Carlos Del Toro, le Secrétaire à la Navy, a annoncé qu’il avait lancé un examen approfondi de l’industrie navale américaine, afin de répondre aux différents enjeux auxquels la Marine américaine est aujourd’hui confrontée. En effet, alors qu’ils vont devoir accroitre les cadences de production de navires de surface et de sous-marins, les chantiers navals américains ne parviennent pas, aujourd’hui, à respecter les calendriers de livraison prévus.
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L’US Navy était, et demeure aujourd’hui, la plus puissante force navale sur la planète, alignant à elle seule, la moitié de la flotte de sous-marins nucléaires d’attaque, des grands navires d’assaut aéro-amphibie et 93 % des porte-avions nucléaires de la planète.
Sa force aérienne est à ce point importante, qu’elle se classe 3ᵉ au classement mondial en termes d’avions de combat, derrière l’US Air Force et l’Armée populaire de Libération, mais devant la Russie ou l’Inde.
Les trois défis de l’US Navy aujourd’hui et dans les années à venir
Pourtant, il flotte, incontestablement, un vent d’inquiétude, si pas de panique, au Pentagone, concernant l’avenir de cette suprématie navale indispensable pour assoir la position des États-Unis sur la scène mondiale géopolitique. Car l’US Navy, aujourd’hui, fait face à trois défis concomitants, qu’elle peine à relever.
L’US Navy aligne aujourd’hui la troisième force aérienne au monde, derrière l’US Air Force et l’Armée populaire de libération
La montée en puissance rapide de la Marine chinoise et de son industrie navale militaire
En quelques années seulement, les trois flottes chinoises du nord, de l’est et du sud, ont admis au service un grand nombre de navires, leur permettant de venir dépasser, depuis 2020, l’US Navy en termes de nombre de coques, si pas encore de tonnage et de capacités opérationnelles.
Plus récemment encore, les chantiers navals ont montré qu’ils savaient dorénavant produire des navires de combat faisant jeu égal avec ceux de l’US Navy, comme les destroyers lourds Type 055 face aux destroyers Arleigh Burke, ou les LHD Type 075 face à la classe America.
Les Destroyers lourds chinois Type 055 font jeu égal technologiquement avec les destroyers Arleigh Burke de l’US Navy.
La montée en puissance de la Marine chinoise, mais aussi de son aéronavale, de ses forces aériennes et de son infanterie de marine, sont d’autant plus inquiétantes pour l’US Navy, que Pékin ne cesse de durcir son discours et d’accroitre ses démonstrations de forces autour de Taïwan.
Or, si l’APL venait à attaquer l’ile autonome, ou plus probablement, à lui imposer un blocus naval et aérien, il est probable que l’US Navy devra intervenir, et potentiellement s’y confronter, qui plus est dans un schéma stratégique défavorable puisque très proche des côtes chinoises.
La multiplication des points chauds sur la planète et la dispersion des forces navales américaines disponibles
À ce défi, s’en ajoute un second, et il est, lui aussi, de taille. En effet, Taïwan est loin d’être le seul point chaud sur lequel l’US Navy doit intervenir aujourd’hui. Celle-ci a, en effet, dû augmenter sa présence en Méditerranée pour soutenir son allié israélien, au Moyen-Orient face à la menace iranienne et Houthis, ainsi qu’autour de la péninsule coréenne, alors que le régime de Kim Jong Un, multiple les menaces et provocations contre son voisin.
Quant à la guerre en Ukraine et la montée des tensions entre l’OTAN et la Russie, elle oblige l’US Navy à durcir son dispositif dans l’Atlantique nord et dans l’Arctique, pour contenir la puissance flotte sous-marine de Moscou.
L’US Navy doit intervenir sur plisseurs théâtres simultanément, comme ici au Moyen-Orient, pour frapper les installations Houthis qui attaquent les navires navigants en mer Rouge.
Dès lors, alors que la menace chinoise nécessite, à elle seule, la presque totalité des moyens dont l’US Navy dispose, pour assurer un statu quo empêchant l’escalade ou un quelconque aventurisme de Pékin, elle doit, dans le même temps, déployer un grand nombre d’unités navales sur d’autres théâtres, pour les contenir ou les protéger, et là encore, éviter les débordements ou l’extension des conflits existants.
Une planification navale défaillante et une industrie navale américaine convalescente
Pour y répondre, la Marine américaine n’a d’autres choix que d’accélérer le rythme de ses modernisations, tout en étendant son format. Et c’est bien là que se situe son plus grand défi aujourd’hui.
Après 30 années d’errements, marqués par les conséquences d’une politique industrielle hasardeuse menée par les différentes administrations dans ce domaine, mais aussi par des dérives importantes dans la conception des programmes ayant donné naissance à des navires aussi onéreux qu’inefficaces, comme les LCS et les Zumwalt, l’US Navy se retrouve, aujourd’hui, dans une situation des plus difficiles.
Non seulement doit-elle remplacer, en urgence, de nombreux navires arrivants en limite d’âge, comme les croiseurs Ticonderoga ou les destroyers Arleigh Burke Flight I, mais l’échec des programmes Zumwalt et surtout LCS, l’a privé de certaines capacités comme sa flotte de frégates, venant affaiblir son format, et ses capacités de réponse, tout en augmentant l’âge moyen des navires navigants, donc leurs couts de maintenance, et leurs périodes d’indisponibilité.
Le programme LCS aura consommé le budget pour construire plus d’une dizaine de destroyers Arleigh Burke, ou une vingtaine de frégates classe Constellation, pour un potentiel opérationnel négligeable.
Pour parfaire le tableau, l’industrie navale américaine, elle aussi, est aujourd’hui dans une situation délicate, handicapée par trois décennies d’errement programmatiques, ainsi que par les conséquences de la crise Covid, ayant sévèrement raboter ses ressources humaines.
Dans le même temps, et à l’instar des autres entreprises de défense américaines, la concentration industrielles entreprise en 1994 a engendré une hausse sensible des couts de construction des navires américains.
Alors que l’US Navy dispose, à elle seule, d’un budget de construction navale représentant le budget défense de nombreuses armées de l’OTAN, et non des moindres, elle ne parvient pas à accroître son volume, pas sans qu’une hausse sensible de son budget ne soit accordée.
Un audit mené tambours battants pour tenter de fluidifier la production navale militaire américaine.
Pour résumer, l’US Navy, aujourd’hui, fait face à des menaces et une pression opérationnelle qu’elle n’a plus connu depuis la guerre du Vietnam et la guerre Froide, et une situation mondiale qui n’est pas sans rappeler celle de la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, elle n’a pas le format pour y répondre, ni même les ressources industrielles pour tenter d’y parvenir.
Les ambitions de l’US Navy, d’augmenter de 150 % la cadence de production de sous-marins nucléaires, semblent encore bien lointaines.
Cet audit a été annoncé peu de temps après que plusieurs rapports ont été publiés, concernant certains programmes clés dans l’évolution de l’US Navy, comme les nouveaux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de la classe Columbia, ainsi que les frégates de la classe Constellation, annonçant tous deux des difficultés, ainsi que des retards de livraison.
Cet examen, qui semble avoir tous les atours d’un « audit client », va chercher à identifier et quantifier l’ensemble des facteurs, nationaux et locaux, qui influencent la production navale américaine. Il s’agira, par la suite, d’y apporter des réponses, ne serait-ce que pour éviter que des retards répétés ne se reproduisent, dans un schéma stratégique ne permettant plus la moindre faiblesse à l’US Navy.
Il sera mené tambours battants par un civil, le responsable de l’acquisition de services de la Marine, Nickolas Guertin, et par un militaire, le commandant du Naval Sea Systems Command, le vice-amiral. James Downey, qui devront remettre à Carlos Del Toro un rapport intermédiaire dans 45 jours seulement.
L’US Navy a-t-elle encore le temps pour redresser la barre ?
Ce rapport intermédiaire arrivera à temps, probablement, pour être intégré à la préparation du budget 2025. Ses conclusions ne pourront cependant pleinement servir que l’année prochaine, dans le cadre de la préparation du budget 2026, même si une publication avant l’examen par le Congrès de la loi de finance 2025, permettrait aux représentants et sénateurs d’amender celle-ci en fonction de ses découvertes.
L’US Navy parviendra-t-elle à évoluer suffisamment rapidement pour répondre à l’ensemble des enjeux qui se dessinent ?
Reste que face aux nombreux enjeux et défis qui se dessinent maintenant depuis plusieurs années autour de la planification des constructions navales américaines, on peut se demander pourquoi un tel audit n’a pas été mené bien avant, et surtout pourquoi celui-ci est lancé à quelques mois d’une échéance électorale décisive, qui pourrait bien en saper les conclusions ?
Une chose est cependant certaine, aujourd’hui. Tant que l’US Navy, l’exécutif et le Congrès, ne se seront pas entendus sur une unique stratégie industrielle, et non sur trois, et qu’ils n’y mettront pas l’ensemble des moyens, budgétaires, RH mais aussi de pilotage et surveillance industriels, il semble difficile qu’elle parvienne effectivement à relever le défi posé par la Marine chinoise et sa planification industrielle jusqu’ici exemplaire, sans même parler des autres théâtres d’opération.
Le spécialiste belge des tourelles de blindés, John Cockerill Defense, est entré en négociations exclusives avec le suédois Volvo, pour le rachat du français Arquus, spécialiste des véhicules blindés moyens et légers, pour donner naissance à un nouvel acteur majeur industriel de défense en Europe. Il s’agirait alors, sans le moindre doute, d’une des consolidations européennes les plus cohérentes dans le domaine de l’industrie de défense, engagée ces dernières années.
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Dans le domaine de l’industrie de défense, il est des fusions ou des rachats qui peuvent laisser perplexes, ou tout du moins qui paraissent pilotés davantage par des considérations politiques qu’industrielles ou opérationnelles.
John Cockerill Défense et Arquus, deux spécialistes de l’armement terrestre parfaitement complémentaires
Le rachat annoncé du français Arquus, appartenant au suédois Volvo et spécialiste de la conception et la construction de véhicules blindés, dont le célèbre VAB et les nouveaux Griffon et Serval du programme SCORPION, par le belge John Cockerill Défense, mondialement reconnu pour ses tourelles de combat armant les véhicules blindés de nombreuses forces armées, semble, quant à lui, couler de source.
Le belge John Cockerill Défense s'allie au français Arquus pour créer un leader européen de l'armement terrestre en 2026 10
Non seulement l’activité des deux industriels se complète parfaitement, mais tous deux sont parties prenantes majeures au sein du programme CaMo, ayant amené les armées belges à acquérir 60 EBRC Jaguar, 382 VBMR Griffon et 28 canons CAESAR, pour atteindre une interopérabilité optimale avec l’Armée de Terre française.
D’autres collaborations, dans le cadre du programme CaMo, se présentent pour l’avenir, qu’il s’agisse de l’acquisition par l’Armée de terre belge de véhicules blindés VBMR-Léger Serval, et surtout concernant la conception du Vehicle blindé léger VBAE (Véhicule blindé d’Aide à l’Engagement), destiné à remplacer les VBL, dont la conception commune a été lancée dans le cadre de l’OCCAR, il y a quelques mois, et qui repose en grande partie sur ces deux entreprises.
En outre, bien que l’entreprise soit très majoritairement implantée en Belgique, en particulier autour de Liège, John Cockerill Défense est une entreprise française, puisque détenue, depuis 2002, par le français Bernard Serin, au travers de Ebenis SA.
