mardi, décembre 2, 2025
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En appelant l’industrie de Défense française à prendre plus de risques, Sébastien Lecornu ne fait que la moitié du chemin.

Portée par le contexte international et quelques équipements stars comme le Rafale, le Caesar et le Scorpene, l’industrie de défense française est aujourd’hui fermement positionnée sur la seconde marche du podium international des exportateurs d’équipements de défense mondiaux, avec un portefeuille de commandes qui s’est apprécié de 27 Md€ sur la seule année 2022.

Mais l’émergence de nouveaux acteurs, et la recomposition rapide de ce marché mondial, vient désormais menacer cette industrie, et au travers d’elles, l’autonomie stratégique française. Pour y répondre, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a appelé les industriels de la BITD française, à renouer avec la prise de risque, sans toutefois que le ministère a lui-même entamé sa propre métamorphose pour rendre cela possible.

Les grands groupes français ont ainsi su s’imposer sur plusieurs marchés clés, continuant à fidéliser certains partenaires majeurs de longue date comme l’Égypte, l’Inde, la Grèce ou les Émirats arabes unis, tout en se distinguant lors de grandes compétitions, en Indonésie, en Croatie ou en Pologne.

Cependant, sur la même période de temps, d’autres acteurs ont connu une croissance importante. En Europe, déjà, l’Allemagne, l’Italie et la Grande-Bretagne ont annoncé, eux aussi, des années records dans ce domaine en 2022 et 2023. Les acteurs majeurs, États-Unis et Russie, continuent de tenir vigoureusement leurs marchés traditionnels et à préparer leur retour sur d’autres, alors que la Chine progresse de plus en plus rapidement.

L’émergence d’une nouvelle menace pour l’avenir de l’industrie de défense française

Le principal sujet d’inquiétude, pour Paris, n’est cependant ni Washington, ni Moscou et pas davantage Berlin, Londres ou Pékin, mais la progression fulgurante enregistrée, ces dernières années, par trois acteurs qui étaient encore émergents il y a tout juste cinq ans, et qui dorénavant viennent s’imposer jusqu’en Europe et dans l’OTAN : La Corée du Sud, la Turquie et Israël.

K2 Corée du Sud
Le char K2 sud-coréen est aujourd’hui le char de combat le plus exporté en 2022, et promet de s’imposer dans de nombreuses compétitions dans les années à venir.

Non seulement les industries de défense de ces pays parviennent-elles à se positionner sur certains marchés de niche sur la scène internationale, mais elles se sont engagées, toutes trois, dans un vaste effort industriel largement soutenu par leurs États respectifs.

De fait, leurs catalogues ne cessent de s’étoffer, venant désormais piétiner des marchés sur lesquels européens, américains et russes étaient traditionnellement hégémoniques, comme les avions de chasse, les hélicoptères d’attaque, les chars lourds ou encore les sous-marins.

Pire encore, elles sont engagées dans un tempo industriel et générationnel bien plus soutenu qu’en Europe, leur permettant de developper des compétences industrielles spécifiques sur lesquelles européens, et même américains et russes, ont tardé à intervenir, comme dans le cas des drones, des munitions rôdeuses ou des systèmes de protection actifs.

Il ne fait, dès lors, aucun doute que l’arrivée de ces nouveaux acteurs, mais aussi le repositionnement américain sur certains marchés, comme dans le domaine des blindés ou des frégates, le retour anticipé de l’industrie de défense russe enrichie de l’expérience ukrainienne, la montée en puissance chinoise, et l’émergence certains pays, comme l’Égypte, le Brésil ou l’Inde, vont profondément faire évoluer le marché international de l’armement dans les années à venir.

Le ministre des Armées Sébastien Lecornu appelle les industriels à prendre davantage de risques

Le sujet est pris très au sérieux par le ministre des Armées, Sébastien Lecornu. Rappelons, à ce titre, que les exportations d’armement représentent une composante plus que notable pour le commerce extérieur français.

Rafale Neuron
La LPM 2024-2030 a lancé plusieurs programmes clés pour les exportations françaises dans les années à venir, comme le Rafale F5 et son drone de combat.

Surtout, ces exportations sont indispensables aux équilibres au sein de la Base Industrielle et Technologique Défense, ou BITD, afin de lui permettre de developper et produire l’ensemble des équipements de défense requis par les armées.

De fait, l’autonomie stratégique de la France, est conditionnée par le succès de ses industriels de défense sur la scène internationale, afin de maintenir l’activité industrielle dans la durée, alors que la commande nationale s’avère insuffisante pour cela, à l’échelle d’une génération d’armement.

C’est précisément pour répondre à ce défi à venir, que le ministre des Armées a exposé ses priorités pour la nouvelle année, lors d’une prise d’armes qui s’est déroulée ce 8 janvier, sur l’esplanade des Invalides.

À cette occasion, Sébastien Lecornu a rappelé que l’État prenait sa part pour faire face aux défis sécuritaires en cours et à venir, mais également pour redynamiser la BITD, au travers d’une nouvelle Loi de Programmation Militaire 2024-2030, qui permettra d’amener le budget des armées à 67 Md€ / an en 2030.

Il a par ailleurs appelé les industriels à un changement de paradigme, plus spécifiquement à « prendre des risques« , pour reprendre ses mots exacts, et donc à accroitre leurs investissements, en particulier dans le domaine de la capacité de production industrielle, mais aussi, et surtout, dans celui de la Recherche et du Développement.

L’exemple de l’Allemagne contraste avec la BITD française

Effectivement, lorsque l’on compare le fonctionnement de la BITD française, à celle de certains de ses voisins et compétiteurs, il peut sembler qu’elle soit, d’une certaine manière, moins volontaire dans le domaine de l’investissement et de la prise de risques.

Type 214 grece
Le sous-marin Type 214 a été exporté à 21 exemplaires, mais n’a pas été acquis par la Bundesmarine allemande, qui s’est tourné vers le Type 212, dont il est dérivé.

L’industrie allemande, en particulier, repose sur des paradigmes très différents, n’hésitant pas à developper, sur fonds propres, de nouveaux équipements sans commande d’état a priori, en particulier pour s’adresser au marché international.

Rappelons ainsi que certains des grands succès de l’industrie allemande ces 40 dernières années, les sous-marins Type 209 et Type 214, ou encore les frégates et corvettes MEKO, n’ont jamais été acquis par la Bundesmarine.

De même, Rheinmetall s’est engagé dans la conception du véhicule de combat d’infanterie Lynx, et du char de combat Panther, sans aucune commande de l’état, avec un succès, pour l’heure, bien moins impressionnant que dans le domaine naval.

À l’inverse, les industriels français semblent bien peu enclins, tout au moins de manières superficielles, à s’engager dans de tels développements sur fonds propres, tant pour soulager l’investissement d’Etats que pour se positionner sur la scène internationale. C’est précisément ce point que le ministre des Armées entend faire évoluer.

La prudence des industriels français, conséquence de l’attitude de l’état pendant 30 ans.

Toutefois, la prudence des industriels français, à ce sujet, n’est pas, pour ainsi dire, innée, et encore moins la conséquence d’une posture de rente confortable. En effet, longtemps, les industries de défense nationales ont été plus que volontaires en termes de prises de risques, mais n’ont que rarement obtenu le soutien de l’état, ou des armées, pour consolider leurs investissements le moment venu.

Il existe, ainsi, de nombreux exemples d’équipements développés en fonds propres par les industriels français, qui auraient sans le moindre doute largement bénéficié d’une commande initiale des armées, même limitée, pour se positionner sur la scène internationale, et qui n’ont finalement pas rencontrer leur marché, faute de la référence requise.

Scarabee Arquus
Le blindé léger spécial Scarabée d’Arquus aurait certainement connu un certain succès commercial international, s’il avait été acquis, même en petite quantité, par les armées françaises.

C’est le cas du véhicule de combat blindé léger Scarabee de Arquus, dont l’industriel avait poussé le développement au-delà du prototypage, et dont la simple commande d’une centaine d’exemplaires pour équiper certaines forces terrestres déployées en opérations extérieures, aurait très probablement lancé la carrière internationale.

Plus avant, on peut citer la gamme d’OPV et de corvettes Gowind, de Naval Group, mais aussi des sous-marins Scorpène, qui auraient certainement connu un succès encore plus important, si la Marine nationale en avait fait l’acquisition à quelques exemplaires.

Même le très puissant Dassault Aviation, mètre étalon de la BITD française, a cessé de developper sur fonds propres ses propres chasseurs, après l’échec du Super Mirage 4000, un chasseur qui aurait sans le moindre doute efficacement assurer la transition entre le Mirage 2000 et le Rafale au sein de l’Armée de l’Air, et dont l’acquisition par la France aurait assurément ouvert de nombreuses opportunités internationales face au F-18, F-15 et Su-27/30.

Le lien entre le potentiel moyen d’exportation des équipements de défense et leur dotation dans les armées

De fait, les efforts et prises de risque de l’industrie de défense française, ont rarement été récompensés d’un soutien dynamique de l’état, et surtout des armées, et ce, depuis plusieurs décennies.

Bien évidemment, à force d’échecs, les industriels ont, peu à peu, pris leur distance avec cette stratégie, ce d’autant qu’en dépit des contre-exemples allemands, il existe, la plupart du temps, un lien (et non une équivalence) entre le succès international d’un équipement de défense, et sa mise en œuvre dans les armées nationales.

exportation des principaux equipements de défense français
En appelant l'industrie de Défense française à prendre plus de risques, Sébastien Lecornu ne fait que la moitié du chemin. 10

Comme le montre le tableau ci-dessus, en dehors du cas spécifique des Scorpène, il existe une certaine stabilité entre le succès à l’exportation des équipements de défense, et leur mise en œuvre au sein des armées.

Souvent, d’ailleurs, les exportations viennent égaler le nombre d’équipements en service au sein des armées françaises. L’exemple des hélicoptères Cougar, Panther et Caracal, mais aussi de CAESAR, montre toutefois qu’il est possible de largement soutenir les exportations d’un équipement, même avec un nombre limité d’équipements en service.

De manière intéressante, les moyennes constatées au sujet des équipements de défense français, se retrouvent sur la scène internationale. Le tableau ci-dessous liste quelques-uns des plus grands succès de l’industrie de défense mondiale à l’exportation ces dernières décennies.

Exportations de principaux equipements de défense internationaux
En appelant l'industrie de Défense française à prendre plus de risques, Sébastien Lecornu ne fait que la moitié du chemin. 11

On y retrouve un taux d’exportation moyen proche de 50 %, comme en France, quelques contre-exemples notables, les Type 214 et MEKO 200 allemands, et certains succès majeurs, comme le T90 et le Su-30 russe, et le LHD Juan Carlos Espagnol.

Le ministère des Armées doit changer sa propre posture, pour inciter les industriels à prendre des risques

Les résultats exposés ici n’ont rien de surprenant. On comprend aisément qu’un client de l’industrie de défense française préfèrera acquérir un équipement qu’il sait être, ou devoir être, en service dans les armées françaises, ne serait-ce que pour avoir la certitude que celui-ci sera soutenu sur l’ensemble de sa durée de vie.

Surtout, le client sait ainsi qu’il n’aura pas à assumer, seul, les couts d’éventuelles évolutions de ses équipements, et pourra s’appuyer sur un volume suffisant pour tirer ces couts vers le bas.

EBRC Jaguar
Les Jaguar français et belges seront presque identiques, comme l’exige le contrat CaMo.

On remarquera, à ce titre, que deux des contrats majeurs signés ces dernières années par l’industrie de défense française, le programme CaMo avec la Belgique, et l’acquisition des FDI grecques, demandaient explicitement une standardisation maximale des équipements avec ceux acquis par les armées françaises.

Dès lors, pour convaincre les industriels de s’engager dans une posture plus volontaire en investissant tant dans leurs moyens de production que dans la R&D, il serait nécessaire que le ministère, et les Armées elles-mêmes, changent leurs propres paradigmes, pour être en mesure de soutenir activement ces prises de risques industriels, par des investissements, certes plus mesurés, mais destinés à positionner ces équipements sur la scène internationale, et accroitre, ainsi, considérablement leurs chances de succès.

Ce changement de culture sera probablement difficile à imposer, en particulier dans les armées. Il le sera d’autant plus que la LPM 2024-2030, telle que conçue aujourd’hui, ne dispose que de peu de marges de manœuvre budgétaires, permettant un pilotage partiellement dynamique des acquisitions, précisément pour saisir les opportunités industrielles.

Une solution, pour résoudre ce schéma budgétaire complexe, et libérer les marges de manœuvre nécessaires, pourrait être d’impliquer pleinement les armées dans le succès des exportations de défense françaises, par exemple, par l’intermédiaire de recettes exceptionnelles constituées d’une partie des recettes fiscales générées justement par ces exportations.

Industrie de défense française BITD Dassault Aviation Merignac
L’industrie de défense française peut certainement accroitre ses investissements industriels et technologiques, pour peu que le ministère des Armées change ses propres paradigmes en matière d’acquisition.

Un tel outil permettrait, en effet, de profondément faire évoluer les relations entre la BITD et les Armées, et surtout de convaincre l’une et les autres, de s’engager dans un modèle beaucoup plus dynamique, privilégiant aussi bien l’équipement des forces que les exportations, au plus grand bénéfice des deux, et à terme, de l’état, par l’efficacité qu’une telle mesure aura sur le paysage industriel (grappes technologiques) et sur l’emploi.

Conclusion

On le comprend, si le diagnostic posé par Sébastien est le bon, et les menaces opérationnelles comme industrielles sont avérées, l’appel fait à davantage de prise de risques de la part des industries de défense, ne représente que la moitié du chemin, pour effectivement relever ces défis en développement.

Il est probable que certains des industriels répondront à cet appel, en particulier ceux qui sont majoritairement détenus par l’État. Toutefois, ces industriels sont précisément ceux qui auront le plus de difficultés pour mobiliser des capacités d’investissement exceptionnelles, précisément parce qu’ils sont détenus par l’état, et qu’ils ne peuvent donc pas se tourner vers les marchés pour financer leur croissance.

Sebastien Lecornu
Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, doit transformer son ministère s’il entend amener les industriels de la BITD à changer leurs paradigmes.

À l’inverse, ceux des industriels qui peuvent faire appel au marché, comme Dassault Aviation et Thales, seront certainement les plus difficiles à convaincre, s’étant déjà brulés les ailes sur ce sujet, par manque de soutien de l’état et des armées.

Il sera, dès lors, nécessaire, au ministère des Armées, et aux armées elles-mêmes, de faire leur propre mutation, afin de faire évoluer leurs capacités budgétaires, mais aussi leur volonté, pour soutenir les industriels dans leurs efforts d’investissement.

Des solutions existent, pour restructurer le modèle en ce sens, sans venir déstabiliser les acquis de la LPM 2024-2030 qui, pour l’occasion, servirait de socle sur lequel se construirait l’évolution des armées et de la BITD. Reste qu’il sera très probablement des plus difficiles de faire évoluer ces deux temples du conservatisme en termes de modèle structurel, non sans raison d’ailleurs.

Sans cela, cependant, l’appel de Sébastien Lecornu restera certainement lettre morte, ou aura des effets insuffisants pour se prémunir contre les transformations industrielles et sécuritaires qui se dessinent à l’échelle mondiale.

