Depuis les premières présentations du projet Shtorm en 2015, il ne se passe pas une année sans qu’une nouvelle maquette du « prochain porte-avions nucléaire » russe ne soit présenté au public, par les bureaux d’étude Krylov. Et cette année ne fait pas exception, avec la présentation du Project 1143E Lamantin, un porte-avions de « 350 m » de long et de « 90 à 100.000 tonnes », propulsé par un réacteur nucléaire épaulé par des turbines à gaz, et pouvant mettre en oeuvre une centaine d’aéronefs, dont des versions navalisées du Su57 et du drone de combat S70 Okotnik.
Cette année, le Chef d’Etat-Major de la Marine Nikolai Yevmenov, à l’occasion du salon de St-Pertesbourg, a annoncé que le ministère de La Défense avait lancé une étude visant à définir les recommandations techniques pour la construction d’un porte-avions nucléaire, celle-ci n’étant toutefois « pas dans l’immédiat » selon ses dires.
La question de la construction d’un nouveau porte-avions en Russie est, en fait, assez semblable à cette même question en France : Tous reconnaissent son utilité, tous le disent indispensable, mais personne ne veut prendre la décision de lancer un investissement dépassant les 200 Md de Roubles en Russie, ou les 5 Md€ en France. Car en effet le porte-avions souffre de plusieurs points faibles critiques, agissant contre lui de façon systématique :
Le ticket d’entré est très élevé, d’autant qu’il faut y ajouter le groupe aérien embarqué, et l’escorte.
Le potentiel à l’export de ce savoir-faire est très réduit, pour ne pas dire fondamentalement inexistant.
L’applicabilité des technologies et des savoir-faire spécifiques est, elle aussi, extrêmement limitée
Les besoins pour un tel bâtiment sont rares, et limités à des scénarios spécifiques
Enfin, le porte-avions est souvent présenté comme vulnérable, notamment aux attaques par missiles hypersoniques.
Dans un contexte ou l’investissement global est contraint, ce qui est très souvent le cas, la décision de construire ou ou plusieurs porte-avions apparait dès lors comme étant au détriment de l’acquisition d’autres équipements, pouvant être jugés plus utiles dans nombre de scénarios. En France par exemple, l’Armée de l’Air est devenue coutumière de porter des estocades répétées contre les projets visants à construire un second porte-avions, en utilisant, d’ailleurs, ces mêmes arguments.
Malgré son cout et sa potentielle vulnérabilité, le porte-avions reste aujourd’hui le symbole absolu de puissance militaire à l’échelle mondiale avec le SNLE et les bombardiers stratégiques
Dans ce contexte, pourquoi certains pays, comme la Grande-Bretagne, la Chine, l’Inde, la Russie et bien évidemment, les Etats-Unis, sont prêts à fournir ces efforts, pour disposer de cette arme si couteuse et vulnérable ? En effet, la Grande-Bretagne, dont les investissements de défense ne sont pas éloignés de ceux de la France, a consenti à fabriquer 2 porte-avions de 60.000 tonnes à tremplin équipés de F35B, quitte à devoir réduire sa flotte de Typhoon et de frégates, alors que la Chine a lancé la construction d’un 3eme porte-avions, qui disposera cette fois de catapultes électromagnétiques, et qui devrait avoir au moins un sister-ship avant d’entamer, d’ici 2025, la fabrication du premier porte-avions lourd à propulsion nucléaire comparable aux modèles américains.
C’est que le porte-avions apparait aujourd’hui comme l’arme de l’arsenal conventionnel la plus puissante dont peu disposer un état. Il n’est d’ailleurs pas surprenant de constater que les Etats disposant de porte-avions sont ceux qui disposent du plus grand nombre de têtes nucléaires. A ce titre, le porte-avions, bien plus que n’importe quel autre système d’armes, porte un message discriminant de puissance à l’échelle mondiale.
Alors que les tensions mondiales ne cessent de s’aggraver, que la course aux armements est relancée, et que plusieurs pays préparent leur population à l’hypothèse d’un guerre, la possession d’un ou plusieurs porte-avions apparait plus que déterminante dans la capacité à agir au delà de ses frontières, et donc à peser sur la transformation de la géopolitique mondiale. Ceci explique pourquoi britanniques, indiens et chinois consentent à de tels efforts, et pourquoi la Russie en rève malgré ses moyens limités. Ces pays veulent compter dans le monde de demain.
