L’annonce, relayée par le Times of India, selon laquelle l’Indian Air Force pousserait à attribuer au Rafale le gigantesque programme MRFA de 114 appareils, a immédiatement retenu l’attention. En effet, une telle décision, si elle se confirmait, viendrait consacrer l’avion français comme le cœur de la stratégie aérienne indienne pour les deux décennies à venir. Elle constituerait aussi la réponse la plus éclatante aux doutes méthodiquement entretenus, depuis l’opération Sindoor de mai 2025, par Islamabad et Pékin au sujet des performances du Rafale.
Car la bataille engagée autour du chasseur français n’a pas été uniquement militaire, mais avant tout informationnelle. Les affirmations pakistanaises, largement amplifiées par la propagande chinoise et reprises sans véritable filtre par une partie des médias spécialisés, ont façonné un récit initialement défavorable à New Delhi et à son partenaire français. Pourtant, les analyses postérieures, qu’il s’agisse des frappes menées contre les infrastructures pakistanaises ou du rôle joué par les Rafale aux côtés des Su-30MKI, dressent un tableau beaucoup plus nuancé, où la supériorité pakistanaise revendiquée apparaît bien fragile.
Dès lors, l’attribution du MRFA au Rafale prendrait une dimension qui dépasse la simple logique capacitaire. Pour Dassault Aviation, il s’agirait d’un succès industriel et commercial sans équivalent depuis les grandes heures du Mirage. Pour Paris, ce serait l’affirmation de sa capacité à proposer une alternative crédible face aux pressions américaines comme aux ambitions chinoises. Pour New Delhi enfin, ce choix marquerait la volonté d’affirmer une autonomie stratégique et de répondre à la double contrainte sino-pakistanaise par une montée en gamme rapide de ses moyens.
Ainsi, loin de confirmer les récits de fragilité diffusés à l’issue de Sindoor, ce contrat potentiel consacrerait au contraire le Rafale comme l’avion de combat européen le plus exporté des cinquante dernières années. Mais il poserait aussi une question de fond : la France saura-t-elle transformer ce succès en tremplin durable, alors qu’elle ne disposera pas d’un chasseur pleinement furtif avant 2045 et que l’avenir du SCAF demeure plus incertain que jamais ?
Sommaire
Opération Sindoor et la bataille du récit médiatique
L’opération Sindoor, qui opposa du 7 au 11 mai 2025 les forces aériennes indiennes et pakistanaises, n’a pas seulement été un affrontement militaire. Elle a constitué, dès ses toutes premières heures, une bataille informationnelle et médiatique d’ampleur internationale. En effet, les premiers communiqués officiels émis par Islamabad, soutenus presque immédiatement par Pékin et relayés intensivement par de nombreux canaux numériques, ont imposé un récit largement favorable au Pakistan dans la plupart des médias spécialisés et généralistes, y compris occidentaux. Dans ce narratif, l’Indian Air Force aurait subi de lourdes pertes, en particulier avec la destruction présumée d’un Rafale par un J-10CE armé de missiles PL-15, victoire aussitôt présentée comme décisive et irréfutable.

Très rapidement, ce récit s’est enraciné dans les articles de référence en langue anglaise, de la presse asiatique aux médias européens. L’influence de la communication pakistanaise a été considérablement amplifiée par la force de frappe numérique de ses relais, en particulier sur les réseaux sociaux, où l’on a vu se multiplier des vidéos de propagande et des analyses « techniques » massivement diffusées par des comptes proches de la sphère sino-pakistanaise.
Comme l’a relevé Defence24, de nombreux articles se sont alors alignés sur ces affirmations initiales, reflétant davantage les éléments de langage d’Islamabad que des constats objectifs vérifiables sur le terrain. Dès lors, cette « empreinte narrative » s’est avérée si profonde que les démentis ultérieurs n’ont jamais véritablement réussi à rééquilibrer la perception générale du conflit.