L’exportation des Eurofighter Typhoon vers l’Arabie Saoudite bientôt autorisée par l’Allemagne

Par la voix de la ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, Berlin s’est dit prêt à lever l’embargo sur la vente de chasseurs Eurofighter Typhoon, à l’occasion de sa visite en Israël ce 7 janvier. Enterrée l’affaire Jamal Khashoggi, il s’agit, pour les autorités allemandes, de favoriser le « rôle positif » joué par Riyad dans le conflit entre le Hamas et Israël. Cette annonce ouvre la voie à l’exécution de l’option pour 48 chasseurs Eurofighter Typhoon levée en 2018 pour les forces aériennes saoudiennes, et bloquée, depuis, par l’Allemagne.

À la suite de l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, et la mise en cause des services de renseignement du royaume dans cette sordide affaire, Berlin avait toujours refusé de livrer les pièces et portions d’appareils nécessaires à la construction des 48 chasseurs Eurofighter Typhoon commandés par Riyad quelques mois plus tôt, en levant l’option attachée à la commande des 72 premiers appareils livrés entre 2009 et 2016.

Mais, alors que les opportunités d’exportations tendent à se réduire pour le chasseur européen, notamment face à la concurrence du F-35 américain et du Rafale français, et que les commandes nationales des 4 membres du Consortium Eurofighter (Allemagne, Espagne, Italie et Grande-Bretagne), cette option a revêtu, ces derniers mois, une dimension critique pour permettre de maintenir la ligne d’assemblage de l’appareil, au-delà de 2028.

Eurofighter Typhoon Arabie Saoudite
Les forces aériennes saoudiennes ont commandé 72 Eurofighter Block II en 2009.

Dès lors, les partenaires de Berlin, Londres et Madrid en tête, ont multiplié les pressions sur Berlin, pour amener l’Allemagne à adoucir ses positions dans ce dossier. Il semblerait que la posture saoudienne dans le conflit israélo-palestinien depuis l’attaque du 7 octobre, ait fourni aux autorités allemandes, la parfaite opportunité pour répondre favorablement aux demandes de ses partenaires européens.

Vers l’exécution de l’option contractuelle pour 48 Eurofighter Typhoon supplémentaires par l’Arabie Saoudite

En effet, en visite en Israël, la ministre allemande des affaires étrangères, a annoncé que son pays ne s’opposerait plus à la vente des chasseurs européens à Riyad, précisément pour répondre à la position conciliante et mesurée des autorités saoudiennes dans le cadre de ce conflit.

Il s’agit, d’une certaine manière, d’une opportunité inespérée pour permettre à Berlin de changer de posture. En effet, un retour en arrière, pur et simple, sur ce dossier, aurait certainement été interprété, par l’opinion publique allemande, comme un signe de faiblesse sur la scène internationale.

Là, en revanche, il s’agit de faire évoluer la perception de la géopolitique régionale, et la réponse germanique, dans un parfait exemple de la doctrine de Real Politick allemande, ce qui sera, sûrement, bien mieux accepté par les allemands eux-mêmes.

Typhoon espagne
Avec les programmes Alcyon I et II, l’Espagne a commandé 43 nouveaux Eurofighter Typhoon ces deux dernières années.

La porte ayant été ouverte officiellement par Annalena Baerbock, il n’y a désormais plus aucun frein, en dehors d’une validation par le Bundestag, pour qu’Eurofighter puisse accepter l’option saoudienne, et la vente des 48 appareils concernés, les dispositions contractuelles et techniques ayant été négociées de longue date entre les deux parties.

Une décision très attendue par Eurofighter et ses partenaires industriels

Il s’agira d’un immense soulagement pour le consortium Eurofighter, et pour ses grands acteurs comme le britannique BAe, l’italien Leonardo et l’européen tendance germanophile Airbus DS, qui voyaient s’approcher avec inquiétude l’échéance de 2028 et l’épuisement des commandes de la part de ses membres, en l’occurrence, les commandes allemandes et espagnoles, qui seront les dernières.

En effet, ces industriels, par ailleurs tous engagés dans les deux grands programmes européens de chasseur de nouvelle génération SCAF (Allemagne et Espagne) et GCAP (Grande-Bretagne et Italie), étaient particulièrement inquiets quant à la période s’étalant entre la fin de la ligne de production du Typhoon, et le début de la construction industrielle des NGF (SCAF) et Tempest (GCAP), probablement entre 2033 et 2036, selon les programmes.

Au-delà des pertes de chiffre d’affaires et d’activité qu’aurait représenté une telle période d’inactivité, elle aurait aussi rendu particulièrement délicate le maintien des compétences et savoir-faire de leurs chaines d’assemblage.

Tempest GCAP
Le chasseur Tempest du programme GCAP soit entrer en servir à partir de 2035.

Surtout, ces grands industriels sont tous à la tête d’une vaste écosystème constitué, pour l’essentiel, de sous-traitants spécialisés n’ayant pas l’assise industrielle, et encore moins financière, pour absorber une telle période d’inactivité.

De fait, la décision allemande constitue un immense soulagement pour tous les industriels de ce secteur appartenant à ces quatre pays, à court termes évidemment, mais également pour pouvoir aborder, bien plus sereinement, la transition vers ces grands programmes européens (+ Japon), qui s’avèreront décisifs pour le maintien des compétences industrielles et technologiques de l’aviation militaire européenne, dans les décennies à venir.

On comprend, dans ces conditions, pourquoi l’opportunité de sortir par le haut de cette situation difficile, et même dangereuse pour sa propre industrie aéronautique, offerte par la position mesurée de Riyad dans le conflit israélo-palestinien, constitue une opportunité presque inespérée pour Berlin, qui n’aura plus à porter cette responsabilité dans les années à venir.

La vente de Typhoon à la Turquie passée sous silence par Annalena Baerbock

Si Annalena Baerbock s’est exprimée en faveur de la levée de l’embargo allemand sur la vente de Typhoon aux forces aériennes saoudiennes, elle est restée, en revanche, bouche cousue concernant l’autre dossier chaud de l’avionneur européen, la Turquie.

Rappelons qu’au début du mois de décembre 2023, le président Turc, R.T Erdogan, avait mis directement en cause un veto allemand au sujet de l’acquisition de 40 chasseurs Eurofighter Typhoon pour moderniser une partie de sa flotte de chasse.

R.T Erdogan
Le président Turc R.T Erdogan a directement mis en cause un veto allemand concernant l’absence de progrès dans les négociations portant sur l’acquisition de 40 Typhoon par les forces aériennes turques.

En dépit des pressions britanniques et espagnoles, Berlin semblait vouloir rester inflexible, provoquant l’ire des autorités turques qui ont menacé de se tourner vers « d’autres fournisseurs » n’appartenant pas à l’OTAN ; il faut comprendre la Russie et la Chine pour ne pas les citer ; si l’Allemagne restait ferme sur ses positions

L’annonce faite concernant la prochaine probable vente des 48 Typhoon saoudiens, pourrait bien, cependant, enterrer ces négociations. En premier lieu, si Riyad a effectivement usé de son influence pour tenter de contenir le conflit israélo-palestinien, ce n’est pas du tout le cas de la Turquie, proche des frères musulmans, et donc du Hamas, qui a, au contraire, plutôt jeté de l’huile sur le feu dans ce dossier.

Il serait, dès lors, incompréhensible que Berlin fasse marche arrière face à Riyad en usant justement de cette explication, et fasse de même vis-à-vis d’Ankara, qui a pris une trajectoire opposée à celle des autorités saoudiennes dans ce dossier.

En second lieu, on peut aisément imaginer que Berlin aura négocié avec ses partenaires européens, en lâchant du lest sur le cas saoudien, sans devoir se dédire dans le cas turc, tout en garantissant la pérennité de la ligne de production du Typhoon. Real Politick, nous disions !

La fin des chances du Rafale en Arabie Saoudite ? Pas si sûr…

Si le changement de posture de Berlin face à Riyad est incontestablement une bonne nouvelle pour l’industrie aéronautique européenne, elle ne l’est probablement pas pour Dassault Aviation. En effet, depuis quelques mois, l’avionneur français, et son chasseur Rafale, était utilisé comme lièvre pour pousser les européens, l’Allemagne en particulier, à autoriser la vente des 48 Typhoon.

Rafale Neuron
Le Rafale F5 et son drone de combat ont toujours leurs chances en Arabie Saoudite.

Ces dernières semaines, le dossier Rafale semblait bien progresser en Arabie Saoudite, notamment à l’issue d’une rencontre entre l’avionneur français et le ministère saoudien de la Défense, il y a quelques jours, faisant état d’avancées notables, en particulier dans le dossier de la coopération industrielle et des transferts de technologies.

La volte-face allemande, dans ce dossier, va donc supprimer la carotte agitée par Riyad pour stimuler les français, à savoir une commande potentielle de 54 appareils, soit les mêmes 48 avions de combat, et probablement six chasseurs employés pour l’entraînement et la transformation des personnels.

Pour autant, les chances du Rafale en Arabie Saoudite sont loin d’être nulles désormais. C’est précisément dans les annonces faites par Dassault et les autorités saoudiennes à l’issue de leur dernière rencontre que des raisons sont à trouver pour demeurer optimiste.

En effet, il n’est pas concevable que Dassault Aviation ait abordé les sujets de la construction locale et des transferts de technologie, pour une commande de « seulement » 54 appareils. De fait, les discussions ont, sans le moindre doute, porté sur une coopération bien plus structurante, et importante, concernant le chasseur français.

À ce titre, l’arrivée annoncée, dès 2030, du Rafale F5, et de son drone de combat dérivé du Neuron, pourrait représenter, pour les forces aériennes saoudiennes, une opportunité pour s’inviter dans la fameuse 5ᵉ génération d’avions de combat, alors que ses forces aériennes devront commencer à remplacer, à partir de 2030, leur immense flotte de F-15SE.

Conclusion

Il ne fait aucun doute que les positions mesurées de l’Arabie Saoudite au sujet du conflit entre Israël et le Hamas depuis 3 mois maintenant, ont représenté une porte de sortie inespérée pour Berlin, afin de sortir du piège industriel vers lequel l’amenait la décision de 2018 embargo contre Riyad au sujet des chasseurs Typhoon.

Eurofighter typhoon BAE systems
La future probable commande de 48 Eurofighter Typhoon par l’Arabie Saoudite, va permettre de préserver la ligne de production et la chaine de sous-traitance européenne, pour faire la jonction avec les programmes SCAF et GCAP.

En autorisant l’exécution de l’option pour 48 appareils pour les forces aériennes saoudiennes, les autorités allemandes donnent une bouffée d’oxygène et un délai bienvenue à la team Eurofighter, ses industriels et surtout sa chaine de sous-traitance, pour parvenir à faire la jonction avec les programmes SCAF et GCAP.

Le regain de pérennité que confère que changement de posture allemande à l’Eurofighter Typhoon, pourrait également permettre de remettre en selle le chasseur européen sur certaines compétitions internationales, là où, comme le Super Hornet, son manque de visibilité industrielle tendait à en réduire l’attractivité ces dernières années.

Cette annonce va aussi, paradoxalement, couper court aux inquiétudes exprimées en France, quant à la posture allemande en matière d’exportation d’armement, ou tout au moins en réduire la portée.

Enfin, si l’Arabie Saoudite va, dorénavant, très certainement acquérir ses 48 Typhoon en option, cela ne marque certainement la fin des chances du Rafale dans le pays, les discussions entamées avec Riyad au sujet du chasseur français, portant sur un périmètre très supérieur à celui concerné par ce contrat.

Le nouveau canon automoteur russe 2S35 Koalitsiya-SV peut-il neutraliser l’avantage de l’artillerie occidentale ?

Le nouveau canon automoteur 2S35 Koalitsiya-sv est entré en service en fin d’année 2023, dans les armées russes, et aurait rapidement rejoint le théâtre des opérations en Ukraine.

Doté d’une grande mobilité, d’une cadence de tir élevée et d’une portée importante, il n’a rien à envier aux meilleurs systèmes européens qui, aujourd’hui, permettent aux ukrainiens de compenser le rapport de force déséquilibré entre les deux armées.

Quelles sont les caractéristiques de ce système, ses forces, mais aussi ses faiblesses et contraintes, et comment son arrivée en Ukraine pourrait-elle influencer le cours de la guerre ?

Si l’artillerie russe impressionne par sa puissance de feu, et surtout par sa densité, les canons automoteurs 2S3 Akatsiya et 2S19 Msta-s, employés aussi bien par les forces russes qu’ukrainiennes, ont montré, de manière évidente, des performances inférieures à celles des systèmes occidentaux, notamment les plus modernes comme le PZH-2000 allemand, l’Archer suédois et le Caesar français.

Mais l’arrivée de nouveaux systèmes russes, le canon porté 2S43 Malva d’une part, et surtout le canon automoteur chenillé 2S35 Koalitsiya-sv, de l’autre, et de nouvelles munitions guidées et à portée additionnée, pourrait bien ébranler ce rapport de force d’artillerie en Ukraine, alors que les armées de Kyiv s’appuient, en partie, sur la plus-value opérationnelle offerte par les systèmes occidentaux, pour contenir la supériorité numérique et logistique des armées russes.

2S3 Akatsiya, 2S19 Msta-s : l’artillerie russe aujourd’hui repose encore sur des systèmes soviétiques

À la fin des années 80, l’artillerie autotractée soviétique faisait, à peu de choses près, jeu égal avec l’OTAN. En effet, les canons automoteurs chenillés 2S3 Akatsiya et les (alors) nouveaux 2S19 Msta-s, équipés de tubes de 152 mm de 29 à 47 calibres, affichaient des portées, des cadences de tir et une précision comparables à celles des M-109 américains, des AS-90 britanniques et des AuF1 français.

Le canon automoteur 2S3 Akatsiya a constitué pendant plus de 30 ans le fer de lance de l’artillerie mobile russe.

Ainsi, le Msta-s pouvait envoyer jusqu’à 8 obus de 152 mm en une minute à 25 km avec des obus classiques, et 28 km avec des obus BB, là où l’AuF1 GCT (pour Grande Cadence de Tir) portait à 23,5 km en obus standard et 28 km avec des obus RTC, avec une cadence de tir, là encore, de 8 coups par minute.

Après l’effondrement du bloc soviétique, les armées russes, comme celles de toutes les anciennes républiques soviétiques, disposaient, de fait, d’une puissance de feu, en matière d’artillerie, à la foi efficace et particulièrement dense, ainsi que de réserves considérables. Dès lors, il n’apparaissait pas nécessaire, à ce moment-là, d’entamer le développement de nouveaux systèmes.

Outre les difficultés économiques et sociales que rencontrait la Russie dans les années 90 et 2000, l’absence de menace symétrique incita Moscou à ne pas s’investir dans ce domaine, comme dans de nombreux autres, concernant sa défense. Qui plus est, les armées américaines, seuls adversaires potentiels, ou considérées comme tels par Moscou, ne semblaient pas davantage pressées de developper de nouveaux systèmes à ce moment-là.

