L’arrivée des six premiers F-16 argentins à Área Material Río Cuarto matérialise une rupture nette dans la trajectoire de la Fuerza Aérea Argentina (FAA). Après près d’une décennie sans capacité supersonique, le pays reconstitue une composante de puissance aérienne moderne.
Toutefois, cette opération de ferry, conduite dans le cadre d’un transfert tiers d’armement et appuyée en vol par des ravitailleurs KC‑135 américains, met en évidence une montée en puissance étroitement conditionnée par les États‑Unis, tant pour le financement que pour le ravitaillement en vol et la formation. L’événement constitue ainsi un jalon stratégique majeur pour les F‑16 argentins, tout en exposant des dépendances logistiques et politiques qu’il faudra maîtriser pour sécuriser la trajectoire opérationnelle jusqu’en 2028.
Sommaire
Avec les F-16 argentins, la Fuerza Aérea Argentina retrouve le supersonique sous l’œil de Javier Milei
L’arrivée à Río Cuarto des six premiers F‑16 Fighting Falcon met un terme à une période de dix ans sans chasseurs supersoniques et rétablit une capacité structurante pour la FAA. Après une escale technique à Natal, les appareils ont rejoint la province de Córdoba, marquant un basculement concret pour l’aviation de combat nationale. Comme le souligne Zona Militar, cette séquence s’inscrit dans un processus de modernisation attendu, tout en revêtant une forte dimension symbolique pour une nouvelle génération de pilotes. Elle élève immédiatement le niveau de dissuasion aérienne, mais s’insère dans une logique de montée en puissance progressive, encadrée par les soutiens prévus.
La première tranche livrée comprend quatre F‑16BM biplaces et deux F‑16AM monoplaces, avec des matricules clairement identifiés (M1004, M1005, M1007, M1008, M1009 et M1020). Cette composition privilégie la phase d’instruction initiale et la prise en main opérationnelle, en mettant l’accent sur l’entraînement avancé en double commande et la qualification des équipages. Elle illustre le caractère graduel du programme : les biplaces servent de socle à la transition, tandis que les monoplaces amorcent la constitution d’un noyau de mission. L’ensemble vient combler le vide laissé par le retrait des Mirage en 2015, et repositionne la FAA parmi les forces régionales disposant d’une flotte supersonique en service.
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La dimension politique du programme a été pleinement assumée lors de la réception officielle. La cérémonie, présidée par Javier Milei, le président argentin, aux côtés de Luis Petri, ministre de la Défense, a inscrit cette acquisition dans une dynamique plus vaste de modernisation de l’outil militaire. Au‑delà de l’affichage, cette mise en scène porte l’idée d’une revitalisation de la chaîne de commandement, de la formation et des infrastructures. Elle répond aussi à une attente sociétale de long terme : offrir au public la preuve visible d’une capacité de chasse moderne et crédible, notamment à travers le survol en formation de Buenos Aires prévu avec les nouveaux avions.
Sur le plan contractuel, l’Argentine a formalisé en 2024 l’acquisition de 24 F‑16 A/B MLU via une procédure de transfert tiers d’armement autorisée par Washington, avec un étalement des livraisons jusqu’en 2028, comme le rappelle Infodefensa. Ce montage s’appuie sur un dispositif financier différé, adossé aux soutiens américains, afin de lisser dans le temps l’effort budgétaire. La cadence retenue — six appareils par an — structure la montée en puissance de la flotte, mais génère aussi des phases transitoires durant lesquelles la disponibilité opérationnelle restera limitée, en attendant la pleine intégration des moyens de soutien.
L’accord s’accompagne d’un package de soutien complet : moteurs de rechange, simulateurs, casques Joint Helmet‑Mounted Cueing System (JHMCS), pods, outillage de maintenance et programme de formation intégral pour pilotes et techniciens. Ce dispositif vise à contenir les risques techniques de la transition, à sécuriser l’entretien de premier niveau et à accélérer la conversion des équipages. Il constitue la condition d’une stabilisation de l’activité en vol et de l’entraînement, tout en préparant l’absorption progressive des prochaines livraisons. La logique est claire : sans ces moyens, la modernisation resterait largement théorique, faute de soutien logistique, de documentation et de compétences disponibles.
