mardi, décembre 2, 2025
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Berlin bloquerait l’achat de 40 Eurofighter Typhoon par la Turquie

Les relations entre Londres et Berlin risquent bien de s’envenimer à nouveau, après l’épisode du refus allemand concernant la vente de 48 Eurofighter Typhoon à l’Arabie Saoudite. En effet, selon les déclarations du Ministre turc de la Défense, Yasar Guler, les autorités allemandes bloqueraient, cette fois, les négociations entamées par Ankara avec Londres et Madrid, pour la vente de 40 chasseurs européens.

Bien que disposant de la plus importante force aérienne de l’OTAN, en dehors des Etats-Unis, avec presque 600 aéronefs dont 290 avions de combat, l’inventaire turc est aujourd’hui vieillissant, avec une flotte de chasse composée de 240 F-16 C/D au standard Block 52, ainsi qu’une cinquantaine de F-4E Phantom II.

Le défi de la modernisation des forces aériennes turques

Ankara manque toutefois d’options pour répondre, à courte échéance, à ce défi, handicapée notamment par son exclusion du programme F-35 américain suite à l’acquisition d’une batterie anti-aérienne S-400 russe en 2019. En outre, à la suite de son intervention militaire en Libye, puis de celle dans le nord de la Syrie contre les alliés Kurdes de l’occident face à l’État Islamique, le Congrès américain a pris une ligne directrice restrictive vis-à-vis de l’exportation d’armes vers la Turquie, bloquant la vente de F-16 Block 70 et de kits d’évolution vers de standard.

F-16 Forces aériennes turques
Avec presque 250 F-16 C/D, les forces aériennes turques sont le plus important opérateur du chasseur monomoteur de Lockheed-Martin après les Etats-Unis.

Dès lors, et dans l’attente de l’arrivée du chasseur de conception nationale, le Kaan, issu du programme TFX, Ankara est contraint de tenter de trouver des solutions alternatives, pour assurer la transition du point de vue opérationnel, alors que de son côté, la Grèce, s’est dotée de trois escadrons de F-16V, d’un escadron de Rafale et d’un futur escadron de F-35A.

Les options sont pour autant peu nombreuses pour les forces aériennes turques. En l’absence d’accord avec les Etats-Unis, il est impossible de se tourner vers les constructeurs américains, mais aussi vers le FA-50 sud-coréen, le Tejas indien ou le Gripen suédois, les appareils étant équipés de turboréacteurs F-414 américains. L’option du Rafale français est également exclue, Paris ayant pris fait et cause pour Athènes depuis plusieurs années, alors que les relations avec Ankara sont tendues, notamment en raison des crises syriennes et libyennes.

Un temps, Ankara a fait miroiter la possibilité de se tourner vers la Russie, et ses Su-35s et Su-57, voire vers la Chine. Toutefois, si la réaction américaine avait déjà été virulente contre Ankara après l’achat d’une unique batterie S-400, les risques pour la Turquie de se tourner vers ces pays, dépassent de beaucoup ceux auxquels le Président Erdogan semble-être prêt à assumer aujourd’hui.

De fait, lorsque Londres a ouvert la porte à Ankara, avec l’aide de Madrid, pour l’acquisition de chasseurs Eurofighter Typhoon, il s’agissait pour Ankara d’une option non seulement intéressante, mais surtout de la seule option pouvant être mise en œuvre rapidement pour moderniser partiellement ses forces aériennes, et répondre à l’arrivée de Rafale au sein des forces aériennes helléniques.

Les réserves de l’Allemagne pour l’exportation des Eurofighter turcs

Si Londres et Madrid se sont montrés très pro-actifs pour soutenir la vente des 40 Typhoon à Ankara, faisant fi, au passage, des multiples tensions orchestrées par la Turquie en Méditerranée Orientale ces dernières années, notamment face à Chypre et la Grèce, ce n’est, visiblement, pas le cas de Berlin.

Eurofighter typhoon ligne d'assemblage
La ligne d’assemblage de l’Eurofighter Typhoon en Grande-Bretagne devra être fermée en 2028 faute de nouvelles commandes

En effet, à en croire le ministre de défense turc, Yasar Guler, les négociations autour de ce programme seraient, aujourd’hui, bloquées par les autorités allemandes, comme ce fut le cas, il y a quelques semaines, concernant la levée de l’option quant aux 48 Typhoon pour les forces aériennes saoudiennes.

Dans un entretien donné au quotidien Daily Sabah, le ministre turc a indiqué qu’il demeurait confiant dans la possibilité de convaincre Berlin de lever ses réserves à ce sujet, sans toutefois détailler la nature de ces réserves. Cependant, celui-ci a mis l’accent sur le fait que la Turquie était un allié de l’OTAN, laissant supposer que ces réserves allemandes sont liées à la posture turque au sein de l’alliance, peut-être autour du vote par le Parlement turc concernant l’adhésion suédoise.