2S43 Malva et 2S35 Koalitsiya-sv : la réponse russe aux Caesar et Pzh-2000 européens entre en service en 2023

C’est pour cela, qu’en dehors des quelques systèmes européens plus modernes, dotés de tubes plus longs et de calculateurs balistiques plus évolués, comme le Pzh2000 allemand, l’Archer suédois ou encore le Caesar français, les systèmes d’artillerie présents en Ukraine, tant par les armées russes qu’ukrainiennes, étaient majoritairement des systèmes hérités de la guerre froide, et plus ou moins modernisés depuis.

Au début des années 2010, pour faire face aux performances de ces nouveaux systèmes européens affichant une portée jusqu’à 40 km avec des obus conventionnels, et de plus de 50 km avec des obus à portée étendue, ainsi qu’une précision sensiblement supérieure aux systèmes de génération antérieure, les armées russes entreprirent de developper de nouveaux moyens d’artillerie.

2S43 Malva
Le 2S43 Malva n’a que peu à voir avec le Caesar français, dont il ne reprend ni la technologie, ni ne reprend la doctrine.

C’est dans ce cadre que le développement du 2S43 Malva, un canon porté de 152 mm sur un camion 8×8, a été lancé, sur des paradigmes analogues à ceux ayant donné naissance aux Caesar et Archer européens, pour disposer de systèmes plus économiques que les canons chenillés sous casemate, et plus mobiles que l’artillerie tractée.

À ce titre, les allégations selon lesquelles le Malva, entré en service cette année, aurait été développé grâce à des CAESAR ukrainiens capturés, ne sont que pure fantaisie. En effet, le développement de ce système est de dix ans antérieur à l’offensive russe en Ukraine, et la configuration et architecture du système ont été figées il y a cinq ans maintenant. En outre, la configuration du Malva se rapprocherait, dans les faits, davantage de celle de l’Archer que de celle du Caesar, y compris dans sa version 8×8, sans toutefois en avoir les performances.

Future colonne vertébrale des brigades d’artillerie russes, le 2S35 Koalitsiya-sv affiche des performances remarquables

Si le 2S43 Malva fit couler beaucoup d’encre numérique, notamment sur les réseaux sociaux, c’est surtout l’entrée en service du nouveau 2S35 Koalitsiya-sv, au sein de l’armée de Moscou, annoncée il y a quelques jours, qui représente une avancée majeure pour l’artillerie russe. Il faut dire que le nouveau canon automoteur offre des performances sans communes mesures avec les Akatsiya et même les Msta-s qu’il doit remplacer dans les années à venir.

Monté sur un châssis de T-90 et propulsé par le même groupe moteur turbo diesel de 1000 cv que le char russe, le 2S35 affiche une masse au combat estimée de 50 à 55 tonnes, et un rapport puissance poids de 18 à 20 cv par tonne, garantissant une bonne mobilité tout terrain.

2S35 Koalitsiya-sv écorché
Gros plan sur la tourelle entièrement automatisée du 2S35 Koalitsiya-sv, et ses 80 obus prêts au tir. Il ne faudrait que 15 minutes au véhicule de rechargement automatique pour transférer l’ensemble des munitions et galets de poudre, dans le blindé.

Son équipage se limite à seulement 3 hommes, comme pour le T-90, avec un conducteur, un chef de char et un tireur, rassemblés dans une capsule, à l’avant de la caisse, inspirée de celle du T-14 Armata. La tourelle d’artillerie, quant à elle, est entièrement automatisée, et ne requiert donc pas la présence de personnels.

De fait, l’espace y est optimisé. Ainsi, ce sont 80 obus d’artillerie qui sont embarqués pour alimenter le système de chargement automatique capable de soutenir, selon le constructeur, une cadence de tir de 16 coups par minute. Ce système de chargement entièrement redessiné permet, en outre, de recharger sans qu’il soit nécessaire de ramener le tube à l’horizontal, une capacité indispensable pour atteindre de telles cadences de tir.

À ce titre, contrairement aux modèles précédents, qui emploient des blocs de poudre chemisés pour la propulsion des obus, le Koalitsiya utilise de galets de poudre pouvant être dynamiquement combinés par le système automatique de chargement oléopneumatique, afin d’adapter la puissance du tir à la trajectoire de calcul pour atteindre l’objectif, et ainsi obtenir une cinématique balistique optimisée du projectile.

2S35 Koalitisiya-sv
On voit très bien, sur cette photo, les deux plaques radars situées du part et d’autre du tube du 2S35, employées pour la détection des obus adverse et le tir de contrebatterie. Il se pourrait qu’avec un tel système, le délai de riposte d’une batterie de Koalitsiya-sv passe sous la barre des deux minutes.

Le tube de 52 calibres du 2S35 Koalitsiya-sv, lui confèrerait des performances, en termes de portée comme de précision, proches de celles des meilleurs systèmes européens du moment, 40 km avec des obus conventionnels, au-delà avec des obus guidés à propulsion additionnée, jusqu’à 80 km selon la communication russe.

Il dispose, enfin, d’un puissant calculateur balistique, épaulé par un système de commandement et de détection partageant les informations capturées par ses deux antennes radar planes frontales pour le calcul balistique de correction de trajectoire, et possiblement, pour le tir de contrebatterie dynamique, ceci restant à confirmer.

Un canon automoteur supérieur à une majorité des systèmes d’artillerie occidentaux présents en Ukraine

En d’autres termes, dans tous les aspects, le Koalitsiya-SV n’a, aujourd’hui, rien à envier aux meilleurs systèmes opérationnels en occident. Il surpasse aussi beaucoup d’entre eux, y compris le M-109 Paladin américain ou l’AS-90 britannique, ce qui risque, évidemment, de poser de certains problèmes en Ukraine.

En effet, aujourd’hui, les armées ukrainiennes parviennent péniblement à équilibrer l’immense déséquilibre en matière de nombre de systèmes d’artillerie, mais surtout de munitions, face aux forces russes, en s’appuyant sur les atouts spécifiques des systèmes occidentaux, plus précis, plus mobiles et dotés d’une allonge supérieure, que les systèmes russes hérités de l’époque soviétique.

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Le 2S35 offre des performances très comparables à celles du Pzh-2000 allemand, peut-être même supérieures dans certains domaines.

L’arrivée annoncée du Koalistiya-SV, un équivalent au PZH-2000 allemand, et du Malva, inspiré des paradigmes du Caesar, pourrait, à terme, venir à neutraliser cet avantage, en particulier dans le domaine de la contrebatterie, tout en disposant, comme il se doit, d’un possible avantage numérique croissant avec le temps, si les livraisons de nouveaux systèmes, venus d’Europe, ne respectaient pas les volumes annoncés.

Vers la détérioration du rapport de force en Ukraine

Il convient toutefois de modérer ce constat, tout au moins dans un premier temps. En effet, le Koalitsiya-SV emprunte son châssis au T-90, alors que l’industrie russe peine aujourd’hui à produire suffisamment de châssis de ce type, et plus encore de groupe motopropulseurs, pour répondre à la demande.

C’est la raison pour laquelle les armées russes souhaitent relancer la production de T-80. Ce char est équipé d’une turbine, et non d’un moteur diesel comme le T-90 ou le T-72, et donc fait appel à des ressources industrielles différentes de celles déjà lourdement sollicitées. Il faudra, donc, aux planificateurs russes effectuer un difficile arbitrage entre de nouveaux T-90M et les 2S35, dans un jeu à somme nulle, limitant de fait le nombre de nouveaux systèmes d’artillerie produits chaque mois.

D’autre part, le système de chargement et de tir du Koalitsiya-SV, et en particulier, l’utilisation de galets de poudre, requiert des ensembles de munitions radicalement différents de ceux employés jusqu’ici pour les Akatsiya et les Msta-s de l’armée russe, et aujourd’hui produits de manière soutenue par les usines du pays.

Il sera donc nécessaire de réorganiser l’outil productif en matière de munitions conformément à l’arrivée progressive des Koalitsiya dans les unités, ainsi que la chaine logistique pour livrer munitions et pièces détachées aux unités qui en seront équipées. Dans un cas comme dans l’autre, ces contraintes tendent à augmenter les délais de livraison, et à réduire les cadences de production des 2S35 pour les brigades d’artillerie russes, surtout celles engagées au combat.

T-90M en Ukraine
L’arrivée de nouveaux matériels, comme le Koalitsiya-sv mais également le T-90M, pourrait conférer aux forces armées russes, les moyens nécessaires pour redonner l’avantage à la posture offensive en Ukraine.

Pour autant, l’arrivée de ce système, qui doit, initialement, remplacer les 2S3 au sein des brigades d’artillerie, peut profondément en renforcer le potentiel opérationnel, comme c’est déjà le cas des MRLS Tornado G et S qui remplacent progressivement les systèmes Grad et Smerch depuis quelques années.

Associés aux nouveaux T-90M pour constituer les unités blindées de rupture, ces nouveaux systèmes d’artillerie pourraient conférer, aux armées russes, la puissance de feu nécessaire pour rétablir les conditions d’une offensive réussie, là où ce conflit a donné, depuis deux ans maintenance, un net avantage à la posture défensive.

Dans tous les cas, et dans la mesure où aucun matériel existant ou en développement, côté occidental, ne semble en mesure de reprendre l’avantage dans ce domaine à court ou moyen termes, le tableau pourrait continuer de s’assombrir pour l’Ukraine, ce d’autant qu’américains et européens ne semblent toujours pas déterminés à peser de tous leurs moyens technologiques, et surtout industriels, pour soutenir Kyiv, et rétablir l’équilibre face à la Russie.

Le chasseur FC-31 Gyrfalcon de 5ᵉ génération chinois bientôt au Pakistan ?

Le chasseur furtif de 5ᵉ génération FC-31 Gyrfalcon, conçu par le Chinois Shenyang, pourrait bientôt voler sous cocarde verte et blanche. C’est l’information stupéfiante que l’Air Chief Marshal Zaheer Ahmed Baber Sidhu, chef d’état-major des forces aériennes Pakistanaises, a donné ce 2 janvier, à l’occasion d’une cérémonie pour la livraison d’un nouveau lot de chasseurs chinois monomoteurs J-10C.

Si New Delhi se doit, dans son effort de defense, de se dimensionner et de s’équiper pour répondre simultanément à la menace pakistanaise et chinoise, Islamabad, de son côté, n’a d’yeux que pour son adversaire historique, l’Inde. Les deux pays ne boxent pourtant pas dans la même catégorie.

Avec une population de 1,4 Md d’habitants, et un PIB de 3 400 Md$, l’Inde est plus de 5 fois plus peuplé, et neuf fois plus riche que son voisin. En dépit de ce gradient socio-économique considérable, les armées pakistanaises sont loin de faire pâle figure face à l’Inde, bien au contraire, d’autant que le pays peut s’appuyer, depuis une trentaine d’années, sur son partenaire chinois.

Les forces aériennes pakistanaises aujourd’hui, un adversaire de taille pour l’Indian Air Force

Ainsi, les armées terrestres pakistanaises alignent aujourd’hui 3 500 chars de combat, dont 1 200 blindés de 3ᵉ génération T-80UD, Al Khalid et VT-4, 650 canons autopropulsés M109 et SH-15, ainsi que plus de 650 lance-roquettes multiples de 122 et 300 mm, représentant entre 60 et 75% du format des forces terrestres indiennes.

JF-17 Thunder
Bien que léger, le JF-17 Thunder est un chasseur monomoteur performant et bien armé.

La Marine pakistanaise, elle, aligne 5 sous-marins Agosta qui seront prochainement remplacés par 8 Type 039A chinois, 9 frégates dont 4 Type 054A/P, 4 corvettes bientôt renforcées par les 4 Ada turques et 2 nouvelles OPV 2600 du néerlandais Damen). Largement inférieure à l’Indian Navy, elle tend toutefois à rattraper son retard, d’autant qu’elle doit protéger une zone navale beaucoup plus réduite.

Les forces aériennes pakistanaises ont été probablement les mieux loties ces dernières décennies. La flotte de chasse pakistanaise se compose, en effet, de plus de 150 JF-17 sino-pakistanais, de 36 J-10C chinois dont une vingtaine ont déjà été livrés, de 75 F-16, 80 Mirage III et 90 Mirage V, ainsi que d’une cinquantaine de J-7, version chinoise évoluée du Mig-21. Elles alignent un total de presque 500 chasseurs, épaulés par 4 avions ravitailleurs Il-78, 7 Awacs ZDK-03 et Erieye, et 3 avions de guerre électronique Falcon DA-20.

Face à elle, l’Indian Air Force n’aligne « que » 650 chasseurs dont 260 Su-30MKI, 36 Rafale, mais aussi 75 Mig-29 et une quarantaine de MIG-21, soutenus par 6 ravitailleurs Il-78, 5 Awacs A-50 et Embraer R-99, ainsi que 5 appareils d’écoute électronique Gulfstream III et Global 5000.

L’alliance sino-pakistanaise face à l’Inde

Ainsi, si l’Indian Air Force est évidemment mieux lotie que son homologue pakistanaise, avec 150 chasseurs supplémentaires, et surtout des appareils plus lourds, comme le Su-30MKI et le Rafale, l’écart de puissance entre ces deux armées est très loin de se calquer l’écart de population, et encore moins sur celui entre le PIB des deux pays.

Surtout, Comme posé en introduction, New Delhi doit pouvoir maintenir une posture défensive dissuasive face à Islamabad et ses 500 chasseurs, mais aussi contre Pékin et le millier de chasseurs modernes des forces aériennes chinoises (et croissant) ou, pire encore, contre ces deux adversaires, par ailleurs alliés, simultanément.

J-10CE pakistan
Les forces aériennes pakistanaises alignent déjà une vingtaine des 36 J-10CE commandés auprès de Pékin, deux années à peine après l’officialisation de la commande.

De fait, l’acquisition par les forces aériennes pakistanaises de 36 J-10CE il y a tout juste deux ans, pouvait inquiéter les stratèges indiens. L’arrivée annoncée du chasseur monomoteur chinois, plus lourd que le JF-17, et beaucoup plus moderne que les F-16 et Mirage Pakistanais, entrainait un renforcement plus que sensible du dispositif aérien d’Islamabad.

Les forces aériennes pakistanaises pourraient acquérir bientôt le chasseur furtif FC-31 Gyrfalcon du chinois Shenyang

Que dire, alors, lorsque le chef d’état-major des forces aériennes Pakistanaise, l’Air Chief Marshal Zaheer Ahmed Baber Sidhu, annonce, ce 2 janvier, que celles-ci recevront, prochainement, le chasseur furtif de 5ᵉ génération chinois Shenyang FC-31 Gyrfalcon, un appareil susceptible de leur donner un avantage opérationnel significatif contre la majorité des chasseurs indiens, en dehors, probablement, des nouveaux Rafale ?

Cependant, l’officier général, comme les forces aériennes pakistanaises, ont refusé de donner davantage de détails à ce sujet, comme ce fut le cas, d’ailleurs, concernant l’acquisition des J-10CE, avant que le contrat soit effectivement signé et que son exécution avait débuté.

Le FC-31 est un chasseur qui est supposé doté des atours de la 5ᵉ génération des avions de combat, associant une importante discrétion radar et des capacités de détection et de fusion de données élevées. L’appareil a été développé pour être plus léger et moins onéreux que le J-20, bien qu’étant, lui aussi, bimoteur.

