctrine d’emploi des frappes conventionnelles à longue portée. Au départ, l’usage de drones Shahed-136 iraniens, rebaptisés Geran-2 par Moscou, et de missiles de croisière Kh-101 ou Kalibr relevait surtout d’un emploi opportuniste. Ces vecteurs étaient employés de manière sporadique, en riposte aux revers enregistrés sur le terrain, ou pour marquer symboliquement la profondeur stratégique ukrainienne.

Dès 2023, toutefois, une rupture s’opère. Les frappes isolées laissent place à des campagnes coordonnées, combinant drones en essaims et salves de missiles balistiques Iskander-M ou de croisière lancés depuis la mer Noire et la mer Caspienne. L’objectif devient manifeste : saturer les défenses sol-air ukrainiennes et user leurs stocks de missiles occidentaux. Comme le souligne le Royal United Services Institute (RUSI), « la Russie a cherché à imposer une guerre d’attrition aérienne, dans laquelle chaque interception coûte plus cher à Kiev et à ses alliés qu’à Moscou ».
Ce basculement se traduit aussi par une montée en cadence industrielle. Alors que les sanctions occidentales visaient à limiter la production de missiles de précision, Moscou a réussi à contourner une partie des restrictions grâce à l’importation parallèle de composants électroniques depuis l’Asie centrale, le Moyen-Orient et la Chine. Un rapport du Center for Strategic and International Studies (CSIS) montre que la Russie a mis en place une véritable « économie grise » des semi-conducteurs, lui permettant de maintenir un flux mensuel régulier de missiles malgré les sanctions.
Dans le domaine des drones, la coopération avec l’Iran s’est révélée décisive. Le site d’assemblage d’Alabuga, documenté par le Washington Post, produit désormais plusieurs milliers de Shahed/Geran par mois, transformant un système initialement importé en une capacité industrielle domestique. À l’automne 2024, les frappes massives atteignent un seuil inédit : plusieurs centaines de drones lancés en une seule nuit, accompagnés de dizaines de missiles, démontrant une capacité de production et de stockage bien supérieure aux estimations initiales occidentales.
En conséquence, la Russie dispose aujourd’hui d’un outil de frappe conventionnelle systématique et massif, capable de maintenir un rythme soutenu. Selon l’International Institute for Strategic Studies, Moscou a produit ou remis en ligne environ 2 500 missiles de précision en 2024, tout en livrant des volumes croissants de plusieurs dizaines de millier de drones Geran-2 et de munitions rôdeuses. Cette dynamique confirme que, malgré les sanctions et les pertes, l’économie de guerre russe a réussi à pérenniser une capacité de frappe à moyenne portée qui devient centrale dans sa stratégie.
Le réveil européen et l’impasse du bras de fer conventionnel
Jusqu’en 2023, Moscou considérait encore que sa supériorité en matière de forces conventionnelles lourdes resterait décisive face à l’Europe. Une armée de 1,5 million d’hommes, appuyée par 3 000 à 5 000 chars remis en ligne, près de 1 500 avions de combat et plusieurs centaines de systèmes d’artillerie, semblait alors suffisante pour garantir un avantage opérationnel dans un affrontement majeur. Comme l’a rappelé l’OSW de Varsovie en début d’année 2024, la Russie apparaissait capable de régénérer un outil conventionnel de masse, malgré les sanctions, en s’appuyant sur ses stocks hérités de l’URSS.

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Ça ressemble à une défaite Russe en rase campagne. L’attitude d’un roquet change lorsqu’ils se prends une tatane.
Se défendre contre des drones ne signifie pas forcément les intercepter. Cela signifie envoyer la sauce.
Si nous manquons de force d’âme et de fermeté, alors oui, on aura un problème.
c’est de la simple arithmétique. Tant que la Russie pouvait rassembler 5000 ou 6000 chars et 700/800.000 hommes face à 150,000 européens, ils avaient l’avantage.Maintenant que les européens sont en trajectoire pour rassembler 500,000 h et 3500 chars, c’est plié, ils ne peuvent plus rien faire en Europe de cette manière.
