Le mémo publié par un groupe d’anciens conseillers juridiques militaires, dits Judge Advocate General (JAG, conseillers juridiques des armées), et repris par la presse spécialisée, accuse le secrétaire à la Défense Pete Hegseth d’avoir ordonné, ou validé, des frappes ayant conduit à la mort de survivants après l’attaque du 2 septembre.
La controverse oppose une défense publique du Secrétariat et de la Maison-Blanche, qui revendiquent la légalité des opérations, à des juristes militaires qui estiment que l’ordre implicite de « ne laisser aucun survivant » violerait le droit international humanitaire et le droit pénal américain. Dans les faits, le soutien politique affiché bute désormais sur un retrait d’appuis juridiques et opérationnels internes au Pentagone, avec un risque de paralysie procédurale.
Sommaire
Des JAG dénoncent Pete Hegseth pour un second tir contraire au droit de la guerre
Le cœur de l’argumentation juridique tient à la nature des ordres et à leur exécution. Selon le mémo, l’instruction présumée de « ne laisser aucun survivant », suivie d’un second tir tuant des naufragés, heurterait frontalement les protections du droit des conflits armés. Comme le détaille le Military Times, les anciens JAG rappellent que l’article 3 commun aux Conventions de Genève interdit de frapper des personnes hors de combat, tandis que la Convention de La Haye de 1907 prohibe l’annonce qu’« il ne sera pas fait de quartier ». Les faits allégués, s’ils étaient avérés, pourraient constituer des crimes de guerre ou des homicides.
La qualification de l’engagement comme « conflit armé non international » ne change pas l’équation. Les juristes rappellent que, même sous ce régime, les personnes à la mer incapables de se défendre, parce que blessées ou privées d’embarquement, sont protégées et ne peuvent être visées légalement. Dans ce cadre, l’argument d’une simple neutralisation d’un « danger à la navigation » ne soustrait pas l’action aux obligations de protection des naufragés. Cette lecture, exposée par les anciens JAG, fonde le grief principal à l’encontre de la chaîne décisionnelle ayant conduit au second tir du 2 septembre.
Par ailleurs, les signataires demandent explicitement au Congrès d’ouvrir des investigations sur l’usage de la force létale contre des individus incapables de se défendre. L’objectif consiste à documenter la chaîne des ordres, préciser le statut juridique retenu, et établir si des règles d’engagement ont été altérées. Cette demande répond à un impératif de traçabilité, puisque l’existence d’une directive informelle visant à éliminer tout survivant bouleverserait le cadre de validation des JAG et justifierait des contrôles du Congrès renforcés sur les opérations menées au titre de la lutte antidrogue.
Enfin, la genèse du Former JAGs Working Group éclaire le contexte institutionnel. Le groupe s’est constitué après le renvoi par Pete Hegseth du JAG de l’armée, le lieutenant-général Joseph B. Berger III, et du JAG de l’armée de l’air, le lieutenant-général Charles Plummer, présentés comme « mal adaptés » au traitement de certaines demandes. Pour les anciens JAG, ces décisions ont affaibli les garde-fous internes conçus pour prévenir des dérives, à commencer par la frappe du 2 septembre qu’ils estiment illégale. Le lien établi entre limogeages et fragilisation du cadre juridique est central dans leur alerte.
Entre aval politique et chaîne de commandement du JSOC, Donald Trump ménage son soutien
La défense publique se veut nette. La Maison-Blanche, tout comme le secrétaire à la Défense, a justifié l’autorité de l’amiral Frank M. « Mitch » Bradley, alors commandant du Joint Special Operations Command, pour ordonner un second tir, tout en niant l’existence d’une directive explicite de « tuer tout le monde ». Cette ligne est assumée, comme l’a indiqué NBC News, qui rapporte aussi que le second tir a bien été réalisé et a tué les survivants du premier engagement.
Le président des États-Unis Donald Trump a affiché sa « grande confiance » envers Pete Hegseth, tout en marquant une forme de prudence. Il a affirmé vouloir vérifier les faits, signalant que le soutien politique, s’il est public, s’exerce sous réserve d’une clarification. Cette nuance politique laisse ouverte la possibilité d’ajustements si des éléments matériels venaient contredire la narration actuelle. Elle reflète surtout la sensibilité d’un dossier où la qualification des opérations conditionne la responsabilité individuelle ou commandement par commandement.
Les communications officielles inscrivent ces frappes dans la lutte contre le narcotrafic, la protection des intérêts américains et une forme d’auto-défense en mer. Les autorités ont évoqué des embarcations chargées de drogues, opérées par des réseaux qualifiés de narco‑terroristes, et ont insisté sur le respect du droit des conflits armés selon leurs porte‑parole. Ce cadrage, relayé par la BBC, vise à légitimer l’action en posant une continuité entre intention stratégique, autorité de commandement et conformité juridique.
Dans ce contexte, le secrétaire à la Défense a diffusé une réfutation publique, qualifiant de « fabriquées » et « infamantes » les accusations relayées par la presse, et affirmant que toutes les frappes ont été approuvées juridiquement « par les meilleurs juristes » à chaque échelon. Le Military Times rapporte que Pete Hegseth a soutenu que les opérations respectaient le droit des conflits armés et visaient à interrompre des flux de drogues vers les États-Unis. Cette position d’auto‑justification juridique marque une ligne de défense constante face aux appels à enquête.