Boudé par les forces aériennes chinoises, le FC-31, rebaptisé J-35, a su séduire la Marine chinoise

Les forces aériennes chinoises n’ont pas, à ce jour, indiqué qu’elle envisageait de s’équiper de cet appareil, privilégiant l’acquisition du J-20 de 5ᵉ génération et du chasseur bombardier J-16 de 4ᵉ génération, plus lourds, mais dotés de performances accrues, notamment en termes de rayon d’action et de capacités d’emport.

J-20 Forces aériennes chinoises
Le J-20 est un chasseur plus lourd que le FC-31, et ainsi mieux adapté aux missions à plus longue distance, comme au large de Taïwan, ou au-dessus des plateaux tibétains.

Des qualités qui sont particulièrement prisées lorsqu’il s’agit de se confronter aux forces aériennes américaines et taïwanaises dans le Pacifique, ou face aux chasseurs indiens, au-dessus des plateaux himalayens. Le FC-31 a cependant su séduire les forces navales de l’APL, puisque l’appareil a servi de base pour développer le chasseur embarqué moyen J-35 (nom temporaire), qui doit venir équiper le porte-avions Fujian dans les années à venir.

L’arrivée prochaine du FC-31, sur un calendrier qui n’a toutefois pas été détaillé, au sein des forces aériennes pakistanaises, va de fait leur conférer des capacités jusqu’ici réservées aux forces aériennes chinoises, et auxquelles l’Indian Air Force va devoir répondre rapidement, faute de quoi, elle laisserait des opportunités tactiques qu’Islamabad pourrait bien ne pas hésiter à saisir.

Le Gyrfalcon prêt pour le marché international ?

L’acquisition annoncée du FC-31 par le Pakistan, indique également que Shenyang, et Pékin, sont désormais prêts à mettre l’appareil sur la scène internationale. Si tel était le cas, l’appareil serait seulement le second chasseur furtif moyen proposé sur le marché export, avec le F-35 américain, alors que le Su-57 russe semble davantage présenté que proposé par Rostec aux éventuels clients de l’industrie aéronautique russe, toute tournée vers le soutien de leurs armées.

L’arrivée du FC-31 sur la scène mondiale, pour peu que l’appareil réponde effectivement aux exigences opérationnelles des forces aériennes, pourrait de fait venir lourdement perturber le marché international, en particulier pour les avionneurs émergents comme l’Inde et son Tejas, la Corée du Sud et son KF-21 Boramae, ou encore la Turquie et le TAI Kaan.

TAI Kaan
Les forces aériennes pakistanaises semblaient s’intéresser au TAI Kaan turc, encore en développement. L’annonce de l’acquisition prochaine de FC31 chinois pourrait sonner le glas des espoirs d’Ankara.

Ce dernier était, à ce titre, considéré par Islamabad comme une alternative pour moderniser les forces aériennes pakistanaises, alors que l’annonce de l’acquisition du FC-31 sonne probablement le glas des espoirs du chasseur turc dans le pays.

Reste que l’hypothèse qu’un nouvel appareil moderne, potentiellement de 5ᵉ génération et furtif (ce qui reste à confirmer), pourrait être proposé par Pékin aux partenaires militaires de la Chine, peut déstabiliser bien plus que le seul programme turc.

Il conviendra, en particulier aux Européens, de rapidement mettre en œuvre des mesures pour contenir cette déferlante opérationnelle et commerciale, au risque d’être emportée avec elle dans le ressac.

La Marine turque va recevoir un second porte-aéronefs, elle…

L’année 2024 commence sur les chapeaux de roues pour la Marine Turque. Celle-ci vient, en effet, de se voir confirmer la construction d’un second porte-aéronefs, après le TCG Anadolu, à l’occasion d’une réunion du comité exécutif de l’industrie de défense turque, présidée par le président Erdogan lui-même, qui s’est tenue à Istanbul le 3 janvier.

Avec cette annonce, et celle de la construction de quatre nouvelles frégates de la classe Istanbul, de nouveaux navires de débarquement et de guerre des mines, la Marine turque sera proche de disposer d’une flotte de haute mer et d’une position dominante en mer Égée et en mer Noire, alors que l’industrie navale militaire turque arrivera à quelques encablures de l’autonomie stratégique.

Une version évoluée et renforcée du porte-aéronefs TCG Anadolu

C’était annoncé de longue date, c’est désormais confirmé. Le porte-aéronefs d’assaut TCG Anadolu, premier navire de ce type de la Marine turque, construit par les chantiers navals Tershanesi avec l’aide de l’Espagnol Navantia, et entré en service en 2023, aura donc un sister-ship.

Marine turque TCG anadolu
Le TCG Anadolu doit mettre en œuvre des drones à voilure fixe Kizilelma. La manière dont les drones sont récupérés à bord du navire demeure obscure.

En effet, le comité exécutif de l’industrie de défense turc, a donné son aval pour la construction d’un second navire de ce type, qui sera proche de l’Anadolu, sans être toutefois identique. Le nouveau navire, qui sera probablement lui aussi construit avec le soutien de Navantia qui négociait le sujet avec Ankara depuis plusieurs mois, devra être, selon le communiqué turc, plus polyvalent et plus performant que le premier.

Des drones de combat, des hélicoptères et peut-être des chasseurs légers à bord des porte-aéronefs turcs

On peut supposer, considérant les développements évoqués ces derniers mois au sujet du TCG Trakya (Thrace), le nom de baptême annoncé pour ce second porte-aéronefs, que celui-ci sera nativement doté de brins d’arrêt pour mettre en œuvre, en plus des hélicoptères et des drones légers qui armeront l’Anadolu, des drones de combat lourds comme le Kizilelma ou des avions à voilure fixe, en particulier, l’avion d’entrainement et d’attaque Hürjet.

Il est aussi possible que le nouveau navire, dont il n’est fait référence que sous la désignation de porte-avions ou porte-aéronefs, ne sera pas doté, comme l’Anadolu, d’un radier pour agir comme un porte-hélicoptère d’assaut. Il serait ainsi pleinement orienté vers la fonction de porte-avions léger.

On peut, enfin, être certain que la navalisation du chasseur TAI KAAN, du programme TFX, sera également considérée comme une alternative par l’Amirauté truque. Ce d’autant qu’avec ses deux turboréacteurs F110 délivrant chacun 110 Kn de poussée, l’appareil aura un excellent rapport poussée-poids, même à pleine charge, lui permettant sans le moindre doute d’employer un Skijump.

En revanche, comme en font aujourd’hui l’expérience des ingénieurs sud-coréens concernant la navalisation du KF-21 Boramae, il s’agit d’une transformation particulièrement difficile, surtout lorsque l’aéronef n’a pas été initialement conçu pour cela, qui s’est rarement concrétisée sur le plan opérationnel.

TAI Kaan
La Marine turque pourrait s’intéresser à une version navalisée du TAI Kaan, même si la navalisation d’un avion n’ayant pas été conçu pour cela ne donne que rarement des résultats probants.

On ne peut pas écarter, par ailleurs, la possibilité de voir Ankara se tourner vers une solution extérieure pour former la chasse embarquée de son porte-avions, aux États-Unis si les relations avec Washington se normalisaient, mais aussi en Russie et surtout en Chine qui, avec le futur J-35, remplacerait étonnamment bien les F-35B devant initialement armer ces navires.

Quoi qu’il en soit, l’arrivée de ce nouveau porte-avions léger, ou porte-aéronefs d’assaut, permettra à la Marine turque de disposer, dans ce domaine, non seulement de capacités significatives de projection de puissance, mais aussi d’une permanence opérationnelle pour son groupe aéro-amphibie, comme pour la flottille de haute-mer qui s’organisera autour du navire.

Seuls six pays dans le monde disposeront, en 2030, de moyens similaires (États-Unis, Grande-Bretagne, Chine, Inde, Italie et Japon), avec au moins deux grands navires mettant en œuvre des drones, ou des avions, à voilure fixe.

Il est évidemment surprenant que ni la Russie, ni la France, deux des très rares pays ayant la compétence pour concevoir et fabriquer porte-avions et avions embarqués, ne disposeront, en 2030 comme aujourd’hui, que d’un unique navire de ce type.

4 nouvelles frégates de la classe Istif, mais toujours par de destroyers TF2000 pour la Marine turque

Aux côtés du nouveau porte-avions, le comité turc a également validé la construction prochaine de nouveaux patrouilleurs hauturiers, de nouveaux navires de guerre des mines et de nouveaux navires de débarquement. Surtout, quatre nouvelles frégates de la classe Istif ont été commandées.

Longues de seulement 113 mètres pour un déplacement de 3 000 tonnes, les frégates de la classe Istif, comme la TCG Istanbul entrée en service en 2023, sont les seconds navires du programme MILGEM, destiné à acquérir l’ensemble des compétences industrielles et technologiques pour produire tous les navires de surface de la Marine turque.

TCG Istanbul F-515
Quatre nouvelles frégates identiques à la TCG Istanbul ont été commandées pour la Marine Turque.

Évolution de la classe de corvette Ada, la classe Istif est formée de frégates spécialisées dans la lutte anti-sous-marine littorale ou océanique. Elles disposent toutefois d’importantes capacités en matière de lutte anti-surface avec 16 missiles anti-navires Atmaca, et d’une capacité d’autodéfense antiaérienne particulièrement renforcée, avec 16 silos verticaux MDAS accueillant chacun 4 missiles antiaériens HISAR de conception locale et d’une portée de 15 km.

Si les frégates légères de la classe Istif promettent d’être particulièrement bien armées et polyvalentes, force est de constater, cependant, qu’elles ne sont pas en mesure d’assurer la défense antiaérienne d’une unité majeure, comme les porte-avions turcs.

Cette mission doit être confiée aux futurs destroyers antiaériens TF-2000, troisième et dernière unité du programme MILGEM. Étonnamment, il n’est pas fait référence, dans le communiqué officiel turc, au lancement prochain de la construction du premier destroyer de cette classe, pourtant indispensable à la protection efficace du TCG Anadolu et du TCG Trakya. Ces navires devant entrer en service avant 2030, il est probable que l’annonce les concernant interviendra prochainement.

Vers le décrochage de la Grèce en mer Égée

Reste que la modernisation et l’extension rapide de la Marine turque, qui porte aussi bien sur les navires de surface que sur les sous-marins avec la classe Reis (6 sous-marins Type 214), entrainera une évolution sensible du rapport de force en Méditerranée orientale, spécialement en mer Égée.

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L’industrie navale turque arrive à la lisière de l’autonomie stratégique, y compris dans le domaine des sous-marins, à propos desquels elle semble ne devoir s’appuyer sur des solutions technologiques exogènes uniquement pour ce qui concerne les piles à combustible des systèmes AIP.

En effet, en 2030, la Marine turque devrait aligner deux porte-avions légers, trois destroyers lourds antiaériens TF-2000, 8 frégates anti-sous-marines de la classe Istif, 4 corvettes classe Ada, ainsi qu’une dizaine de frégates Meko 200TN et O.H Perry modernisées plus anciennes. Cette flotte de surface sera épaulée par 12 à 14 sous-marins d’attaque conventionnels dont 6 Type 214 équipés d’un système AIP.

Elle surpassera numériquement les 3 frégates FDI, les 12 frégates légères et corvettes Hydra, Elli et (espérons-le) Gowind 2500, ainsi que les 10 sous-marins dont 4 Type 214 et 6 Type 209 de la Marine hellénique.

Surtout, au-delà de 2030, ce rapport de force pourrait se creuser en faveur de la Marine turque, qui disposera non seulement de bien plus de crédits que son compétiteur hellénique, mais aussi de ressources humaines largement supérieures. Elle sera donc en mesure, entre 2030 et 2040, de continuer à croitre, là où la Marine grecque aura atteint un plafond capacitaire qu’il sera très difficile de dépasser.

La prévisible rupture de cet équilibre naval et, plus globalement, entre les forces armées turques et grecques, va immanquablement accroitre les tensions régionales, ainsi que les appétits déjà aiguisés des nationalistes turcs vis-à-vis de certains territoires en mer Égée, en Thrace et au Proche-Orient, perdu par l’Empire Ottoman à la suite de la Première Guerre mondiale, et toujours au cœur des tensions entre Ankara et plusieurs de ses voisins.

L’effort de guerre russe est-il soutenable au-delà de 2024 ?

Avec un effort de guerre russe de plus de 10 % en 2024, et une action politique entièrement tournée vers ses armées, la Russie se rapproche, aujourd’hui, d’un modèle d’État-guerrier, comme ceux qui ont marqué l’histoire.

Toutefois, de nombreuses questions subsistent, quant à la réalité de cette transformation, et surtout concernant la soutenabilité dans la durée de ce modèle. Alors, la Russie va-t-elle s’effondrer sous le poids de ses dépenses de défense, comme l’Union Soviétique avant elle ? C’est loin d’être certain…

Depuis la fin du printemps 2022, et l’évident échec de l’offensive initiale en Ukraine, Vladimir Poutine et le Kremlin ont entamé une profonde transformation de la société russe. Menée tambours battants, celle-ci vise à faire de la Russie un État-guerrier, mettant la guerre et l’effort de défense au cœur de l’action de l’État, mais également de l’économie et de l’organisation politique et sociale du pays.

Depuis que cette métamorphose est devenue évidente, de nombreuses interrogations ont émergé, notamment quant à la soutenabilité, dans le temps, de ce modèle, qui n’est pas sans rappeler, en certains aspects, celui de l’Union Soviétique de 1975 à 1992, lorsque le pays consacrait presque 15 % de son PIB et l’essentiel de son activité manufacturière à ses armées.

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L'effort de guerre russe est-il soutenable au-delà de 2024 ? 40

De fait, beaucoup d’analyses tendent à mettre en doute la pérennité de ce modèle, au-delà des quelques années de restructuration permettant de donner l’illusion d’un socle économique et social solide. Pourtant, l’étude du contexte socio-économique du pays, antérieur à cette transformation, tend à modérer ces certitudes, et l’espoir de voir l’effort de défense russe n’être qu’un feu de paille.

Le modèle d’effort de guerre russe imposé par Vladimir Poutine depuis 2022

Au printemps 2022, il devint évident que la grande manœuvre du groupe nord des armées russes, voulant capturer Kharkiv et Kyiv pour entrainer un effondrement politique du pays, était un échec. L’état-major russe réorganisa alors rapidement, et plutôt efficacement, sa stratégie.

À l’initiative du général Surovikin, commandant en chef de l’opération militaire spéciale, les forces russes se retranchèrent derrière de puissantes lignes défensives, qui depuis ont très peu évolué.

Si l’action du général russe, depuis en disgrâce pour sa prise de position lors de l’insurrection menée par Evgueni Prigogine à l’automne 2023, a permis de réorganiser le front, et de le stabiliser côté russe, le pouvoir politique, et Vladimir Poutine en particulier, ne restèrent pas inertes, bien au contraire.

Ainsi, dès l’été 2022, les autorités russes entreprirent de profondément transformer le socle socio-économique sur lequel la société russe était construite depuis la fin de l’URSS. Cette métamorphose est entièrement organisée autour d’un effort de défense qui aura plus que doubler entre 2022 et 2024 pour dépasser les 10 % PIB, et que les armées russes se sont vues dotées, pour 2024, d’un budget total 13 400 milliards de roubles sur les 36 600 Milliards du budget de l’État, soit 41 % de celui-ci.