Des négociations prometteuses après l’échec de la vente d’Arquus à Nexter en 2017
Pour l’heure, selon les communiqués de presse diffusés par les deux entreprises européennes, elles sont entrées en négociations exclusives concernant le rachat d’Arquus par JCD, auprès du Volvo. Le processus doit encore passer de nombreuses étapes, particulièrement auprès des partenaires sociaux des entreprises, pour être validé.
Le belge John Cockerill Défense s'allie au français Arquus pour créer un leader européen de l'armement terrestre en 2026 11
Le groupe qui en résulterait, deviendrait un des acteurs majeurs en matière d’armement terrestre en Europe, visant à dépasser le milliard d’euros de chiffre d’affaires et les 6 000 collaborateurs, d’ici à 2026.
Cette société deviendrait, par ailleurs, un acteur de poids au sein des programmes CaMo et Scorpion, venant épauler le franco-allemand KNDS, aussi bien dans la consolidation du réseau de sous-traitance, que sur le marché international.
Racheté en 2001 par le suédois Volvo, Arquus (qui s’appelait alors Renault Truck Defense), est devenu le spécialiste français des véhicules blindés légers ou moyens, après le rachat, en 2006, de ACMAT, puis de Panhard Defense en 2012.
En 2016, Volvo avait annoncé son intention de céder le groupe français. John Cockerill (alors CMI Defense), était déjà en lice, mais c’est le français Nexter (KNDS) qui fut privilégié. Un an plus tard, toutefois, Volvo annonçait renoncer à cette vente, sur fond de désaccord sur le prix proposé par le groupe franco-allemand. Son chiffre d’affaires, en 2019, était de 600 m€, pour 1500 collaborateurs. Depuis 2020, Volvo ne publiait plus les résultats de l’entreprise.
Une consolidation industrielle alignée avec les objectifs du programme CaMo franco-belge
On le comprend, le rapprochement de ces deux groupes semble à ce point évident qu’il en parait presque naturel, tant John Cockerill Defense et Arquus ont des activités complémentaires et des marchés communs, en France et en Belgique, mais aussi sur la scène internationale.
Le belge John Cockerill Défense s'allie au français Arquus pour créer un leader européen de l'armement terrestre en 2026 12
Il s’agit également, très probablement, d’une excellente nouvelle pour Arquus, qui va pouvoir s’appuyer sur un groupe pleinement investi dans son développement, sur un marché international évidemment très concurrentiel, au sujet duquel l’industriel résultant disposera d’atouts indéniables pour s’imposer.
Enfin, ce rapprochement consolide encore davantage le rapprochement engagé entre la France et la Belgique en matière de défense, en dépassant le cadre purement militaire.
Peut-être ouvrira-t-il la voix vers d’autres, comme entre Naval group et ECA qui collaborent activement sur la construction des nouveaux bâtiments de guerre de mines belges, néerlandais, mais aussi français ? Ou dans le domaine aéronautique, si tant est que les piliers de coopération industriels et militaires qui font la force de ce rapprochement, se retrouvaient, à l’avenir, dans ce domaine également.
Au Lancement du développement du standard F4 du programme Rafale, celui-ci devait se diviser en deux standards différents. Le F4.1 devait ne concerner que les appareils déjà construits, et devait porter sur une élévation des capacités opérationnelles du chasseur avec, entre autres améliorations, l’arrivée du missile air-air MICA NG, de la bombe guidée planante lourde Hammer de 1000 kg, ou encore l’évolution du système d’autodéfense SPECTRA.
Le standard F4.2 devait, quant à lui, ne concerner que les appareils neufs. Si, en termes de capacités opérationnelles, il était presque identique au F4.1, il devait, en revanche, ouvrir la voie au futur standard F5, qui n’était pas encore défini, et qui devait surtout porter sur l’évolution des capacités de dissuasion nucléaire des forces aériennes françaises.
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Les choses ont évolué depuis cette nomenclature datant de 2020. D’une part, le standard F4.1 semble n’avoir été pourvu que d’une partie des évolutions prévues, et il se pourrait, selon certains échos, que l’appareil atteindra effectivement son plein standard qu’après une ou deux autres évolutions mineures, désignées F4.2 et, peut-être donc, F4.3.
Quant à l’évolution vers le standard F5, il semble qu’elle soit native concernant l’ensemble des appareils qui seront construits au standard F4.x. Surtout, la génération F4 apparait de plus en plus comme une génération de transition, marquant une divergence dans le programme Rafale, entre les appareils F4 natifs et postérieurs, qui évolueront vers le standard F5 puis F6, et les appareils antérieurs, qui suivront une trajectoire de modernisation différente.
42 nouveaux Rafale F4 pour l’Armée de l’Air et de l’Espace
Il y a quelques jours, le ministère des Armées a annoncé avoir notifié, à Dassault Aviation, la commande de 42 nouveaux Rafale, soit les 30 appareils prévus par la planification, ainsi que le remplacement des 12 avions prélevés sur l’inventaire de l’Armée de l’Air et de l’Espace, à destination de la Croatie.
Sur les 42 appareils commandés par la France, 12 sont destinés à remplacer les appareils vendus occasion à la Croatie
À ce titre, il est important de rappeler que les 12 Rafale d’occasion, cédés à la Grèce en 2020, avaient déjà fait l’objet d’une commande spéciale en janvier 2021. Ils seront livrés, comme les derniers appareils de la tranche 4, d’ici à 2026, au standard F3R.
Les chasseurs commandés dans le cadre de la LPM 2024-2030, seront, quant à eux, livrés à partir de 2027, directement au standard F4. Le ministère des Armées a insisté sur ce point dans son communiqué, ainsi que sur le fait qu’ils pourront évoluer vers le standard F5. Ils seront destinés exclusivement à l’Armée de l’Air et de l’Espace, pour remplacer les Mirage 2000-5 qui quitteront le service au même moment.
Cette commande permettra à l’Armée de l’Air et de l’Espace d’amener sa flotte Rafale à 137 appareils, et celle de la Marine nationale à 41 chasseurs. Une dernière commande de 48 Rafale doit être passée en 2030, pour remplacer les Mirage 2000-D modernisés, et atteindre le format de 185 chasseurs pour l’Armée de l’Air et 41 pour la Marine. Les forces aériennes françaises auront alors terminé leur transition Rafale.
Les Rafale F4 natifs pourront évoluer vers le standard F5
L’insistance du ministère des Armées sur le format F4, et sur son évolution à venir vers le standard F5, n’est pas de pure forme. En effet, tout indique dorénavant que seuls les Rafale F4 natifs, seront effectivement capables d’évoluer vers ce nouveau standard, qui permettra en particulier au chasseur d’opérer de concert avec le futur drone de combat qui doit être développé pour 2030, concomitamment à ce standard.
Le programme Rafale se dirige-t-il vers une divergence à partir du F4 ? 18
Corollaire de ce constat, les Rafale antérieurs, c’est-à-dire les 137 Rafale B et C de l’Armée de l’Air et de l’Espace, mais également les 41 Rafale M de la Marine nationale, ne pourront pas, eux, le faire, tout au moins, pas de la même manière.
On comprend, dans ce contexte, tout l’intérêt, au-delà de disposer d’appareils neufs à plein potentiel, d’avoir cédé les Rafale F3R à la Croatie. L’Armée de l’Air et de l’Espace disposera, ainsi, de 12 Rafale F5 supplémentaires, et à termes, de 90 chasseurs, soit autant d’appareils capables de mener les missions avancées dont seul eux seront capables.
Création d’une divergence au sein du programme Rafale
Si le Rafale F4 pourra évoluer vers le F5 et au-delà, les Rafale antérieurs, y compris les plus anciens, ne resteront pas, pour autant, figés dans le standard F3R ou F4, bien au contraire. L’évolutivité ayant toujours été au cœur de la stratégie industrielle du Rafale, ces appareils continueront d’évoluer, mais sur une seconde trajectoire qui leur sera propre.
Les capacités de traitement numérique et un bus en fibre optique conféreront au Rafale F5 la possibilité de contrôler et de coopérer avec son drone de combat.
Une divergence va donc apparaitre, avec le standard F4, dans la lignée Rafale. Les Rafale F4 ou F5 natifs, s’appuieront sur des capacités de traitement numériques bien plus élevées et un câblage en fibre optique, pour évoluant pleinement dans la 5ᵉ génération des avions de combat, épaulés de drones de combat et Remote Carrier.
Les Rafale F3R natifs et antérieurs, quant à eux, conserveront probablement leurs bus et câblages actuels. S’ils ne seront donc pas aptes à traiter les volumes d’informations de leurs cadets, les Rafale F5, ils continueront sans le moindre doute, eux aussi, à évoluer, en profitant des avancées réalisées dans le cadre du programme, comme le nouveau radar RBE2 qui équipera le F5.
La Rafale F5 va-t-il devenir un Super-Rafale ?
Cette divergence n’est pas, en soi, une première, en particulier dans le domaine des avions de combat. On la retrouve en particulier avec les Gripen E/F vis-à-vis du Gripen C/D. Selon Saab, s’il est possible de faire évoluer l’ancien standard vers le nouveau, il faut 1,5 Gripen C pour construire un unique Gripen E (C et E sont les versions monoplaces, D et F les biplaces).
Du point de vue de l’image, se pose alors la question de savoir si cette divergence nécessiterait un patronyme propre, comme le Super Hornet ou le Super Étendard l’avaient fait avant lui, ou si, comme le Gripen, un simple suffixe suffit à marquer la différence.
Les deux choix, il est vrai purement cosmétiques, ont leurs atouts. En choisissant de renommer le Rafale F5 en Super Rafale, Dassault changerait le calendrier de l’appareil. Celui-ci apparaitrait comme un avion conçu en 2025, et non en 1995 comme le Rafale.
Il faut 1,5 Gripen C pour construire un Gripen E, selon Saab.
Sachant que cet argument a souvent joué en défaveur du chasseur français, en particulier face au F-35, présenter le F5 comme un véritable reboot du Rafale, pourrait apparaitre séduisant. Notons cependant que le qualificatif Super n’a guère porté chance au Super Hornet, qui s’est bien moins exporté que son aïeul, le Hornet.
À l’inverse, garder le patronyme Rafale pour le F5, permettrait d’insister sur la plus grande vertu de cet appareil, son évolutivité, et d’atténuer la frontière perçue entre les F4/5 natifs et les Rafale antérieurs.
C’est d’autant plus significatif que les éventuels nouveaux clients qui pourraient se manifester, s’équiperont de F4 ou de F5, et ne seront dons pas affectés par la divergence elle-même. Notons d’ailleurs que le Gripen E/F n’a, à ce jour, pas eu le succès de son prédécesseur, lui non plus, sur la scène internationale.
Conclusion
On le voit, la commande des 42 Rafale, annoncée par le ministère des Armées, constitue bien davantage qu’une simple nouvelle commande du chasseur français. Elle marque une évolution quasi générationnelle de l’appareil qui, pour l’heure, ne devrait équiper que les escadrons de l’Armée de l’Air et de l’Espace, au grand désarroi de la Marine nationale.
À ce titre, la question du remplacement des 13 premiers Rafale de la Tranche 1, livrés à la Marine nationale entre 2000 et 2002, va probablement se poser concomitamment à la commande des 48 derniers chasseurs pour l’Armée de l’Air et de l’Espace.