Du Danemark à l’Argentine, un pont aérien porté par les KC‑135 Stratotanker et un soutien américain décisif
Le transfert des appareils depuis le Danemark a reposé sur un appui direct de l’Armée de l’Air des États‑Unis (USAF), avec trois KC‑135R Stratotanker dédiés au ravitaillement en vol, garantissant l’autonomie et la sécurité de la traversée. Cette mobilisation met immédiatement en lumière la dépendance initiale au KC‑135 pour le ravitaillement, condition indispensable pour franchir l’Atlantique et assurer l’acheminement jusqu’au territoire argentin. Elle souligne, en creux, un enjeu de souveraineté capacitaire : tant que des moyens organiques de ravitaillement ne seront pas opérationnels, la projection et certains profils de mission resteront fonction de la disponibilité de capacités alliées.
Le ferry a été découpé en plusieurs étapes, avec escales à Zaragoza, aux îles Canaries et à Natal, mobilisant des équipages danois et argentins pour la traversée et des survols en formation. Cette mécanique a exigé une coordination serrée des procédures, des profils de consommation et des créneaux de ravitaillement. Le site FlightGlobal détaille comment cette séquence a servi d’exercice grandeur nature d’interopérabilité, en préfigurant les futures coopérations et en rodant les enchaînements logistiques et opérationnels indispensables à tout déploiement.
Le soutien américain s’inscrit par ailleurs dans une logique financière et logistique structurée. Selon l’Ambassade des États‑Unis à Buenos Aires, citée par FlightGlobal, une subvention initiale de 40 millions de dollars amorce un package de formation et de soutien d’environ 560 millions de dollars, afin de rendre l’opération soutenable et d’accélérer la montée en compétence. Dans ce cadre, l’ambassade précise l’objectif stratégique de cet appui : « L’arrivée des F‑16 renforce les capacités de défense aérienne de l’Argentine et soutient la coordination des opérations avec les États‑Unis et d’autres partenaires. » Cette déclaration clarifie l’adossement politico‑militaire du programme et l’inscription de la FAA dans un environnement de coopération occidentale accrue.
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Dans les faits, l’autorisation américaine au titre du transfert par un tiers a été l’élément déclencheur qui a permis la vente. Elle s’accompagne d’engagements en matière de formation, de soutien et de financements qui structurent la trajectoire du programme. Cette architecture conditionne la disponibilité réelle des F‑16 : rythme de livraisons, créneaux d’instruction, accès aux pièces et aux capacités de maintenance. Elle renvoie aussi à un arbitrage permanent entre le tempo opérationnel souhaité et les contraintes externes liées à la continuité des soutiens américains.
Dans le même temps, la FAA prévoit l’intégration de capacités organiques de ravitaillement en vol. Deux KC‑135 sont ainsi recherchés, avec des Lettres d’acceptation (LOA) en préparation, leur fourniture restant dépendante de la disponibilité d’unités au sein de l’USAF. Cette étape est structurante pour réduire la dépendance au ravitaillement allié, mais son calendrier demeure indexé sur les marges de manœuvre américaines. D’ici là, la projection et les missions longues resteront étroitement corrélées aux appuis extérieurs et aux fenêtres d’emploi offertes.