Su-57
Les années à venir seront marquées par l’augmentation du nombre de matériels de nouvelle génération livrés aux armées russes. En 2027, 75 Su-57 seront en service au sein des forces aériennes russes.

Cette augmentation fulgurante des dépenses de défense, permettra, en 2024, de simultanément augmenter les soldes, donc d’accroitre l’attractivité de la fonction militaire, alors que le ministère de la Défense a annoncé vouloir porter le format des armées au-delà de 1,5 million d’hommes, mais aussi de financer l‘acquisition de nombreux nouveaux équipements, souvent bien plus modernes et performants que ceux qu’ils remplaceront.

En 2023, les hausses budgétaires permirent de transformer l’outil productif militaire russe, avec une hausse très sensible de la part de l’industrie manufacturière dans le PIB, qui est passée de 32 à 39 % en à peine deux ans de guerre.

En 2024, la nouvelle manne budgétaire permettra d’acquérir ces nouveaux équipements produits en nombre par ces infrastructures modernisées, des hausses allant de 100 % à 200 % de la production étant régulièrement évoquées par le ministère russe de la Défense, à ce sujet.

Enfin, toute l’action de l’État russe, depuis l’été 2022, est conditionnée par cette transformation, qui tend à faire du pays une nation entièrement structurée autour de sa puissance militaire et de ses engagements.

De fait, en de nombreux aspects, la Russie qui émerge de ce modèle en évolution rapide, rappelle plusieurs états guerriers de l’histoire, comme Sparte durant l’Antiquité, la Prusse du XIXᵉ siècle, ou l’Allemagne nazie et l’empire nippon des années 30.

Une transformation rapide de l’économie russe et de son pacte social

Cette transformation, aussi radicale que rapide, de l’économie, mais aussi du pacte social qui lie les russes à leurs dirigeants, est à présent mesurable dans les données macroéconomiques publiées du pays.

usine uralvagonzavod
L’industrie de défense est devenue le principal support d’investissement de l’État russe, ainsi que son bras de levier économique et social pour transformer le pays.

Ainsi, là où les prévisionnistes tablaient sur une chute de 10 %, voire davantage, du PIB en 2022, et à une baisse moindre, mais sensible, de celui-ci en 2023, l’économie russe a particulièrement bien résisté à la hausse des dépenses de défense, et aux conséquences des sanctions occidentales, dès le début de l’opération militaire spéciale en Ukraine.

La baisse du PIB russe en 2022 fut mesurée, de l’ordre de 2,5 %, alors qu’en 2023, le pays a renoué avec une croissance significative de 3 à 3,5 %. Toutefois, la structure du PIB, elle, a considérablement évolué en seulement deux ans.

Ainsi, si la part relative dans le PIB de l’extraction minière, des transports ou encore de l’administration publique sont restés stables ou ont baissé depuis 2021, d’autres secteurs, comme l’agriculture (+50% en 2 ans), la construction (+ 30 %) et l’industrie (+20 % en 2023), ont grandement augmenté.

L’industrie de défense est, bien évidemment, pour beaucoup dans cette transformation. Mais, certains domaines de substitution face aux sanctions occidentales ont aussi connu des croissances fulgurantes, comme dans le domaine de l’électronique (+ 40 % au premier semestre 2023), ou l’industrie électrique et optique (+ 30 % en un an).

L’économie russe peut en outre s’appuyer sur un taux de chômage particulièrement bas, de l’ordre de 3 %, et des salaires qui évoluent plus rapidement que l’inflation de 7 %, en grande partie tirés vers le haut par l’investissement public dans l’industrie de défense.

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L'effort de guerre russe est-il soutenable au-delà de 2024 ? 41

Au-delà des aspects macro-économiques, les russes font désormais l’expérience de la hausse de leur pouvoir d’achat, surtout pour les plus pauvres, dans un pays ou 50 % de la population représentent moins de 15 % du PIB, et 5 % de la richesse détenue.

L’action publique, ces derniers mois, a aussi porté sur la hausse des prestations sociales, ainsi que la mise en œuvre d’une politique particulièrement volontaire pour soutenir la natalité face à une démographie en déclin.

De fait, à ce stade de la transformation du pays, de son économie, et de son pacte social, l’action entreprise par Vladimir Poutine, comme son régime, ne présentent aucun signe de faiblesse ou de contestation, bien au contraire.

Les marges de manœuvre de Vladimir Poutine pour financer et pérenniser ce modèle de société

Pour autant, ce modèle peut-il être maintenu sur la durée ? Beaucoup en doute, faisant un parallèle avec le modèle soviétique de la fin des années 70 au début des années 90, et l’effondrement du pays.

À cette époque, aussi, Moscou concentrait ses investissements dans l’industrie de défense et les armées, alors engagées en Afghanistan et dans une compétition féroce avec l’OTAN, notamment lors de la crise des Euromissiles.

Toutefois, le socle économique sur lequel Vladimir Poutine construit cette nouvelle société russe, et son état-guerrier, est radicalement différent de celui de l’Union Soviétique en 1978.

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Les chantiers navals russes livrent chaque année deux à trois nouveaux sous-marins, dont au moins un à propulsion nucléaire, à la Marine russe, soit autant que les chantiers navals américains.

En premier lieu, alors que l’URSS était un assemblage de républiques hétéroclites concentrées autour d’un modèle socialiste en perte de vitesse, la Russie est aujourd’hui plus unifiée, et portée par un élan nationaliste plus qu’une idéologie politique.

En second lieu, même en dépit de l’augmentation considérable de ses dépenses de défense, le budget de l’État russe demeure sous contrôle, avec un déficit prévu pour 2024 de seulement 1 600 Md roubles, soit 18 Md$ et 1% du PIB, 10 fois moins que l’effort de défense lui-même, de 10 % PIB. Ce déficit peut largement se financer soit par des emprunts internationaux, notamment vers la Chine, soit par l’épargne des russes, qui représente 35 % du PIB du pays.

Cet équilibre exceptionnel des finances publiques est lié à des prestations sociales encore très faibles dans leur ensemble, ainsi qu’à une balance commerciale qui demeure excédentaire, grâce aux exportations d’hydrocarbures, de matières premières issues de l’extraction minière et de produits agricoles, trois domaines ayant connu de fortes hausses ces dernières années, alors que le rouble, dans le même temps, perdait plus de 60 % de sa valeur face au dollar, dans une économie bien moins exposée aux importations.

Au-delà de ces aspects macroéconomiques, Vladimir peut s’appuyer sur deux leviers particulièrement efficaces, et concomitants, pour financer cette transformation et en faire un modèle stable et solide.

D’abord, les pouvoirs publics russes ont entamé simultanément la dédollarisation et la définanciarisation de l’économie russe, le dollar comme l’euro étant de moins en moins employé pour les transactions internationales, et interdits, ou presque, pour les transactions intérieures.

Su-35s Syrie
Les armées russes sont de plus en plus souvent employées pour sécuriser un régime allié, souvent autoritaire, afin d’étendre la sphère d’influence politique et économique du pays.

Dans le même temps, avec une politique monétaire agressive pour contenir l’inflation, et des taux directeurs dépassant les 13 % pour une inflation contenue à 7 %, l’économie russe s’éloigne du modèle financier occidental.

D’ailleurs, les financements bancaires ne présentent désormais plus que 10 % des financements des sociétés russes, le reste étant représenté par des investissements en fonds propres, des investissements inter-entreprises et des investissements publics.

En dépit de cette définanciarisation, l’économie russe demeure en croissance, tout en devenant bien plus résiliente aux facteurs externes, notamment aux variations du rouble sur la scène internationale, qui n’ont quasiment plus d’effets sur l’économie nationale, tout en soutenant ses exportations et en augmentant les recettes en roubles des sociétés et de l’état.

Dans le même temps, Vladimir Poutine a entamé un changement majeur de paradigme, pour réduire, et en partie, redistribuer, la captation exercée par l’élite oligarchique du pays, alors que 1 % des Russes les plus riches détiennent encore aujourd’hui, plus de 40 % des richesses du pays, et captent plus de 25 % du PIB.

Ce déséquilibre structurel fragrant de la répartition des richesses russes, est précisément au cœur de la nouvelle posture politique de Vladimir Poutine, mais aussi de son modèle économique.

En effet, en réduisant, par de nouveaux prélèvements, la captation effectuée par les plus riches des russes sur le PIB, au profit de l’État, celui-ci disposera des moyens budgétaires pour financer et stabiliser sa transformation, tout en organisation une redistribution plus que bienvenue pour mobiliser les plus pauvres, dorénavant tout acquis à Vladimir Poutine.

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Le canon automoteur de 152 mm 2S35 Koalitsiya-SV annonce des performances comparables aux meilleurs équipements occidentaux, comme le Pzh2000 allemand. Les premiers exemplaires auraient rejoint l’Ukraine en decembre 2023.

Enfin, avec quelques exemples bien choisis, et en évitant de trop toucher aux capitaux déjà thésaurisés par les plus riches des russes, le Kremlin s’assure de la docilité d’une élite oligarchique sous contrôle, tout en s’assurant du soutien des classes sociales intermédiaires et inférieures, représentant 99 % de la population.

Vers une menace aussi majeure que solide à l’Est en Europe dès 2030

De fait, Vladimir Poutine dispose, aujourd’hui, d’une importante marge de manœuvre pour financer et stabiliser son nouveau modèle économique et social, ce sans venir menacer les équilibres macroéconomiques du pays, tout en renforçant la cohésion nationale. Même les très lourdes pertes enregistrées en Ukraine, on parle de 100 000 à 200 000 tués, et au moins autant de blessés, ne viennent pas interférer dans cette transformation.

Si le modèle visé par le chef du kremlin est stable, il est aussi, et surtout, des plus inquiétants pour le pays en Europe, et plus globalement dans la sphère de contact russe.

En effet, l’histoire a montré que les pays structurés sur les mêmes paradigmes que ceux mis en œuvre par la Russie, ne peuvent évoluer et prospérer économiquement et socialement, qu’en participant ou en déclenchant des conflits, jouant ici le rôle de multiplicateur keynésien structurel de l’économie, et justifiant une main mise ferme de l’État sur tous les rouages de la société.

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Le missile basilique aéroporté Kinzhal offre à la Russie une capacité de frappe balistique conventionnelle au-delà des 500 km imposés par feu le traité INF.

Ainsi, quelle que soit la conclusion, ou pas, du conflit en Ukraine, la Russie ne pourra revenir à un modèle plus pacifique, pas sans un bouleversement social et économique dont les révolutions russes ont le secret.

Qui plus est, les armées russes vont devenir le mètre étalon de l’action du gouvernement russe, et de sa posture internationale, et vont donc, très probablement, évoluer, s’étendre et se moderniser encore plus rapidement dans les années à venir, comme son industrie de défense et la recherche associée.

Au-delà de ses voisins directs qui entreront dans une relation de soumission ou de confrontation à Moscou, hormis les grandes puissances comme la Chine ou l’Inde, l’action internationale russe passera, elle aussi, par l’outil militaire, comme c’est déjà le cas en Biélorussie, mais aussi en Syrie, au Mali, au Burkina Faso ou au Niger.

En procédant ainsi, en particulier avec des régimes autoritaires en mal de pérennité, le modèle russe permettra au pays de retrouver une sphère d’influence très significative, solide au moins pour un temps, le plus souvent aux dépens de celle des États-Unis, mais surtout de l’Europe.

Dans ce domaine, Moscou hésitera à agir comme Sparte, Gènes ou les nations helvétiques en leurs temps, à savoir en nation mercenaire, négociant des accords économiques et politiques contre des prestations militaires ou de sécurité.

Conclusion

On le voit, rien ne permet, aujourd’hui, de douter de la pérennité de la métamorphose économique, politique et sociale qui touche aujourd’hui la Russie. Personnifiée par Vladimir Poutine, qui veut probablement en faire son entrée dans les livres d’histoire, cette nouvelle Russie sera entièrement structurée autour de son armée, et de son industrie de défense, pour ramener Moscou dans le concert des Super Puissances.

État-guerrier Vladimir Poutine
La transformation de la Russie en un véritable état-guerrier moderne et structurellement stable, sera-t-elle la porte d’entrée des Livres d’histoire pour Vladimir Poutine ?

Ainsi, les craintes formulées par certains services de renseignement des pays de l’Est, mais aussi à plusieurs des chefs d’État des pays européens en première ligne face à la Russie, souvent considérées en Europe de l’Ouest comme des exagérations à dessein, ont toutes les chances d’être dans le vrai.

Dans le même temps, l’imprévisibilité de la protection américaine, qui est caractérisée par Donald Trump et son clan dans le Parti républicain, mais aussi par les risques de conflit dans le Pacifique qui nécessiterait un basculement presque total des moyens militaires US vers ce théâtre, renforcent bien évidemment ce risque qui, même s’il demeure statistiquement moyen à faible, aurait des conséquences telles qu’il pourrait entrainer la dislocation de l’Europe et du bloc occidental.

En tenant compte de l’extraordinaire effort de défense qui sera produit par Moscou en 2024, mais aussi de la simple parité de pouvoir d’achat, appliquée à l’économie russe, il apparait que la puissance militaire russe en devenir, excédera probablement celle de l’ensemble des nations européennes rassemblées dans l’OTAN et l’UE, possiblement avant 2030, plus probablement entre 2030 et 2035, si celles-ci demeurent orientées vers un effort de défense à 2 % PIB.

Cependant, en tenant compte du fait que la puissance militaire européenne n’est pas homogène, et que les états qui la composent ne délègueront jamais l’ensemble de leur outil militaire pour la défense d’un allié, la date de 2028, avancée par le renseignement polonais, il y a peu, semble soudain bien plus probable, alors que les espoirs de voir le modèle russe péricliter comme ce fut le cas de l’URSS, apparaissent, comme nous l’avons vu, bien peu fondés.

En armant ses drones d’attaque navals, l’Ukraine a surpris la Marine russe

Une nouvelle attaque menée ce 1ᵉʳ janvier 2024 par les drones d’attaque navals Sea Baby ukrainiens, contre le port de Sevastopol. Mais lorsque les drones ont été interceptés par une corvette russe, ceux-ci ont attaqué, à la surprise probable de son équipage, le navire à l’aide de roquettes. Il s’agit de la première attaque à distance d’un drone naval documentée à ce jour.

Javelin, Storm Shadow, Himars… : la guerre en Ukraine a ses équipements stars

Depuis le début de l’offensive russe contre l’Ukraine, plusieurs armements sont devenus des icônes passagèrement de la résistance ukrainienne. Ce fut d’abord le drone turc TB2 Bayraktar et le missile antichar Javelin américain, qui jouèrent tous deux un rôle décisif dans l’arrêt de l’offensive russe contre Kyiv.

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Le TB2 Bayraktar a été le symbole de la résistance ukrainienne lors de l’offensive sur Kyiv, en février et mars 2022, avant que la densification des défenses antiaériennes russes vienne disqualifier ce drone trop vulnérable désormais pour être employé pour des missions d’attaque.

Après quoi, à partir du printemps 2022, les systèmes d’artillerie, comme le Caesar français, le Pzh 2000 allemands ou le Krab polonais, étaient au cœur de la communication ukrainienne, ainsi que le désormais célèbre HIMARS américain.