Les Rafale M de la Marine nationale ne pourront pas évoluer vers le standard F5, ce qui pourrait provoquer une rupture dans la posture de dissuasion française.
Le standard F5 étant indispensable à l’évolution de la composante aérienne de la dissuasion française, et l’aéronavale étant intégrée à ce dispositif, il semble difficile de penser qu’elle sera privée de mission nucléaire pendant plusieurs années jusqu’à l’arrivée des premiers NGF en 2040, si tant est, et c’est peu probable, que ce calendier soit respecté.
Au-delà des Rafale M de la tranche 1, ou concomitamment d’ailleurs, il apparait également que tant l’Armée de l’Air et de l’Espace, que la Marine nationale, ont dorénavant intérêt à se montrer flexibles quant aux négociations pour l’acquisition de Rafale d’occasion par des forces aériennes étrangères.
Les cadences de production de Dassault étant destinées à croitre dans les mois à venir, et l’intérêt de cette approche ayant été démontré avec la Croatie et la Grèce, on peut s’attendre à ce que d’autres initiatives de ce type voient le jour, probablement pour, comme en Grèce, permettre au Rafale de mettre un pied dans l’encablure de la porte de commandes d’appareils neufs.
Quoi qu’il en soit, ce nouveau standard F5, qu’il devienne ou non Super-Rafale, constitue un point de bascule clé pour le programme lui-même, que l’on peut aisément qualifier de reboot, sans toutefois venir rompre avec l’ADN évolutif du chasseur français depuis son entrée en service.
On attend désormais davantage d’informations sur son calendrier et ses caractéristiques, pour se faire une idée définitive du potentiel exact qu’aura l’appareil, au combat comme sur la scène internationale.
Les forces armées américaines et britanniques, épaulées par les navires australiens, de Bahreïn, du Canada et des Pays-Bas, ont mené de 12 janvier une série de frappes contre les installations militaires Houthis au Yémen, identifiées comme ayant un lien avec les nombreuses attaques par drones et missiles lancés par les rebelles Houthis depuis l’ouest du Yémen, contre les navires transitant en mer Rouge.
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Des frappes américaines et britanniques contre des sites militaires Houthis
Selon un communiqué diffusé par le Secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, toujours hospitalisé, les frappes américaines et britanniques menées ce 12 janvier ont visé des sites de missiles balistiques et de croisière, ainsi que de lancement de drones, mais également des installations radars côtières et des moyens de détection aériens (comprendre les bases aériennes à partir desquelles ces moyens opèrent).
Les destroyers américains de la classe Arleigh Burke emportent le plus souvent 24 missiles de croisière BGM-109 Tomahawk.
Les communiqués Houthis, et témoignages recueillis par les différentes agences de presse, font effectivement état de nombreuses explosions venant de la base militaire jouxtant l’aéroport de Sanaa, ainsi que contre la base navale de Hodeidah et différents sites militaires de la région de Hajjah, bordant la mer Rouge et la frontière saoudienne au nord-ouest du pays.
Pour le président américain, Joe Biden, qui a ordonné ces frappes, il s’agissait là de répondre aux nombreuses attaques menées ces dernières semaines par les forces Houthis contre les navires militaires et civils navigant en mer Rouge et à proximité du golfe d’Aden, ainsi que d’envoyer un message clair au gouvernement Houthis, mais aussi aux Iraniens qui les soutiennent, et qui sont directement mis en cause par l’exécutif américain.
Les navires de la coalition croisant dans cette zone pour protéger le trafic maritime civil, ont, en effet, recensé 27 attaques menées par des drones, des missiles de croisière ainsi que des missiles balistiques antinavires, contre les navires dans cette zone, y compris des bâtiments de l’US Navy, de la Royal Navy ou de la Marine nationale française.
Comme on pouvait d’y attendre, cette riposte, car il ne s’agit là bien que d’une riposte après de multiples provocations, contre les installations militaires Houthis, a immédiatement donné lieu à de violentes réactions et condamnations de la part du gouvernement Houthis, mais aussi de l’Iran.
La frégate française Languedoc a, elle aussi, intercepté plusieurs missiles et drones Houthis lancés contre elle, ou contre des navires civils, mais n’a pas participé aux frappes américaines et britanniques de ce 12 janvier.
La Russie, quant à elle, a immédiatement requis une réunion du conseil de Sécurité des Nations Unies. Les autorités saoudiennes, pour leur part, ont appelé à la désescalade et à la retenue, alors que l’Égypte, pourtant lourdement affectée par la diminution du trafic maritime en mer Rouge, donc sur le canal de Suez, est pour l’heure restée silencieuse.
Des provocations Houthis en mer Rouge, mais pour quoi faire ?
Il ne fait aucun doute que ces attaques répétées de navires marchands et militaires en mer Rouge, menées par les forces armées Houthis à partir des cotes yéménites, avaient pour objet de provoquer une telle réponse de la part des États-Unis et de leurs alliés. Qu’elles soient intervenues, n’est donc en rien une surprise, pas davantage pour les observateurs extérieurs que pour les autorités Houthis et leurs soutiens à Téhéran.
Et la justification avancée depuis plusieurs semaines par Sanaa, au sujet de ces attaques, selon laquelle il s’agissait d’une mesure de solidarité avec le Hamas palestinien dans sa lutte contre Israël après l’attaque du 7 octobre, ne tient guère face à une analyse objective.
De manière évidente, comme c’était aussi le cas, d’ailleurs, de cette attaque meurtrière du Hamas, l’objectif visé par les autorités Houthis, et donc pour Téhéran, était d’amener les occidentaux à riposter, en menant des frappes sur le sol yéménite, avec, bien évidemment, un risque d’escalade régionale.
Les destroyers britanniques et américains ont repoussé de nombreuses attaques ces dernières semaines en mer Rouge, lancées contre eux et surtout contre des navires marchands en transit.
La crainte de cette escalade est, à ce titre, au centre des préoccupations aux États-Unis comme en Europe, si l’on en juge par la teneur du traitement donné à cette actualité. Pour autant, de la même manière que l’attaque du Hamas n’a pas déclenché un mouvement de fond contre Israël dans le monde Arabe, bien au contraire, on peut penser que les frappes américano-britanniques contre le Yémen, n’auront pas davantage de conséquences, en dehors du pays et de son allié iranien, à court termes et au niveau régional, tout du moins.
L’US Navy sous tension pour répondre à la multiplication des crises internationales
Elles vont, en revanche, faire monter les tensions entre le bloc occidental et l’alliance entre l’Iran et les Houthis, et très certainement entrainer une extension du dispositif naval américain et allié en me Rouge et dans l’Océan Indien.
Or, on le sait, l’US Navy est aujourd’hui en forte tension, devant maintenir une posture navale importante non seulement dans le Pacifique face à la Chine, et dans l’Atlantique nord face à la Russie, mais aussi en Méditerranée pour soutenir Israël, dans le golfe Persique et en mer Rouge.
Dans le même temps, comme nous l’évoquions dans un précédent article, l’état-major de l’US Navy reconnait qu’il n’est pas en mesure, aujourd’hui, de satisfaire à l’objectif d’avoir en permanence 75 navires prêts au combat, n’atteignant en moyenne que 60 unités navales dans ce domaine.
Les forces navales américaines doivent aujourd’hui déployer beaucoup de leurs forces en Méditerranée, en mer Rouge, dans le golfe Persique et à proximité, réduisant d’autant leur potentiel de réponse dans le Pacifique ou dans l’Atlantique nord.
Mécaniquement, la multiplication des zones de tension, oblige l’US Navy à diviser ses forces, et surtout à engager une partie de ses forces de réserve, qui constituent la force de réponse à une crise majeure, par exemple, dans l’hypothèse d’une crise aggravée entre la Chine et Taïwan, entre la Corée du Nord et du Sud, ou encore en Europe face à la Chine.
De fait, par ces attaques, somme toute limitées contre les navires en mer Rouge, et avec des ripostes pouvant être « absorbées » politiquement par le régime Houthis et l’Iran, Téhéran, et ses alliés, parviennent à éliminer de l’équation stratégique mondiale, plusieurs destroyers et frégates américains, britanniques, européens australiens, en mer Rouge, ainsi qu’une Task force complète en Méditerranée, et à consommer le potentiel de navigation, et de combat, de ces navires.
Bien évidemment, à plus petite échelle, il est probable qu’Houthis et iraniens sauront exploiter l’image donnée par ces frappes, pour mobiliser davantage dans leurs pays respectifs.
Toutefois, alors que le mouvement de fond arabe, que l’on pouvait initialement craindre, n’a jamais débuté, les seuls bénéfices stratégiques de ces attaques, destinées à engendrer des ripostes, ne se trouvent que bien au-delà du seul théâtre moyen-oriental.
L’émergence d’une alliance de fait, si pas formelle, entre la Russie, la Chine, l’Iran et la Corée du Nord, donne un cadre d’analyse particulier au sujet des objectifs visés par les attaques Houthis contre les navires transitant en mer Rouge.
Alors que, de manière évidente, une nouvelle alliance de fait s’est constituée entre la Russie, la Chine, mais aussi la Corée du Nord et l’Iran, il convient de constater que toutes les crises importantes de ces dernières années, tendent à éloigner les forces américaines du Pacifique, et surtout de Taïwan, l’opinion publique de la guerre en Ukraine, et à fixer, si pas diviser, une partie de leurs alliés.
Dans ce domaine, les États-Unis sont probablement les premières victimes de leur stratégie menée ces trente dernières années, qui visait à s’imposer comme le protecteur universel de l’occident, ceci ayant amené à une dépendance croissante à la protection américaine de ces trois théâtres stratégiques que sont l’Europe, le Moyen-Orient et le Pacifique occidental.
Le contrat de la DAPA, l’agence de l’armement sud-coréenne, avec le constructeur aéronautique KAI, pour la fabrication de série du chasseur KF-21 Boramae, sera signé prochainement, selon un communiqué officiel sud-coréen.
Il permettra d’entamer la fabrication des 120 chasseurs attendus par les forces aériennes sud-coréennes, avant la fin du premier semestre 2024, le dernier appareil devant être livré en 2032.
Sommaire
En bien des aspects, le programme de chasseur de génération intermédiaire sud-coréen KF-21 Boramae est remarquable. Destiné à remplacer les F-4 Phantom II et les F-5 Tiger au sein des forces aériennes sud-coréennes, ce chasseur moyen bimoteur, venant flirter avec la 5ᵉ génération, aura couté à peine plus de 6 Md$ à concevoir, à peine 1,5 % de ce qu’a couté le développement du F-35 américain.
Le développement du chasseur KF-21 Boramae impressionne par sa maitrise des couts et du calendrier
Lancé en 2015, le programme aura, quant à lui, permis de concevoir l’appareil, mais également d’effectuer la phase d’essai avec six prototypes, dont deux biplaces, en dix ans seulement. Une prouesse d’autant plus notable qu’il s’agit du premier véritable chasseur conçu par KAI, après l’avion d’entrainement et d’attaque très réussi T-50 Golden Eagle, et sa version de combat légère F/A-50.
Le T-50 Golden Eagle sud-coréen s’est avéré un avion d’entrainement et d’attaque performant et fiable.
Même si le Boramae s’appuie sur certaines technologies importées, comme le turboréacteur F414 de l’Américain General Electric, celui-là même qui équipe les Super Hornet ou les Gripen E/F, ou comme certaines munitions, tel le missile européen Meteor, la prouesse réalisée par les ingénieurs sud-coréens force le respect,.
