vendredi, septembre 19, 2025

La débâcle des armements US en Ukraine et ses conséquences sur le rapport de force en Europe

Depuis le début de l’offensive russe contre l’Ukraine, la presse occidentale a régulièrement fait ses gros titres des performances « extraordinaires » des équipements américains et européens livrés à Kyiv. Ici, ce furent les batteries Patriot, célébrées pour avoir intercepté des missiles Kinzhal russes dits « hypersoniques » au-dessus de la capitale ; là, ce furent les lance-roquettes HIMARS, présentés comme l’arme miracle décimant les colonnes mécanisées de l’envahisseur pris au dépourvu.

Dans le même registre, le désormais célèbre canon CAESAR est devenu une véritable star médiatique, au point d’être qualifié de « cauchemar des artilleurs russes » — un qualificatif qui valut à l’article correspondant de Meta-Défense d’être le plus lu de son histoire.

Rares furent, en revanche, les fois où les contre-performances de ces mêmes équipements ont été mises en avant. Et même lorsque cela se produisait, la tentation restait grande d’en attribuer la responsabilité au manque de formation ou de rigueur tactique des forces ukrainiennes, plutôt qu’aux limites intrinsèques de matériels pourtant présentés comme les plus avancés au monde. Kyiv elle-même a longtemps préféré taire ces difficultés, soucieuse de préserver les flux vitaux d’armes, de munitions et de crédits venus de Washington et des capitales européennes : mieux vaut un système qui sous-performe qu’une absence totale de système.

Or, depuis quelques mois, cette construction métaphorique commence à se fissurer. Les rapports dithyrambiques sur les prétendues capacités révolutionnaires des systèmes occidentaux, largement relayés en 2022 et 2023, cèdent progressivement la place à d’autres analyses, beaucoup plus confidentielles et, surtout, sensiblement plus préoccupantes.

En effet, face à une guerre qui se transforme en permanence, et deux adversaires — Moscou et Kyiv — qui ont parfaitement compris que leur survie dépendait de leur adaptabilité, les équipements occidentaux montrent leurs failles. Trop sophistiqués, trop lents à évoluer, ils peinent à conserver l’avantage opérationnel. Parfois même, la technologie dont on attendait tant se révèle être un handicap sévère sur la ligne de front.

Les contre-performances des armements US en Ukraine

Dès 2023–2024, plusieurs évaluations internes ukrainiennes et rapports ouverts ont documenté une dégradation notable des performances d’un ensemble d’armements occidentaux face à l’adaptation russe — au premier rang desquelles la guerre électronique (EW) et la saturation par salves. 

Armements US en Ukraine HIMARS
Batterie HIMARS en Ukraine en 2023

En effet, l’aviation comme l’artillerie ukrainiennes ont rapporté une chute brutale des taux d’efficacité de plusieurs munitions guidées par GNSS : JDAM-ER, Excalibur et roquettes GMLRS tirées par HIMARS. Selon des documents et des responsables ukrainiens cités par le Washington Post, « de nombreux armements américains guidés par satellite n’ont pas résisté au brouillage russe, au point que Kyiv a cessé d’utiliser certains types de munitions après l’effondrement des taux de réussite » .

De même, des reprises presse (sur la base du même dossier) ont souligné que, localement, les HIMARS avaient été rendus « complètement inefficaces » dans des zones fortement brouillées.

Par ailleurs, l’artillerie guidée Excalibur a été l’un des cas emblématiques : initialement très performante en 2022, elle a ensuite vu sa précision s’effondrer dans des secteurs où la Russie a installé des bulles de brouillage GNSS ; plusieurs sources indiquent que Washington a ralenti, voire suspendu, certaines livraisons à la suite de ces retours d’expérience. 

Ainsi, l’« avantage technologique » des munitions à guidage satellitaire a été largement érodé par l’adaptation russe (brouillage, spoofing, camouflage, déception), ce que confirment aussi des analyses de fond sur la campagne de frappes et la réponse des défenses ukrainiennes.

En outre, sur le segment terrestre lourd, les M1 Abrams ont, eux aussi, subi la mue du champ de bataille : la prolifération des drones FPV et des senseurs ISR russes a conduit Kyiv à retirer temporairement ses Abrams de la ligne de front, après des pertes et des dégradations jugées préoccupantes.

L’Associated Press a confirmé en avril 2024 que cinq des 31 chars livrés avaient déjà été détruits et que les Abrams étaient mis en retrait pour adapter doctrines et contre-mesures face à la menace drone . De facto, l’« emploi à l’ancienne » des chars de bataille se heurte à un environnement saturé de capteurs bon marché et de munitions rôdeuses — point que plusieurs responsables et analyses américaines reconnaissent désormais ouvertement, en insistant sur l’adaptation doctrinale nécessaire plutôt que sur « la fin du char ».