De l’hiver jusqu’au printemps 2023, les véhicules blindés comme le CV90 suédois, le Marder allemand et le Bradley américain, ainsi que les chars de combat occidentaux Leopard 2 et Challenger 2, symbolisaient la contre-offensive de Kyiv, aux côtés des missiles de croisière Storm Shadow et SCALP-EG fournis par la Grande-Bretagne et la France.

Enfin, avec les raids répétés des forces russes contre les infrastructures du pays, les systèmes antiaériens SAMP/T Mamba franco-italiens, Iris-T SLM allemands, Nasams norvégiens et Patriot américains, ont été la figure de proue de cette résistance. Mais les équipements fournis par l’occident ne sont pas les seuls à connaitre la renommée dans leur utilisation faite contre les forces russes.

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Attaque du 4 aout 2023 contre le navire d’assaut Olenegorsky Gonyak par un drone d’attaque naval ukrainien dans le port de Novorossiysk

Ainsi, le missile antinavire R-360 Neptune, une évolution du missile soviétique Kh-35, a fait la une de tous les médias occidentaux au lendemain du 14 avril 2022, lorsque deux de ces missiles vinrent frapper le croiseur russe Moskva, navire amiral de la flotte de la mer Noire, entrainant son naufrage.

L’exceptionnelle inventivité ukrainienne concernant l’utilisation opérationnelle des drones et de leur technologie

Mais le domaine dans lequel les ingénieurs ukrainiens se sont le plus distingués, depuis le début de ce conflit, concerne les drones, et surtout la transformation de drones et systèmes à vocation civile, pour en faire des systèmes d’arme efficaces.

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Les forces ukrainiennes ont été particulièrement agiles dans de nombreux domaines, en particulier dans la transformation de drones quadcopters civils en systèmes d’arme opérationnels.

Dès le début du conflit, les forces ukrainiennes entreprirent d’employer massivement des drones quadcopters légers, tant pour localiser des cibles et diriger le tir d’artillerie, qu’en les armant de grenades ou de roquettes antichars, pour attaquer directement les cibles localisées.

Les forces russes sont parvenues, depuis, à mettre en œuvre des systèmes de protection efficaces contre ce type de menace, en particulier au travers d’un puissant brouillage, et surtout à se doter, elles aussi, de drones et de munitions rôdeuses de plus en plus efficaces, au point que désormais, le drone léger est devenu presque aussi consommable que l’obus d’artillerie sur le front, pour les forces ukrainiennes comme russes.

Ce n’est pas le cas, en revanche, pour ce qui concerne les drones d’attaque à longue distance navals ukrainiens. À plusieurs reprises, ces drones navals de surface, transportant une puissante charge explosive, et dirigées par une liaison satellite bien plus difficile à brouiller que les drones légers, sont parvenus à frapper des navires ou des infrastructures critiques russes, notamment en Crimée.

Les drones d’attaque navals Sea Baby ukrainiens sont à présent armés de roquette !

Le plus célèbre modèle de ces drones d’attaque naval, baptisé Sea Baby, s’est une nouvelle fois distingué dans une attaque récente contre un navire russe. Le 1ᵉʳ janvier, plusieurs de ces drones ont été lancés contre la base navale de Sevastopol, en Crimée. Détectés par les radars de surveillance russes, un navire de combat fut dépêché par l’amirauté de la mer Noire, pour intercepter et détruire ces drones.

Vidéo de l’attaque du 1ᵉʳ janvier 2024. Le nombre de roquettes envoyées suggère qu’il s’agit bien de roquettes thermobariques RPV-16 lancés par les 6 systèmes Dzhmil montés sur le Sea Baby.

La surprise sur la passerelle de la corvette russe dut cependant est au plus haut, lorsque les Sea Baby ukrainiens, plutôt que de tenter de rebrousser chemin pour éviter la destruction, ouvrir le feu contre le navire de combat. La vidéo de l’engagement a été diffusée par l’état-major ukrainien.

Celle-ci montre un drone, tirer plusieurs projectiles vers une cible distante et peu reconnaissable, que l’on estime être la corvette russe. Les projectiles lancés contre le navire russe suivent une trajectoire caractéristique de roquettes. Il peut s’agir de roquettes antichars ou de roquettes thermobariques appartenant au système Dzhmil, dont un cliché montre six exemplaires montés à bord d’un Sea Baby (Photo d’illustration principale).

L’absence d’explosion semble indiquer que la cible visée par les Sea Baby n’a pas été atteinte. Étant donné la distance du tir que l’on peut estimer sur la vidéo, toucher le navire russe aurait été un incroyable coup de chance avec des roquettes non guidées et lancées à partir d’une plateforme navale non stabilisée, avec une visée probablement au jugé.

Toutefois, il ne fait guère de doute, comme le suggère le site Naval news, que passer du statut de chasseur à celui de proie, a sévèrement dû déstabiliser l’équipage de la corvette russe, ce qui peur permettre d’ouvrir des opportunités de manœuvre pour la flottille de Sea baby.

Vidéo de présentation du drone d’attaque naval Sea Baby ukrainien.

Pour l’heure, on ignore la conclusion de cette opération. Dans la mesure où aucune information n’indique de Sevastopol ou un navire russe a été endommagé, on peut supposer qu’elle n’a pas atteint ses objectifs.

En revanche, il est probable que, désormais, les commandants de navires russes envoyés pour intercepter les Sea baby, garderont leurs distances avec les drones navals ukrainiens, ce qui peut aboutir à une baisse d’efficacité du rideau défensif.

Dans le même temps, avec des roquettes pouvant atteindre une portée de 800 à 1000 mètres lancées à ce niveau, le Sea Baby se voit doter de nouvelles options offensives, pour venir harceler la flotte de la mer Noire, venant encore diminuer son pouvoir de contrôle sur les cotes ukrainiennes.

Les drones navals bientôt armés de munitions guidées ?

La démonstration faite par les ukrainiens, ouvre également la voix vers d’autres options d’armement. Ainsi, si le Sea baby avait été armé d’un missile antichar à guidage autonome, comme le Javelin, la menace pour les navires serait tout autre, et fort difficile à contenir. Ce d’autant que la charge creuse d’un Javelin peut engendrer des dégâts considérables sur un navire de combat comme un patrouilleur ou une corvette légère.

L’arrivée de ces drones d’attaque navals, désormais potentiellement armés, représente une nouvelle menace qui va aller bien au-delà du seul théâtre ukrainien. En effet, toutes les installations portuaires, ou les grands rails de navigation, représentent des emplacements de choix pour employer ce type de drones, que ce soit contre un adversaire bien défini, ou de manière plus large, dans un objectif de nuisance terroriste.

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En armant ses drones d'attaque navals, l'Ukraine a surpris la Marine russe 47

Rapides, bas sur l’eau, et donc difficile à détecter, ces unités peuvent, en effet, surprendre, y compris de puissants navires de combat, qui ne disposent souvent pas de l’armement adapté pour y faire face, en dehors d’une artillerie navale conçue pour des menaces différentes.

En outre, si ces drones venaient à être armés de missiles à guidage autonome, comme le MMP ou le Javelin, ils auront un rayon de menace de plusieurs kilomètres, alors que les systèmes de défense des grandes unités navales ne sont pas conçus pour se prémunir contre ce type de missile.

Enfin, on peut craindre, comme cela a été le cas concernant les drones légers en Ukraine, qu’une fois l’intérêt opérationnel de la technologie des drones d’attaque navals légers mise en évidence, celle-ci sera reprise, améliorée et accrue par d’autres acteurs, y compris la Russie, pour se doter de moyens sensiblement plus performants et efficaces.

Quelles solutions pour contenir la menace des drones navals armés ?

De fait, la démonstration faite par les forces ukrainiennes ce 1ᵉʳ janvier au large de Sevastopol, doit amener à une réflexion aussi rapide qu’étendue, au niveau des marines occidentales, pour se prémunir de ce type de menace dans les années, voire les mois à venir, sur des zones de moindre conflictualité.

Plusieurs pistes peuvent être envisagées pour y répondre. La plus évidente serait de renforcer l’artillerie navale à bord des unités de surface, y compris en la dotant de munitions et systèmes de guidage adaptés face à ces drones au profil spécifique.

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En armant ses drones d'attaque navals, l'Ukraine a surpris la Marine russe 48

L’installation de systèmes de protection empruntés aux blindés, pour se prémunir des missiles à guidage autonome, peut également constituer une réponse, pour les navires de combat, mais aussi, pourquoi pas, pour les navires de commerce les plus exposés.

La réponse la plus efficace, cependant, face à ces drones d’attaque de surface, repose probablement sur les drones à longue endurance armés, capables d’emporter simultanément les systèmes de détection électrooptiques et électromagnétiques pour les repérer, et de mettre en œuvre les munitions air-surface légères, comme des roquettes à guidage laser, ou des missiles légers, pour les détruire.

C’est d’ailleurs précisément ce type de drones qui, aujourd’hui, fait défaut aux armées russes, obligeant la flotte de la mer Noire de répondre à la menace des Sea baby avec des moyens probablement mal adaptés.

On peut craindre, à ce titre, qu’une fois le nouveau drone MALE russe Sirius, dont on connait encore peu de choses, si ce n’est qu’il serait « l’équivalent du MQ-9 Reaper » américain, entré en service, la réalité de la menace posée par les Sea baby ukrainiens sera largement contenue, comme ce fut le cas, en leurs temps, des TB2 Bayraktar ou des quadcorpters ukrainiens, une fois les contremesures mises en œuvre côté russe.

Drone Wingmen, missiles hypersoniques : les armées américaines se préparent dès 2024 à l’échéance stratégique de 2027

Les armées américaines se sont engagées, depuis trois ans, dans une profonde et rapide transformation afin d’être prêtes à relever le défi chinois, et ce, dès 2027, date qui fait de plus en plus consensus quant au début d’une période à haut risque concernant un éventuel affrontement sino-américain dans le Pacifique.

Pour répondre à ce défi, deux programmes clés vont être lancés en 2024 : le programme VENOM pour acquérir les compétences de mise en œuvre des drones de combat de l’US Air Force, et les essais des missiles hypersoniques CSP à bord du destroyer USS Zumwalt, pour l’US Navy.

L’échéance stratégique de 2027 au cœur de la planification des armées américaines… et chinoises

Évoqué pour la première fois en mars 2021 par l’Amiral Phil Davidson, alors commandant des forces américaines déployées dans le Pacifique, l’échéance stratégique de 2027, concernant la date probable d’une action militaire chinoise contre Taïwan, a depuis donné lieu à de nombreux débats.

Armées chinoises APL Type 075
La Marine chinoise multiplie les exercices amphibies de grande ampleur pour se préparer à un possible assaut sur Taïwan, ou tout du moins, pour laisser peser une telle menace.

Comme souvent, il existe au moins autant d’analyses expliquant que cette date est improbable, que d’analyses allant dans le sens de l’Amiral Davidson. Pour autant, depuis cette annonce, il semble évident que la planification militaire américaine a évolué pour être en mesure d’y répondre correctement, tout au moins, beaucoup plus efficacement qu’elle n’aurait dû être en capacité de le faire, en application de la planification précédente.

Cette échéance est désormais d’autant plus sérieusement considérée par le Pentagone, que les autorités chinoises, elles-mêmes, ont reconnu qu’elles visaient à franchir, pour 2027, un palier opérationnel clé, lui permettant, dans sa planification, de s’imposer en cas de conflit de proximité, avec des équipements technologiquement avancés disponibles en grande quantité, et servis par des militaires entrainés au sein de doctrines modernes.

Ainsi, ces dernières années, de nombreux programmes militaires ont été annoncés outre-atlantique sur des calendriers particulièrement réduits. C’est notamment le cas du char léger M10 Booker et du nouveau programme de char de combat M1E3 de l’US Army. Le premier a été développé sur un calendrier particulièrement court de seulement cinq ans, le second devant entrer en service d’ici à la fin de la décennie.

Dans les deux cas, il s’agit d’échéances sans rapport avec les programmes précédents de l’US Army, qui se sont étalés sur plus d’une décennie, parfois deux, avec des résultats souvent décevants, lorsqu’ils n’étaient pas simplement abandonnés.

Armées américaines M10 Booker
Le programme de char léger M10 Booker de l’US Army a été développé en à peine cinq années, un record au regard des nombreux programmes aussi chronophages qu’extraordinairement onéreux menés par celle-ci ces trois dernières décennies.

L’US Air Force s’est aussi engagée dans de plusieurs programmes aux échéances particulièrement courtes, le plus exemplaire étant le programme Next Generation Air Dominance, ou NGAD, un chasseur de 6ᵉ génération destiné à remplacer le F-22 Raptor, qui doit entrer en service avant 2030.

D’autres grands programmes ont été adaptés, comme le programme KC-Y pour remplacer les avions ravitailleurs KC-135, ramené à seulement 75 appareils et se tournant, sans compétition, vers le KC-46A du programme KC-X, de sorte à libérer crédits et délais pour le programme KC-Z, qui doit, lui, concevoir un ravitailleur de nouvelle génération, adapté aux exigences du théâtre Pacifique et à la guerre aérienne du futur.

L’US Navy, quant à elle, a lancé un important programme de frégates, la classe Constellation, pour accroitre sa masse, et prévoit d’amener sa production à quatre navires par an dans les années à venir, alors que la production de destroyers Arleigh Burke Flight III, doit, elle aussi, accélérer au-delà de deux navires par an, précisément pour relever le défi chinois.

frégate classe Constellation
L’US Navy souhaite lancer la construction des frégates de la classe Constellation dans un second chantier naval, pour parvenir à quatre nouveaux navires par an.

Dans le même temps, la production de sous-marins nucléaires d’attaque de la classe Virginia, doit atteindre 2 navires par an, et même 2,3 pour prendre en compte les 3 à 5 navires qui seront vendus à l’Australie dans le cadre du programme SSN-AUKUS.

On le voit, les armées américaines ont profondément transformé leur planification ces dernières années, justement pour répondre à la menace chinoise, et particulièrement pour demeurer suffisamment dissuasives et capables de répondre en cas de conflit, à partir de 2027.

L’échéance de 2027 également au cœur de la planification des armées chinoises

Le fait est, ces dernières années, le tempo technologique et industriel chinois s’est considérablement accéléré, notamment en ce qui concerne les moyens susceptibles de s’avérer décisifs pour un blocus, voire une action amphibie contre et autour de Taïwan.

C’est ainsi que la production de chasseurs modernes J-20, J-16 et J-15 a sensiblement augmenté ces dernières années, dépassant probablement, désormais, le seuil des 100 nouveaux appareils chaque année.

C’est aussi le cas des avions de soutien, avec un important effort pour produire et mettre en service de nouveaux avions de ravitaillement en vol Y-20U, mais aussi de nouveaux avions de veille aérienne avancée AWACS KJ-500, et de nombreux autres appareils de guerre électronique ou de renseignement.

Y-20U ravitaillant Y-20 et J-16
Un Y-20U ravitaillant en vol un Y-20 et un J-16, symbole du renouveau des forces aériennes chinoises, et des moyens dont celle-ci se dote rapidement dorénavant.

