Dire que les derniers jours ont changé toute la donne stratégique héritée de ces 75 dernières années, tiendrait de l’euphémisme. Face à cela, plus que jamais, la France doit s’appuyer sur son autonomie stratégique, lui conférant les moyens de se défendre en toute indépendance, quel que soit l’adversaire, et d’assumer son propre discours, sur la scène internationale, pour protéger ses intérêts ainsi que sa singularité, face à des super-puissances qui semblent, à présent, sûres de leur force et de son pouvoir coercitif.
Toutefois, le fait qu’américains et russes s’autorisent à négocier l’avenir de l’Ukraine, et par capillarité, de l’ensemble du bloc européen, sans que ni la France, ni l’Europe ne soient représentées, montre, sans aucune échappatoire sémantique possible, que cette autonomie stratégique française n’est plus suffisante, aujourd’hui, amenant Washington et Moscou à considérer qu’elle peut être ignorée.
Dès lors, alors que la situation sécuritaire européenne se dirige vers un chaos comparable à celui du début du XXᵉ siècle, lorsque plusieurs empires s’opposaient pour imposer leur hégémonie, la France doit, de toute urgence, reconstruire cette autonomie stratégique, non seulement pour assurer sa propre sécurité et la défense de ses intérêts, mais aussi pour former un pôle de stabilité et de sécurité en Europe, et ainsi contenir les appétits périphériques.
Pour y parvenir, dans le temps imparti par la reconstruction des moyens adverses, la France doit s’engager dans une transformation radicale de sa propre conception de défense, et dans une trajectoire qu’elle seule peut suivre, en Europe, aujourd’hui, au travers de 10 mesures urgentes et aussi indispensables à la sécurité du pays, qu’à celle de l’ensemble du continent, la France et son destin, y étant irrémédiablement liés.
Sommaire
L’autonomie stratégique française lourdement entamée par 25 ans de perceptions erronées
Pour relever ce défi, la France va devoir commencer par faire table rase de l’évolution de sa conception de l’autonomie stratégique, conséquence de 25 années de dérives. En effet, jusqu’à la fin de la guerre froide, la notion d’autonomie stratégique française, héritée du gaullisme, reposait sur une notion parfaitement claire : « Pouvoir choisir nos guerres, et les gagner« .

En d’autres termes, l’autonomie stratégique reposait sur l’autonomie que lui conférait son industrie de défense, pour doter ses armées d’équipements nationaux ne souffrant d’aucune interférence étrangère, y compris, et surtout, pour la dissuasion, mais également sur la certitude de disposer d’un outil militaire suffisant, en capacités de combat comme en matière de réserve, pour permettre à Paris d’intervenir dans n’importe quel engagement, sans devoir nécessairement s’appuyer sur des capacités exogènes.
Toutefois, après la fin de la Guerre froide et le début des années marquées par l’illusion des bénéfices de la paix, cette seconde partie de la dualité formant l’autonomie stratégique française, s’est érodée sur la certitude d’une absence de menaces.
Avec le retour des tensions, en Europe, et l’évident besoin de durcir les capacités de réponse militaire, face au réarmement militaire de la Russie et l’émergence d’autres menaces, Paris ne revint pas vers cette notion initiale. Celle-ci fut, au contraire, remplacée par une conception européenne de la défense collective, sans que personne, en Europe, n’y adhère pleinement, tous étant persuadés de l’intangibilité de la protection américaine.
La situation dans laquelle se trouve la France, aujourd’hui, évincée du règlement de la crise ukrainienne par Washington, et incapable de fédérer les européens pour lancer une véritable dynamique dans ce domaine, résulte précisément de ces deux biais successifs, conçus pour ne jamais devoir revenir aux contraintes que représentait l’autonomie stratégique française durant les années 60, 70 et 80.
Les quatre objectifs constitutifs d’un retour à l’autonomie stratégique française.
De fait, en 2025, pour répondre aux transformations très rapides du contexte géopolitique et sécuritaire, européen et périphérique, la France n’a d’autres choix que de recoller à cette notion d’autonomie stratégique entière. Pour cela, elle doit satisfaire à quatre objectifs concomitants, sur un planning cohérent avec l’évolution des menaces.
Retrouver une dissuasion élargie
D’abord, la France doit retrouver une dissuasion élargie, sécurisée et surtout crédible face à la Russie. Rappelons, à ce propos, que l’efficacité de la dissuasion ne dépend pas du périmètre protégé, mais sur sa capacité à faire subir à l’adversaire des dommages insupportables, excédant très largement les bénéfices potentiels d’une agression, sur le périmètre défendue.