Si le développement du chasseur aura été mené tambour battant, ce fut aussi le cas des essais en vol, prévus pour ne durer que 43 mois, soit à peine plus de trois ans et demi, le premier vol de l’appareil ayant eu lieu en juillet 2023. La confiance est donc au rendez-vous pour la DAPA, qui n’attendra pas la fin de la campagne d’essai en 2026, pour commander les appareils de série, et ainsi répondre aux besoins croissants des forces aériennes sud-coréennes.
Caractéristiques et performances du KF-21 Boramae
Avec une masse à vide de 11,8 tonnes, une longueur de 16,9 mètres pour une envergure de 11,2 mètres et une surface alaire de 46,5 m², le KF-21 évolue dans la même catégorie que le Rafale français.
Ses deux turboréacteurs GE414 développent chacun 6 tonnes de poussée sèche, et 10 tonnes avec post-combustion, lui permettant d’atteindre une masse maximale au décollage de 25,6 tonnes, avec 7,7 tonnes de munitions et de bidons externes sous les ailes et 6 tonnes de carburant interne.
Comme le Rafale, le Boramae est donné pour atteindre une vitesse maximale de mach 1,8, et un rayon d’action de combat de l’ordre de 1000 km. Si ses formes rappellent celles du F-35, il ne s’agit pas, en revanche, d’un chasseur furtif, mais simplement discret.
Contrairement eu F-35, le KAI KF-21 Boramae n’a pas de soute à munition, et emporte donc ses munitions sous la cellule et les ailes, ceci venant détériorer sa discrétion radar.
D’ailleurs, il ne dispose pas, comme c’est le cas de l’avion américain, mais aussi du F-22, du Su-57 ou du J-20, de soutes à munition, et doit emporter toutes ses charges à l’aide de ses 10 points d’ancrage sous la cellule et les ailes.
Par ailleurs, là encore comme le Rafale, le KF-21 dispose d’un radar AESA, conçu par Hanwsa systems, mais son antenne est mobile, comme celle du Typhoon, même si son débattement semble moindre que celui de l’avion européen. Il emporte également un système de détection frontal infrarouge IRST, et une suite d’autoprotection et de guerre électronique.
Enfin, l’avionneur sud-coréen a produit de très importants efforts pour permettre à son appareil de mettre en œuvre, une fois qu’il sera en service, une très vaste panoplie de munitions et de systèmes embarqués, qu’ils soient sud-coréens comme la bombe planante KGGB, américains comme les missiles AMRAAM, Harpoon ou Sidewinder, ou européens, comme les missiles air-air-ASRAAM, Irist-T et Meteor, air-sol comme le missile SPEAR 3, ou de croisière comme le Taurus.
Le KF-21 Boramae semble paré de toutes les vertus pour répondre aux besoins des forces aériennes sud-coréennes, en remplaçant très avantageusement les F-4 et F-5 vieillissants, mais aussi pour s’imposer sur le marché export. La Pologne avait d’ailleurs signifié son intérêt pour rejoindre le programme une fois qu’il serait entré dans sa phase industrielle, c’est-à-dire une fois qu’il serait bel et bien dérisqué.
L’étonnante défiance de l’Indonésie vis-à-vis du programme sud-coréen
Pourtant, le principal partenaire de Séoul dans ce programme, l’Indonésie, qui s’était engagée dès son lancement à participer à son développement à hauteur 20 %, afin d’obtenir un retour industriel, lui aussi, de 20 %, ne montre aucun empressement pour respecter les dits engagements, bien au contraire.
KAI a fabriqué 6 prototypes en une seule année, pour les besoins du programme d’essais en vol, du KF-21 Boramae.
Au point qu’aujourd’hui, alors que le développement de l’appareil est proche de sa conclusion, l’ardoise de Jakarta attendrait le milliard de dollars, soit, effectivement, 20 % des six milliards engagés.
Bien que n’ayant pas officiellement quitté le programme, et que des négociations seraient en cours entre Séoul et Jakarta, au sujet de l’étalement de cette dette, la position indonésienne interroge. Ce d’autant que le pays s’est tourné précisément vers l’avion qui sera son principal concurrent sur la scène internationale dans les années à venir, le Rafale, et que les compensations industrielles françaises sont certainement moins importantes que celles promises par Séoul.
Aucune explication n’a été fournie par les officiels indonésiens à ce sujet. Il est cependant probable que celle-ci n’ait pas été demandée, en tout cas publiquement, par Séoul ou KAI, au risque de ne pas apprécier la réponse.
Il ne fait guère de doute, en revanche, que l’arbitrage de Jakarta sera venu entamer le capital confiance que pouvaient engendrer les annonces de KAI au sujet de son chasseur, en particulier vers le marché export.
Un adversaire à ne pas sous-estimer à l’avenir, dans le ciel comme lors des compétitions internationales
Rappelons, afin de donner un certain contexte, que bien d’autres facteurs influences l’efficacité d’un avion au combat, donc son attractivité, au-delà de ses caractéristiques techniques. Sa disponibilité, sa maintenabilité, et sa fiabilité jouent bien évidemment un rôle déterminant, d’ailleurs bien souvent en faveur des avions américains, français ou britanniques, face aux avions russes ou chinois.
L’Indonésie a financé l’achat de 42 Rafale français, mais n’a pas respecté ses engagements au sujet du programme Boramae.
Il en va de même de ses performances avérées au combat, de son évolutivité, et de la réputation de son constructeur comme partenaire fiable en cas de crise. Dans tous ces domaines, l’image du Rafale et de Dassault Aviation jouent en faveur de l’avion français, même si, objectivement, il n’existe pas de raison de douter de KAI et Séoul à ce sujet.
Quoi qu’il en soit, et comme ce fut le cas pour les blindés sud-coréens auparavant, les avionneurs américains et européens vont devoir mettre les bouchers doubles pour contenir l’arrivée du Boramae sur la scène internationale.
L’annonce du développement du Rafale F5 et de son drone de combat, ainsi que de l’arrivée de la nouvelle doctrine de partenariat française, arrivent certainement à point nommé, pour permettre au chasseur français de conserver son attractivité compétitive dans les années à venir, même si le Boramae, lui aussi, s’appuie sur une roadmap ambitieuse.
Très attendue depuis plusieurs mois, la première stratégie industrielle de défense du Pentagone, a été dévoilée cette semaine par la secrétaire adjointe à la Défense, Kathleen Hicks. Ce document a pour objet de donner un cadre efficace pour réorganiser, uniformiser et améliorer l’ensemble des processus d’acquisition industrielle du Pentagone, afin de dégager des marges de manœuvre pour faire face aux défis à venir, sans, nécessairement, venir augmenter les dépenses.
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La transformation des processus d’acquisition industrielle des armées américaines après la guerre froide
Depuis la fin de la guerre froide et l’effacement d’un enjeu vital pour la sécurité des états, les doctrines employées pour l’acquisition des équipements de défense, comme les relations avec la sphère industrielle, ont donné lieu à de nombreuses évolutions, souvent plus dogmatiques que rationnelles, mais rarement concluantes.
Lors de la guerre du Golfe, en 1991, les forces américaines étaient à l’apogée de leur puissance militaire et logistique. Les deux se sont sensiblement détériorées depuis.
Plusieurs de ces aspects se retournent désormais contre les Armées, qu’elles soient européennes et surtout américaines, incapables de relever, en l’état, le défi posé par la Chine ou, dans une moindre mesure, par la Russie, dont les processus industriels sont souvent bien plus efficaces.
C’est en particulier le cas outre-atlantique, alors que les armées américaines peinent à répondre aux différents enjeux opérationnels auxquels elles sont confrontées, en dépit d’un budget colossal de plus de 800 Md$, soit le PIB d’un pays comme la Pologne.
L’une de ces erreurs critiques eut lieu au début des années 90, lorsque le Président Clinton et son gouvernement entreprirent de restructurer les industries de défense américaines, passant de plus d’une cinquantaine d’acteurs industriels majeurs, à seulement cinq.
Une concentration industrielle dans la défense qui s’est retournée contre les armées aux États-Unis
L’objectif de ces concentrations était de créer des acteurs incontournables sur la scène internationale, oubliant au passage qu’ils le seraient tout autant sur la scène nationale, tout en étant, par ailleurs, bien souvent hégémoniques sur leurs marchés. Et ce qui devait arriver, arriva.
Le char Abrams ne coutait que 4 m$ l’unité en 1990, contre presque 20 m$ aujourd’hui. l’Inflation et les avancées technologiques ne justifie que la moitié de cette hausse des couts.
Devenus incontournables et omnipotents, ces grands groupes industriels américains, comme Lockheed-Martin, Northrop-Grumman, Boeing ou encore Raytheon, disposent aujourd’hui d’une telle puissance aussi bien industrielle que technologique et politique, qu’ils sont en mesure d’imposer des conditions particulièrement défavorables au Pentagone, lorsqu’ils négocient leurs contrats.
À titre d’exemple, le prix d’un missile Stinger a été multiplié par plus de dix depuis 1990, six fois plus que l’inflation, simplement du fait qu’il n’existe désormais plus aucun missilier susceptible de faire une offre concurrentielle aux États-Unis, et que s’il venait à émerger, il serait immédiatement racheté et effacé par Raytheon.
La réorganisation industrielle, consécutive de cette politique, a même fait émerger, aux États-Unis, des acteurs spécialisés dans le rachat de certains sous-traitants de composants d’armement en situation de monopole, simplement pour renégocier les contrats qui les lient aux Armées avec, au passage, des tarifs multipliés par 3, parfois par dix, sans que le Pentagone puisse y faire quoi que ce soit.
Cette situation a été par ailleurs largement aggravée par le fait que le Pentagone s’est séparé d’une grande partie de ses équipes spécialisées dans la négociation et le suivi de ces contrats, sur l’autel de la numérisation des transactions, créant un effet d’aubaine qui n’a pas tardé à être identifié, et exploité, par de nombreux acteurs peu scrupuleux.
La réduction des stocks et la gestion en flux tendu, à l’origine de nombre des difficultés rencontrées par les Armées US
Mais la stratégie industrielle la plus désastreuse, aujourd’hui, pour les armées occidentales, qu’elles soient américaines ou européennes, est sans le moindre doute l’élimination ou la réduction des stocks, qu’il s’agisse d’équipements majeurs, de pièces détachées ou de munitions, au profit d’une gestion qui se veut être en flux tendu.
La première Stratégie industrielle de défense du Pentagone fait table-rase de la gestion en flux tendu 33
Très employée par différentes industries, comme dans l’automobile ou l’électronique domestique notamment, pour réduire les couts d’immobilisation et de gestion des stocks, cette pratique pouvait séduire, en particulier alors que les risques perçus concernant la possibilité d’un conflit majeur symétrique, étaient particulièrement faibles.
Bien souvent, en outre, la gestion de ces stocks résiduels, a été confiée aux industriels eux-mêmes, avec la certitude bien étrange que les entreprises privées étaient en mesure d’obtenir des couts de gestion inférieurs à ceux des armées, tout en assurant un service au moins aussi efficace.
La première Stratégie industrielle de défense du Pentagone veut revenir à une gestion internalisée des stocks
Ce ne fut pas le cas, bien au contraire. Et c’est précisément à ce paradigme totalement erroné qu’entend s’attaquer cette première Stratégie Industrielle de Défense du Pentagone, dont l’objectif prioritaire est d’accroitre l’efficacité des programmes d’acquisition, et la disponibilité des forces, à périmètre budgétaire constant.