Dans le domaine naval, également, la production industrielle chinoise est sans équivalent dans le monde, dépassant même, pour ce qui concerne la production des unités de surface, l’ensemble de la production occidentale.

Ainsi, chaque année, une dizaine de destroyers et frégates, mais aussi plusieurs sous-marins à propulsion conventionnelle et une grande unité aéronavale ou amphibie, rejoignent la Marine chinoise, lui conférant une croissance et une modernisation exceptionnelle.

Mis bout à bout, et en tenant compte de l’efficace brouillard mis en œuvre par les autorités chinoises, pour opacifier l’efficacité et la portée de cette préparation militaire, mais aussi d’autres facteurs comme la personnalité de Xi Jinping, son espérance de vie, et sa main mise sur les organes politiques et militaires chinois, rendent très crédible l’hypothèse d’une possible confrontation sino-américaine autour de Taïwan entre 2027 et 2030, comme abordé dans cette analyse américaine.

Drone Wingmen, missiles hypersoniques CSP : deux programmes américains clés pour 2024

Pour répondre à cette échéance stratégique, et plus particulièrement dans ses premières années, le Pentagone parie sur deux programmes clés, susceptibles de dissuader Pékin d’entreprendre une action militaire contre Taïwan : le développement des Drone Wingmen pour l’US Air Force d’une part, et l’intégration des missiles hypersoniques Convetionnal Strike Prompt à bord des navires de l’US Navy, de l’autre. Ces deux programmes vont devoir franchir des étapes décisives au cours de 2024.

Programme VENOM : Expérimentation et conception de doctrine d’emploi pour les Drone Wingmen de l’US Air Force

Intégré au programme NGAD, le programme Drone Wingmen doit permettre de concevoir et livrer, selon le secrétaire à l’Air Force, Franck Kendall, un millier de drones de combat destinés à épauler le remplaçant du F-22, mais aussi 350 F-35A qui seront modifiés spécialement pour cette mission.

Boeing MQ-28 Ghost Bat
L’US Air Force va également employer le drone de combat MQ-28 Ghost bat, développé par Boeing conjointement avec l’Australie, pour son programme de Drone Wingmen.

Ces drones, dont le cout est évalué entre 20 et 27 m$, devront assurer de nombreuses missions, comme mener des frappes, des missions de surveillance, de la désignation de cible, et attirer la DCA ou la chasse adverse, le cas échéant, agissant comme un multiplicateur de forces au profit des chasseurs américains.

Le développement des Drone Wingmen est en cours, plusieurs industriels, dont Boeing avec le MQ-28 Ghost Bat codéveloppé avec l’Australie, étant impliqués dans cette mission. D’ailleurs, selon Franck Kendall, il est probable que la flotte initiale d’un millier de drones, sera composée de plusieurs modèles adaptés à différentes missions.

Toutefois, l’USAF a obtenu, dans le cadre de la loi de finance 2024, deux lignes de financement pour préparer une entrée en service. La première, d’un montant de 50 m$, permettra de transférer le code de pilotage et de conduite de mission des drones, à bord de 6 F-16 spécialement modifiés, permettant aux ingénieurs d’expérimenter in situ l’ensemble des fonctionnalités, de durcir le code ainsi que les communications avec l’avion de contrôle.

Désignée VENOM pour Viper Experimentation and Next-generation Operations Model, cette expérimentation permettra de faire converger la ou les plateformes drones en cours de développement, et la couche de contrôle et de communication simultanément, sans devoir suivre un développement séquentiel.

NGAD Drone wingmen
Le programme drone Wingmen doit permettre d’accompagner 350 F-35A spécialement modifiés pour cela.

Mais le programme VENOM ira plus loin, puisqu’une seconde ligne budgétaire de 69 m$ a été allouée pour, cette fois, developper les tactiques et doctrines pour l’emploi de ces drones, sur la base des mêmes appareils transformés.

Début des essais du destroyer Zumwalt armé de missiles hypersoniques CSP en 2024 pour l’US Navy

Le second programme clé, pour le théâtre Pacifique, n’est autre que l’intégration des missiles hypersoniques Convetionnal Prompt Strike, ou CSP, aux destroyers lourds de la classe Zumwalt de l’US Navy, puis à bord de ses sous-marins nucléaires d’attaque de la classe Virginia.

D’une portée annoncée supérieure à 3 700 km, le CSP est un missile hypersonique composé d’un booster classique, et non d’un Scramjet, comme le 3M22 Tzirkon russe, et coiffé d’un planeur hypersonique emportant une charge conventionnelle, pour frapper avec précision des cibles terrestres, dans un délai de moins de 30 minutes après son lancement.

Constituant une capacité de première frappe, ou de riposte, très efficace, ces missiles sont appelés à jouer un rôle dissuasif majeur pour empêcher la Chine de s’engager dans un aventurisme trop dangereux autour de Taïwan. La vitesse du planeur hypersonique, ainsi que ses capacités de manœuvre, confère à cette munition un haut potentiel d’impact, même contre des objectifs fortement défendus.

USS Michael Monsoor
L’USS Michael Monsoor, de la classe Zumwalt, va lui aussi voir ses deux tourelles AGS remplacées par des lanceurs de 87 pouces pour accueillir 12 missiles hypersoniques CSP.

Le premier navire à être doté de ce missile sera l’USS Zumwalt, premier destroyer de la classe éponyme qui, pour cela, se voit actuellement débarrasser de ses tourelles AGS de 155 mm inemployées, pour accueillir à leur place 4 systèmes de lancement vertical de 87 pouces accueillants chacun 3 missiles hypersoniques, pour un total de 12 missiles par navire. Les deux autres Zumwalt, le Michael Monsoor et le Lyndon B. Johnson, seront, eux aussi, modernisés par les mêmes chantiers navals HII de Pascagoula, dans les années à venir.

À peine le Zumwalt sera-t-il équipé de ses nouveaux silos et missiles, qu’il entamera, dès cette année, les essais opérationnels, y compris des lancements, pour rendre le système opérationnel sur les délais les plus courts. Sans le moindre doute, l’US Navy entend aligner, pour 2027, ses 3 Zumwalt ainsi armés, de sorte à disposer, en permanence, d’un navire à proximité de Taïwan et ainsi, assurer la posture dissuasive US.

Celle-ci sera renforcée par l’arrivée, sur la même échéance, des missiles hypersoniques aéroportés par l’US Air Force, avec la transformation entamée d’une partie de la flotte de B-52H pour mettre en œuvre le missile de croisière hypersonique Hypersonic Attack Cruise Missile (HACM), ainsi que par les mêmes CSP mis en œuvre par l’US Army, qui a codéveloppé le programme avec l’US Navy.

Une intense course aux armements entre États-Unis, Chine et Russie, excluant les Européens

On le voit, si en Europe, la planification militaire continue de viser une échéance stratégique au-delà de 2035, voire de 2040, les États-Unis, pour leurs parts, sont engagés dans une véritable course aux armements, avec en point de mire, une période à fort risque débutant dès 2027.

Pour cela, le Pentagone mise sur la conjonction de programmes rapides, menés tambours battants, capitalisant sur des technologies la plupart du temps connues et matures, et pouvant entrer en service très rapidement, ainsi que sur des programmes à moyen terme, avec un nombre limité de défis technologiques par ailleurs maitrisés.

YJ-21 missile Type 055 destroyer
Tir d’un missile balistique YJ-21 à partir d’un destroyer lourd Type 055

Toutefois, on ne peut ignorer que, dans de nombreux domaines, les États-Unis, comme l’ensemble des armées occidentales, visent davantage à rattraper un certain retard technologique et opérationnel constaté récemment face à la Chine ou la Russie, qu’à prendre l’avantage.

C’est particulièrement le cas dans le domaine des armes hypersoniques, déjà en service dans les deux pays, y compris à bord de leurs navires de surface, avec le 3M22 Tzirkon armant les frégates Admiral Gorshkov russes, et le YJ-21 chinois testé à bord des destroyers Type 055.

Quoi qu’il en soit, il apparait que l’année 2024 s’avèrera comme décisive dans la course aux armements qui oppose dorénavant les États-Unis, la Chine, et dans une moindre mesure, la Russie.

On remarque aussi que les européens, notamment la France et la Grande-Bretagne, semblent ne plus être en mesure de s’engager dans cette course ou, tout du moins, n’en ont plus la volonté, alors que l’un comme l’autre, privilégient des calendriers industriels defense répondant davantage à leurs impératifs économiques et politiques, qu’à la réalité de l’évolution de la menace.

Avec au moins 24 chasseurs livrés en 2023, les forces aériennes russes compensent leurs pertes en Ukraine cette année

En 2023, les forces aériennes russes ont perçu, par douze fois, de nouveaux avions de combat tels le Su-57, le Su-35s, le Su-34M ou le Su-30SM. Bien qu’il n’ait jamais été communiqué, il semble que le nombre d’appareils neufs livrés ait dépassé celui des pertes documentées enregistrées lors du conflit en Ukraine sur l’année 2023, alors que les chasseurs livrés étaient souvent bien plus modernes que les modèles perdus dans le ciel ukrainien.

Si les armées russes ne parviennent pas à prendre l’ascendant offensif en Ukraine, il apparait que, depuis quelques mois, celles-ci parviennent en revanche, dans de nombreux domaines, à reconstituer leurs forces, out tout au moins à arrêter l’hémorragie de 2022.

La production industrielle militaire compense désormais les pertes des armées russes en Ukraine

Ainsi, dans le domaine des véhicules blindés, de nombreuses analyses convergentes indiquent que la production annuelle de l’industrie militaire russe, parviendrait, désormais, à compenser les pertes enregistrées au combat, qu’il s’agisse des chars de combat, des véhicules blindés de combat d’infanterie ou de transport de troupe, et des systèmes d’artillerie.

Forces aériennes russes Su-25 détruit
Selon les estimations, les forces aériennes russes auraient perdu entre 60 et plus d’une centaine de chasseurs depuis le début du conflit en Ukraine.

Dans le domaine des munitions, tout indique que la position de Moscou et de ses armées est aujourd’hui largement préférable à celle de Kyiv et de ses alliés, même en dépit de l’avantage technologique que proposent les équipements occidentaux.

Ainsi, en quelques jours seulement, les armées russes sont parvenues à lancer par deux fois une centaine de missiles de croisière et balistiques contre l’Ukraine, là où l’Ukraine, malgré l’aide occidentale, ne dispose, au mieux, que de quelques dizaines de munitions de même type, à l’emploi par ailleurs fortement contraint par les atermoiements de ses alliés.

Bien plus complexe et technologique, on pouvait penser que la production d’avions de combat par l’industrie russe, notamment celle de chasseurs, serait davantage handicapé par les conséquences des sanctions occidentales que ne pouvait l’être celle de blindés et de munition d’artillerie. Il semble cependant que ce ne soit pas le cas, tout du moins, pas autant qu’on pouvait l’espérer.

Au moins 24 chasseurs modernes livrés aux forces aériennes russes en 2023

En effet, sur l’année 2023, l’industrie aéronautique militaire russe aurait livré aux forces aériennes du pays, de 22 à 28 appareils neufs, peut-être davantage. Contrairement aux années avant-guerre, Moscou ne communique plus, ouvertement, sur les quantités d’appareils livrés.

En revanche, probablement pour soutenir son attractivité internationale et sa communication, les services de presse des armées ont systématiquement communiqué, cette année, sur la nature des livraisons effectuées.

Su-35s VKS
Le chasseur Su-35s est un chasseur monoplace lourd polyvalent très performant et remarquablement armé. Les VKS (forces aériennes russes), ont reçu de 10 à 15 nouveaux appareils de ce type cette année.

Concrètement, il y a eu, en 2023, 12 annonces de livraison d’avions de chasse aux forces aériennes russes : 2 concernaient le Su-57, 5 le Su-35s, 3 le Su-34M et 2 le Su-30SM. On peut ajouter à cela 2 livraisons d’avions d’entrainement et d’attaque Yak-130.

À chaque fois, le nombre d’appareils livré était gardé confidentiel. Toutefois, plusieurs facteurs permettent de se faire une idée dans ce domaine. Ainsi, lors des années précédentes, y compris en 2022, les livraisons portaient en moyenne sur 2,5 appareils chacune.

Dans le même temps, alors que 27 chasseurs ont été livrés en 2022, le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, a annoncé, dans sa synthèse annuelle, que la production aéronautique russe avait plus que doublée en 2023.

Dans ce contexte, même en considérant la possible exagération de communication du ministre russe, il est très probable que les forces aériennes russes aient reçus, en 2023, entre 24 et 36 avions de combat neufs, soit 4 à 6 Su-57, 6 à 9 Su-34M, 10 à 15 Su-35s et 4 à 6 Su-30SM, avec une hypothèse probable de 5 Su-57, 8 Su-34, 12 Su-35s et 4 Su-30SM, soit 29 appareils.

Ce chiffre est supérieur à la limite haute des hypothèses de pertes d’avions de combat russes en Ukraine en 2023, de sorte qu’il est très probable, désormais, que la production aéronautique russe permet de compenser ces pertes, tout du moins tant qu’elles demeurent au niveau de celles de cette année.

Su-24M VKS
Malgré son âge et des performances inférieures au Su-34M, le Su-24M continue d’être employé par les forces aériennes russes en Ukraine.

Il convient aussi de remarquer que la qualité des appareils livrés, diffère de celle des appareils détruits. Ainsi, si 7 à 8 Su-34 et 4 ou 5 Su-35s ont été avancés comme détruits ou endommagés par l’analyse OSINT en 2023, une grande partie des pertes se compose d’appareils largement datés, le Su-24 (5 à 7 appareils), et le Su-25 (4 à 6 appareils perdus).

En d’autres termes, même en dépit de ces pertes importantes, équivalentes en une année au format de certaines forces aériennes de l’OTAN, elles n’empêchent pas, outre mesure, la modernisation en cours des forces aériennes russes, qui reçoivent, pour les remplacer, des appareils bien plus modernes et performants.

En revanche, même l’hypothèse la plus favorable pour Moscou, ne permet pas, aujourd’hui, de renouveler intégralement la flotte d’avions de combat russes, ni de compenser les pertes de 2022.

Ce d’autant qu’il semble, à l’observation des pertes documentées ces derniers mois, que les forces aériennes russes réduisent l’utilisation d’appareils plus anciens et moins performants, comme le Su-24, le Su-25 ou le Mig-29 en Ukraine, ces aéronefs étant probablement insuffisamment protégés face à la densité des défenses antiaériennes ukrainiennes, y compris sur le front. Pour autant, ils représentent toujours plus de 50 % de la flotte de chasse russe opérationnelle.

2024, une année décisive pour l’évolution du conflit en Ukraine et le rapport de force en Europe

Dans ce domaine, l’année 2024 sera vraisemblablement décisive, pour déterminer quel sera le format visé par les forces aériennes russes dans les années à venir. Selon les annonces officielles faites dernièrement, un effort particulier sera fait en faveur de la production d’avions de combat modernes, notamment de Su-57, alors que Moscou vise toujours à aligner 75 appareils de ce type en 2027.

Su-57
Les forces russes ont reçu par deux fois une livraison de Su-57, soit 4 à 6 nouveaux appareils.