Cela dit, contrer la menace de 200 ou 300,000 drones et 5000/6000 missiles en première frappe, est autrement plus complexe que de construire 1000 K2 et 1500 Loepard 2 et KF51…
Il faut que l’Europe achète des drones intercepteurs de drones à l’Ukraine pour avoir une défense anti aérienne efficiente face aux drones russes, les ukrainiens sont les seuls à pouvoir fournir ces types de drones à l’Europe en quantités. Les systèmes d’artillerie anti aérienne semblent aussi une bonne solution, comme le systeme Skyranger de Rheinmetal. En France Thales fait le Rapidfire terrestre mais sa munition airbust n’est pas encore au point. Les ukrainiens ont aussi développé le SkySentinel.
La solution idéal serait sûrement :
– première couche : artillerie anti aérienne
– deuxième couche : drones intercepteurs
– troisième couche : missiles de défense antiaériens pour les drones qui ont pu passer les deux premières couches
Divergences internes européennes, réactions d’une lenteur exemplaire, manque de c…… et de courage/détermination etc…..
Il faudra qu’une vraie salve meurtrière vienne
Perturber les européens et l’Otan pour qu’on réagisse vraiment ?
C’est terrible mais c’est comme cela !!!
Très intéressant comme article, merci!
Je m’inquiétais un peu de ne pas vous voir poster depuis le 5/09. Toujours sur votre wargame?
@Fabrice Wolf
Et si la solution, c’était « simplement » que l’Europe se dote symétriquement d’une capacité de frappe par drones low cost à longue portée ? Le coût serait peu élevé, au regard des programmes d’armement en cours en Europe. Et cela ne coûterait probablement qu’une fraction du coût investi dans les moyens de lutte antidrones. Le fait de disposer de stocks de dizaines de milliers de drones, et surtout de l’outil industriel pour les produire en masse, pourrait annihiler rapidement l’avantage comparatif russe.
le probleme c’est la profondeur stratégique de la Russie, que nous n’avons pas. avec des drones ayant une portée de 2500 km, ils atteignent lisbonne. Nous on ne passe pas l’Oural….
Certes. Mais avec des drones rustiques de 3000km de portée, on couvre quand même largement tout l’ouest de la Russie depuis l’Est de l’Europe. De quoi constituer une nuisance insupportable.
Encore une fois, le but ne serait pas d’utiliser de tels drones pour des frappes en premier. Simplement de dissuader en montrant qu’ils existent et qu’ils pourraient servir si besoin…
Wagner avait promis ca a Hitler en 1942. Les Do-17 et Ju-88 avaient l’allonge suffisante pour écraser sous les bombes l’essentiel de l’outil industriel soviétique. Staline a fait deplacer les usines à l’est de l’Oural. et les allemands ont perdu…
(qui sait qui est Wagner ?)
Rudolf ou Edmund, deux RitterKreuz de la Luftwaffe abattus sur le front de l’Est ? Ou une autre croix, bien plus dodue, probablement amoureux des opéras de Richard W, et qui avait multiplié ce genre de promesses ( destruction de la RAF, ravitaillement de la 6éme armée de Stalingrad, etc…) ?
Malgré ses réels exploits de pilote aux commandement de l’escadrille de V. Richthofen, il n’a pas fini au champ d’honneur 30 ans plus tard, celui-là…
Nope, les pilotes n’avaient pas accès à Hitler, et n’étaient certainement pas écoutés pour ce type de décision stratégique.
Goering?
Geiring c’est Meyer )) Mais c’est bien vu !
Votre question renvoie plus à la conception de système de frappe à longue portée, objet de toutes les attentions. Ce n’est peut-être pas inconcevable non plus… et rien ne nous oblige à faire une réponse symétrique système contre système. Le but semble être d’avoir une capacité de nuisance sous la main, difficilement contrable et juste pénible pour le défenseur. Avec une claire intention de s’en servir… ça ouvre le champ des possibles.
C’est tout le sujet. la reponse symétrique, la plus simple conceptuellement, qu’elle soit défensive ou offensive, serait très complexe à mettre en oeuvre, imposerait des défis technologiques très élevés, et obligerait à consacrer des moyens très importants pour contenir une menace très ciblée. La question est donc de savoir s’il est possible de concevoir une réponse asymétrique, pas necessairement moins chère, mais au moins plus souple et plus transitive, face à ce nouveau défi. J’avoue, pour l’instant, ne pas avoir la reponse à cette question.