Le 3 juillet 2019, les sénateurs Ronan LE GLEUT et Mme Hélène CONWAY-MOURET ont publié un rapport de la commission sénatoriale des affaires étrangères, de La Défense et des Forces Armées, consacré à la construction de l’Europe de La Défense. Très détaillé, ce rapport aborde à la fois les questions politiques, économiques, géopolitiques et capacitaires de ce thème complexe et épineux. Parmi les différents points abordés, le rapport fait mention d’un besoin d’investissement de 357 Md$ pour les pays Européens si les Etats-Unis venaient à quitter l’OTAN. Ce chiffre, déjà repris par nombre de commentateurs Défense, pose de très nombreuses questions, d’autant qu’il n’est pas détaillé par le rapport.
Cette estimation est en fait issue d’un rapport du Think Tank britannique IISS de 2018, qui étudiait les déficits capacitaires européens dans un tel scénario. En reprenant le rapport, il apparait que ce chiffre s’accompagnait d’une seconde valeur, un besoin d’investissement de 110 Md$ dédiés à la puissance navale européenne, portant le total à plus de 400 Md€. A noter que les besoins et méthodes de calcul employées par IISS sont pour partie contestables, car ne tenant pas compte des investissements planifiés à venir des gouvernements européens, et étant déconnectées de toute notion temporelle.
Mais surtout, cette valeur devrait générer une importante remise en question des politiques de Défense et d’équipements des pays européens. En effet, si l’hypothèse d’une sortie de l’OTAN des Etats-Unis semble davantage tenir de la menace de salon que d’une hypothèse de travail, les pays européens achetant pour plus de 60 Md$ par an d’équipements et de services de Défense outre Atlantique, celle d’un conflit simultané avec la Chine dans le pacifique, et la Russie en Europe, est beaucoup plus concrète. Or, dans ce cas, les Etats-Unis devront très probablement concentrer leurs forces vers la menace la plus directe pour le pays, à savoir la Chine, et non la Russie, dont la force navale ne permettrait pas de porter la menace prés des côtes américaines. La Chine, en revanche, en sera prochainement capable. Ainsi, de récentes photos satellites ont montré que les chantiers navals Chinois construisaient simultanément non pas 1 mais 3 Navires d’Assaut porte-hélicoptères lourds ou LHD de Type 075, alors que des informations indiquent que la Marine Chinoise prévoit d’en commander encore au moins 2 lots, à livrer avant 2030. De fait, l’hypothèse utilisée par le rapport du Sénat montre l’ancrage d’un conservatisme fort dans la conception de la géopolitique mondiale, alors que celle-ci se redéfinie à grande vitesse.
Le rapport du Sénat est d’ailleurs, à ce titre, très « conservateur » dans ses approches des problématiques exposées, en jugeant par exemple l’Europe de La Défense comme un moyen de « partager le fardeau » sans en connaitre les effets économiques, budgétaires et sociaux, susceptibles de profondément modifier cette perception, ou en n’évaluant le concept d’Armée Européenne qu’au seul prisme d’une force supranationale superposée aux forces nationales, et donc venant en déduction de celles-ci, plutôt que de considérer l’hypothèse d’une force de réserve à encadrement matriciel, comme présenté dans cet article.
On peut se demander, dès lors, si l’inertie qui entoure la construction de l’Europe de La Défense, n’est pas davantage liée à des paradigmes erronées des acteurs politiques, plutôt qu’à des difficultés pour trouver des positions communes ?
Si la Grande-Bretagne fait des arbitrages qui peuvent être jugés comme contestable dans certains domaines de son industrie de Défense, elle fait preuve, en revanche, d’un dynamisme admirable dans d’autres, comme dans le domaine naval avec les programmes Type 26, Type 31 et Dreadnougth, aéronautique avec le Tempest, et des missiles de tous type. Visiblement, Londres ambitionne également de développer un haut niveau de compétence en ce qui concerne les armes à énergie dirigée, comme les Lasers.
En effet, le ministère de La Défense britannique a annoncé vouloir allouer un budget de 130 millions de £ (150 m€), pour le developpement de 3 démonstrateurs d’armes à énergie dirigée, avec pour ambition de disposer de prototypes fonctionnels en 2023. Ces 3 programmes reposent sur un système de défense laser lourd, embarqué sur les navires de la Royal Navy, un système léger pouvant être mis en oeuvre à partir d’un aéronef identifié comme le programme SHIELD, dont l’objectif sera d’éliminer les drones et d’assurer une protection rapprochée des unités des forces britanniques, et un système basé sur des ondes radios (ou des micro-ondes plutôt ?), visant à éliminer les systèmes électroniques et informatiques adverses. Dans la déclaration officielle, Londres précise que ces systèmes d’armes devront être en mesure d’être déployés en mission opérationnelle avant 10 ans.