Pourtant, les données disponibles demeurent infiniment plus nuancées. Certes, la perte d’un Rafale indien ne semble plus faire débat parmi les spécialistes, mais les circonstances exactes de ce crash restent indéterminées. Aucune source indépendante n’a pu confirmer la version pakistanaise d’un engagement victorieux du J-10CE contre l’appareil français. L’Indian Air Force, comme à son habitude, a reconnu des pertes, sans en préciser le détail, tout en insistant sur le fait que tous les équipages étaient rentrés sains et saufs (The Hindu). De son côté, Dassault Aviation est restée scrupuleusement muette, suivant une ligne de discrétion traditionnelle en cas de pertes de matériels exportés.
En parallèle, les frappes indiennes menées les 7, 9 et 10 mai contre des installations militaires pakistanaises racontent une tout autre histoire. Les dégâts infligés à plusieurs sites stratégiques, confirmés par des images satellites publiées par le Center for Strategic and International Studies, témoignent d’une efficacité opérationnelle contrastant fortement avec l’image d’une aviation indienne prétendument décimée. Plusieurs analystes indiens ont même souligné que ces frappes, préparées et exécutées par des Rafale en coordination avec des Su-30MKI, démontraient au contraire la valeur ajoutée de l’appareil français en termes de pénétration, de frappe de précision et de supériorité informationnelle (Times of India).
Cependant, cette réalité tactique est demeurée largement en arrière-plan du récit dominant. En effet, les premières heures de la confrontation ont fixé le cadre médiatique, et les corrections apportées ultérieurement n’ont jamais eu le même retentissement. C’est là un phénomène bien documenté dans les conflits modernes : la première version qui circule, surtout si elle est relayée par une communication offensive et parfaitement calibrée, tend à devenir la « vérité médiatique » durable, même si elle est ultérieurement contredite par des faits objectivement vérifiables (Reuters). L’opération Sindoor illustre donc parfaitement ce que l’on appelle aujourd’hui la bataille du récit ou information dominance.
L’impact de ce biais initial a été d’autant plus renforcé par la passivité relative de New Delhi et de Paris. Alors qu’Islamabad multipliait les communiqués triomphants, soutenus par des relais médiatiques chinois, l’Indian Air Force se contentait de communiqués laconiques, et le gouvernement français, comme Dassault, gardaient obstinément le silence. Ce choix de retenue, destiné à ne pas alimenter la polémique et à éviter les surenchères, a paradoxalement contribué à figer l’image d’une défaite indienne. Il faudra ainsi plusieurs semaines, et de nombreux recoupements techniques et stratégiques, pour que les experts commencent à déconstruire le récit initial. Mais, entre-temps, le mal était profondément fait.
En définitive, l’opération Sindoor a révélé avec acuité l’ampleur de la vulnérabilité narrative de l’Inde et de ses partenaires. Dans un monde saturé d’informations instantanées et de campagnes d’influence coordonnées, le temps long de l’analyse militaire ne parvient plus à rivaliser avec l’impact immédiat des messages calibrés pour les réseaux sociaux. L’affaire démontre ainsi que les batailles d’aujourd’hui ne se gagnent pas seulement dans le ciel ou sur le terrain, mais aussi – et peut-être surtout – dans la sphère cognitive, où se forgent durablement les perceptions et, parfois, les illusions stratégiques.
La situation capacitaire critique de l’Indian Air Force
L’Indian Air Force aborde l’année 2025 dans une situation particulièrement tendue. Avec le retrait programmé des derniers escadrons de MiG-21 Bison prévu pour septembre 2025, sa flotte de combat sera ramenée à seulement 29 escadrons, soit environ 500 à 520 appareils opérationnels.

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https://idrw.org/iaf-to-retain-upgraded-4-5-gen-fighters-until-2070s/
Confidences d’un officier indien sur la pertinence de maintenir les aéronefs 4.5 jusqu’en 2070.