Il convient, aussi, de rappeler que les navires militaires turcs avaient, comme ce fut le cas avec la Marine nationale, menacé directement la frégate allemande Hambourg, lorsque celle-ci tenta de mener une inspection d’un navire turc suspecté de transporter des armes vers la Libye, en violation de l’embargo décrété par l’OTAN à ce sujet.

La posture allemande est évidemment courageuse, mais elle sera probablement difficile à assumer, que ce soit en raison de la diaspora turque très présente, et influente, dans le pays, mais aussi de la pression de Londres et de Madrid, pour préserver la chaine d’assemblage du Typhoon.

Après le refus allemand d’exporter 48 nouveaux Typhoon vers l’Arabie saoudite, les industriels britanniques, mais aussi italiens, espagnols et même allemands, avaient mis en garde Berlin contre la possibilité de devoir fermer la ligne d’assemblage de l’appareil d’ici à 2028, après l’exécution de la commande allemande et de la commande espagnole.

TAI TFX Kaan
Le chasseur TFX Kaan turc représente un formidable effort pour l’industrie de défense du pays, à laquelle il ne manque désormais plus que la conception de turboréacteurs militaires pour être parfaitement autonome.

Or, dans tous ces pays, ce calendrier représenterait un enjeu de taille pour maintenir les compétences industrielles aéronautiques militaires, dans l’attente de la production des chasseurs Tempest britanniques et italiens, issus du programme GCAP, et NGF allemands et espagnols du programme SCAF.

Dans ce contexte, la signature du contrat turc pourrait représenter la bouée de sauvetage indispensable pour garantir un chevauchement suffisant de la production entre les deux générations d’avions de combat, et ainsi préserver les compétences industrielles autrement menacées. En outre, même en France, qui pourrait portant bénéficier de la décision de Berlin concernant l’Arabie Saoudite, et qui, sans le moindre doute, se montrerait satisfaite d’une force aérienne turque sans Typhoon, l’opposition de Berlin à l’exportation de ces deux contrats inquiète, y compris le PdG de Dassault Aviation.

Les enjeux au-delà des 40 Eurofighter Typhoon pour l’industrie de défense turque

Si Berlin venait à rester ferme sur le sujet, cela handicaperait évidemment la modernisation, à court terme, des forces aériennes turques. Mais, cela pourrait, également, avoir une influence notable sur le programme Kaan, et son calendrier.

En effet, comme évoqué précédemment, si l’industrie turque a fait des progrès spectaculaires ces deux dernières décennies, certaines technologies clés lui font toujours défaut, notamment pour ce qui concerne la conception d’un turboréacteur de facture nationale. Selon le cahier des charges du Kaan, l’appareil doit initialement être équipé de deux turboréacteurs General Electric F110, identiques à ceux qui propulsent actuellement les F-16 des forces aériennes turques.

Ce moteur est fabriqué et maintenu depuis plus de 25 ans dans le pays. Pour autant, si les Etats-Unis ne se sont pas opposés, jusqu’ici, à l’utilisation de ce moteur soumis à licence, pour la conception de l’appareil et des prototypes, il existe un risque important que cette licence ne soit pas étendue aux appareils de série, surtout si le Congrès américain demeure ferme face à Ankara.

EJ200 Eurofighter Typhoon
Le turboréacteur EJ200 de l’Eurofighter Typhoon pourrait représenter une alternative efficace pour le TFX Kaan si la licence de production du F110 n’était pas donnée à la Turquie par les Etats-Unis.

Ankara a, évidemment, entrepris de developper un turboréacteur national, avec l’aide de l’Ukrainien Motor Sich. Reste que la conception d’un moteur performant, répondant aux exigences de fiabilité et de performances des avions de combat modernes, est un exercice particulièrement complexe. Il suffit d’observer les efforts déployés par la Chine et l’Inde dans ce domaine, avec des moyens considérables sur plusieurs décennies, pour s’en convaincre.

Dans ce contexte, l’acquisition de 40 Typhoon équipés chacun de deux turboréacteurs EJ200, moins puissant, mais beaucoup plus compact, léger et économique que le F-110, pourrait offrir une solution efficace pour la propulsion du Kaan, en particulier si un accord de transfert de technologies avec Rolls-Royce était trouvé. Rappelons, à ce titre, que le motoriste britannique était partie prenante du programme TFX initialement, avant de s’en retirer faute d’un accord satisfaisant avec Ankara en 2017.