Ces programmes prendront la suite du programme DragonFire, lancé en 2017, dont le but était d’étudier et d’effectuer les levées de doute sur l’utilisation de ces systèmes d’armes dans le futur, en l’état de la technologie actuelle et en devenir, pour la protection des navires de la Royal Navy.
La France est loin d’être en pointe de le domaine des armes dirigées. Des programmes d’étude ont bien été financés, et MBDA a bien construit un centre dédié aux expérimentations concernant les armes à énergie dirigée prés de Bordeaux cette année, mais aucun programme majeur n’a, pour l’heure, été annoncé, avec pour objectif de concevoir un équipement opérationnel à une date donnée. A noter qu’il en va de même concernant la technologie de Rail Gun, également loin des préoccupations actuels du Ministère des Armées comme des Etats-Majors, et pourtant, comme les armes à énergie dirigée, tout aussi dimensionnant pour la pérennité de l’autonomie stratégique dans les années à venir.
Il était temps ! Selon un article de Michel Cabirol dans La Tribune, la Ministre des armées validera prochainement en comité interministériel d’investissement, l’acquisition de 54 mortiers automatiques 2R2M de 120 mm construits par Thales. Ces systèmes équiperont des VBMR Griffon dédiés, afin de profiter de la protection et de la mobilité offerte par le nouveau blindé français, tout en offrant une vélocité exceptionnelle pour la mise en batterie, le feu et le départ des véhicules.
Il faut rappeler qu’aujourd’hui, les armées françaises disposent de moins de 120 « tubes » d’artillerie, dont seulement 77 canons automoteurs CAESAR, le reste étant représenté par des mortiers de 120mm tractés par VAB et quelques Lance-roquettes Unitaires. En substance, c’est le plus faible nombre de systèmes d’artillerie en service dans les armées françaises depuis la chute de l’ancien régime, alors que l’artillerie a toujours été un des domaines d’excellence des armées françaises. Cette année encore, les Caesars de la Task Force Wagram apporta des capacités enviés par tous les alliés présents en Irak et en Syrie, avant d’être retirés du théâtre d’opération, après avoir tiré plus de 18.000 obus au cours de 2400 missions.
N’oublions pas que pendant encore plusieurs années, le mortier de 120mm tracté sera encore en service dans plusieurs unités d’artillerie française.
Même si la LPM 2019-2025 a acté une commande de 32 CAESAR en version lourde pour remplacer les canons AUF1 automoteurs inaptes au combat depuis plusieurs années, le nombre de tubes restera limité pour l’Armée de Terre, avec 107 CAESAR, 13 LRU et 54 Griffons mortiers, soit un ratio de 1 tube autotracté par 450 hommes appartenants à la FOT, là ou la Russie en aligne plus de 1 pour 200, la Chine 1 pour 300 et l’US Army 1 pour 260, chacun de ces pays employant, en outre, autant de systèmes tractés.
Les annonces se succèdent en provenance de Moscou concernant les partenariats possibles avec New Delhi en matière d’équipements de Défense. Ce regain d’activité est en partie lié à la signature d’un traité entre les deux capitales concernant les modalités de paiement, de sorte à ne plus utiliser le dollar $ américain comme monnaie de référence, ni le système de transfert interbancaire international SWIFT, lui aussi américain. Ce modèle, également appliqué aux échanges avec la Chine, permettrait de se prémunir des risques de sanctions en application du CAATSA américain.
Après les négociations portants sur l’acquisition de 18 Su30MKI supplémentaires pour l’IAF, et la proposition concernant le Su57 déjà abordé ici, c’est au tour du programme 75(i) de sous-marins AIP d’être au centre de l’attention à Moscou, qui propose aujourd’hui à son plus important client la conception commune d’une nouvelle classe de sous-marin AIP basé sur le projet 1650 Amur en y intégrant la capacité à emporter et mettre en oeuvre le missile de croisière anti-navire supersonique Brahmos, conçus également conjointement par les deux pays.
Le missile de croisière supersonique Brahmos indo-russe pourrait être intégré au nouveau programme de sous-marins de la Marine Indienne.