La tribune (Michel Cabirol), ce jour, rapporte une demane indienne pour un minimum de 40 jusque 114. Alors , les questions sur un fragilité du rafale sont d’ailleurs. Au choix, chine, pakistan, Russie , usa et supporters appointés du f35 sont renvoyés à la realité. Le Pakistan a pris une trempe et perdu ses prétentions.
Analyse fouillée comme d’habitude, cependant je ne suis pas convaincu que les qualités du f-35A (sur le papier!) mettent en difficulté nos rafales F4, quant au F5!). Par ailleurs, le futur nous dira si la solution de drones associée à des vrai chasseurs qui garderont toutes leurs qualités véliques sans être handicapés par les contraintes de la furtivité ne fera pas la différence
Dassault a certainement un projet de chasseur furtif dans les tuyaux qui sortira lorsque le SCAF sera remis en question et particulièrement le NGF qui est un canard boiteux pour les raisons déjà évoquées dans vos differentes analyses.
Une contribution de l’Inde sera alors une opportunité pour un développement conjoint.
Le démonstrateur nEUROn a prouvé que Dassault maîtrise les briques de la furtivité et de la guerre en réseau. Mais lancer un chasseur furtif complet ex nihilo coûterait des dizaines de milliards, ce que la France seule ne peut assumer. L’hypothèse la plus crédible reste une coopération alternative si le SCAF s’enlise, par exemple avec l’Inde ou les Émirats. Plutôt qu’un “projet secret déjà prêt”, il faut parler de capacités latentes activables si un partenaire stratégique rejoint Dassault.
Eric Trappier évoquent régulièrement une augmentation progressive de la cadence de production du Rafale.
Or dernièrement il a indiqué une durée de fabrication de trois ans et demis pour un appareil (entre l’usinage de la première pièce en amont et la sortie d’usine de l’avion)
Or jusque là, celle-ci était de trois ans …
Les délais de fabrication et les cadences de production sont deux choses différentes, pas nécessairement liées. C’est un peu comme la pression et le débit dans un tuyau d’eau : vous pouvez avoir une très forte pression et un débit ridicule. Là, c’est pareil : vous pouvez avoir des délais de production qui s’allongent, si vous augmentez la production simultanée, vous augmentez vos cadences.
Oui bien sûr, mais peut-on augmenter la production simultanée si l’on a qu’une chaine de fabrication, et que la durée unitaire de production augmente ou du moins stagne ?
Le chiffre de 3,5 ans correspond au délai de production complet d’un Rafale, de la première pièce usinée au vol d’essai. Mais Dassault ne fabrique pas les avions les uns après les autres : il y a en permanence environ 25 à 30 cellules en parallèle, chacune à un stade différent (fuselage, voilure, assemblage, essais). C’est ce travail “en flux” qui permet de sortir plusieurs avions chaque mois, même si chaque cellule met trois ans à aboutir. Aujourd’hui, la cadence réelle est d’environ 2–3 Rafale par mois. La vraie limite n’est donc pas le temps de fabrication unitaire, mais la capacité des sous-traitants (Safran pour les moteurs, Thales pour les radars, MBDA pour les armements) à suivre ce rythme.
Bonjour et tout d’abord je suis très heureux de retrouver vos sujets aussi qualitatifs que complets.
Au delà du nombre d’escadrons actuels déjà très faibles pour un pays comme l’Inde je me demande si inclure les escadrons équipés de Mig 21 fait encore sens , ont ils encore une utilité face aux flottes aériennes pakistanaises et surtout Chinoises ?
M. Wolf quel est votre avis ?
Par avance merci ☺️.
Petite erreur dans l’article… les 5 premiers rafale sont arrivés en Inde mi-2020….
Bien vu, c’est corrigé )
Avec les indiens, tant que ce n’est pas signé et bien ce n’est pas signé ! Mais l’analyse des impacts est trés intéressante et semble trés pertinante. En phase avec les commentaires précédents, si ce contrat se signe nous devrions proposer un partenariat à l’Inde pour co-développer un avion 5ième ou 6ième génération. Et oublier les allemands et les espagnols !