Le nouveau contexte qu’une commande salvatrice de 40 chasseurs Eurofighter pourrait engendrer, pourrait alors créer les conditions favorables pour qu’un accord dans ce domaine soit trouvé, permettant à l’industrie turque d’acquérir une des dernières technologies lui faisant défaut pour atteindre l’autonomie stratégique visée par R.T Erdogan.

Un apparent effort de R.T Erdogan pour normaliser les relations avec la Grèce

Est-ce pour tenter d’amadouer américains et allemands, et ainsi obtenir les autorisations d’exportations nécessaires pour atteindre l’autonomie stratégique d’ici à quelques années ? Quoi qu’il en soit, le président turc a entrepris, ces dernières semaines, de normaliser les relations entre son pays et la Grèce.

Ainsi, il y a tout juste une semaine, le président Erdogan s’est rendu à Athènes pour rencontrer son homologue grec, le premier ministre Kyriakos Mitsotakis. L’objectif affiché par les deux hommes était d’apaiser les tensions de ces dernières années entre les deux pays, en particulier en mer Égée et autour de Chypre, avec en ligne de mire, la découverte d’importantes réserves de gaz au large de l’ile.

Orus Reis chypre
Le navire d’exploration minière sous-marine Orus Reis turc a plusieurs fois été dépêché dans la ZEE grecque et chypriote pour mener des forages, en violation des règles internationales et au risque de déclencher de dangereux incidents entre Méditerranée Orientale.

À cette occasion, le président turc s’est montré particulièrement optimiste, répétant à plusieurs reprises qu’il n’existait aucun problème entre les deux pays, qui ne pouvait être résolu par la discussion et la négociation.

Force est de constater, toutefois, que cette nouvelle posture du chef d’État turc, est en parfaite opposition avec celle qu’il avait suivie ces dernières années, allant jusqu’à menacer Athènes de frappe par des missiles balistiques turcs. À plusieurs reprises, en outre, la marine et les forces aériennes turques, sont venus défier leurs homologues grecques en mer Égée comme autour de Chypre, frôlant, à plusieurs reprises, l’incident qui aurait pu provoquer une escalade incontrôlable.

Conclusion

De fait, on ne peut pas s’empêcher de faire le lien avec le revirement sévère récent de la posture d’Ankara face à son voisin, et l’impérieuse nécessité, pour le pays, d’obtenir les autorisations d’exportation d’armement et de technologies de défense.

Celles-là mêmes lui permettront à l’industrie de défense turque de mener à leur terme certains programmes critiques, comme dans le domaine de l’aviation de chasse, des hélicoptères, ou des sous-marins, et ainsi atteindre la tant convoitée autonomie stratégique susceptible de liberté d’action et de décision pour l’ambitieux président turc.

Il est probable que les autorités allemandes sont parfaitement conscientes de l’ensemble de ces enjeux, raisons pour lesquelles elles se montrent prudentes quant à l’autorisation d’exportation des Eurofighter Typhoon vers Ankara. Cependant, face à la pression de Londres et de Madrid, peut-être aussi de Rome, mais de manière plus discrète, afin de ne pas ruiner les chances de Fincantieri concernant les corvettes grecques, il sera difficile à Berlin de conserver cette position, surtout après l’épisode saoudien.

Une chose est certaine, cependant. La solidarité européenne ne représente pas, pour certains pays, un enjeu suffisant pour s’abstenir de signer un juteux contrat d’armement, d’autant plus quand l’avenir de toute une filière s’y trouve lié.

L’Italie rejoint et renforce le programme MGCS, au prix d’une petite humiliation pour la France

Le groupe KNDS et l’Italien Leonardo ont annoncé la signature d’un partenariat stratégique marquant l’entrée de Rome dans le programme MGCS, et la future acquisition de Leopard 2A8 par l’Italie. Mais, alors que la France avait laissé entendre, il y a quelques mois, qu’elle était prête au bras de fer avec Berlin pour intégrer l’Italie à ce difficile programme, c’est Berlin, et non Paris, qui est présenté comme le partenaire clé de Rome dans cette concrétisation.

Quand la France voulait imposer l’Italie dans le programme MGCS

À la fin du mois d’aout 2023, alors que le programme MGCS, qui doit permettre le remplacement des chars Leopard 2 allemands et Leclerc français, faisait l’objet de nombreuses inquiétudes, des indiscrétions, faites par les autorités françaises auprès de certains journalistes spécialisés, avaient laissé penser que la France s’apprêtait à entamer un bras de fer avec Berlin, pour permettre à l’Italie de rejoindre le programme.