Si la classe Amur 1650 est loin d’avoir des performances exceptionnelles, notamment face à ses concurrents occidentaux comme le Scorpene de Naval Group ou le Type 212 NG de TKMS, la proposition russe peut avoir les faveurs de New Delhi, dans la mesure ou elle permettrait à l’industrie Indienne d’acquérir des compétences lui permettant de rejoindre le club fermé des industries pouvant concevoir, fabriquer et même exporter des sous-marins d’attaque modernes, à l’instar de la Corée du Sud qui suivit une trajectoire similaire. En outre, l’intégration du Brahmos représentera, à n’en point douter, un atout de taille en Inde, le missile étant aujourd’hui le missile de croisière à capacité anti-navire le plus rapide au monde.
Reste que l’industrie Russe n’a jamais démontré une excellente maitrise de la propulsion AIP, les trois exemplaires de la classe Amur 950 ou classe Lada dans la Marine Russe, ayant connu d’importants retards et des performances médiocres en matière de puissance. De même, rien n’empêche la Marine Indienne d’exiger l’intégration du Brahmos aux autres offres su Programme 75(i). Enfin, si ce missile a ses atouts, notamment en terme de vitesse, sa portée est cependant limitée face à un missile comme le MdCN français, portant à plus de 1000 km, et dont le profil de vol et la conception furtive le rende très difficile à détecter et intercepter.
Si les européens ont su faire preuve de réels savoir-faire en matière de construction d’hélicoptères légers et moyens, les constructeurs aéronautiques du vieux continent, que ce soit Airbus H ou Agusta-Westland, évitent soigneusement de proposer un hélicoptère de la gamme lourd/super lourd, le marché européen étant jugé trop limité pour entreprendre un tel développement.
Or, aujourd’hui, l’Allemagne et l’Italie prévoient l’acquisition d’au moins 95 hélicoptères lourds à elles deux. L’Espagne et le Pays-Bas vont devoir, d’ici quelques années, renouveler leur parc de CH-47, alors que la Suède, la Finlande, la Pologne, la Roumanie et la Grèce ont également exprimé des besoins en ce sens, sans toutefois avoir lancé de programme. Les forces armées françaises, quand à elles, ont un besoin chronique en matière d’hélicoptères lourds, pour les 3 armées, représentant un total de soixante à soixante-dix appareils (8 par RHC, 2 flottilles navales, 2 escadrons SAR). Au total, sans prendre en considération la Grande-Bretagne ni d’éventuels contrats à l’exportation, les besoins européens en matière d’hélicoptères lourds dépassent aujourd’hui les 200 unités, soit un programme évoluant entre 1,2 et 1,5 Md€, représentant, à son tour, 10.000 emplois directs et 15.000 emplois induits pendant 15 ans pour les pays européens participants.
Le démonstrateur Raider de Sikorsky pour le programme FLV
De fait, même si le developpement d’un modèle européen alourdissait la facture totale de 50% vis-à-vis d’une acquisition ‘sur étagère‘ outre atlantique, le retour budgétaire dégagé par les emplois créés (entre 700 et 900 m€ par an selon la répartition entre les Etats), et celui sur le maintien en condition opérationnelle et sur les pièces détachées des appareils produits, compenseraient au plus du double ce surcout.
En outre, les hélicoptères Tigres, NH90 et H160 étant déjà développés ou en cours de finalisation, le constructeur européen Airbus Hélicoptères risque de faire face à une prochaine période de sous-activité en matière d’études et de développements, que le renouvellement encore incertain de la gamme Super-Puma, et les évolutions des gammes intermédiaires H145 et inférieures, ne pourront probablement pas couvrir, alors qu’un tel developpement permettrait de faire la jonction avec l’entame d’un projet visant à concevoir le successeur du Tigre, devant intervenir peu après 2030.
Enfin, le developpement d’un nouvel hélicoptère, qui plus est destiné au transport lourd, représente une excellente plate-forme pour intégrer de nouvelles approches technologiques visant à augmenter la vitesses des voilures tournantes, que ce soit les motos basculants, propulsifs, ou l’approche utilisée par le Racer. Notons enfin .
Maquette du Ka-92 de Kamov, servant de base au programme MINOGA russe
Il est utile de garder à l’esprit, dans ce domaine, que les Etats-Unis avec le programme FVL[efn_note]Future Vertical Lift[/efn_note] comme la Russie avec le programme « Minoga », vont disposer dans un futur plus ou moins proche, de technologies qui feront basculer le marché des voilures tournantes, civiles comme militaires, vers de nouveaux standards, grâce à des vitesses horizontales dépassant les 500 km/h. En l’absence d’une prise de conscience des états comme des industriels européens, ce sera l’ensemble de filière hélicoptère que risquera, tôt ou tard, le déclassement.