Patriot en Ukraine
Batterie Patriot protégeant Kyiv

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8 Commentaires

  1. «  débâcle » semble tout de même un peu excessif. Mais ajuster nos moyens en visant le juste niveau technologique, l’adaptabilité rapide aux évolutions, la standardisation, des conditions de production /MCO raisonnables : oui, ce doit être un critère prioritaire. Des engins sains et homogènes hybrides avec protection active de classe 15t (roue, amphibie), 30t(roue) et 45t (chenille) avec différentes tourelles téléopérées, tourelleaux et paniers latéraux amovibles pour missiles (low-cost ou high tech)/roquettes/drones/drones FPV répondraient et de manière pertinente à ces besoins.

  2. très pertinente analyse
    très actuelle et bien illustrée au vu de la difficulté de la montée du taux de MCO des équipement Français, alors que c’est une action ciblée du commandement et partenariat avec les industriels concernés …. il y a des progrès sensibles mais c’est lent

  3. J’ai un vrai doute en lisant cet article: le sujet est-il l’hyper sophistication ou la difficulté à adapter des systèmes rapidement?
    Sur le second point: la mise en place d’architectures software plus adaptables est peut être une voie à approfondir.
    La mise en place de cinématiques robotisés plutôt que des architectures mécaniques dédiées pourrait aussi apporter de la flexibilité…
    Enfin, la réduction des attentes sur chaque plateforme pourrait aussi répondre à certains besoins.
    Il me semble que c’est la trajectoire retenue sur le Scaf et le MGCS, voir déjà adoptée sur le Rafale et sur les équipements de Scorpion…
    Est-on en train de juger le passé pour mieux justifier les paradigmes des évolutions conceptuelles en cours? Ou je loupe complètement le message…

    • C’est les deux
      1- les expériences récentes montrent qu’il y a une relation directe en empilement technologique et dégradation de la fiabilité pour les équipements militaires. Ce n’est pas nouveau ceci dit. Mais par le passé, on avait plus tendance à séparer les sujets, et à ne pas parier sur des technologies avancées avant qu’elles ne soient veritablement matures. L’exemple du F-35 est caractéristique : il apporte une véritable plus value au combat, mais son manque de fiabilité en font un équipement qui peut très vite se retourner contre celui qui le met en oeuvre. S’il na pas de F-15, de Rafale, de Typhoon ou de Gripen à côté, pour prendre la suite, il est cuit.
      2- d’autre part, la guerre en Ukraine montre que les mécanismes RETEX américains et occidentaux sont beaucoup trop lents, par rapport à ce qui est mis en oeuvre en Russie et en Ukraine. J’aurai même tendance à penser, désormais, que si l’Ukraine resister si bien, c’est avant tout parce qu’elle a élevé le RETEX au rang de pivot fondateur de son effort de défense. Les russes eux-mêmes le reconaissent : les ukrainiens n’attendend pas qu’une parade russe au système actuel arrive, ils travaillent immediatement sur la prochaine evolution, lorsque l’équipement est livré, anticipant que l’avantage ne sera que transitoire. C’est ainsi que lorsque les brouilleurs antidrones ont été livrés aux chars et VCI russes, ceux ci se sont avérés inutiles parce qu’entre temps, les ukrainiens avaient déjà fait évoluer leurs FPV.
      Ces deux sujets sont intimement liés, et on le voit, là encore, avec le F-35 : l’appareil est devenu si compliqué que meme respecter la trajectoire de livraison des evolutions logicielles prévues est à présent impossible. Alors intégrer les retex sur les delais necessaires, je n’en parle meme pas… Au final, les ukrainiens considerent aujourd’hui qu’à l’exception de certains equipements modernes qu’ils jugent performant (Caesar, CV90…), ils preferent des équipements legacy plus rustiques (Bradley, Marder, Leopard 1..) a des equipements très modernes incapables de resister au champ de bataille plus que quelques jours, et incapables d’incorporer les evolutions suffisament vite.

  4. Et donc si je comprend bien et en grossissant le trait tous les jolis F35 des différents pays européens rangés dans leur hangars sous atmosphère protectrice devraient avoir un avantage rapide décisif et définitif sur un éventuel conflit sans quoi au bout de deux semaines la plupart seraient quasiment cloués au sol ? Si c’est vrai quelle énorme erreur que de ne pas avoir complété les forces aériennes par des chasseurs 4.5 ( typhoon rafale gripen ) pour des pays comme les pays , Belgique , Finlande , Danemark ……

  5. Nous avons fait la même erreur que les Allemands en 1941.

    Souvenons nous de ces moqueries au sujet d’une armée russe composée d’ivrognes, mal équipés, mal commandés et obligés de se battre avec des pelles quand à l’arrière le pays en était réduit à démonter des machines à laver pour en récupérer les puces.

    Et surtout, nous pour pouvoir soutenir un conflit, il faut être une véritable puissance industrielle. Industrie que nous avons laissée partir dans les pays à bats coût au nom de la défense du pouvoir d’achat du consommateur et pour ne plus avoir à gérer la problématique des restructurations industrielles liées aux évolutions technologiques.

    Aujourd’hui nous mettons le doigts sur les effets de cette politique désastreuse.

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