Bonsoir Fabrice,
Je me suis toujours demandé combien pouvait rapporter une production sous licence par rapport à une production dans le pays d’origine.
Alors voilà, c’est ma question pour ce cas précis, à savoir la production de 114 Rafale, et quel serait à votre avis la part de Dassault si l’Inde était autorisé à réexporter sa production de Rafale pour satisfaire une éventuelle commande du Vietnam par exemple ?
Pour l’entreprise, la marge brute doit être un peu inférieure. Mais les risques et les Immo le sont largement réduits. Donc au final, pour dassault, au delà d’un certain seuil, c’est une très bonne affaire.
C’est assez variable suivant le « transfert de technologie »( un terme très flou , marketing pour le vendeur, politico/médiatique pour l’acheteur…) .Cela devient un must
Pour une licence « sèche », a un licencié qui a toutes les compétences (souvent donc un concurrent potentiel mais dont l’export peut ête cantonné..AIP TKMS en Inde/retrait des Coréens) on parle de l’ordre de 3% des ventes , de l’ordre de 30 à 50 %de la marge nette du licencié.Cela va directement dans le resultat net avant impôts donc equivalent peut être à une vente directe, car les couts fixes sont déjà absorbés.En pratique dans une boite bien gérée, ces redevances vont en priorité à l’effort de R§D, à la place des impôts (IS)
A l’autre extrémité la licence s »‘accompagne d’une licence de savoir faire , d’une assistance technique , du recours à l’éco système des sous traitants Fr…etc.Cela devient tres rentable et plus que une vente en terme de résultat avant impots,peut être.Cela crée une dépendance industrielle et politique (les licenciés locaux font des profits et employent….les prix de vente locaux sont fait en l’absence de concurrence)
Ne pas oublier que Naval ou Dassault sont en sous capacité humaine et indus.à fortiori avec les coûts Fr. Les Chantiers de Salamis en Grece fabriquent les éléments métalliques des FDI.Les fuselages de Rafales seront fait en Inde;Les Bresiliens ou les Indiens peuvent fabriquer des éléments de Scorpène (NG est actionnaire des chantiers Br)
Nous regorgeons de places dans nos sites et de soudeurs qualifiés en France..!
Il y a des redites dans l’article, c’est dommage … Les vacances peut-être ?
Non, j’ai du l’écrire en 3 fois, par chapitre. J’aurais du faire plus attention.
Bien vu! Effectivement les intérêts opérationnels de la France et de l’inde paraissent beaucoup plus proche qu’avec l’Allemagne!
ne sablons pas le champagne trop vite, l’oeuf est encore dans le cul de la poule. si cela se vrifie dassault va être encore plus en position de force pour imposer sa direction sur le scaf. on sortira enfin de ce brouillard ou rien ne se fait depuis 7 ans. et si les allemands ne veulent rien entendrent et bien oui proposons à l’inde la place , je suis sur qu’ils en seront enchantés, eux !
Ce serait une importante information, donnant a Dassault, Safran, Thales et MBDA une assise en Inde donc en Asie,en doublant la capacité mensuelle de production du Rafale, soit 7 a 9 unités. DE plus ce serait aussi un marché potentiel pour 100 à 300 NeuroN, enfin il y a peut etre une possibilité pour faire renaitre le progamme Scaf (qui risque d etre enterré par le couple franco-allemand), entre l’Inde et la Fance, d’autant plus que l on retrouve un interet commun pour les versions navales et emport bombe nucleaire.
Pour le SCAF, on pourrait avoir les mêmes problèmes avec l’Inde qu’avec l’Allemagne, pour les mêmes raisons. Personne ne nous paiera le développement du Scaf. Les postulats de départ sont toujours aussi mauvais. Les Indiens veulent concevoir leur propre avion et moteur. Ça a été pareil avec la Corée du Sud et la Chine, pour des hélicoptères, des centrales nucléaires, des centraux téléphoniques et des TGV, il y a 30 ans. Ne nous berçons pas d’illusions.