Les points de crispation géopolitiques ne manquent pas aujourd’hui. Entre les tensions entre les occidentaux et l’Iran au Moyen-Orient concernant la reprise de l’enrichissement de l’uranium par Téhéran, la livraison imminente des S400 à la Turquie, et les frictions de plus en plus intenses entre Pékin et Washington, jamais ces 30 dernières années, la situation internationale n’aura été aussi instable.
Et cela ne va certainement s’arranger avec la décision américaine d’autoriser la vente de 108 chars de combat modernes M1A2 T Abrams à Taiwan, accompagnés de 30 blindés de soutien, des pièces détachées et munitions, et de 254 systèmes anti-aériens Stinger, pour un montant de 2,2 Milliards de dollar. Cette autorisation fait suite à celle sur le transfert de technologies pour accompagner la construction de nouveaux sous-marins d’attaque à propulsion AIP par Taipei, ainsi que la modernisation des F16 taïwanais, qui avaient déjà déclenché des réactions fortes de la part des autorités chinoises.
Et justement, Pékin n’a pas tardé à réagir à cette annonce, par la voix du porte-parole du ministère des affaires étrangères, qui déclara a peine quelques minutes après la déclaration US, que la Chine s’opposait fermement à cette livraison. Rappelons que la ligne politique de Pékin considère que l’ile indépendante de Taiwan n’est pas un pays à part entière, mais une province en rébellion contre la « Chine unique et indivisible ».
Reste à voir quelles seront les suites données à ces déclarations, tant du coté chinois qu’américain. Si Washington entérine la livraison de ces systèmes d’armes à Taipei, Pékin pourrait être tenté de s’y opposer en établissant un blocus naval et aérien de l’ile, disposant désormais des moyens militaires pour mener une telle opération. Cette hypothèse, qui apparait très lointaine vue d’Europe, est très concrète en Chine populaire, dont les médias d’Etat ont tous un ton beaucoup plus martial, et évoquent régulièrement, désormais, l’hypothèse d’une guerre prochaine, sans toutefois pointer directement les adversaires potentiels. A l’inverse, si les autorités US s’opposaient à cette livraison, elles entameraient considérablement, sur le pan intérieur comme international, la crédibilité de la supériorité technologique et militaire américaine largement mise en scène par la mandature actuelle.
Dans ce dossier, comme dans d’autres, la dynamique en cours semble n’être en mesure de ne proposer aucune alternative satisfaisante pour les occidentaux.
Les évolutions en cours du pilotage des programmes de Défense en Inde n’ont pas échappé à son premier partenaire en la matière, la Russie. A peine le contrat pour la livraison de 18 kit Su-30MKI supplémentaires signé, que les autorités Russes sont revenues à la charge pour proposer le nouveau chasseur Su57 à New Delhi.
Rappelons que l’Inde était, depuis 2010, le partenaire du programme T50 PAK-FA qui donnera naissance au Su57, au travers du programme FGFA visant à définir un appareil dérivé des recherches russes, mais adapté aux spécificités indiennes. En particulier, le FGFA devait être biplace et avoir un rayon d’action supérieur à l’appareil russe. A cette époque, l’Inde prévoyait de commande 148 puis 214 chasseurs lourds FGFA, assemblés en Inde, dont au moins 25% des pièces seraient produites sur place. Mais les délais auxquels fit face le programme, la réduction des ambitions russes en matière de nombre d’appareils commandés, associé à une instabilité politique chronique en Inde, mena celle-ci à se retirer du programme de façon progressive entre 2017 et 2018.
C’est à la même période que, paradoxalement, le programme T50 accéléra en Russie, permettant aux autorités du pays de commander les premiers exemplaires de pré-série à livrer en 2020. En Mai 2019, le président Poutine annonça une première commande de 76 appareils à livrer entre 2021 et 2028 aux forces aériennes. Cette commande permit également de définir un prix unitaire, tout au moins sur le plan intérieur, autour de 30/35 m€, donc très compétitif sur le marché des appareils de nouvelle génération.
De fait, la Russie est désormais en capacité de proposer des garanties sérieuses concernant le programme, que ce soit en terme de performances, de délais de livraison, de prix comme de pérennité jugée comprise par de nombreux médias occidentaux très mal informés. L’intérêt portée par la Turquie à l’appareil pour remplacer une éventuelle défaillance de livraison concernant les 112 F35 attendus, renforce ces éléments.