La méthode préconisée pour y parvenir, n’est autre que de revenir à une organisation qui a fait ses preuves par le passé, avec la constitution de réserves bien plus dimensionnées de pièces détachées, et surtout de munitions, ainsi qu’en reformant un corps spécialisé dans la négociation et la gestion de ces stocks, et des contrats qui les alimentent.
Outre la construction des équipements, la gestion des stocks de pièces détachées a souvent été déléguée aux industriels, entrainant d’importants problèmes en termes de disponibilité et de résilience, en particulier lorsque le contexte international évolue rapidement.
Paradoxalement, les justifications avancées pour se tourner vers cette doctrine industrielle, sont assez semblables à celles avancées pour s’en éloigner il y a trois décennies maintenant. Selon l’analyse proposée, la création de ces stocks permettra de former un tampon entre le besoin opérationnel, et la capacité de production industrielle, chacun d’eux répondant à des impératifs et des cycles propres.
Si le bénéfice d’une telle structure tampon est évident pour les armées, qui disposeront de réserves bien plus importantes pour répondre aux aléas opérationnels, la nouvelle stratégie met aussi en avant, son rôle positif pour les industriels eux-mêmes, et pour le processus d’achat, permettant, on peut l’espérer, de diminuer les couts.
En effet, ce modèle doit aider à négocier des productions industrielles en plus grande série, donc d’en réduire les couts, ainsi que d’éliminer les couts de gestions chez l’industriel. En outre, ces acquisitions par lots importants, devraient permettre d’accroitre leur attractivité industrielle, afin d’attirer de nouvelles offres venant de prestataires émergents, et donc de stimuler la compétition, au plus grand profit des armées.
Faire mieux à périmètre budgétaire fixe, pour répondre aux défis chinois et russe
Au final, la nouvelle stratégie prévoit que les économies réalisées sur les contrats eux-mêmes, dépasseront les couts de création des stocks et les surcouts de négociation et de suivi des contrats, même si certains surcouts initiaux sont inévitables, tout en améliorant grandement la disponibilité et la résilience des équipements des forces, et en stimulant le tissu industriel par l’émergence de nouveaux acteurs.
Lockheed-Martin a imposé des clauses contractuelles extraordinairement défavorables pour le Pentagone, et par transitivité, à ses clients exports via le FMS, au sujet du F-35.
Reste que, pour être pleinement efficace, celle-ci devra, avant tout, convaincre les grands groupes industriels qui contrôle la BITD américaine, et une bonne partie du Congrès, de s’y conformer.
Lorsque l’on voit les couts auxquels sont négociés aujourd’hui certains équipements américains, souvent plusieurs fois plus chers que leurs équivalents chinois, russes, et même européens, à performances égales, ou les clauses contractuelles de certains contrats, incroyablement favorables aux industriels, comme c’est le cas de Lockheed-Martin concernant le F-35, on peut douter qu’ils acceptent de renoncer facilement à cette aubaine financière.
Pourtant, c’est probablement là que se jouera la réalité du rapport de force à venir entre Washington, Pékin et Moscou. Car si la guerre se mène sur les champs de bataille, elle se gagne, d’abord et avant tout, dans les usines.
De là à dire que l’industrie de défense américaine représente la plus grande faiblesse des États-Unis, et par transitivité, de ses nombreux alliés qui en dépendent, il n’y a peut-être qu’un pas…
Donald Trump apparait plus que jamais comme le favori incontesté des primaires républicaines qui démarreront le 15 janvier avec l’État de l’Iowa, en dépit des actions judiciaires qui viennent entraver le retour de l’homme d’affaires au sommet du Grand Old Party.
Dans le même temps, dans l’hypothèse d’une victoire de Trump concernant l’investiture républicaine, les sondages semblent tourner, de manière limitée, mais sensible, en faveur de celui-ci face à Joe Biden, pour devenir (ou rester), le prochain locataire de la Maison-Blanche.
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Pendant longtemps, cette possibilité avait été écartée, ou tout au moins ignorée, par les dirigeants européens, notamment pour les pays membres de l’OTAN dont la défense repose principalement sur le soutien militaire américain.
En 2020 déjà, Donald Trump déclarait que l’OTAN était morte, selon Thierry Breton
Le commissaire européen a illustré les besoins pour le nouveau fonds européen d’investissement industriel de défense, par une anecdote au sujet d’une rencontre entre Donald Trump et Ursula von der Leyen en 2020.
Interrogé sur la position des États-Unis concernant une possible attaque contre des pays européens membres de l’OTAN, le président américain avait été particulièrement direct. « Vous devez comprendre que si l’Europe est attaquée, nous ne viendrons jamais vous aider et vous soutenir », a-t-il directement répondu à la présidente européenne.
« L’OTAN est morte, et nous partirons, nous quitterons l’OTAN », avait-il ajouté, tout en faisant référence à la supposée dette allemande envers les États-Unis de 400 Md$, pour les efforts de défense américains consentis pour protéger l’Allemagne depuis 1949. Thierry Breton n’a pas détaillé la réponse de la présidente de l’Union européenne, même si l’on peut aisément imaginer le choc que de tels propos avaient pu provoquer.
Le commissaire européen a relaté cette anecdote alors qu’il présentait une nouvelle initiative européenne, visant à renforcer l’autonomie stratégique du vieux continent, un fonds d’investissement européen de Défense doté de 100 Md€, destiné à soutenir les investissements pour accroitre la production industrielle défense au sein de l’UE.
Les européens tentent de réagir face à un possible retour de Donald Trump à la Maison-Blanche
Le secrétaire à la défense Jim Mattis avait largement encadré les possibles débordements de Donald Trump lors de la première partie de son mandat.
Et l’annonce du nouveau fonds d’investissement industriel défense, fait partie d’une série de mesures mises en place, ou annoncées, ces dernières semaines, précisément pour tenter de contenir un tel cataclysme.
Ainsi, ces derniers mois, même les plus rétifs des pays européens concernant l’objectif de l’alliance d’un effort de défense planché de 2 %, comme la Belgique, l’Italie et l’Espagne, se sont engagées sur des trajectoires plus ou moins ambitieuses pour y parvenir, certes au-delà de 2025, mais pour y parvenir quand même.
Il faut dire que la détermination du candidat républicain, à prendre ses distances avec l’OTAN, semble plus forte que jamais, même si celle-ci existait déjà en 2016. Celui-ci a, ainsi, déclaré, il y a quelques semaines, qu’il mettrait les États-Unis « en retrait » de l’OTAN, si les européens n’acceptaient de céder à ses exigences, sans toutefois expliquer ce que seraient ces exigences, le cas échéant.
Il s’y prépare d’ailleurs activement, en ne reproduisant pas les mêmes erreurs que lors de son premier mandat, en particulier en ne s’entourant que de conseillés fermement hostiles à l’alliance.
Il avait été, en effet, fortement contraint par les membres de son cabinet, notamment ses Secrétaires à la Défense, en particulier le général Mattis, et même son vice-président, Mike Pence, beaucoup plus mesurés à ce sujet qu’il ne pouvait l’être alors.
Le Sénat américain met des garde-fous contre les possibles décisions de Trump s’il est élu
En 2019, le Sénat américain avait déjà bordé les possibles pulsions isolationnistes du président Trump, par une loi l’obligeant à obtenir l’accord du Congrès pour sortir les États-Unis de l’OTAN.
Pour cela, il est exigé, désormais, qu’une majorité des deux tiers soit atteinte au Congrès, pour valider une telle décision. C’est en réponse à cela, d’ailleurs, que Donald Trump avait présenté sa stratégie de mise en retrait potentiel des États-Unis, ce qui pourrait ne dépendre que d’une décision présidentielle, en contournant les garde-fous du Sénat.
Reste que tout indique, dorénavant, que l’hypothèse d’un retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, est prise très au sérieux, aussi bien en Europe qu’aux États-Unis. Bien évidemment, les risques qu’il soit élu avec la majorité parlementaire nécessaire pour effectivement mettre les États-Unis en retrait de l’OTAN, voire de quitter l’Alliance à terme, sont encore faibles.
Ils ne sont plus négligeables cependant, alors que les conséquences d’une telle décision, et d’un retour des pulsions isolationnistes aux États-Unis. On peut, à ce titre, se demander si l’organisation même de la défense collective européenne, bâtie avec en son centre les forces armées américaines, et à sa tête, un officier général américain, répond effectivement à une gestion des risques intérieurs objective ?
Si la réponse à cette interrogation se situe entre le non et le peut-être, il est aussi très probable que la programmation militaire de la plupart des pays européens, y compris pour certains pays jugés exemplaires dans ce domaine, comme la Pologne, est conçue sur des postulats erronés qu’un adversaire déterminé et disposant de moyens importants, pourra certainement exploiter.
Après un long blocage du Congrès n’ayant aucun rapport avec l’US Navy, l’amiral Lisa Franchetti avait été nommée, le 2 novembre 2023, Cheffe des Opérations Navales, ou CNO selon l’acronyme anglophone consacré, devenant ainsi la première femme cheffe d’état-major d’une armée américaine.
Elle prêta serment le jour même. En effet, l’US Navy ne pouvait plus attendre, étant, depuis plusieurs années, dans une situation des plus difficiles, en particulier pour ce qui concerne l’évolution de sa flotte de surface, après plusieurs programmes aussi onéreux qu’inefficaces, et une instabilité flagrante en matière de programmation.
C’est précisément à ce sujet que l’amiral Franchetti s’est livrée à une comparaison frappant les esprits, en particulier aux États-Unis, à l’occasion de la conférence annuelle de la Navy Surface Association, il y a quelques jours en Virginie. Selon l’officier général américain, la situation dans laquelle la flotte de surface de l’US Navy se trouve, aujourd’hui, serait comparable à celle qui était la sienne, au début des années 30…
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L’US Navy à la sortie de la grande dépression
Il est vrai que les points de comparaison sont nombreux avec cette période qui permit Pearl Harbor, la guerre du Pacifique et, à moindre niveau, qui rendit si difficile la bataille de l’Atlantique.
Si 95 % des unités navales engagées lors de la Seconde Guerre mondiale ont été conçues ou construites dans les années 30, l’USS Enterprise (CV-6), avec le Ranger (CV-4), sont les deux seuls porte-avions américains à avoir traversé le conflit de part et part. Les quatre autres ont été coulés au combat.
À la sortie de la grande dépression de 1929, la flotte américaine, et plus particulièrement sa flotte de surface, était bien moins performante qu’elle ne l’avait été auparavant, en particulier durant la Première Guerre mondiale. Trois facteurs simultanés engendrèrent cette situation.
D’abord, l’âge moyen de la flotte augmentait rapidement par manque d’investissements pour le renouvellement des navires, alors que les recettes budgétaires avaient beaucoup diminué du fait du mouvement anti-guerre ayant suivi le premier conflit mondial, de la crise économique de 1929, qui a fortement entamé l’économie du pays avec un PIB qui est passé de 147 Md$ en 1929, à 115 Md$ en 1932, et les effets de la captation budgétaire du New Deal de Roosevelt, qui n’était pas orienté vers l’industrie de défense.
Dans le même temps, la marine impériale japonaise, elle, avait connu, sur la même période, une croissance rapide, lui ayant permis de venir surpasser, en nombre de navires, mais aussi en capacités opérationnelles disponibles, l’US Navy à partir de 1938.
