[DEBRIEFING] FP-5 Flamingo-2 : quand l’Ukraine vise la profondeur stratégique 

Depuis le début de la guerre en Ukraine, Kiev a fait de l’innovation dans le domaine des drones et des missiles de croisière une priorité pour compenser l’avantage quantitatif russe. Aux côtés des systèmes importés de l’Ouest, plusieurs programmes indigènes ont émergé, souvent dans une relative discrétion, mais capables de surprendre par leurs performances. Le missile FP-5 « Flamengo-2 » appartient à cette catégorie. Dévoilé récemment, ce missile de croisière illustre la capacité de l’industrie ukrainienne à mettre au point des vecteurs de frappe de longue portée malgré des contraintes industrielles sévères.

Comparable par son architecture générale aux missiles de croisière occidentaux, le FP-5 n’est pas seulement un projet expérimental. Il traduit la volonté de Kiev de disposer d’une capacité autonome pour frapper en profondeur le dispositif russe, au-delà des lignes de front, et de contourner ainsi les limitations imposées par ses alliés sur l’emploi des armements occidentaux. Son apparition témoigne à la fois d’une inventivité technique et d’un pragmatisme stratégique, où la recherche de solutions simples et industrialisables prime sur la sophistication à outrance.

Analyse technique du missile de croisière ukrainien FP-5

Ce missile a été conçu et développé par le groupe anglo-émirati MILANION, qui l’a présenté pour la première fois lors du salon de l’armement d’Abou Dhabi au printemps 2025. Sa production serait assurée par l’entreprise ukrainienne Fire Point.

Le FP-5 se présente sous la forme d’un corps cylindrique d’environ un mètre de diamètre et d’une longueur estimée entre 12 et 14 mètres. Il est équipé d’un turboréacteur légèrement plus étroit que le fuselage, dont le diamètre est évalué à une soixantaine de centimètres. L’appareil dispose également d’une paire d’ailes droites portant son envergure à six mètres, ainsi que de petites dérives en croix de Saint-André à l’arrière du fuselage. Ce dispositif réduit l’encombrement, mais présente l’inconvénient d’offrir une stabilité en vol moindre par rapport à des dérives classiques.

Missile de croisière FP-5 Flamingo-2
Vue 3/4 arrière du missile FP-5 permettant de se faire une idée de sa taille

Au niveau des performances annoncées :

Portée maximale : 3000 km
Vitesse maximale : 950 km/h
Vitesse de croisière : 850 à 900 km/h
Plafond maximal de vol : 5000 m
Temps de vol maximum : 4 h

Charge militaire : 1150 kg
Poids au décolage : 6 tonnes

Guidage : GNSS avec antenne CRPA pour limiter les effets du brouillage couplé à une centrale inertielle.
Précision : ECP de 14 m (cohérent par rapport à un guidage GNSS)

Système de lancement : sur rampe avec un propulseur fusée largué en vol (20 à 40 min de préparation)

Analyse de la motorisation

On relève une légère incohérence entre le temps de vol maximal annoncé, l’autonomie et la vitesse de croisière. En effet, la durée maximale impliquerait une vitesse moyenne d’environ 750 km/h pour couvrir 3000 km. Cette différence pourrait s’expliquer par un profil de vol particulier, puisque les turboréacteurs ne délivrent pas la même poussée selon l’altitude : plus celle-ci est élevée, plus la poussée diminue. Cette hypothèse correspondrait donc à un vol effectué à l’altitude plafond.

Dans la même logique, l’autonomie maximale annoncée de 3 000 km ne serait atteignable qu’à condition que le missile évolue à son altitude limite de 5 000 m. À cette hauteur, le turboréacteur consomme en effet sensiblement moins de carburant qu’en basse altitude. L’écart est significatif : entre un vol à 500 m et un vol à 5 000 m, la consommation peut varier de 25 à 35 %, selon le type de moteur. Concrètement, cela signifie que la portée du missile pourrait être réduite de près d’un tiers en cas de trajectoire à basse altitude.