Il n’est donc pas surprenant que Moscou tente aujourd’hui de relancer le sujet à New Delhi, d’autant que l’Inde avait investi prés de 1,5 Md$ dans le developpement du programme, et que la menace américaine sur la potentielle utilisation du CAATSA suivant l’acquisition des S400 aura, paradoxalement, rapproché les deux capitales. En outre, le positionnement performances/prix du Su57, comme la capacité à entamer rapidement les livraisons, pourraient conduire les autorités indiennes à commander, comme ce fut le cas avec le Rafale, une première flotte limitée visant à définir un cadre opérationnel et technologique, et ouvrant la voie à une extension ultérieure. Alors que l’IAF cherche à augmenter rapidement ses capacités pour être en mesure de tenir la ligne face aux forces aériennes pakistanaises et chinoises, et considérant l’évolution des procédures d’acquisition en Inde, cette approche sera certainement au centre de nombreuses discussions entre les autorités des deux pays.
Une brigade d’artillerie de l’Armée populaire de libération (APL) s’est récemment mobilisée pour un exercice interrégional de combat à feu réel. Cet entraînement a lieu du sud-ouest du Tibet au nord-ouest du Xinjiang. Au total, ce sont des milliers de soldats et d’officiers de l’APL qui se sont dispersés sur une superficie de plusieurs dizaines de kilomètres carrés.
Cet entraînement se déroule dans le théâtre occidental – l’un des cinq commandement de théâtre chinois – dont l’une des principales missions est de sécuriser la frontière sino-indienne mais aussi la région face aux indépendantismes tibétains et ouïghours. Ce théâtre est le plus important en superficie et concentrerait également près d’un tiers des forces armées du pays.
Les exercices réalisés lors de cet entraînement sont multiples : reconnaissance, infiltration, planification au combat, frappes d’artillerie à longue portée, brouillage et attaque électronique. De plus, la géographie de la zone permet des conditions d’entraînement sévères, Song Linsheng, membre de l’équipe directrice de l’exercice, rapporte à la télévision centrale de Chine (CCTV) qu’il s’agit là d’un des buts de l’entraînement : « Nous pousserons les troupes dans des situations désespérées, jusqu’à l’extrême, afin de pouvoir dénoncer les lacunes en temps de paix qui limitent les capacités de combat des troupes ».
L’intérêt capital pour le régime chinois est que cet entraînement interrégional vienne appuyer la récente réorganisation des commandements de théâtre. En effet, la Chine possédait sept régions militaires jusqu’à février 2016 et le théâtre occidental est composé de deux anciennes régions : Les régions militaires de Lanzhou et de Chengdu, la première où se trouve la région autonome du Xinjiang et la seconde où se trouve la région autonome du Tibet. Ainsi, ce type d’entraînement vise aussi à entraîner les chaînes de commandements récemment réformées.
Clément Guery Spécialiste des questions de politiques étrangère et de sécurité de la République populaire de Chine.
L’Union Internationale des Télécommunications (UIT) situe la bande HF entre 3 et 30 MHz, l’usage technique élargit son usage de 2 à 30 MHz. Cette partie du spectre, bien que limitée au regard de la bande passante disponible mérite une attention toute particulière. La maitrise du domaine HF est un domaine majeur en termes de Télécommunications et de Guerre Electronique, à l’instar des domaines maritime, cyber, aérien et spatial. L’absence de frontières physiques et sa capacité à effectuer des trajets intercontinentaux lui confère une profondeur stratégique.
Cette capacité des ondes à couvrir le monde entier par le système des rebonds ionosphériques révèle une gamme certes connue depuis les débuts de la radio mais toujours très exigeante quant aux impératifs pour établir une liaison.
La gamme HF : faiblesses et forces.
Jusqu’à l’introduction des premiers satellites géostationnaires de télécommunications dans les années 60, la radio HF était la seule solution pour établir une liaison entre stations mobiles. Le savoir-faire de l’opérateur radio était alors primordial, celui-ci devait évaluer les conditions environnementales,sélectionner la meilleure fréquence en fonction des heures de la journée, des saisons, adapter le débit de son émetteur, retransmettre ses messages en cas de pertes…
L’arrivée du satellite va simplifier le travail de l’opérateur, amener de nouveaux et précieux services mais aussi faire émerger de nouvelles contraintes. En effet, établir une liaison sur un satellite géostationnaire nécessite de pouvoir viser le satellite, ce qui n’est pas toujours évident lorsque l’on se déplace en espace contraint (immeubles, relief, forêts…) et sont géographiquement limités en couverture : à titre d’exemple les services d’Inmarsat ne sont possibles que jusqu’à 75 voir 76 degrés Nord ou Sud (avec une perte en débit dès 65 degrés). De plus, cette technologie reste couteuse, le prix de la liaison satellite reste un frein à son hégémonie.