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Pour le moment 3 frégates, 25 rafales supplémentaires. On y est pas !
oui on est juste dans les amuses bouches, et encore …
Il me semble manquer aussi tout une partie sur la logistique, la projection, le génie ou vous incluez ça dans la création des brigades supplémentaires.
Chaque brigade ayant son propre régiment du génie, et chaque division ayant son régiment des trans, du train et du matériel, je ne suis pas rentré dans le détail des équipements. Il y a des contraintes de taille pour un article de ce type, et je ne pouvais pas entrer profondément dans le détail.
Il me semble manquer tout une partie sur la R&D et la production de drone low cost type munition rodeuse. De même sur un programme R&D sur l’utilisation des essaims de drone, la robotisation du champ de bataille. Mais c’est peut-être déjà actuellement inclus dans les programmes actuels ?
C’est ca, je ne l’ai pas inclus parce qu’entre le drone de combat, Eurodrone, Aarok, colibri etc… les initiatives sont prises. Il ne manque, à mon sens, que des drones d’attaque à longue portée. mais cela n’est pas strictement nécessaire à l’autonomie stratégique.
Votre format d’armée est certainement apte à consolider l’autonomie stratégique de la France. Et la création d’une capacité de frappe nucléaire tactique permettrait en effet d’offrir une capacité exclusive à nos alliés ainsi que quelques choses de la dissuasion sans pour autant exposer la France au-delà du raisonnable. L’acquisition d’une permanence d’alerte aéronavale, si ce n’est opérationnelle, me tient très à cœur ainsi que le renforcement de nos capacités amphibies.
Cependant cette armée très polyvalente que vous appelez de vos vœux n’est pas une armée destinée à jouer un rôle décisif sur le flanc orientale. Une armée à part certes, avec ses capacités exclusives dont la frappe nucléaire tactique. Une armée de nation cadre avec sa capacité de commander un corps d’armée multinational. Mais une armée de second rang face aux nombreuses divisions Polonaises et Allemandes qui assureront le plus gros de la dissuasion conventionnelle. Est-ce bien grave ?
Les six divisions polonaises ne représenteront « que » 180,000 à 200,000 h. Ici, nous avons 90,000 FOT + 90,000 GN + 40,000 CC soit 220,000 h pour la composante terrestre de combat (250,000 au total pour l’AT), plus 50,000 pour l’AAE et 40,000 pour la MN. Je ne vois pas en quoi elle serait « de second rang » vis-à-vis de la Pologne. Une division polonaise = 2 brigades soit 20,000 h. Une division française = 3 brigades soit 25,000 d’active et 5,000 de réserve. c’est la même chose quand on compare avec les brigades ukrainiennes ou russes, qui alignent 3,500 à 4,500 hommes, contre 8,000+2,000 pour une brigade française. Face à la Russie, une brigade française = une division russe. Ils en ont 22 dont trois blindées et 19 mécanisées, plus six brigades d’assaut. Ce modèle représente 18 brigades dont cinq blindées, sept mécanisées et six d’assaut.
Merci de cette précision. Il est vrai qu’on ne précise jamais que les divisions polonaises sont plus petites que les nôtres.
Toujours est-il que, je ne sais pas ce que vous en pensez, mais on imagine mal la France engager plus d’une division en cas d’engagement majeur. Le renouvellement du matériel et des troupes lié à l’attrition, la relève des troupes épuisées par les combats, la posture à l’égard de nos alliés extra-européens et nos outre-mer…
Aujourd’hui non, impossible. C’est le sens de l’architecture à 3 échelon, avec far, corps de manœuvre et dot. Cela permet d’engager la far (4 brigades d’assaut + 4eme BAM + 19 BA), et de la relever par le corps de manœuvre, tout en conserver 5 brigades territoriales (+ 1 outre-mer) comme ultime réseau défensif.
Bonjour,
Plutôt d’accord mais j’irai beaucoup plus loin: 500 chasseurs (Rafale), 15 SNA, 8 SNLE, 3 PA, 30 frégates rang 1, 800 chars lourds. Et le reste dimensionné en conséquence. On serait crédible.
Mais surtout question: pourquoi rajouter une 3ème composante sol-sol à la dissuasion? Pas convaincu de sa nécessité. Quels sont vos arguments ?
Merci
500 chasseurs => on n’aurait ni les pilotes et personnels de maintenance, ni la capacité de les recruter avant au moins 15 à 20 ans, si tant est que ce soit possible (ce dont je doute)
15 SNA = impossible, trop de tranches nucléaires, cela dépasserait de beaucoup le nombre de 20 tranches nucléaires que la marine estime possible (8 SNA, 5 SNLE en double et un PAN).
