À l’heure où les frappes conventionnelles à longue portée se banalisent, la HX-2 s’impose comme un révélateur de ce que l’autonomie offensive européenne peut devenir. Conçue pour fonctionner sans dépendre des systèmes mondiaux de navigation par satellite (GNSS), testée en environnements contestés et pensée selon une logique centrée sur le logiciel et l’intelligence artificielle (IA), cette plate-forme ouvre un champ doctrinal encore peu exploré sur le continent. Dans le même temps, la production de masse de drones d’attaque par Moscou et les accélérations industrielles en Europe posent une question simple et centrale : comment calibrer, en quantité et en qualité, une capacité offensive crédible face à l’attrition et à la saturation ?
Dans la chronologie des annonces publiques, la HX-2 a été présentée comme une plate-forme de frappe longue portée capable d’opérer même sans GNSS, avec une montée graduelle des performances lors des essais. Comme le rapporte Hartpunkt, l’industriel travaille à renforcer l’autonomie, en intégrant de l’IA pour optimiser la décision en temps réel et l’efficacité en mission. Le même média décrit des usages combinant reconnaissance, attaque ciblée et appui aux forces au sol, dans des environnements urbains et ruraux. Cette optique d’optimisation continue dénote une approche incrémentale : elle vise la robustesse en opérations dégradées, puis le gain d’effet par la fusion capteurs et les communications résilientes.
Pour comprendre la trajectoire industrielle, il faut revenir au profil de l’entreprise basée à Munich, fondée en 2021 par Gundbert Scherf, Torsten Reil et Niklas Köhler, et orientée IA pour des gouvernements démocratiques. Selon la note de recherche de Contrary, la plate-forme Altra Recce‑Strike agrège IA embarquée et réseau tolérant aux dégradations pour accélérer la boucle de ciblage. Le même document précise que la HX‑2, annoncée en décembre 2024, adopte une cellule en X, pèse environ 12 kg, atteint 136 mph et opère au‑delà de la vue directe. L’industriel a ouvert la Resilience Factory (RF‑1) fin 2024, et annoncé en février 2025 la production de 6 000 HX‑2 pour Kiev. Comme l’a résumé Torsten Reil : « C’est très simple. Nous voulons rendre l’Europe plus sûre. »
Le rapport de forces qui se dessine impose cependant l’angle de la masse. Comme nous l’avons évoqué dans un article de septembre 2025, les estimations publiques situaient il y a un an la production des drones Geran autour de 600 par mois, avant de basculer vers des objectifs supérieurs à 6 000 mensuels. Le même texte souligne l’articulation avec environ 200 missiles balistiques et de croisière mensuels, afin d’user les défenses couche après couche. L’équation coûts/effets devient alors centrale, un Geran coûtant nettement moins cher qu’un intercepteur, tandis que l’assaillant adapte ses salves à l’attrition observée.
Face à ce défi, des réponses européennes émergent sur le tempo industriel et l’emploi. Présenté au Bourget 2025, le OWE (One‑Way Effector) du missilier européen revendique une cadence potentielle d’un millier d’exemplaires par mois et une utilisation assumée en saturation. Développé sur fonds propres depuis décembre 2024, l’engin emporte une charge de 40 kg, vole à 450 km/h et affiche 500 km de portée, avec une logique d’industrialisation distribuée. Nous l’avions détaillé ici‑même en juin 2025, en soulignant que le positionnement n’était pas la sophistication maximale, mais l’effet de nombre pour créer des brèches exploitées ensuite par des moyens plus lourds.
Pour autant, la dissymétrie persiste entre portée stratégique et emploi tactique. D’un côté, les Geran atteignent environ 1 700 km et permettent de menacer des centres urbains, selon une grammaire de pression qui vise l’usure psychologique autant que l’effet militaire. De l’autre, les 500 km annoncés pour le OWE bornent l’effet à l’intermédiaire profond : aérodromes, dépôts ou états-majors avancés, voire certaines grandes villes proches des frontières, comme Saint‑Pétersbourg. Ainsi, ce dernier demeure, à ce stade, un outil de manœuvre et de saturation, quand l’arsenal adversaire peut viser des cibles plus lointaines pour modeler le tempo politique et logistique.
Dans cet entre‑deux, la HX‑2 se singularise par la résilience en environnement contesté. La documentation publique insiste sur l’autonomie embarquée : en cas de coupure liaison, l’engin recherche, ré‑identifie puis frappe la cible grâce à des données cartographiques et des algorithmes d’IA, tandis qu’un opérateur reste dans ou sur la boucle pour les décisions critiques. Les informations de Hartpunkt et l’architecture Altra décrite par Contrary convergent : navigation, localisation et ciblage indépendants du GNSS, réseau tolérant aux brouillages et gestion de mission autonome. En conséquence, l’effet tactique ne dépend plus uniquement du lien de données, ce qui complique la contre‑mesure par la seule guerre électronique (GE).
Reste la question des volumes et de l’industrialisation robuste. La RF‑1 affiche une capacité initiale de plus de 1 000 HX‑2 par mois, tandis que le OWE vise lui aussi 1 000 unités mensuelles en montée de cadence, deux chiffres qui commencent à dialoguer avec la logique d’attrition. L’annonce de 6 000 HX‑2 destinés à Kiev, ajoutée à la production distribuée recherchée par l’industriel munichois, esquisse une voie européenne plausible : constituer des stocks offensifs à faible empreinte logistique, pensés pour l’effet combiné et l’adaptation rapide des séries. Pour franchir un palier, il faudra toutefois relier ces briques à une doctrine qui assume la frappe au-delà du tactique, sans renier les garde‑fous juridiques et politiques propres aux démocraties.
Dans cette perspective, l’articulation entre saturation, précision et résilience devient le cœur de la réponse européenne. La masse produite à cadence élevée crée les fenêtres d’opportunité, la vitesse et la discrétion augmentent le taux d’impact, et l’autonomie logicielle maintient l’effet sous GE. À bien y regarder, la convergence d’un OWE calibré pour le nombre et d’une HX‑2 pensée pour opérer sans GNSS esquisse un continuum d’options, de la riposte d’attrition à la frappe ciblée. Reste à définir l’échelle pertinente, les priorités d’objectifs et les chaînes de commandement associées, afin de transformer ces capacités en dissuasion conventionnelle crédible sur la durée.
Conclusion
On comprend à présent que la valeur de la HX‑2 ne tient pas seulement à ses performances isolées, mais à ce qu’elle manifeste : une bascule logicielle et industrielle capable de soutenir des opérations dans un spectre électromagnétique contesté. Mise en regard des ambitions du OWE et des salves adverses décrites en 2025, elle souligne le double besoin européen : produire vite et en nombre, tout en garantissant l’effet en profondeur par la précision et la résilience. La question centrale devient doctrinale : comment articuler saturation et frappe sélective pour contraindre un adversaire qui parie sur l’attrition ? La réponse passera par des volumes crédibles, des chaînes de ciblage accélérées et, surtout, une volonté politique assumée d’employer ces moyens à bon escient.
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