Le besoin croissant et constant de communication des systèmes d’armes modernes offrent une nouvelle jeunesse à la bande HF
D’autre facteurs auraient également pu amener au déclin de l’usage de la HF, notamment pendant les années 90 : des liaisons V/UHF au débit supérieur, l’avènement du GSM, des modems HF limités en débit…A cette époque, face aux besoins naissants sur les réseaux (image et vidéo), la HF parait mal armée. Mais l’intérêt de cette bande de fréquence réside dans sa flexibilité avec la possibilité de recevoir des signaux en montagne, dans la jungle, dans un canyon, sous quelques mètres d’eau, en résumé dans des milieux où les autres gammes de fréquence sont souvent inopérables.
Afin d’être aussi précis et à jour que possible, il convient de noter les efforts des fournisseurs de service satellite. En effet, l’aspect stratégique de l’Arctique a conduit une société comme Inmarsat à investir dans le cadre de son évolution Global Express sur deux satellites à orbite elliptique élevée, c’est le « Arctic Satellites Broadband ». Le fameux lanceur d’Elon Musk SpaceX devrait lancer les deux satellites sur une fusée Falcon 9 fin 2022.
Pourquoi évoquer cette contrée polaire ? Sans (forcément) le savoir, vous consommez de la bande HF lorsque vous effectuez, par exemple, un vol Paris / New York. La route orthodromique vous conduit très nord, l’avion de ligne va régulièrement envoyer sa position en HF via le système HFDL (High Frequency Data Link), sur cette fréquence de transmissions de données qui n’a rien de militaire mais qui trouve sa raison d’être en raison de son coût de fonctionnement très réduit et du besoin de redondance des moyens aéronautiques. Plus de 3000 appareils sont équipés et le trafic représente plus de 4 millions de messages par mois.
La gamme HF : environnement complexe à maitriser mais des améliorations techniques constantes.
Ce qui fait la particularité des liaisons HF, c’est qu’elle implique une parfaite connaissance et compréhension des conditions de propagations. En clair, il est possible de passer de conditions (rares) où il est pratiquement impossible d’établir une liaison du fait de l’activité solaire (black-out) à une situation d’amplification anormale des signaux (les fameux ducts et autres conduits de surface maritimes très réguliers en cas de fortes chaleurs). Entre ses deux extrêmes, la propagation engendre son lot de réception du même signal par trajets multiples, et de variation de puissance à la réception (phénomène d’évanouissement), interférence entre signaux provenant des trois différentes régions de l’Union Internationale des Télécommunications.
Afin de faciliter le travail des opérateurs, l’établissement automatique des liaisons (Automatic Link Establishment 2G puis 3G) va venir révolutionner la prise de contact entre stations avec une capacité de sélection automatique sur la meilleure fréquence et une convergence vers l’adressage IP. L’interface homme-machine va également évoluer avec les radios à interface logicielle (Software Defined Radio).
Mais c’est la très nette amélioration du débit qui place aujourd’hui la HF en position favorable. En associant simultanément plus d’une dizaine de canaux d’environ 3 kHz, les débits peuvent dépasser les 100 kbps et des projets comme celui de THALES HFXL/Salamandre donnent un nouvel essor à cette gamme d’un âge respectable.
Les modems THALES HFXL offrent une solution de connexion data HF transhorizon sans satellites à plus de 100 kbps
Reste à solutionner le problème du placement des antennes. La France n’est pas en retard dans le domaine du calcul des propagations et de la planification des réseaux. Il faut saluer le travail de la société ATDI avec un travail tout particulier sur cette gamme de fréquence.
La gamme HF : utilisateurs classiques et nouveaux utilisateurs
Les utilisateurs de cette gamme sont nombreux : services d’urgence, radio-amateurs, services diplomatiques, transmissions de données militaires tactiques, aviation civile en phonie sur les vols transocéaniques, hélicoptère de surveillance maritime, liaisons de données aéronautiques, marines militaires et civiles, forces militaires aériennes et terrestres, services de sécurité, radios commerciales analogiques ou numériques…
Mais un utilisateur de la bande HF s’impose par la taille de sa bande passante, c’est le radar, à la signature très particulière sur le spectre, présent en veille maritime côtière tout comme en veille aérienne stratégique.