À ce moment-là, il s’agissait, pour la France, de rééquilibrer les rapports de force industriels au sein de ce programme en état de stase depuis 3 ans, déstabilisé qu’il avait été par l’arrivée de Rheinmetall en 2019, et l’attitude ambiguë de l’industriel allemand depuis cela. En outre, l’Allemagne était alors présentée, par ces mêmes sources, comme la force d’opposition à cette possibilité, précisément afin que l’industrie outre-Rhin puisse en conserver le contrôle national.

Leopard 2A8
L’Italie va commander 125 chars Leopard 2A8 auprès de KNDS, avec un important volet industriel.

Bien que crédible, cette hypothèse n’était cependant que peu étayée par des faits, et notamment l’absence de prises de positions publiques à ce sujet, de la part des autorités françaises, ni du ministre des Armées, Sébastien Lecornu. Quelques jours plus tard, début septembre, la crédibilité de cette information était écornée, alors que l’Allemagne, l’Espagne, la Suède et surtout l’Italie, annonçaient s’engager conjointement dans un programme européen d’étude concernant, justement, l’avenir du char de combat.

D’autre part, Rome avait rendu publique, dès le mois de juillet, son intention d’acquérir 125 Leopard 2A8 pour remplacer une partie de ses chars de combat C1 Ariete, et ainsi moderniser sa cavalerie blindée. Cette annonce avait, alors, laissé spéculer que l’Italie entendait user de cette commande tel un sésame pour rejoindre le programme MGCS.

À ce sujet, fin septembre, Sébastien Lecornu, et son homologue allemand Boris Pistoruis, indiquaient conjointement reprendre la main sur ce programme, pour le sortir de l’impasse dans laquelle il se trouvait. En revanche, de l’Italie, il ne fut pas question. Paris avait-il échoué dans son bras de fer avec Berlin ?

Rome et Leonardo signent un partenariat stratégique avec Berlin et KNDS pour 125 Leopard 2A8 et rejoindre le programme MGCS

On connait désormais le fin mot de cette histoire, alors que KNDS et Leonardo viennent d’annoncer la signature d’un partenariat stratégique ouvrant la voie à l’acquisition des 125 Leopard 2A8 italiens, accompagnée d’une importante composante industrielle, mais également, et surtout, permettant à l’Italie, et son industriel majeur, de rejoindre le programme MGCS comme membre de plein droit.

Le communiqué de presse publié par KNDS ne donne que peu de détail au sujet de la participation de l’Italie et de Leonardo au programme MGCS, comme à celui de son financement. Comme évoqué dans un précédent article, il ne fait guère de doute que ce bouleversement permettra de réorganiser le partage industriel d’une manière plus efficace, et ainsi de contenir les ambitions à peine dissimulées de Rheinmetall concernant son KF51 Panther, comme alternative au MGCS lui-même.

C1 Ariete
Les Leopard 2A8 italiens vont remplacer une partie des C1 Ariete actuellement en service dans les unités de cavalerie blindée italiennes.

On peut penser, dans ces conditions, que cette évolution sera au bénéfice mutuel de l’Allemagne, de la France et, bien évidemment, de l’Italie. C’est aussi le cas pour KNDS qui, en tant que partenaire clé de Leonardo, se positionne de manière centrale et incontournable face à Rheinmetall, comme le pivot de ce programme.

Une communication mal conduite par le ministère des Armées

En revanche, cette annonce peut apparaitre comme une humiliation pour Paris, après les déclarations du mois d’aout. À ce sujet, il existe deux hypothèses pour expliquer la cacophonie alors créée. D’abord, il est possible qu’effectivement, la France ait dû faire preuve de fermeté auprès de Berlin, afin de faciliter l’arrivée de Rome dans le programme. Toutefois, l’acquisition de Leopard 2 par l’Italie, aura donné, à court terme et en matière de communication, la prévalence à Berlin pour ce qui concerne le parrainage de ce dossier.

Ensuite, on ne peut exclure que l’information initiale était erronée, et que jamais la France n’a eu besoin d’entrer dans un quelconque rapport de force avec Berlin au sujet de l’arrivée de l’Italie dans le programme. Dans un cas comme dans l’autre, l’absence de démentis de la part du ministère des Armées, voire de KNDS, face aux affirmations faites, est probablement à l’origine de sentiment ambigu qui résulte de ces annonces successives aujourd’hui.

FMC/FMAN missiles
L’Italie a déjà été appelée à la rescousse pour redynamiser le programme franco-britannique FMAN/FMC, il y a quelques mois.

Quoi qu’il en soit, au-delà de cet aspect quelque peu déplaisant, l’arrivée de Leonardo et de Rome dans le programme MGCS, représente très certainement une bonne nouvelle, et augmente sensiblement les chances de le voir aller à son terme, notamment en diluant le rôle et le poids de Rheinmetall.