Le plafond maximal de 5 000 m constitue par ailleurs une indication sur la poussée disponible du réacteur. Elle semble limitée, voire sans réserve significative, ce qui expliquerait la baisse de vitesse observée en altitude. Cela suggère également une manœuvrabilité restreinte : le missile ne pourrait sans doute pas modifier brutalement sa trajectoire ou son altitude sans altérer sa vitesse. Sur le plan opérationnel, cela interdit probablement les trajectoires très rasantes de suivi de terrain. On peut donc raisonnablement estimer que l’altitude minimale de vol se situe autour de 500 m, afin de conserver une marge de manœuvre et d’éviter tout risque de collision avec le relief ou des infrastructures élevées.

À partir de ces éléments, il est possible d’estimer la poussée du moteur équipant le missile. Un calcul approximatif indique que pour propulser un engin de six tonnes à 900 km/h, il faut une poussée comprise entre 16 et 18 kN.

Ce résultat apparaît cohérent lorsqu’on le compare à des appareils existants, comme le drone TU-141. Cet engin de plus de six tonnes peut voler à 1 000 km/h et atteindre une altitude maximale de 6 000 m. Il est propulsé par un turboréacteur Tumansky KR-17A, délivrant une poussée de 19,6 kN.

La liste des turboréacteurs correspondant à de telles caractéristiques n’est pas très longue :

  • Williams FJ44-4 : 16 kN
  • Honeywell TFE731 : 15,6 à 21,1 kN
  • Ishikawajima-Harima (IHI) F3-30 / F3-IHI-30 : 16,4 kN
  • General Electric J85-5J : 17,1 kN
  • Ivchenko AI-25TL : 16,9 kN

Le diamètre estimé du turboréacteur équipant le FP-5, autour de 60 cm, permet d’écarter le Honeywell TFE731, dont le diamètre est trop important. Le moteur japonais peut également être exclu en raison de sa faible diffusion, tandis que le General Electric J85-5J est à écarter puisqu’il n’est plus produit, hormis pour des pièces de rechange destinées aux modèles encore en service.

Il reste donc deux candidats plausibles :

  • Williams FJ44-4 : soufflante de 64 cm de diamètre, longueur de 1,742 m, poids de 295 kg, consommation spécifique d’environ 50 kg/(kN.h).
  • Ivchenko AI-25TL : soufflante de 62 cm de diamètre, longueur de 3,358 m, poids de 350 kg, consommation spécifique d’environ 56 kg/(kN.h).

Cohérence du devis de masse

Ces données permettent d’estimer le poids de carburant nécessaire au FP-5 pour atteindre l’autonomie annoncée.

Selon le moteur retenu, le missile devrait embarquer environ 3,2 tonnes de carburant avec le Williams FJ44-4 et 3,7 tonnes avec l’Ivchenko AI-25TL, afin de respecter les performances théoriques.

Ainsi on peut établir un bilan de masse :

 Williams FJ44-4Ivchenko / AI-25TL
Poids moteur295 kg350 kg
Poids carburant3200 kg3700 kg
Charge militaire1150 kg1150 kg
Poids cellule~  800 à 1000 kg~ 800 à 1000 kg
Electronique et accessoire (pompes carburant, servo-commandes, centrales inertielles etc…)~ 200 kg~ 200 kg
Total :~ 5845 kg~ 6400 kg

Le bilan de masse des 2 options, aux incertitudes près, permet de conclure que le devis de masse du missile est cohérent par rapport aux données communiquées.

Flamingo FP-5 engine
Vue 3/4 avant du missile avec sa tête militaire, cela permet aussi de voir que le revêtement du corps central du missile est réalisé en fibre de carbone

Missile FP-5 Flamingo-2 à quel prix ?

Il est possible d’établir une estimation du coût du FP-5 en se basant sur celui de son moteur, qui en constitue l’élément le plus onéreux.

Un moteur Williams FJ44-4 neuf coûte environ 1,5 million de dollars, tandis qu’un AI-25TL est évalué à 600 000 dollars pièce. On peut ainsi estimer que le prix d’un FP-5 dépasserait les 2 millions de dollars avec un moteur Williams, alors qu’il se situerait dans une fourchette de 1 à 1,2 million de dollars avec un AI-25TL neuf.

Il est toutefois raisonnable de penser que le missile est équipé du turboréacteur AI-25TL, un choix à la fois pragmatique et national. Produit depuis 1972 par la société ukrainienne Motor Sich à Zaporijjia, ce moteur a été fabriqué à plus de 5 000 exemplaires. De nombreux modèles d’occasion sont encore disponibles à bas coût, ce qui permet de réduire considérablement le prix unitaire du missile — mais seulement tant que ces stocks existent.

