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En mars 2022, le site allemand Bild révélait que les autorités du pays s’intéressaient au système anti-missile balistique Arrow 3 de l’israélien IAI, dans le cadre du renforcement rapide des capacités défensives permit par le Zeitenwende, une enveloppe exceptionnelle de 100 Md€ dédiée au renforcement de la Bundeswehr annoncée le 27 février 2022, 4 jours après le début de l’offensive russe contre l’Ukraine.
Quelques mois plus tard, à la fin du mois d’aout, le chancelier allemand Olaf Scholz présenta, à l’occasion du discours donné à Prague, l’initiative European Skyshield, rassemblant 14 nations européennes, et visant à créer une défense anti-aérienne et anti-missile commune sur la base de 3 systèmes d’armes : l’Iris-T SLM allemand, le Patriot PAC-3 américain ainsi que l’Arrow 3 israélien.
Les négociations avec l’israélien IAI, mais également l’Américain Boeing qui contribua de manière importante à la conception de l’Arrow 3, ont été menées tambours battants depuis, Berlin ayant révélé mi-juin 2023 le prochain versement d’une avance de 560 m€ sur les 4.3 Md€ que coutera l’acquisition de ce système, présenté comme le bouclier anti-missile ultime susceptible de protéger de la menace russe l’Allemagne, mais également les membres de European Skyshield.
Les performances et capacités du système antimissile Arrow 3
Conçu pour répondre à la menace des missiles balistiques de moyenne portée et de portée intermédiaire iraniens, le système israléien est capable d’intercepter des vecteurs en trajectoire balistiques dans le domaine exo-atmosphériques, soit au-delà de 100 km d’altitude.
Un spécialisé pour contrer les missiles MRBM et IRBM iraniens
Ses capacités sont de fait parfaitement adaptées pour faire face aux missiles balistiques de moyenne portée MRBM (Médium Range Ballistic Missile) Ghadr-110 iraniens d’une portée de 2000 km avec un apogée de 150 km, ainsi que pour contenir, en phase descendante, les missiles Shahab-5 de portée intermédiaire IRBM (Intermediate Range Ballistic Missile) d’une portée annoncée de 4000 km avec un apogée à 400 km.
Toutefois, la Russie de dispose d’aucun système balistique de ce type à ce jour. En effet, contrainte comme les Etats-Unis par le traité INF qui interdisait la conception et la mise en œuvre de missiles d’une portée allant de 500 à 5.500 km, les forces russes ne disposent à ce jour que de systèmes situés à ces deux extrémités.
Mais inutile contre les missiles russes SRBM et ICBM
Il s’agit d’une part des missiles balistiques intercontinentaux ICBM (inter-Continental Ballistic Missile) comme le Yars ou le Sarmat, et de missiles SLBM (Sea Launched Ballistic Missile) lancés de sous-marins comme le Bulava, tous ayant une portée supérieure à 10.000 km et une trajectoire impossible à contenir par l’Arrow 3, et de l’autre des missiles à courte portée SRBM (Short-Range ballistic Missile) Iskander M et de sa version aéroportée Kinzhal.
Or, même si le Kinzhal à une portée annoncée de 1000 km lorsque lancé d’un MIG-31K, et 2000 km d’un Tu-22M3M, il suit la même trajectoire semi-balistique que son cousin l’Iskander M d’une portée de 500 km, avec une altitude de croisière évoluant entre 50 et 60 km, c’est-à-dire au-dessus du plafond d’interception du Patriot PAC-3 ou de l’Aster Block1NT (35 km), mais sous le plancher d’interception des systèmes exo-atmosphériques et end-atmophériques hauts comme le THAAD, le SM-3, et l’Arrow 3.
Notons à ce titre que les interceptions réussies par des missiles Patriot PAC-3 de missiles Kinzhal tirés contre Kyiv, furent rendues possibles, car les missiles étaient alors en trajectoire plongeante et les batteries à proximité de la cible visée.
L’équation difficile de la protection antibalistique en Europe
Dans ce contexte, il convient de garder à l’esprit qu’il existe plus de 400 villes de plus de 100.000 habitants en Europe, alors que moins d’une cinquantaine de batteries Patriot PAC-3 et SAMP/T Mamba capables de s’y opposer sont en service sur le vieux continent.
Si le système israélien n’est pas adapté pour répondre à la menace balistique russe, peut-être le sera-t-il concernant des systèmes en développement ? Là encore, rien n’est garanti, bien au contraire. D’une part, rien n’indique à ce jour que Moscou ait entrepris de développer une gamme de missiles MRBM et/ou IRBM complémentaires à sa gamme existante, les autorités russes semblant plutôt donner la préférence au développement de systèmes hypersoniques.
Surtout, même dans cette hypothèse, il est plus que probable que les éventuels nouveaux vecteurs russes seront, eux aussi, dotés de planeurs hypersoniques pour contrer les systèmes anti-missiles existants, comme c’est le cas du SARMAT qui sera équipé du planeur hypersonique Avangard.
Or, la solution vendue par Israël n’est pas adaptée pour contrer ce type de menace, raison pour laquelle Jérusalem a lancé le développement de l’Arrow 4 censé précisément être en mesure de s’opposer aux évolutions des moyens balistiques iraniens dans les années à venir.
Berlin est d’ailleurs parfaitement conscient de cette limite, puisque engagé dans les 3 programmes européens destinés à contrer la menace hypersonique, notamment le programme TWISTER visant à détecter et à poursuivre les vecteurs hypersoniques, missiles comme planeurs, et le missile intercepteur Aquilae de MBDA présenté à l’occasion du salon du Bourget 2023.
Un investissement pour soutenir l’initiative Sky Shield allemande
On comprend, dès lors, tous les paradoxes qui entourent la décision de Berlin d’acquérir le système israélien, celui-ci n’apportant aucune plus-value de protection ni pour l’Allemagne, ni pour ses alliés de l’initiative Sky Shield, tout en consommant des ressources qui auraient pu être bien plus efficacement employées .
Elle aurait ainsi pu monter à bord du programme Aster afin de développer avec la France et l’Italie l’Aster 2 dont le plafond de 70 km répond parfaitement à la menace des Iskander et Kinzhal russes, tout en étendant la fenêtre d’interception contre les autres menaces.
Reste à voir désormais comment Berlin va pouvoir justifier sa décision de dépenser 4,3 Md€ pour acquérir un système ne répondant à aucun besoin existant ou prévisible, alors que ce constat ne manquera pas d’émerger dans la presse allemande dans les semaines ou mois à venir, et qu’en dépit du Zeitenwende, la Bundeswehr manque encore de crédit pour finaliser sa modernisation après 30 années de budgets insuffisants et de contraintes légales souvent absurdes et contre-productives.