Notons aussi qu’en quelques mois, c’est la seconde fois que l’Italie rejoint un programme européen pour le redynamiser, après l’annonce de l’arrivée de l’Italie et de ce même Leonardo, dans le programme de missiles FMC/FMaN franco-britannique.

À croire qu’en matière d’industrie de défense et de programmes en partenariat, les ménages à trois s’avèrent plus robustes que les couples. À méditer…

Le vol d’essai du planeur hypersonique VMAX était le fruit d’une collaboration franco-américaine.

Le 26 juin 2023, la recherche aéronautique et de défense française franchissait une étape majeure, avec le premier vol d’essai du planeur hypersonique VMAX, dans le ciel de Biscarrosse, dans les Landes. Les évolutions du planeur, volant à plus de Mach 5, avaient tracé, ce jour, un motif impressionnant dans le ciel, démontrant, sans équivoque, ses capacités de manœuvre pour déjouer les défenses antimissiles adverses au besoin. Mais bien peu savent que ce succès n’a été rendu possible que grâce à l’aide technologique de l’US Navy.

Le vol d’essais du planeur hypersonique VMAX du 26 juin 2023

Cette étape avait été unanimement saluée par la presse généraliste comme spécialisée, alors que le ministre de lé défense se félicitait sur les réseaux sociaux d’une avancée majeure pour la technologie française. Le planeur hypersonique VMAX a, en effet, été developper conjointement par l’ONERA et Ariane Espace, sous le Control de la Délégation générale pour l’Armement, la DGA.

Ce que l’on sait moins, en revanche, c’est que le succès du 26 juin, est le fruit d’une intense coopération entre ces industriels et centre de recherche français, et les équipes du détachement Naval de l’US Navy de White Sands, dans le Nouveau-Mexique, spécialisée dans la conception de lanceurs tactiques.

planeur hypersonique VMAX vol d'essai du 16 juin 2023
Le vol d’essai du planeur hypersonique VMAX du 26 juin 2023, a tracé un motif visible à plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde au-dessus de Biscarrosse.

Un article publié par le site Dvidshub.net, spécialisé sur les sujets de recherche et de technologie de défense aux Etats-Unis, vient, en effet, de lever le voile sur ce programme trans-atlantique, qui rassemble des équipes françaises et américaines depuis 2020, aussi bien au Nouveau-Mexique que dans les Landes, et dont le vol du 26 juin constituait la seconde étape baptisée FS-1, après une première étape au succès mitigée, FS-0, qui a eu lieu en octobre 2021.

Le rôle clé de l’US Navy et des équipes de White Sands dans ce vol d’essai réussi

En effet, le premier tir FS-0, d’un lanceur à deux étages, mais sans charge utile, a tourné court après une panne électrique survenue après le décollage. Toutefois, il semble que l’ensemble des objectifs clés de la mission avaient été atteints, ouvrant la voie, non sans appréhension, il est vrai, au lancement FS-1.

Contrairement à FS-0, FS-1 s’appuyait sur une fusée à 3 étage (un booster Terrier et deux étages oriole), et surtout emportait pour la première fois la charge utile française, le planeur hypersonique VMAX français. Il fallut, en outre, aux équipes américaines, gérer les questions de bouclier, de correction de trajectoire, et bien entendu, de séparation, pour mener à bien leur partie de la mission, avant de céder la main au planeur hypersonique français.

La suite, nous la connaissons. Le tir s’est déroulé comme prévu, et le planeur VMAX a pu faire la démonstration de ses capacités, tout en alimentant l’ONERA et Ariane Espace de tonnes de données qui permettront, par la suite, d’affiner leurs modèles.

lanceur 3 étages chite sands us navy
Le lanceur terrier-oriole-oriole à 3 étage employé pour le lancement du planeur hypersonique VMAX le 16 juin 2023

Cet épisode montre, s’il était besoin, qu’au-delà de la compétition qui peut exister entre Paris et Washington dans certains domaines, comme au sujet des avions de combat ou des sous-marins australiens, les deux pays parviennent à collaborer très efficacement, lorsque nécessaire, y compris dans le domaine de la recherche appliquée en matière de défense. Et de noter que sans l’appui des équipes de White Sands, et de certains industriels américains comme Kratos, l’essai du VMAX aurait pur être retardé de plusieurs mois, surement, même, de plusieurs années.

L’aide américaine a fait gagner plusieurs années aux programmes de missiles hypersoniques français et européens

Pour rappel, la technologie des planeurs hypersoniques permettra de developper des armes hypersoniques à grande capacité de manœuvre, susceptibles de passer au travers d’une defense antimissile multicouche moderne, tout en venant frapper leurs cibles avec une grande précision. Cette technologie va jouer, dans les années à venir, un rôle déterminant dans la conception des armes nucléaires, stratégiques et tactiques, mais également dans celle de certains missiles conventionnels, comme les missiles antinavires lourds.