La chaîne de validation s’enraye et le SOUTHCOM vacille sous les pressions croisées
La séquence de limogeages au sein des JAG supérieurs est perçue comme un tournant. Les anciens conseillers estiment que la capacité des juristes militaires à formuler des avis indépendants et prudents a été réduite, quand la centralisation s’est accentuée. En pratique, moins d’espaces de contradiction et des délais compressés fragilisent la qualité des avis. Sur le terrain, cette érosion des garde-fous peut conduire les légistes à refuser de couvrir des actions comportant un risque juridique accru, au détriment de la fluidité opérationnelle des états-majors.
Dans le même temps, la démission annoncée d’un commandant du Commandement Sud des États-Unis (SOUTHCOM) et l’activation d’auditions parlementaires bipartites traduisent une perte de confiance institutionnelle. Les états-majors se trouvent exposés à une double pression, interne et externe, qui pèse sur la préparation des opérations et la conduite de la preuve. La perspective d’entretiens sous serment, de remises d’enregistrements et de briefings classifiés pousse à une plus grande prudence procédurale dans chaque chaîne d’ordres.
Cette prudence renforce une double dynamique qui s’installe. D’un côté, les opérations sont maintenues sous l’impulsion politique. De l’autre, les marges de manœuvre réelles se contractent, car les validations juridiques sont plus lentes, plus restrictives ou plus hésitantes, notamment pour le Joint Special Operations Command (JSOC, Commandement des opérations spéciales interarmées). Ce mécanisme reflète un tempo accéléré de remplacements au sommet qui centralise les arbitrages, ce qui réduit la continuité des avis et accroît le risque d’erreur d’appréciation dans l’urgence.
Enfin, la menace de poursuites pénales nationales ou internationales crée une incertitude additionnelle au niveau des exécutants. Si l’action ne s’inscrit pas dans un cadre de conflit armé juridiquement reconnu, le mémo prévient que les auteurs matériels des tirs, autant que les responsables hiérarchiques, pourraient être poursuivis pour homicide au titre du droit américain. Ce risque individuel nourrit la réticence des juristes à valider des actions limites et alimente, à court terme, une forme de paralysie procédurale dans la chaîne de validation JAG.
Sous contrôle du Congrès, les retombées régionales jusqu’au Venezuela forcent un durcissement des règles
Les commissions des forces armées du Sénat et de la Chambre ont annoncé une supervision soutenue. Des auditions d’acteurs clés sont envisagées, avec des demandes d’enregistrements audio et vidéo ainsi que des briefings classifiés afin d’éclairer la chaîne d’ordres et la justification du second tir. Cette mobilisation bipartisan rehausse d’emblée le niveau d’exigence probatoire et signale aux états‑majors que le dossier ne sera pas traité comme une routine opérationnelle, mais comme une affaire de doctrine d’emploi de la force.
Dans la foulée, la contestation juridique et politique pourrait déboucher sur de nouvelles directives procédurales et des limitations spécifiques aux opérations antidrogue, y compris en mer. La mise sous surveillance parlementaire tend à resserrer les règles d’engagement et à standardiser la traçabilité des avis juridiques. La dynamique est alimentée par l’ampleur de la campagne et ses bilans, tels que les a rapportés ABC News, et par la crainte de contentieux exposant personnels et commandements.
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Au plan régional, la perception et la légitimité des opérations se dégradent auprès de partenaires clefs, notamment au Venezuela et en Colombie. Des condamnations officielles et des demandes d’enquête ont émergé, tandis que des doutes persistent sur la qualification des cibles et la proportionnalité des frappes. Cette controverse affaiblit la coopération régionale, accroît le risque d’incidents diplomatiques et ouvre une fenêtre à des investigations internationales, autant de facteurs qui augmentent le coût politique de chaque engagement.
À plus long terme, une extension structurelle se dessine. La centralisation décisionnelle, les remplacements rapides au sommet et la fragilisation des garde-fous juridiques tendent à remodeler la gouvernance militaire. Le processus de validation interne est tiré vers le politique, tandis que la continuité des avis s’amenuise. Cette transformation, déjà lisible dans les mouvements récents au Pentagone, pourrait durablement modifier la façon dont sont arbitrées, puis conduites, les opérations à haute sensibilité juridique.
Conclusion
On le voit, l’affaire du 2 septembre met en tension des registres distincts, entre la défense politique d’actions présentées comme nécessaires à la lutte contre le narcotrafic et l’alerte juridique portée par d’anciens conseillers juridiques militaires. Par ailleurs, la séquence de limogeages, la démission d’un commandant régional et l’annonce d’auditions parlementaires montrent que le soutien politique ne compense pas l’érosion de l’assise juridique et opérationnelle. En outre, cette dynamique ouvre la voie à des contrôles accrus, à une contraction des marges de manœuvre pour les états‑majors et à des tensions régionales, ce qui justifie une vigilance étroite sur la validation JAG au Pentagone et une préparation des réponses institutionnelles à court et moyen terme.