En considérant que certains de ces moteurs puissent être obtenus gratuitement ou à très faible prix, la fourchette annoncée par les Ukrainiens, comprise entre 360 000 et 850 000 dollars, devient crédible[1].

Enfin, le fait que ce moteur équipe les avions d’entraînement L-39 laisse supposer que l’Ukraine dispose encore de plusieurs centaines d’exemplaires en réserve.

Quels capacités de production ?

La capacité annuelle de production de ces moteurs reste limitée, probablement inférieure à 500 unités par an. Cela jette un doute sur les ambitions ukrainiennes, qui annoncent vouloir produire sept missiles FP-5 par jour à partir d’octobre 2025. Une telle cadence ne pourrait être maintenue que tant que des stocks de moteurs sont disponibles. Or, à ce rythme, ces réserves seraient épuisées en quelques semaines, laissant place à une dépendance totale vis-à-vis de la capacité de production de l’usine, elle-même très exposée aux frappes russes dont elle fût l’objet à plusieurs reprises au mois de septembre 2025.

Il s’agit là d’un point de vulnérabilité majeur du programme. Contrairement aux drones, qui peuvent être fabriqués relativement facilement dans des ateliers de fortune, la production de turboréacteurs exige une infrastructure industrielle lourde, difficilement délocalisable. De plus, comme on l’a vu, toute substitution de moteur apparaît à la fois complexe et extrêmement coûteuse.

Résumé des caractéristiques techniques du missile après analyse

Portée maximale en vol haut (5000m) : 3000 km
Portée maximale en vol bas (500m) : ~ 2000 à 2300 km
Vitesse maximale : 950 km/h
Vitesse de croisière : entre 750 et 900 km/h selon le profil de vol
Plafond maximal de vol : 5000 m
Temps de vol maximum : 4 h avec un profil de vol haut
Charge militaire : 1150 kg
Motorisation : Ivchenko / AI-25TL
Poids au décollage : 6 tonnes
Guidage : GNSS avec antenne CRPA pour limiter les effets du brouillage couplé à une centrale inertielle.
Précision : ECP de 14 m (cohérent par rapport à un guidage GNSS)
Système de lancement : sur rampe avec un propulseur fusée largué en vol (20 à 40 min de préparation)

Plus value du missile pour l’Ukraine

Peu importe que le missile ait été conçu à l’étranger : ce qui compte, c’est qu’il soit désormais produit en Ukraine. En effet, le transfert de technologie, à l’exception du nucléaire, n’est pas soumis à réglementation internationale ; seules les exportations de matériels militaires le sont. Le FP-5 répond ainsi à trois enjeux principaux :

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Pour Aller plus loin

1 COMMENTAIRE

  1. La production des moteurs aurait été transférée, mais les articles cités ne précisent pas dans quel pays. On peut supposer qu’elle a été relocalisée à l’étranger, par exemple au Danemark, où FirePoint a déjà déplacé la production de carburant pour missiles :
    https://www.courrierinternational.com/article/armes-le-carburant-d-un-missile-ukrainien-sera-produit-au-danemark-une-premiere-dans-l-otan_234783
    Cela rend la chaîne de production beaucoup moins vulnérable à des frappes directes. Les moteurs nouvellement fabriqués sont des versions simplifiées : ils sont à usage unique et n’ont pas besoin de variation de poussée.
    Concernant les stocks, l’idée de “quelques milliers” paraît difficile à soutenir. L’Ukraine a hérité de nombreux moteurs en 1991 : environ 480 L-39 Albatros avec leurs propulseurs, auxquels s’ajoutaient les moteurs de rechange et ceux présents dans les entrepôts de Motor Sich, soit probablement de l’ordre de 1 000 à 1 200 unités au total. Parler de “quelques milliers” supposerait au moins 2 000 moteurs disponibles, ce qui impliquerait que l’Ukraine ait ensuite acheté plusieurs centaines d’exemplaires supplémentaires dans différents pays de l’ex-URSS, en Afrique ou auprès de collectionneurs. Même si elle avait commencé ces acquisitions dès le début de la guerre, cela paraît complexe, sauf si elle a pu mettre la main sur un ou plusieurs lots importants en une seule fois.

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