Pourtant, les efforts produits au cours des années 30 pour le renouvellement de la flotte de l’US Navy, de la conception à l’évolution de l’outil industriel, permirent de produire 95 % des unités navales américaines ayant participé à la Seconde Guerre mondiale, et qui continuèrent de naviguer longtemps après celle-ci.
Un solde négatif de frégates, destroyers et croiseurs pendant encore plusieurs années
Les similitudes avec la présente situation sont évidentes, même si certaines différences majeures peuvent être identifiées. Comme dans les années 30, la flotte américaine, en particulier sa flotte de surface combattante, est vieillissante, alors qu’une partie importante de celle-ci va bientôt atteindre sa limite d’âge et devoir être retirée du service.
En 2022, l’US Navy demanda à retirer du service les 17 croiseurs de la classe Ticonderoga encore en service d’ici à 2027. Dans le même temps, seuls huit destroyers de la classe Arleigh Burke lui seront livrés, et 3 frégates de la classe constellation.
C’est notamment le cas des derniers croiseurs Ticonderoga qui ne pourront pas naviguer au-delà de 2027, mais également des 20 premiers destroyers Arleigh Burke qui, eux aussi, atteignent la limite d’âge de 35 ans pour laquelle ils ont été conçus.
L’US Navy n’était pourtant pas restée inerte ces 30 dernières années, pour anticiper ce renouvellement nécessaire. Mais les deux programmes majeurs censés le faire, les destroyers lourds Zumwalt, et les Littoral Combat Ships, ont été des échecs, consommant des budgets colossaux pour un résultat opérationnel limité (Zumwalt), voire presque inexistants (LCS).
Dans le même temps, les capacités industrielles navales militaires américaines ont sensiblement diminué ces dernières décennies. Pire encore, leur pendant civil a quasiment disparu du paysage industriel américain, éliminant de fait un vase d’expansion qui avait été déterminant pour renforcer l’US Navy à partir de 1940.
Enfin, la planification de l’US Navy, a été des plus chaotiques des dernières années, pour ne pas dire décennies, alors qu’en dépit des efforts faits, celle-ci est encore loin d’être consolidée aujourd’hui.
Les chantiers navals US lancent, chaque année, une moyenne de 1,5 destroyer de la classe Arleigh Burke, et visent l’objectif d’en lancer 2 dans les années à venir.
En effet, celle-ci présente, depuis plusieurs années maintenant, non pas un plan de planification, mais trois, avec des répartitions et des investissements différents selon que l’on souhaite privilégier la flotte sous-marine ou de surface, ou atteindre un modèle équilibré, sans qu’aucun de ces modèles puisse être financé par la planification budgétaire du moment.
De fait, en l’état de la programmation existante, la flotte de surface américaine va continuer de décroître dans les années à venir, alors que 4 à 6 destroyers et croiseurs quitteront le service chaque année, lorsque seulement deux destroyers et une frégate viendront les remplacer.
Enfin, la Marine chinoise a désormais pris la place de la Marine impériale nippone de 1935, associant une flotte majoritairement récente dont la moyenne d’âge est inférieure à 13 ans, et en croissance très rapide. Ainsi, en moyenne chaque année, elle admet au service 8 à 10 destroyers Type 052DL, destroyers lourds Type 055 et frégates Type 054A/B, pour seulement deux destroyers et frégates retirés du service.
Et si l’US Navy a encore l’avantage dans tous les domaines majeurs, elle va rapidement le perdre concernant les unités de surface combattantes, et pourrait également se voir rattraper, voire dépasser, au sujet des grandes unités aéronavales et amphibies, et des sous-marins, maintenant que les chantiers navals qui les produisent ont été modernisés et étendus.
Des marges de manœuvre potentielles complexes, longues et onéreuses pour l’US Navy
Contrairement à la seconde moitié des années 30, durant lesquels les efforts furent produits par les États-Unis, si pas pour éviter la guerre face au Japon, en tout cas pour que l’US Navy puisse la gagner, notamment en s’appuyant sur une construction navale militaire et civile dynamique, et une économie qui avait renoué avec la croissance, les marges de manœuvre, aujourd’hui, de l’US Navy, sont loin d’être évidentes.
L’US Navy envisage l’ouverture d’un second site de production navale pour passer, dans les années à venir, de 2 à 4 frégates de la classe Constellation livrées chaque année.
Celle-ci entend produire un important effort pour augmenter la production de navires, afin d’atteindre 2 destroyers Arleigh Burke Flight III, mais également 2 nouvelles frégates Constellation d’ici à 2026, ainsi que 2,3 sous-marins nucléaires d’attaque Virginia, et un sous-marin nucléaire lanceur d’engin Columbia.
Au-delà, elle entend confier à un second chantier naval, la construction de deux frégates supplémentaires par an. La construction de porte-avions nucléaires de la classe Ford, et de grands navires amphibies, demeurerait, elle, identique à aujourd’hui.
Si les objectifs sont fixés, et paraissent cohérents avec les besoins, les moyens d’y parvenir, en revanche, demeurent encore flous. Ainsi, le budget nécessaire à la construction de ces unités navales, à ce rythme, sera 50 % plus élevé que celui dont dispose effectivement l’US Navy pour cette tâche. Or, rien ne garantit, à ce jour, que le budget des armées américaines, puissent croitre encore davantage dans les années à venir, bien au contraire.
Remplacer les SNA de la classe Los Angeles encore en service, augmenter le format de la flotte de SNA américains de 48 à plus de 60, et compenser les 3 Virginia devant être cédés à la Royal Australian Navy, les chantiers navals américains vont devoir une cadence de production de 2,3 SNA par an, à laquelle s’ajoutera la construction d’un SNLE classe Columbia, équivalent à plus de 2 Virginia, contre à peine plus d’un SNA aujourd’hui.
Surtout, la transformation nécessaire de l’outil industriel navale américain, pour atteindre cette production, va nécessiter le recrutement, et la formation, de plusieurs centaines de milliers de personnels, alors que les grands chantiers navals américains peinent encore, aujourd’hui, à se remettre des conséquences de la crise Covid sur leurs effectifs et leurs précieux savoir-faire.
Des interrogations sur l’efficacité de la réponse programmatique de l’US Navy
Plusieurs rapports, émanant notamment des organes du Congrès américain, mais aussi un nombre croissant de travaux de think tank américains, mettent en doute que les objectifs visés par l’US Navy pour contenir la Marine chinoise dans un rapport de force symétrique, puissent être atteints.
À ce sujet, et à l’occasion de ce même symposium de la Navy Surface Association auquel l’amiral Franchetti est intervenue, l’image donnée par les différents amiraux américains s’étant succédés au micro, ne nage pas dans l’optimisme.
WASHINGTON (2 novembre 2023) – L’Amiral Lisa Franchetti prêtant serment devant le Secrétaire à la Navy Carlos Del Toro le 2 novembre 2023, pour devenir le 33ᵉ CNO de l’US Navy, et la première femme cheffe d’état-major des armées américaines.(Chief Mass Communication Specialist Amanda R. Gray/released)
Certains think tank américains remettent, aujourd’hui, en question la doctrine opérationnelle et industrielle de l’US Navy, et particulier pour soutenir la compétition avec la Chine. Dans un récent article, Bryan Clark, l’un des directeurs du Hudson Institute, a, lui aussi, remis en cause la sincérité de la planification navale américaine, mais surtout son efficacité.
Comme alternative, il préconise que l’US Navy privilégie ses points forts (flotte sous-marine et aéronavale), et s’engage activement dans le développement d’une flotte de surface constituée d’unités plus petites, entièrement ou partiellement robotisées, afin de créer un rapport de force dissymétrique favorable, plutôt qu’un rapport de force symétrique en défaveur des États-Unis.
Conclusion
On le comprend, Si l’amiral Franchetti marquera certainement l’histoire comme première femme cheffe d’état-major d’une Armée américaine, elle aura avant tout une tache colossale, et particulièrement difficile, à accomplir dans les années à venir.
La question se pose, aujourd’hui, de savoir si l’US Navy a choisi la bonne stratégie pour établir son rapport de force avec la Marine chinoise, plutôt que de privilégier ses atouts comme les porte-avions, les sous-marins nucléaires et possiblement, la flotte robotisée ou semi-robotisée ?
Il ne fait guère de doute que la comparaison faite, cette semaine, avec la situation dans laquelle se trouvait l’US Navy en 1930, avait pour but de frapper les esprits pour tenter d’obtenir davantage de crédits dans les années à venir pour le renouvellement de la flotte.
Toutefois, il apparait, dans plusieurs études, que les limites, ici, ne sont pas uniquement budgétaires. Alors que, jusqu’ici, les États-Unis ont toujours pu s’appuyer sur une supériorité économique, et souvent démographique et industrielle, pour construire leur rapport de force dans les conflits passés, ils doivent, aujourd’hui, se confronter à un adversaire potentiel jouant avec les mêmes atouts, disposant même, dans de nombreux domaines, d’une main largement gagnante.
Dans ce contexte, on peut effectivement s’interroger sur la pertinence de la stratégie industrielle navale américaine, qui continue de s’appuyer sur des paradigmes hérités de contextes révolus, plutôt que de chercher, au contraire, à capitaliser sur leurs plus-values exclusives, comme l’aéronavale et la flotte sous-marine nucléaire, qu’il sera difficile, ou tout au moins beaucoup plus long, à la Chine de contester.
Structurés en 2017, les programmes SCAF et MGCS représentaient alors les deux principaux piliers d’une initiative franco-allemande voulue par Emmanuel Macron et Angela Merkel, pour engager l’Europe sur une trajectoire davantage autonome en matière de défense, avec en son cœur, les deux principales économies et puissances démographiques de l’Union Européennes.
Depuis, l’enthousiasme initial a fait place à une défiance croissante, si pas des autorités, en tout cas d’une partie de l’opinion publique, des industriels et même des militaires, et ce, de part et d’autres du Rhin, alors que les difficultés se sont multipliées, amenant chacun de ces programmes au bord de l’implosion.
En dépit d’une trajectoire désormais plus sécurisée, sans être toutefois garantie, suite à une vigoureuse intervention des instances politiques des pays participants, de nombreuses interrogations subsistent dans le débat public autour de ces programmes. Un nouveau rapport, émanant de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, va certainement venir encore accroitre les inquiétudes les entourant.
Sommaire
Celui-ci préconise, en effet, d’anticiper un possible échec des deux programmes, de s’engager vigoureusement dans le développement de solutions intérimaires pour faire face à la révision de leur calendrier, et surtout de mettre en œuvre une date limite, en 2025, pour évaluer de l’intérêt pour la France de maintenir, ou non, sa participation à ces initiatives européennes.
SCAF et MGCS, des programmes à l’histoire tumultueuse
Il est vrai que depuis leur lancement en 2017 pour SCAF, et même en 2015 pour MGCS, ces deux programmes ont connu des parcours pour le moins chaotiques. Ainsi, passé l’euphorie politique de départ, tous deux se sont rapidement heurtés à deux obstacles majeurs : des objectifs divergents des différentes armées devant mettre en œuvre les équipements, et un partage industriel des plus complexes à articuler.
Le programme MGCS vise désormais une échéance au-delà de 2040, peut-être même 2045.