Il faudra donc se montrer des plus attentifs quant aux annonces qui seront faites dans ce domaine dans les mois à venir, sachant que le F-16 promis aux ukrainiens, n’est certainement pas un adversaire à la hauteur pour se confronter au Su-57, et sans doute pas au Su-35s russes.

De fait, comme dans le domaine terrestre, il semble que la planification de l’aide occidentale à l’Ukraine, pour 2024, n’est pas du tout à la hauteur de l’évolution probable des forces aériennes russes au cours des mois à venir.

Faute de repenser en profondeur cette aide, les chances pour Kyiv d’être en mesure de résister à la pression militaire de Moscou, tendent donc à diminuer inexorablement, même en prenant en considération l’extraordinaire esprit de résistance ukrainien.

Les frappes de missiles russes contre l’Ukraine du 29 décembre révèlent un nouveau schéma inquiétant

L’Ukraine a subi, ce 29 décembre, des frappes massives de missiles russes dans une action coordonnée menée par les forces aériennes et les forces des fusées russes, révélant un schéma tactique qui n’avait, jusqu’ici, pas été employé par Moscou contre Kyiv. Si les objectifs de ces frappes et les résultats obtenus, sont encore difficiles à évaluer, ce basculement vers des frappes massives coordonnées entre des vecteurs complémentaires, dessine une menace des plus inquiétantes pour l’Ukraine, à l’entame de cet hiver.

Dans la nuit du 28 au 29 décembre 2023, les forces aériennes russes ont mené une attaque d’une ampleur jamais égalée contre les infrastructures ukrainiennes. Les bombardiers stratégiques russes Tu-95 et peut-être Tu-160, ont lancé, durant cet assaut, une centaine, peut-être davantage, de missiles de croisière Kh-101 et Kh-555 vers leurs cibles ukrainiennes, épaulés par une trentaine, là encore peut-être plus, de drones d’attaque à longue portée Geranium, version russe du Shahed-136 iranien.

Comme c’est le cas depuis de nombreux mois, la défense anti-aérienne ukrainienne revendique la destruction de la majeure partie, de l’ordre de 90 %, de ces missiles et drones, à l’aide de ses missiles et canons antiaériens.

En revanche, celle-ci n’a annoncé aucune interception pour ce qui concerne la dizaine de missiles balistiques Iskander-M et Kinzhal, et les quelques missiles antiradars Kh-35 et Kh-31P lancés conjointement. Or, ce sont ces derniers qui ont réellement porté l’attaque contre les infrastructures ukrainiennes.

Une tactique de déception et saturation connu de longue date en occident face à la menace soviétique

La tactique employée par les forces russes dans la nuit du 18 au 29 décembre, si elle représente une première en Ukraine, n’est en rien inconnue des analystes de l’OTAN. Déjà, en 1986, Tom Clancy et Larry Bond avaient tracé un scénario inquiétant dans le roman Tempête Rouge (Red Storm Rising), narrant, entre autres choses, l’attaque d’un groupe aéronaval allié par les bombardiers à long rayon d’action de la Marine soviétique.

Tu-22m3
Les bombardiers à longue portée Tu-22M Backfire soviétiques et leurs missiles antinavires supersoniques étaient particulièrement redoutés par les Marines de l’OTAN durant la guerre froide

Dans le roman, une première vague de bombardiers anciens Tu-16 Badger et Tu-22 Blinder, menait une attaque massive contre un groupe aéronaval américain composé de deux porte-avions, dont le Foch français, à l’aide de vieux missiles antinavires faisant office de leurres, pour épuiser les défenses anti-aériennes de l’adversaire.

Elle était suivie, quelques minutes plus tard, par une attaque décisive menée par plusieurs flottilles de Tu-22M Backfire armés de missiles modernes, prenant la flotte alliée en défaut, et entrainant la perte de plusieurs grands navires, dont le Foch coulé, contre une poignée de bombardiers soviétiques abattus.

Dans Tempête Rouge, ce sont les F-8N Crusader du Foch qui enregistrent les seules victoires contre les Tu-22M Backfire soviétique

Ce scénario, testé à de multiples reprises par les deux auteurs à l’aide de la simulation navale Harpoon (conçue par le même Larry Bond), fut par la suite prise très au sérieux par les amirautés de l’OTAN, tout comme un second scénario au cœur du roman, la prise de l’Islande par les forces parachutistes et les troupes de marines soviétiques, pour menacer la ligne de renforcement Reforger.

L’attaque massive des missiles russes contre l’Ukraine du 29 décembre, elle aussi en deux phases

Si l’attaque russe du 29 décembre ne visait pas la flotte, mais les infrastructures et villes ukrainiennes, il semble bien qu’elle ait été conçue autour d’une tactique proche de celle développée dans le roman de 1986. Celle-ci s’est, en effet, déroulée en deux phases successives.

La première phase se composait uniquement de missiles de croisière KH-101 et Kh-555, et de drones d’attaque à longue portée Geranium. En cela, elle ne différait pas beaucoup des attaques enregistrées ces derniers mois, lorsque des missiles de croisières KH-101, Kh-555 et 3M54 Kalibr avaient été lancés simultanément contre l’Ukraine, concomitamment à des drones Geranium.

missiles russes contre l'Ukraine Kh-101
Le missile de croisière Kh-101 est une évolution du Kh-55, dotée d’un nouveau carénage et de performances améliorées. Chaque missile couterait autour de 1,5 m$.

Comme précédemment, la défense antiaérienne ukrainienne s’est montrée particulièrement efficace contre ces vecteurs, revendiquant, et il n’y a aucune raison d’en douter, la destruction de 87 missiles de croisières, et de 27 drones, dans les deux cas, autour de 90 % de l’arsenal lancé contre leurs cibles.

La seconde phase de l’attaque, quant à elle, serait intervenue très peu de temps après la première, voire simultanément. Mais celle-ci s’appuyait non sur des missiles de croisière et des drones, évoluant à quelques dizaines de mètres du sol, et relativement lentement (200 km/h pour les drones, 800 km/h pour les missiles), mais par des missiles balistiques Iskander-M (pour les cibles les plus proches des frontières comme Kharkov) ou Kinzhal (pour les cibles distantes, comme Odessa ou Lviv), évoluant à plusieurs dizaines de kilomètres d’altitude, et à des vitesses super, voire hyper, soniques.

Si la DCA ukrainienne a déjà fait la démonstration de sa capacité à intercepter des missiles balistiques, l’arrivée conjointe de ces deux menaces, aussi radicalement différentes, était dès lors bien plus complexe à contrer, d’autant qu’il est probable que les unités de DCA avaient déjà consommé une partie de leurs munitions pour engager les missiles de croisière et les drones.

Pour parfaire le tableau, il semblerait que plusieurs missiles anti-radiations Kh-35 et Kh-31P, capables de remonter un faisceau radar pour venir détruire l’émetteur, aient également été lancés par la chasse russe au même moment, soit pour détruire les sites de défense antiaérienne, soit pour les forcer à couper leur radar.

Kh-101, Kinzhal, Iskander-M… une attaque massive et coordonnée au bilan encore incertain

Le bilan de cette attaque exceptionnelle depuis le début du conflit, est pour l’heure très difficile à estimer. Si la DCA ukrainienne revendique, comme dit précédemment, la destruction de la majorité des missiles de croisière et des drones, elle n’a annoncé avoir intercepté aucun des missiles balistiques ou antiradars lancés contre son territoire.

Iskander-M
Il semblerait que les forces russes ont employé leurs missiles balistiques à courte portée Iskander-M pour frapper les cibles d’importance lors de l’attaque combinée du 19 décembre.

Il est probable que ce constat accréditera la thèse selon laquelle l’annonce de l’interception de 6 missiles Kinzhal par les batteries Patriot ukrainiennes en mai dernier, était très exagérée.

Selon les autorités ukrainiennes, les cibles atteintes par cette attaque étaient majoritairement civiles. Il est ainsi fait état de la destruction d’une maternité, d’un jardin d’enfant, d’un centre commercial et d’immeubles d’habitations, avec plusieurs dizaines de morts et blessés à la clé. Difficile, en revanche, de savoir si ces destructions sont liées à des frappes russes à dessein contre des cibles civiles, ou des différentes interceptions qui ont eu lieu dans le ciel ukrainien.

Rappelons toutefois qu’à plusieurs millions d’euros le Kh-101 ou le KH-555, et à une plus d’une dizaine de millions d’euros le Kinzhal et l’Iskander-M, on peut raisonnablement douter de l’intérêt de vouloir frapper des cibles civiles sans intérêt militaire ou stratégique, même en riposte de la destruction du grand navire de débarquement Novocherkassk dans le port criméen de Feodosia, il y a quelques jours, par les forces aériennes ukrainiennes à l’aide de missiles SCALP-ER/Storm Shadow.

Sans remettre en question l’unique responsabilité de la Russie dans cette guerre, comme dans cette attaque, on ne peut écarter la possibilité, somme toute assez probable, que ces destructions civiles soit la conséquence de chute de débris de missiles interceptés, voire de la chute de missiles antiaériens eux-mêmes, tel que c’est déjà arrivé.

Su-24 ukrainien armé de missiles SCALP-ER Storm Shadow
Il semblerait que les missiles de croisière franco-britanniques Storm Shadow / SCALP-ER employés par les forces aériennes ukrainiennes, obtiennent des résultats bien supérieurs aux Kh-101, Kh-555 ou Kalibr russes dans le conflit ukrainien.

En revanche, et bien logiquement, il n’est fait état, dans le compte-rendu ukrainien, de la destruction d’aucune cible militaire d’importance, celles qui étaient, là encore très probablement, les cibles de cette attaque combinée d’une ampleur exceptionnelle.

On peut toutefois difficilement écarter cette hypothèse, en analysant la structure de l’offensive, et en admettant qu’aucun des Iskander-M, Kinzhal, Kh-35 et Kh-31P lancés, n’a été intercepté par la DCA.

Des perspectives inquiétantes pour les semaines à venir en Ukraine

Reste que cette offensive, même en admettant qu’il s’agissait d’une réponse à la destruction du LST de la Flotte de la Mer Noire russe, induit plusieurs constats traçant une perspective inquiétante pour les semaines à venir en Ukraine.

Une possible remise en question de la protection offerte par les systèmes Patriot américains

En premier lieu, comme dit précédemment, l’absence de revendication ukrainienne concernant l’interception de missiles balistiques Iskander-M et Kinzhal, tend à remettre en question la certitude de l’efficacité du système Patriot PAC-3 MSE contre ce type de missile. Plusieurs analyses récentes mettent, en effet, en question les succès de mai revendiqués dans ce domaine par Kyiv, et confirmés par le Pentagone.

Mim-104 Patriot
Les capacités du système Patriot à intercepter efficacement les missiles Iskander-M et Kinzhal russes sont remises en question par plusieurs analyses publiées des deux cotés de l’Atlantique depuis quelques semaines.

Quoi qu’il en soit, que le Patriot soit, ou non, capable d’intercepter un Kinzhal, il apparait, de manière probable, que le système ne parvient pas à protéger efficacement l’ensemble des cibles potentielles ayant un intérêt militaire ou stratégique en Ukraine, surtout si ces missiles sont lancés dans une offensive combinée conçue pour saturer les défenses anti-aériennes ukrainiennes.

Pas de missiles de croisière navals 3M54 Kalibr employé dans cette attaque

On remarque également qu’aucun missile de croisière Kalibr 3M54 n’a été employé lors de cette attaque. Plusieurs explications peuvent être données à ce constat. Il est ainsi possible que les unités navales de la mer Noire capables de lancer des Kalibr, aient aujourd’hui des difficultés pour réarmer dans les ports, soit du fait de la menace des missiles de croisière ukrainiens, soit des actions de sabotage qui handicapent sévèrement le flux logistique lourd vers ces ports.

Kalibr Buyan-M
Malgré ses pertes, la flotte de la mer Noire russe dispose encore de nombreux navires mettant en œuvre des missiles de croisière 3M54 Kalibr.

Il est cependant plutôt probable que l’état-major russe ait décidé de garder en réserve cette capacité, pour des frappes à venir, tout en simplifiant son schéma tactique en n’ayant à coordonner que les forces aériennes et les forces des fusées dans cette offensive.

Plusieurs mois de production de missiles de croisière consommés en une nuit

Par ailleurs, si la trentaine de Geranium lancée contre l’Ukraine pour attirer le feu de la DCA ne représente que quelques semaines de production, et quelques centaines de milliers d’euros, la centaine de missiles de croisière Kh-101 et Kh-555 employés cette nuit, représente 5 à 6 mois de production pour l’industrie russe et plusieurs centaines de millions d’euros d’investissements.

Il est donc impossible que le schéma d’attaque employé durant la nuit du 28 au 29 décembre, soit appelé à se répéter plus d’une ou deux fois dans les mois à venir. L’hypothèse de la mise en réserve des moyens dont dispose la flotte de la mer Noire, dans ce contexte, prend évidemment du sens.

On se doit, également, d’envisager la possibilité que cette attaque avait pour fonction de détruire des moyens de defense antiaériens importants, pour libérer des espaces de manœuvre pour de futures offensives employant des moyens moins onéreux.

Une répétition grandeur nature d’une offensive massive contre les infrastructures ukrainiennes ?

Mis bout à bout, ces constats font émerger la crainte que cette offensive ne constituait, dans les faits, qu’une phase préparatoire à une offensive qui sera encore plus importante, contre les infrastructures civiles et militaires ukrainiennes, dans les jours ou semaines à venir.

Mig-31K Kinzhal
Le couple formé par le Mig-31K et le missile balistique aéroporté Kinzhal a une nouvelle fois été employé contre l’Ukraine ce 29 décembre.

Rappelons, à ce titre, que les grands froids hivernaux n’ont pas encore atteint l’Ukraine, même si le pays a déjà enregistré plusieurs températures négatives depuis la fin de l’automne.

Dans cette hypothèse, l’attaque du 29, aura permis aux forces russes de valider un schéma tactique contre lequel les défenses antiaériennes ukrainiennes semblent démunies, offrant des chances de succès très élevées pour venir frapper les installations énergétiques ou de communication civiles, comme les grandes infrastructures militaires, par une attaque coordonnées alliant drones d’attaque à longue portée, missiles de croisière (y compris les Kalibr navals), et bien davantage de missiles Iskander-M et Kinzhal qu’utilisés ici.

Pour y résister, il serait alors indispensable aux forces armées ukrainiennes de concentrer leurs moyens autour de ces infrastructures critiques, quitte à devoir affaiblir la defense antiaérienne sur le front, comme celle des grandes villes, et aux occidentaux de livrer, très rapidement, de nouveaux moyens pour renforcer ces défenses.

L’arrivée annoncée de F-16, sans calendrier précis à ce jour, pourrait là aussi participer à renforcer la résilience ukrainienne face à cette menace, en particulier en créant un rideau défensif air-air à proximité du front, permettant de déplacer certaines batteries vers la protection de ces sites sensibles.

Reste que, pour être efficace, une telle offensive russe devrait intervenir peu de temps après que l’hiver ukrainien se soit installé, ce qui peut intervenir dans les jours à venir. Difficile d’imaginer, dans de tels délais, que les occidentaux, pas plus que les armées ukrainiennes, puissent réagir assez rapidement pour s’en prémunir efficacement.