L’exercice Dacian Fall conduit à Cincu a confirmé ce que nombre d’états‑majors redoutaient déjà. L’appui américain n’est plus une garantie automatique, tandis que la dépendance européenne aux facilités transatlantiques reste criante. Le scénario a mis en scène une brigade blindée sous commandement français défendant les Carpates sans soldats américains en première ligne, alors que la présence des États‑Unis en Roumanie reculait de 1 700 à 1 000 militaires. Pour l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), l’enjeu n’est plus théorique. Les délais et ruptures observés renvoient à une logistique européenne trop lente et à des capacités de mobilité militaire mal agrégées pour une guerre de haute intensité.
Au-delà de l’image, l’acheminement d’unités lourdes a révélé une chaîne où s’empilent avions, trains, convois routiers et formalités douanières, avec des journées entières perdues aux frontières. L’Alliance découvre ainsi qu’elle dispose de forces prêtes à combattre, mais peine à les déplacer au tempo requis. Les réseaux d’infrastructures et les procédures transfrontalières ne suivent pas, ce qui met en cause la rapidité de réaction collective. Dans ces conditions, l’exercice Cincu agit comme un révélateur de la dépendance européenne et réactive une question centrale d’autonomie stratégique face à un adversaire qui, lui, sait masser vite ses forces.
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À Cincu, des jours perdus et des frontières opaques font dérailler le plan OPLAN DEU de l’OTAN
La première leçon tient au temps. Le déploiement d’une brigade blindée depuis la France vers la Roumanie s’est compté en jours plutôt qu’en heures, avec une succession d’étapes qui ont ralenti le flux. Les chiffres donnés sur le terrain parlent d’eux‑mêmes, entre avions, trains et convois routiers, tandis que plusieurs jours ont été perdus aux postes frontières. Comme l’a décrit Defenseromania en s’appuyant sur un reportage de l’agence Bloomberg, ce tempo ne cadre pas avec les exigences d’une guerre de haute intensité. La conséquence est simple. Une force prête au combat ne sert qu’à moitié si elle ne peut pas être livrée à temps au point de contact.
Par ailleurs, les obstacles réglementaires ont agi comme des freins puissants. Les permis de transit, les règles nationales hétérogènes et l’insuffisance de corridors pleinement opérationnels ont créé des goulets d’étranglement. Les poids, gabarits et règles douanières divergent encore trop pour permettre un flux continu d’unités lourdes d’un bout à l’autre du continent. Le site The Defense Post met en exergue ces difficultés d’interopérabilité normative et l’inadaptation de segments routiers, ferroviaires et portuaires à des convois militaires massifs. Tant que ces verrous n’auront pas sauté, la mobilité militaire restera bridée.
La dépendance aux moyens extérieurs constitue un deuxième risque. L’accès aux avions gros porteurs demeure fragile, qu’il s’agisse d’affrètements ou du contrat Solution internationale de transport stratégique, SALIS, qui s’appuie sur des appareils Antonov vieillissants et exposés. Dans une crise prolongée, ces capacités sous contrainte deviennent l’angle mort de la manœuvre, d’autant qu’une part critique du transport stratégique repose sur des acteurs civils. L’IRIS rappelle que ce modèle est économiquement rationnel en temps de paix, mais opérationnellement risqué en temps de guerre si les assureurs ou opérateurs réduisent leurs activités.
Enfin, les exercices de convoyage sur le territoire allemand ont illustré des vulnérabilités inattendues. Des opérations a priori simples, comme le franchissement d’intersections ou la sécurisation face à un drone, ont immobilisé des colonnes entières. Les mises en situation de manifestations hostiles, ou la vétusté de certaines infrastructures, ont retardé des déplacements qui auraient dû être fluides. Comme l’a rapporté Euronews, le plan OPLAN DEU fait du privé un acteur clé, tout en listant sabotage, drones et cybersécurité parmi les menaces susceptibles de désorganiser les lignes de communication.
Sans SAFE ni masse critique, les facilitateurs stratégiques restent le talon d’Achille européen
Le cœur du problème dépasse la seule logistique. L’Europe continue de s’appuyer sur des acteurs extérieurs pour les « facilitateurs stratégiques » que sont le renseignement, la surveillance et la reconnaissance (ISR), la défense antiaérienne de longue portée et les frappes de précision. Le média espagnol Infodefensa rassemble des analyses décrivant une dépendance structurelle aux capacités américaines qui fragilise la crédibilité européenne. Tant que ces briques resteront sous‑dimensionnées sur le continent, la dissuasion conventionnelle ne pourra pas compenser l’incertitude politique transatlantique.
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