Pour SCAF, qui doit permettre de concevoir l’ensemble de la composante combat aérien de la génération prochaine, et non uniquement l’avion de combat en son cœur, les besoins allemands, visant un chasseur plus lourd et davantage destiné à la défense aérienne, et français, avec un chasseur plus léger capable d’opérer à partir de son et ses porte-avions, mais aussi d’assurer la posture nucléaire, étaient déjà difficiles à harmoniser.
C’est toutefois le partage industriel qui posa les plus importants problèmes, entre une industrie aéronautique de défense française apte à faire l’ensemble du système en autonomie, une industrie allemande capable d’y parvenir à plus de 75 %, et la BITD espagnole, moins expérimentée, mais très ambitieuse.
Si certains piliers trouvèrent leur équilibre, d’autres, en particulier autour de la conception du chasseur NGF lui-même, et de ses commandes de vol, suscitèrent d’intenses oppositions entre le Français Dassault Aviation et l’européen Airbus DS, tous deux estimant avoir les compétences et l’expérience pour piloter ce pilier.
Ces tensions entre les deux ténors européens de la conception aéronautique, amenèrent le programme SCAF au bord du précipice. Il ne dut son salut qu’à l’intervention déterminée ds trois ministres de tutelles français, allemand et espagnole, imposant une ligne directrice industrielle ferme, tout au moins pour la phase d’étude et de prototypage qui s’étend jusqu’en 2027.
Le programme SCAF fut sorti de l’impasse dans laquelle il se trouvait grâce à l’intervention conjointe, en 2022, des trois ministres de tutelles concernés (de gauche à droite), le français Sébastien Lecornu, l’espagnole Margarita Robles et l’allemand Boris Pistorius.
La trajectoire suivie par MGCS fut sensiblement la même que pour SCAF. Pourtant, initialement, le programme partait sur des bases plus solides, étant confié depuis 2015 à la coentreprise franco-allemande KNDS qui rassemble, à parts égales, Nexter et Krauss-Maffei Wegmann, alors que le programme, lui aussi, était financé à parts égales par Paris et Berlin.
Pourtant, celui-ci ne parvint pas à démarrer, en grande partie du fait d’attentes difficiles à harmoniser entre l’Armée de Terre française et Das Heer, son homologue allemande. Surtout, en 2019, le Bundestag ordonna que Rheinmetall rejoigne le programme, provoquant un profond déséquilibre dans son pilotage, mais aussi dans son partage industriel, entrainant de violentes joutes entre Nexter et Rheinmetall concernant le pilotage de certains aspects clés, comme le canon principal du blindé.
La France devra trancher en 2025 au sujet de ces programmes, selon un rapport sénatorial
Si, aujourd’hui, les deux programmes semblent être sortis des ornières dans lesquels ils se trouvaient grâce à une ferme reprise en main politique, leur avenir, en revanche, est encore loin d’être garanti.
Les chars Leclerc français devront subir une profonde cure de jouvence, avec notamment le remplacement de leur groupe motopropulseur, pour espérer demeurer opérationnels après 2035.
Par ailleurs, alors qu’ils visaient, initialement, des entrées en service autour de 2035 pour MGCS, et 2040 pour SCAF, ils ont glissé respectivement entre 2040 et 2045 pour le remplaçant du Leclerc et du Leopard 2, et de 2045 à 2050, pour le successeur des Rafale et Typhoon, ce qui engendre d’importantes interrogations concernant la période intérimaire supplémentaire, pour laquelle la planification française n’a pas, à ce jour, de solution.
Un récent rapport émanant de la commission sénatoriale des affaires étrangères et de la défense, au sujet des crédits de l’équipement des forces (programme 146), dans le cadre du projet de Loi de Finance 2024, porte, à ce sujet, une vision tranchée quant aux risques liés à ces deux programmes, et aux actions qui devraient être entreprises par le gouvernement, pour les mitiger.
Rédigé par M. Hugues SAURY, sénateur LR du Loiret, et Mme Hélène CONWAY-MOURET, sénatrice socialiste représentant les français de l’étranger, le rapport met notamment en garde contre les risques d’échec de l’un ou l’autre des programmes, voire des deux, et sur la situation dans laquelle les armées françaises, ainsi que l’industrie de défense nationale, se retrouveraient dans une telle hypothèse.
Les Rafale M de la Marine nationale livrés de 2000 à 2004, devront certainement être retirés du service à partir de 2035, en raison de l’usure accélérée des avions embarqués soumis à d’importantes contraintes (appontage, corrosion…)
Selon les sénateurs, il est désormais nécessaire pour la France de définir une date d’arbitrage finale quant à sa participation à ces deux programmes. Une échéance à 2025 est proposée dans le rapport, car permettant d’évaluer la progression des deux programmes tout au long de 2024 pour déterminer leurs chances de succès ou, au contraire, pour admettre que les difficultés rencontrées représenteraient des obstacles trop importants pour avoir les garanties nécessaires quant à leur aboutissement.
Les délais de ces programmes menacent l’efficacité des armées, selon le Sénat
Le rapport parlementaire ne se limite pas à cette seule échéance. Il met également en garde contre les dérives constatées ces dernières années, qu’il s’agisse des glissements de délais annoncés, mais aussi des hausses de couts, qui viennent profondément modifier de nombreux axes de planification, pour les armées, comme pour les industries de défense.
Ces deux sujets avaient été, à plusieurs reprises, abordés dans nos articles. En effet, les glissements du programme SCAF au-delà de 2045, et surtout celui du programme MGCS au-delà de 2040, vont entrainer d’importantes difficultés pour les armées, dont les matériels devaient être remplacés à partir de 2035.
C’est notamment le cas d’une partie des Rafale M de la Marine nationale, ceux entrés en service entre 2000 et 2004, qui ne pourront pas continuer à voler au-delà de 2030, par l’usure accentuée des appareils embarqués.
Le Rafale F5 et son drone de combat doivent arriver dans les escadrons français à partir de 2030, selon les engagements pris par le ministre des Armées, lors du vote de la LPM 2024-2030.
Mais le dossier le problématique, pour les armées françaises, portera sur les chars Leclerc, dont la modernisation en cours est considérée, par beaucoup, comme insuffisante, et qui, surtout, seront contraints de remplacer leur moteur et système de transmission, pour espérer servir encore efficacement après 2035.
L’autre enjeu, concernant la flotte de Leclerc, est son format trop réduit, 200 unités, pour répondre aux besoins imposés par les développements en Europe de l’Est. Contrairement à l’Allemagne, mais aussi l’Italie, nouveau partenaire du programme MGCS, qui se tournent tous deux vers le Leopard 2A8, Paris n’a aucune option nationale pour renforcer sa composante blindée lourde, avant la livraison des premiers MGCS.
Rafale F5, drone de combat, EMBT : les solutions intérimaires existent, mais ne représentent pas des alternatives
Pour répondre à ces défis, le rapport sénatorial préconise de se tourner vers des évolutions des équipements en service, de sorte à compenser, du point de vue opérationnel, mais aussi industriel et commercial, les effets négatifs liés aux délais supplémentaires de ces deux programmes.
Lancer le programme Rafale F5 et son drone de combat dès 2024, pour être au rendez-vous de 2030.
Ainsi, les sénateurs appellent le ministère des Armées à contracter dès cette année avec Dassault Aviation et la Team Rafale, pour entamer le développement du Rafale F5, véritable reboot du chasseur français, et surtout de son drone de combat, afin de respecter l’échéance de 2030 avancée par la LPM.
La conception du drone de combat qui accompagnera le Rafale F5 n’a pas encore débuté.
Le rapport pointe par ailleurs l’un des effets délétères de l’ambition du programme SCAF, à savoir des couts prohibitifs pour le NGF, qui pourrait couter jusqu’à trois fois le prix du Rafale, soit de 240 à 300 m€ l’exemplaire, le mettant hors de portée de nombreuses forces aériennes traditionnellement clientes de l’industrie aéronautique française.
Dans ce contexte, les évolutions du Rafale, et de son propre système de combat aérien, pourraient représenter une capacité opérationnelle, industrielle et commerciale plus que bienvenue. Et si SCAF venait à échouer, industriels et militaires français seraient alors en position bien plus favorable pour se tourner vers d’autres solutions, voire d’autres partenaires.
Motorisation et réarmement du Leclerc avec la tourelle EMBT, pour assurer l’intérim jusqu’à l’arrivée de MGCS
Les préconisations faites par le rapport sénatorial reprennent, dans leurs grandes lignes, la méthodologie developper pour SCAF. Il s’agirait, en effet, de moderniser, et de revitaliser, la flotte de chars Leclerc français, bien davantage qu’elle ne l’est aujourd’hui dans le cadre de la modernisation MLU Scorpion.
La tourelle EMBT conférerait à un Leclerc généré des capacités similaires à celles de meilleurs chars en développement, comme l’Abrams M1E3 ou le T14 Armata.
Cette modernisation porterait sur deux aspects majeurs. D’abord, le remplacement complet du groupe motopropulseur du char, et de sa transmission, aussi bien pour palier l’usure croissante des matériels entrainant plus de pannes et de périodes de maintenance, que pour accroitre les performances du blindé, sa production électrique et sa durée de vie, de sorte à étendre les options de modernisation.
Le second volet de cette modernisation porterait sur l’armement du char, l’hypothèse du remplacement de sa tourelle par la tourelle EMBT étant avancée par le rapport. Il est, en effet, incontestable qu’un Leclerc monté d’une tourelle EMBT et son canon de 140 mm Ascalon, protégé par l’APS Prometeus et son système hard kill Diamant, et entièrement remotorisé, possiblement avec une propulsion hybride électrique, n’aurait strictement rien à envier à l’Abrams M1E3, au KF-51 Panther, au T-14 Armata, et probablement pas au toujours obscur Leopard 2A8.
Surtout, en s’engageant dans un tel développement, l’industrie de défense française conserverait ses compétences, concurrentielles dans les années à venir, quels que soient les arbitrages autour du partage industriel concernant MGCS.
Par ailleurs, même en limitant ce processus à la modernisation des 200 Leclerc de l’Armée de Terre, la BITD terre disposerait d’un potentiel industriel renouvelé pour produire de nouveaux chars à destination de la scène internationale, et serait donc en mesure de négocier certains partenariats dans ce domaine très en tension.
La modernisation du Leclerc avec la tourelle EMBT et un nouveau groupe motopropulseur, soutiendrait les compétences technologiques et commerciales de la BITD terre française, pour la décennie à venir.
Enfin, là encore, si MGCS venait à péricliter, les armées françaises, comme la BITD, seraient alors en bien meilleure position, pour se tourner vers des alternatives nationales ou de nouveaux partenaires. Comme pour SCAF, il est évidemment hors de question de renoncer aux avancées technologiques et capacitaires promises, à terme, par cette nouvelle génération de blindés.
Les marges de manœuvre de la LPM 2024-2030 sont limitées, mais elles existent
Reste, naturellement, un dernier point, et non des moindres, soulevé par le rapport sénatorial, celui des financements. Comme évoqué dans de précédents articles, si la LPM se veut volontaire et engagée, notamment en termes industriels, alors que 25 % des crédits seront destinés à l’achat ou au développement de nouveaux équipements, celle-ci ne dispose que de peu de marges de manœuvre, pour répondre à de nouveaux enjeux.
En effet, l’immense majorité des crédits prévus par cette LPM, sont d’ores et déjà fléchés vers des investissements prédéfinis. Ainsi, pour financer de nouveaux programmes, il sera certainement nécessaire d’en entamer d’autres, dans un jeu à somme nulle.