De Río Cuarto à 2028, sécuriser la disponibilité passe par la maintenance, la formation et les infrastructures
Le calendrier échelonné de livraisons — six appareils par an jusqu’en 2028 — génère mécaniquement des phases transitoires de disponibilité. À chaque étape, la montée en compétence des équipages, la constitution d’un socle de pièces de rechange et la stabilisation des heures de vol détermineront le niveau d’alerte et l’intensité de l’entraînement. De ce fait, la pleine capacité opérationnelle ne pourra pas coïncider avec la seule arrivée des cellules : elle dépendra de la conjonction de moyens matériels, humains et procéduraux. Cette réalité impose une planification fine des cycles de formation, des visites techniques et des volumes d’activité, pour éviter des creux capacitaires entre livraisons et préserver la cohérence de la montée en puissance.
La disponibilité de pièces critiques, de moteurs, de pods et d’outillages apparaît comme un point de vigilance central. L’approvisionnement reposera sur des chaînes étrangères, exposées à des tensions de marché et à des délais parfois longs. Sans stocks initiaux suffisants et contrats de soutien solides, le maintien en condition opérationnelle (MCO) risque de connaître des ruptures, avec à la clé des surcoûts et une dégradation de la disponibilité. Un plan de sustainment aérien, intégrant rechanges, documentation et assistance technique, devient indispensable pour sécuriser les heures de vol, lisser les pics d’entretien et préserver le potentiel des cellules et des moteurs au rythme prévu.
Les infrastructures conditionnent, elles aussi, l’exploitation durable de la flotte. À Río Cuarto, la désignation d’Área de Material comme base opérationnelle provisoire s’est accompagnée de travaux sur les plateformes, les dalles et les hangars, ainsi que de la mise en place d’ateliers spécialisés et de systèmes de freinage par câble. Ces aménagements constituent les prérequis pour mettre en œuvre, entretenir et protéger les appareils dans des conditions sûres. À terme, le transfert vers la base de Tandil dépendra de l’achèvement des chantiers et des capacités d’accueil, faute de quoi une dispersion des moyens viendrait alourdir les opérations et la maintenance.
La formation, à la fois technique et opérationnelle, demeure un facteur limitant majeur. Le programme prévoit des simulateurs et des instructeurs conjoints pour couvrir la mécanique, l’avionique et les systèmes d’armes, avec l’objectif d’accélérer la conversion tout en ancrant des pratiques de maintenance préventive et corrective robustes. Il s’agit de générer rapidement des équipages qualifiés et un personnel technique autonome. Mais la cadence d’instruction, la disponibilité des simulateurs et l’accès à la documentation technique influeront directement sur le volume d’activité, la sécurité des vols et la résilience de la flotte face aux aléas.
Enfin, le basculement stratégique vers des partenaires occidentaux accroît l’interopérabilité tout en créant des leviers externes sur le calendrier et la souveraineté décisionnelle. Cette orientation, fondée sur des autorisations, des financements et un soutien technique extérieurs, renforce la crédibilité opérationnelle régionale, mais expose Buenos Aires à des contraintes politiques et industrielles qu’elle ne maîtrise pas entièrement. Pour en tirer pleinement parti, la priorité consiste à verrouiller un cadre pluriannuel de soutien, d’infrastructures et de formation, afin de réduire l’exposition aux retards et de stabiliser la disponibilité en service de la flotte jusqu’en 2028.
Conclusion
Au terme de cette séquence, l’arrivée des six premiers F‑16 consacre un réinvestissement majeur dans la capacité de chasse argentine, tout en révélant un modèle de montée en puissance étroitement adossé à un soutien américain continu en matière de ravitaillement, de financement et de formation. Parallèlement, le phasage des livraisons, l’exigence d’infrastructures adaptées et la dépendance à des chaînes d’approvisionnement étrangères dessinent des fenêtres de vulnérabilité capacitaire que Buenos Aires devra combler par des plans de sustainment robustes et des accords d’appui de long terme.
Dans le même temps, l’ancrage pro‑occidental ouvre des perspectives accrues d’interopérabilité, mais lie la trajectoire opérationnelle à des décisions politiques et industrielles extérieures que l’Argentine devra intégrer dans sa planification pour sécuriser, dans la durée, la disponibilité de sa nouvelle flotte jusqu’en 2028.