La multiplication des radars HF
Au sein de cette bande déjà restreinte, l’utilisation du radar se consolide année après année. Face à des cibles dont les Surfaces Equivalentes Radar (SER) sont très étudiées, le radar HF tire son épingle du jeu. Les pertes dans l’atmosphère sont beaucoup plus faibles en HF et beaucoup de nations ont développé ou installé des radars opérants sur cette gamme de fréquence. Deux types de systèmes sont principalement présents : ceux dédiés à la veille côtière et ceux dédiés à la veille aérienne (Over The Horizon Radar).
Les radars HF côtiers sont multistatiques, c’est-à-dire qu’ils émettent sur plusieurs émetteurs, et reçoivent sur plusieurs récepteurs, en polarisation verticale pour rechercher une propagation par onde de surface, au niveau de la mer. Utilisés au départ pour mesurer les courants marins, ils permettent aujourd’hui d’assurer une veille de surface sur environ 200 nautiques, répondant ainsi à la problématique de surveillance de la Zone Economique Exclusive. Les USA (avec la firme CODAR), La France (projet Stradivarius), l’Allemagne (WERA), l’Italie, l’Espagne, la Croatie, la Chine, la Russie, l’Arabie Saoudite, le Maroc (entre autres) utilisent ces radars qui peuvent même assurer une veille sur des phénomènes météorologiques anormaux type tsunami.
Présentation du fonctionnement du Stradivarius français par diginext
Ces radars à ondes de surface émettent souvent en onde continue modulée en fréquence (Frequency Modulation Continuous Wave ou FMCW).
Les radars OTH quant à eux, sont orientés « veille aérienne » plus fréquemment en émission pulsée, avec un temps de répétition des impulsions très long, c’est-à-dire disposant d’un temps d’écoute calibré pour une veille théorique maximale de 6000 kilomètres. Les utilisateurs de ce type de radar sont l’Australie avec le projet JORN, la France avec Nostradamus, les USA, le Royaume-Uni avec le radar Pluto (en FMCW) situé à Akrotiti (Chypre), l’Iran avec le radar Ghadir, la Russie avec les radars Rezonans et Kontayner, Israel, la Chine, la Roumanie, l’Ukraine… Ce qui constitue la caractéristique de ces systèmes, c’est leur bande passante d’au moins 25 kHz par émetteur, pouvant atteindre 160 kHz en Chine et même 1 MHz en Iran, vers 28 MHz. Pour mémoire, un utilisateur habituel occupe moins de 3 kHz en bande latérale unique.
Des affrontements quotidiens sur le spectre en HF
Cette gamme voit également s’affronter des états par brouillages sur les radios commerciales. Ainsi la Chine brouille régulièrement les émissions de la radio de Taiwan « Sound Of Hope » dirigées vers son territoire, la Corée du Sud brouille les émissions de la radio officielle nord-coréenne, l’Ethiopie interfère sur la radio érythréenne avec ses brouilleurs HF.
Du point de vue des acteurs non-étatiques, les usages non-conformes sont aussi présents. A la surface de l’océan Indien et plus particulièrement de la mer d’Arabie, cette zone connue pour ses activités illicites, les pirates sont également présents en HF. Leur méconnaissance des limites d’allocations des fréquences les amène régulièrement à échanger sur des fréquences à vocation non-maritime. On constate que leurs activités illégales concernent également l’occupation spectrale, et dans le monde de la radio, ce type d’occupants est appelé « intruder ».
A titre d’exemple plus pacifique, en Océan Atlantique, ces « intruders » sont constitués de pêcheurs transmettant en phonie, et de balises associées aux filets de pêche dérivants. De façon plus générale sur le globe, certains systèmes militaires de transmission russes sont régulièrement hors de leurs allocations et interfèrent avec les usagers officiels.
Sans jouer les Cassandre, il est possible d’envisager les affrontements futurs sous le prisme d’attaques combinées (physiques et/ou cyber) sur les câbles sous-marins et les liaisons satellites, dont la puissance reçue reste faible. Les infrastructures, tant pour les câbles que le segment sol/télémétrie des satellites pourraient montrer leurs vulnérabilités, et dans ce contexte la HF reviendrait un moyen prioritaire de communications, sûr, alliant mobilité, rusticité et modulations avancées pour assurer des débits compétitifs.