8 SNLE : pourquoi faire ? Cela permettrait de tenir 3 SNLE à la mer en permanence, et quatre en crise. Avec 2, on élimine déjà 100% des villes de plus de 100,000 habitants en Russie. Pas assez dissuasif ?
3 PA, oui, si 1 PAN et 2 porte-avions moyens avec 18 avions et 1000 hommes, sinon, impossible à recruter
800 chars lourds : on aurait beaucoup de mal à en utiliser plus de 500 ou 600, pour des questions RH
L’explication de composante sol-sol est dans l’article.
Bonjour,
Merci d’avoir répondu. Mon post était trop rapide, pardonnez-moi.
Je ne reviendrai pas sur vos réponses au « format » que j’ai écrit trop vite. Trop long.
Par contre, j’ai bien lu votre article, et les précédents sur la capacité de frappe nucléaire tactique. Je ne discuterai pas non plus de la nécessité de disposer de ce type de capacité. Je n’en suis pas convaincu.
Je reviens en fait à ma question que je précise: pourquoi sol-sol ? Le même effet tactique ne peut-il pas être obtenu depuis un avion ou un navire par exemple ?
Ce que vous proposez n’est pas compatible avec le traité de non prolifération nucléaire auquel la France adhère. Il faudra du courage pour revenir la dessus
Le traité de non prolifération concerne l’acquisition de moyens nucléaires militaires par des pays n’en étant pas dotés. Il ne concerne absolument pas l’augmentation (ni la diminution) des moyens nucléaires des pays dotés et reconnus comme tel. En outre, la France n’a jamais été partie prenante des accords bilatéraux entre les États-Unis et l’Union Soviétiques (SALT, INF) et n’a jamais été contrainte par une législation extérieure, quant au dimensionnement de son arsenal militaire.
oui une vrai wishlist qui séduit les afficionados, mais je ne suis pas sur pour la plupart des politicards habitués à ronfler dans l’hémicycle. bon hier soir Macron « el commandator » à anoncé qu »il y allait avoir des choix à faire en matière de défense. il a annonc un effort à 5% du pib (il en veut certainement un à3.5% comme vous le préconisez) mais en bon politique il vise plus haut pour négocier ! il a parlé aussi d’un produit d’épargne pour financer la BITD (comme c’est amusant il doit être abonné à votre lettre et peut être à t’il trouvé bonne l’idée).
bon je pense qu’il y a des choses qui se mettent en place doucement mais ce qui m’inquiète c’est plus la létargie de nos députés qui sont toujours plus occupés à leur salade interne des élections de 2027 qu’à l’avenir du pays et de l’europe.
petite question , quand vous soulignez qu’il est nécessaire de renforcer la protection des bases par de nouveaux moyens antimissiles, il ne faudrait pas oublier non plus que notre électricité est majoritairement nucléaire et peut être penser le maillage avec l’existence de nos centrales hautement stratégiques.
Pouvoir choisir nos guerres, et les gagner
La seule vraie guerre, celle qui compte bien au-delà de toutes les autres, c’est celle qui s’impose à toi et que tu ne peux PAS choisir.
Autres temps, autres paradigmes… La nourrice américaine s’est tarrie…
Avoir le choix de la guerre signifie qu’on a suffisamment préparer la guerre et donc suffisamment dissuasif pour ne pas avoir à la mener…
Sarkozy a été à la manœuvre du délitement de notre posture stratégique entre livre blanc, coupes budgétaires
et ré adhésion à l’Otan par voie de conséquence.
Bravo
Cet article traite de la capacité Francaise qui même si on la raméne à celle de 2006,soit environ pour le personnel 350 000 ,sera suffisant pour la france mais insuffisant pour la reconnaissance mondiale, il faut aller vers un concept européen avec une armée constamment disponible de 200000 militaires basée sur la frontiere Est de l’UE du Nord au Sud, et 200000 disponibles sur 30 jours, le tout sur un commandement unique, de même l élaboration d un plan strategique européen , a valider par chaque pays sous peine d’exclusion de l ‘UE. Tout cela permettrait un retour du respect vis à vis de l’UE. Pour conclure la posture des USA si elle se confirme ,signe la fin de l’Otan , donc la création d une armée européenne permettrait de rapatrier une bonne partie des structures et infrastructures de l’Otan basées en europe.
Sur le papier, peut être. Dans les faits, les ratios d’entraînement, le cadre national de l’engagement, l’absence de fraternité d’arme, d’esprit de corps, la multitude de centre d’élection et de cycles électoraux rendent la perspective d’une armée européenne hautement improbable. La vrai solution est purement nationale, au service d’une cause européenne. Celle là a des chances de permettre à nos alliés de nous faire confiance.