La France et son industrie de défense sont précisément engagées, en ce moment même, dans la conception de la prochaine génération de ce type d’arme, avec le missile nucléaire aéroporté ASN4G qui doit prendre le relais du missile supersonique ASMPA en 2035, ainsi que le futur missile anti-navire FMaN, codéveloppé avec la Grande-Bretagne et l’Italie, aux côtés du futur missile de croisière, et qui pourrait être, lui aussi hypersonique.

Un Rafale F3 de la composante aerienne de la dissuasion francaise equipe dun missile ASMPA Armes et missiles hypersoniques | Actualités Défense | Coopération internationale technologique Défense
Le successeur du missile ASMPA, l’ASN4G, sera probablement hypersonique, donc équipé d’un planeur hypersonique, pour pénétrer les défenses antimissiles adverses les plus évoluées.

De fait, disposer, aujourd’hui, des données recueillies par le vol d’essai du VMAX en juin dernier, revêtait une importance essentielle dans le bon déroulement de ces programmes majeurs et parfois stratégiques, visant à entrer en service entre 2028 et 2035.

En outre, si la coopération industrielle de défense franco-américaine existe, mais est relativement rare, la coopération militaire, entre les forces des deux pays, est, en revanche, fréquente et d’autant plus efficace que les deux armées se connaissent bien, se respectent et ont une réelle confiance mutuelle construite sur de nombreux engagements conjoints.

Sans venir nier les points de désaccords et de friction qui opposent occasionnellement Paris et Washington, et sans sombrer dans une vision idéalisée du lien transatlantique, il convient donc de garder à l’esprit, surtout lorsque le débat s’enflamme, que la France et les Etats-Unis sont des alliés de très longue date qui, en dépit de certaines frictions, savent coopérer très efficacement sur les sujets d’importance.

Le programme SSN-AUKUS se dirige-t-il vers une impasse industrielle ?

Présenté officiellement en mars 2023, le programme SSN-AUKUS, qui vise à équiper la Marine australienne de huit sous-marins nucléaires d’attaque, et à developper une nouvelle classe de SNA conjointement entre la Grande-Bretagne et l’Australie, a fait l’objet de plusieurs interrogations depuis son lancement. Mais, l’analyse publiée par le site australien strategicanalysis.org, pourrait bien poser une question incontournable et pourtant sans réponse satisfaisante, concernant sa soutenabilité industrielle.

Qu’il s’agisse de ses couts, directs ou induits, qui pourraient dépasser les 350 Md$ pour Canberra, des effets de captations sur les autres programmes australiens, mais aussi britanniques, engendrés par ces couts exorbitants, ainsi que du retour industriel particulièrement faible pour Canberra, de nombreux sujets ont, tour à tour, défrayés la chronique d’une certaine partie de la presse australienne depuis quelques mois, sans toutefois engendrer de réaction de la part des trois gouvernements concernés.

Mais, un article publié récemment sur le site Strategic Analysis Australia, pourrait être, quant à lui, plus difficile à ignorer. En effet, l’analyse faite par Michael Shoebridge, montre qu’en l’état des annonces, et des réalités industrielles présentes et à venir, il se pourrait bien que ce programme aboutisse, à terme, à une impasse industrielle, venant affaiblir la posture défensive australienne, à un moment où celle-ci sera le plus nécessaire.

L’article australien construit son analyse sur trois rapports dernièrement publiés ces dernières semaines, deux sont américains, le dernier est britannique.

Le rapport du CBO américain sur la soutenabilité du plan d’équipement de l’US Navy

Le premier de ces rapports a été publié par le Congress Budget Office, ou CBO, un organe indépendant dépendant du Congrès, en charge de l’évaluation des requêtes budgétaires transmises au Parlement américain. Rappelons qu’outre-atlantique, c’est le Congrès, et non l’exécutif, qui a le dernier mot en matière de budget de défense, mais aussi de financement des programmes d’armement réclamés par le Pentagone et l’exécutif.

US Navy porte-avions
Le plan d’équipement de l’US Navy, transmis au Congrès dans le cadre de la loi de financement des armées de 2024, repose sur trois options, mais aucune d’elle n’est finançable sans une hausse importante de ses crédits d’équipements.