Le ministère des Armées doit soumettre, avant le 30 juin de chaque année, un rapport concernant l’évolution des programmes de la LPM, afin d’engager un débat motivé lors de la présentation du PLF de l’année suivante.
Pour autant, comme le fait remarquer le rapport, des marges peuvent être dégagées, car cette LPM se veut, par définition, flexible. Le ministère, les députés et les sénateurs ont, à ce titre, la possibilité, à l’occasion des débats autour du projet de loi de finance annuel, de négocier de nouveaux crédits, comme ce fut notamment le cas lors des très fructueux débats parlementaires qui ont entouré le vote de cette Loi de Programmation Militaire.
À ce titre, chaque année, le ministère des Armées doit fournir, avant le 30 juin, un rapport aux deux chambres, portant sur les principales évolutions de la programmation militaires, permettant d’engager un dialogue constructif et motivé avec les parlementaires.
Surtout, la LPM prévoit qu’une actualisation devra avoir lieu avant 2027, actualisation qui pourra redéfinir la planification, mais aussi les moyens qui sont alloués aux armées pour y parvenir.
Notons toutefois que cette actualisation aura toutes les chances d’être éphémère. Dans le contexte politique et géopolitique actuel, qui ira probablement en se détériorant dans les années à venir, il est fort probable que le président et la nouvelle majorité parlementaire, ou coalition, qui sortiront des urnes en 2027, entreprendront rapidement la rédaction d’un nouveau Livre blanc ou d’une nouvelle Revue stratégique, suivi d’une nouvelle LPM.
Conclusion
On le voit, le rapport rédigé par le sénateur Hugues SAURY et la sénatrice Hélène CONWAY-MOURET, est empreint d’une grande lucidité, et d’une réelle objectivité. Les constats posés, en particulier concernant les programmes SCAF et MGCS, sont on ne peut plus exacts et équilibrés, ne sombrant ni dans l’euro-intégrisme, ni dans une posture nationaliste teintée de germanophobie, comme c’est, malheureusement, souvent le cas dans les débats autour de ce sujet clivant.
Les programmes SCAF et MGCS sont teintés d’une puissante dimension politique héritée de la proximité affichée par Emmanuel Macron et Angela Merkel pour l’émergence d’une Europe de la Défense. Depuis, cependant, ce projet s’est très largement étiolé.
Si les constats, mais aussi les solutions préconisées, n’ont rien de particulièrement innovant, ils ont le mérite d’être posés clairement, et argumentés efficacement. C’est en particulier le cas quant aux alternatives préconisées s’appuyant sur le Rafale F5 et le Leclerc EMBT, jugés indispensables et urgents, quel que soit l’avenir des programmes SCAF et MGCS.
Deux aspects particuliers, toutefois, émergent de ce rapport. En premier lieu, le fait qu’il est désormais indispensable d’anticiper, dès à présent, la possibilité d’un échec de l’un ou l’autre de ces programmes, voire des deux, alors que les armées françaises, pas davantage que la BITD nationale, ne peuvent plus se permettre de période de flottement dans une telle hypothèse, face aux enjeux opérationnels et industriels en développement.
Surtout, le rapport préconise d’établir une échéance maximale, avant laquelle la France devra décider, de manière objective et motivée, de sa participation dans ces deux programmes, préconisant, à cet égard, que cette échéance ne soit pas postérieure à 2025.
Pour autant, en l’absence d’une méthodologie stricte, et surtout parfaitement objective, pour juger de la pérennité de SCAF ou de MGCS, il sera très difficile que ces programmes, à ce point teintés d’enjeux politiques, en particulier pour le président lui-même, puissent être menacés, sauf à ce que les risques viennent menacer la sécurité des français, et ce, de manière évidente et, pour ainsi dire, explosive.
Le Next Generation Fighter, ou NGF, du programme SCAF, pourrait couter jusqu’à trois fois le prix d’un Rafale aujourd’hui, selon le rapport sénatorial.
C’est probablement là, et on peut le regretter, la limite des préconisations pleines de bon sens faites par ce rapport sénatorial qui, au final, n’aura que peu de chances d’infléchir la trajectoire des partenariats franco-allemands en matière de défense, même si ceux-ci, venaient à ne pas donner les garanties suffisantes d’ailler à leur terme. Nombreux sont ceux, d’ailleurs, qui aujourd’hui, jugent que c’est déjà le cas, en particulier pour MGCS. Et pourtant…
Il y a tout juste deux ans, Jakarta annonçait se tourner vers le Rafale de Dassault Aviation, pour entamer la modernisation de ses forces aériennes. Si la commande visée était de 42 appareils, celle-ci était décomposée en 3 tranches, respectivement de 6, 18 et 18 appareils, qui devaient entrer en vigueur successivement.
Ce découpage avait, alors, de quoi inquiéter. En effet, ces dernières années, l’Indonésie ne s’était pas montrée, dans plusieurs grands dossiers de défense, comme un partenaire particulièrement fiable, avec d’importants délais dans la passation des contrats, et surtout des défauts de paiement qui ont parfois plus qu’agacé les partenaires de Jakarta.
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Un client stratégique pour le Rafale et Dassault Aviation
En début de semaine, Dassault vient d’annoncer que la troisième et dernière tranche venait, elle aussi, d’entrer en vigueur, montrant que pour Jakarta, l’acquisition des 42 chasseurs français était considérée comme une priorité majeure, loin devant sa participation au programme KFX sud-coréen.
Les forces aériennes militaires nationales indonésiennes, ou Tentara Nasional Indonesia Angkatan Udara, aligneront bien 42 chasseurs Rafale dans les années à venir.
Il s’agit, bien évidemment, d’une excellente nouvelle pour Dassault Aviation et l’ensemble des entreprises concernées. En effet, à l’exception de la Croatie, tous les clients du Rafale, jusque-là, étaient des opérateurs traditionnels d’avions de chasse français, et plus particulièrement du Mirage 2000. Ce n’est pas le cas de l’Indonésie qui, jusqu’ici, s’était tournée vers les États-Unis et l’Union Soviétique dans ce domaine, en lien avec la politique de non-alignement du pays.
Surtout, avec une croissance économique soutenue (5,3 % en 2023), elle est appelée à devenir un acteur majeur de la sphère économique et politique mondiale dans les années et décennies à venir. Dans le même temps, elle borde par le sud la Mer de Chine du Sud, et à ce titre, se retrouve en tension avec les revendications chinoises sur cet espace maritime, créant des frictions récurrentes avec les forces navales et aériennes de l’Armée Populaire de Libération.
De fait, ajouter l’Indonésie à la liste des opérateurs de Rafale, représentait un enjeu stratégique pour Paris et Dassault, le potentiel à terme de la flotte de chasse indonésienne dépassant, très certainement, les 42 appareils initialement commandés.
Des inquiétudes liées à l’exécution du programme KFX sud-coréen et le KF-21 Boramae par l’Indonésie
Pour autant, les risques semblaient élevés à la signature du contrat. En effet, partenaire depuis 2010 à hauteur de 20 %, du programme KFX sud-coréen qui a donné naissance, depuis, au KF-21 Boramae, Jakarta a surtout brillé par le non-respect de ses engagements envers Séoul, notamment pour ce qui concerne la dimension budgétaire.
L’Indonésie est partenaire à hauteur de 20 % au programme KFX sud-coréen.
Déjà, en 2017, le centre d’ingénierie indonésien en Corée du Sud avait dû être fermé, alors que les arriérés de paiement vis-à-vis de Séoul concernant ce programme, dépassaient déjà les 400 m$.
En septembre 2022, à l’occasion de la présentation officielle du Boramae à laquelle participait le ministre de La Défense Prabowo Subianto, ce dernier assura que son pays demeurait engagé dans le programme, et que le centre de développement de Daejeon serait rouvert prochainement, avec le retour de plusieurs dizaines d’ingénieurs indonésiens en Corée du Sud.
À ce moment-là, le reste à payer indonésien dépassait 550 m$. Toutefois, en dépit des annonces officielles du ministre, il semble, à en juger par les nouvelles tensions rendues publiques entre les deux à pays à ce sujet, que Jakarta n’a toujours pas repris les paiements pour justifier de sa participation à ce programme, provoquant l’inquiétude de Séoul, et la recherche de nouveaux partenaires.
Il y a quelques mois, l’hypothèse d’une participation des Émirats arabes unis avait fuité dans la presse spécialisée sud-coréenne, mais fut rapidement démentie par Abu Dhabi. Et si, officiellement, l’Indonésie demeure toujours engagée dans le programme KFX, rien n’indique, à ce jour, que la posture de Jakarta concernant les paiements à son sujet, ait évolué.
Le Rafale, priorité majeure pour les forces aériennes indonésiennes
Bien évidemment, le contraste entre l’exécution du programme Rafale, particulièrement bien exécuté par les autorités indonésiennes, et la manière dont elles trainent les pieds autour du KF-21, interroge, d’autant plus que l’Indonésie avait déjà codéveloppé l’avion d’entrainement et d’attaque T-50 Golden Eagle, avec la Corée du Sud.
Jakarta avait déjà codéveloppé avec Séoul le T-50 Golden Eagle.
Surtout, d’un point de vue industriel et technologique, le programme KFX semblait bien plus prometteur, pour Jakarta, que l’acquisition de Rafale français, même si le contrat français intègre des volets dans ce domaine. La question du calendrier ne peut pas davantage être avancée, le Boramae devant entrer en service d’ici à 2026, soit avec un écart faible avec les livraisons prévues du chasseur de Dassault aux forces aériennes indonésiennes.
De manière évidente, on constate que l’acquisition de Rafale est jugée comme prioritaire par Jakarta et les forces aériennes indonésiennes. Face au KF-21, évidemment, mais aussi face au F-15EX américain, qui n’a, lui non plus, toujours pas été commandé, et même vis-à-vis de l’acquisition des Mirage 2000-5 qatari, comme solution d’attente, dont l’exécution a été reportée il y a quelques jours, pour des raisons budgétaires.
Il faut dire que par son autonomie, son allonge et ses capacités d’emport, le Rafale répond très bien aux besoins spécifiques des forces aériennes du pays, qui doivent assurer des missions de défense sur un périmètre particulièrement étendue, alors que les F-16, Su-30 et T-50 actuellement en service, peinent à efficacement protéger les 17 000 iles réparties sur les 2 millions de km² du pays.
Un contrat qui renforce, par contraste, l’attrait du Rafale sur la scène internationale
De fait, si le choix du chasseur français par Jakarta avait déjà représenté un message d’excellence au sujet du Rafale, l’exécution exemplaire du contrat par les autorités indonésiennes positionne, par contraste, le chasseur français sensiblement au-dessus de ses concurrents, en particulier du Boramae sud-coréen pourtant très prometteur, du F-15EX toujours dans l’attente de son premier contrat à l’exportation, et même du F-16, pourtant en service au sein des forces aériennes du pays, mais ignoré des expressions de besoin de son état-major.
Les F-16 indonésiens manquent d’allonge pour assurer efficacement la défense aérienne des 2 m km² de l’espace aérien du pays.
On ne peut qu’espérer, dorénavant, que l’apurement du dossier Rafale, comme son exécution minutieuse par Jakarta, permettront d’accélérer d’autres dossiers tout aussi stratégiques, plus particulièrement le très ambitieux programme d’acquisition de six sous-marins conventionnels pour la Marine indonésiennes, à propos duquel le Scorpene Evolved de Naval group est régulièrement pressenti.