Ce rapport porte sur l’évaluation du plan, ou plutôt des plans, puisqu’il y en a 3, d’équipements fournis par l’US Navy, dans le cadre de la loi de finance du Pentagone de 2024. Sans entrer dans les détails, celui-ci insiste sur le fait que les trois plans d’équipements produits par l’US Navy, nécessiteraient une hausse considérable du budget d’acquisition de nouveaux navires, sur la base du budget actuellement disponible et planifié, sans qu’aucune solution pour garantir le financement de cette hausse, n’ait été présentée.

Le rapport du CRS américain, sur les possibilités d’évolution de la fabrication de sous-marins nucléaires pour l’US Navy

Le second rapport américain, plus précis sur le sujet des sous-marins nucléaires et de la problématique SSN-AUKUS, a été rédigé par le Congress Research Service, ou CRS, à nouveau un organisme indépendant du Congrès américain, chargé de fournir des conseils sur la législature examinée, en l’occurrence, la loi de financement des armées US pour 2024.

Ce rapport juge comme bien trop ambitieux et optimiste, le plan de l’US Navy qui vise à augmenter de 150 % la production de sous-marins nucléaires d’ici à 2028, comme évoqué, il y a quelques jours, sur notre site. Selon le CRS, l’US Navy a largement sous-évalué les difficultés auxquelles elle sera exposée pour atteindre un tel objectif, qui suppose de passer de la construction de 1,4 sous-marin de la classe Virginia chaque année, à 2 Virginia et un nouveau sous-marin nucléaire lanceur d’engins de la classe Columbia, d’ici à cinq ans.

programme SSN-aukus Classe Virginia
Pour pouvoir vendre les trois SNA classe Virginia à l’Australie dans le cadre du programme SSN-AUKUS, les chantiers navals américains vont devoir augmenter leurs cadences de production de plus de 150 %

S’il sera très difficile d’atteindre cet objectif nécessaire pour exécuter le plan de modernisation de l’US Navy face aux Marines chinoise et russe, la production d’un SNA supplémentaire tous les trois ans, exigée par le Congrès pour autoriser la vente de 3 Virginia à la Marine australienne, dans le cadre du programme SSN-AUKUS, semble quant à elle, pratiquement inaccessible.

Le rapport du NAO sur le financement du plan d’acquisition décennal des armées britanniques

Le troisième rapport, venant parfaire ce tableau déjà bien obscurci, émane pour sa part du National Audit Office britannique, ou NAO, et porte sur l’analyse du plan d’acquisition décennal du ministère de la Défense, équivalent de la LPM française, sur la période 2024-2033. À l’instar du rapport américain du CBO, celui du NAO britannique pointe l’inadéquation entre les couts constatés et les budgets planifiés, en particulier concernant deux programmes, celui des sous-marins nucléaires et celui des frégates.

Ainsi, le cout du programme de conception de sous-marins nucléaires, a augmenté de 62 % ces dernières années sur la période concernée, soit une hausse totale de 38 Md£, alors que le programme de frégates Type 26, qui concerne aussi la Royal Australian Navy, a augmenté pour sa part de 41 % et 16 Md£. Ces hausses sont la conséquence de l’inflation récente, mais aussi des évolutions des besoins exprimés par la Marine britannique pour ses futurs navires.

Astute class SSN Royal Navy
Il va manquer plusieurs dizaines de milliards de Livres Sterling à la Royal Navy pour pouvoir financer ses programmes de sous-marins nucléaires et de frégates d’ici à 2033.

Or, comme dans le cas des plans de l’US Navy, aucun dispositif ou plan susceptible de financer ces surcouts, n’a été présenté à ce jour, laissant donc aux dirigeants des années à venir, la responsabilité de libérer les budgets nécessaires pour y parvenir. Sans être totalement hors de propos, une telle réponse serait, pour ainsi dire, inespérée pour la Royal Navy, surtout que d’autres programmes, tout aussi critiques, comme l’avion de combat Tempest au sein du programme GCAP, vont, eux aussi, réclamer des crédits importants.

De fait, l’hypothèse la plus probable, concernant la conception et la fabrication des SSN-AUKUS qui devront remplacer les Astute de la Royal Navy à partir de 2040, consisterait à un étalement du programme, pour en accroitre la soutenabilité budgétaire. Et c’est bien là que tout le problème réside pour la Royal Australian Navy.

Le rapport bénéfices risques du programme SSN-AUKUS potentiellement très défavorable

En effet, l’action cumulée de ces trois rapports, fait apparaitre un risque que les Etats-Unis ne soient pas en mesure de livrer les 3 SNA classe Virginia promis à Canberra pour entamer sa transition et faire l’intérim pour remplacer les sous-marins Collins, alors même que l’arrivée des SSN-AUKUS, prévue pour 2040, pourrait être reportée de plusieurs années par Londres, afin de satisfaire aux exigences budgétaires.

En d’autres termes, il se pourrait bien qu’à partir de 2030, la Marine australienne se retrouve sans sous-marin pour protéger ses cotes et sa flotte, sauf à prolonger, une nouvelle fois, des Collins usés jusqu’à l’os et ne représentant plus un adversaire de taille face aux nouveaux sous-marins et navires de lutte ASM chinois, ou à faire l’acquisition, dans l’urgence, d’une solution intérimaire, venant à nouveau alourdir la note déjà considérable pour Canberra de ce programme.

Type 054B marine chinoise
Les risques auxquels le programme SSN-AUKUS expose la Royal Australian Navy, intervient alors que la menace navale chinoise croît très rapidement.

Surtout, cette faiblesse en devenir, interviendrait précisément lorsque les tensions entre la Chine et les Etats-Unis seront à leur paroxysme, au-delà de 2027, alors que la Marine chinoise disposera de nouvelles capacités faisant, le plus souvent, jeu égal avec les meilleures technologies occidentales du moment.

Bien évidemment, il existe un scénario dans lequel tout pourrait se passer comme prévu, si l’US Navy obtient l’ensemble des financements réclamés de la part de l’exécutif et du congrès américain pour les 20 années à venir, si les chantiers navals américains parviennent effectivement à multiplier par 4 leurs effectifs en seulement sept ans, pour répondre aux ambitions de production, et si Londres venait à apporter son effort de Défense au-delà de 3% de son PIB.

Tout cela, naturellement, si et seulement si, le triptyque USA-UK-Australie évolue avec une parfaite cohésion et une grande stabilité politique et économique pendant, là encore, les 20 années à venir, et même les 30. Reconnaissons que cela fait beaucoup de « si », et que les chances d’y parvenir semblent, aujourd’hui, particulièrement faibles.

Conclusion

La question posée par l’analyse de Michael Shoebridge, est donc de déterminer si le rapport bénéfices risques du programme SSN-AUKUS, demeure suffisant pour justifier sa poursuite, ou s’il est préférable, au contraire, d’y renoncer, tout au moins dans sa forme actuelle, pour prendre une posture plus conservatoire, mais aussi beaucoup plus sûre au regard du développement en cours de la menace.

Pas certain qu’il y ait un responsable politique australien, américain ou britannique, pour poser objectivement la question, face aux enjeux politiques considérables qui entourent ce programme.

CAESAR Mk2, griffon MEPAC : L’artillerie belge sera de conception française

Les députés belges ont validé la commande des 19 canons CAESAR NG précédemment annoncés, mais également de 24 systèmes de mortier mobile Griffon MEPAC, venant renforcer l’interopérabilité future entre les forces terrestres des deux pays.

En dépit de l’épisode des F-35A commandés par Bruxelles en 2019, plutôt qu’un chasseur européen, la Belgique est aujourd’hui l’un des principaux partenaires à l’exportation de l’industrie de défense française, avec les programmes CaMo et McM. De toute évidence, les armées belges vont continuer à se tourner vers la BITD tricolore.

Programme CaMo, programme McM, VBAE : la Belgique est le deuxième client à l’exportation en Europe de l’industrie de défense française

Qu’il s’agisse de vouloir donner des gages à Paris pour pouvoir rejoindre le programme SCAF, ou d’une réelle appétence pour les équipements français, la Belgique est aujourd’hui, après la Grèce, le second client européen à l’exportation de l’industrie de défense française, au travers principalement de deux contrats majeurs, le programme Capacité Motorisé, ou CaMo d’une part, et le programme de guerre des mines McM de l’autre.

Programme McM Belgique Pays-bas France
La Marine belge mettre en œuvre six navires de guerre des Mines MCM, comme la Marine néerlandaise. La Marine nationale va, elle aussi, s’équiper de ce modèle de navire.

Au total, ces deux programmes représentent un investissement de 4 Md€ pour Bruxelles, soit sensiblement autant que le montant alloué à l’acquisition des F-35A américains, dont le premier exemplaire a été présenté publiquement, il y a quelques jours. À ces deux programmes, signés en 2019, se sont ajoutés, depuis, plusieurs autres, dont l’acquisition de neuf canons CAESAR, de missiles Mistral 3 et de missiles antichars MMP.

Et la dynamique ne semble pas devoir s’interrompre. Ainsi, la semaine dernière, Bruxelles et Paris ont lancé, conjointement, dans le cadre de l’OCCAR, le développement du Véhicule Blindé d’Aide à l’Engagement, ou VBAE. Confié aux français Arquus et KNDS, et au belge John Cockerill Defense, ce programme visera à concevoir le blindé léger 4×4 qui prendra le relais des VBL au sein des forces françaises, à l’horizon de 2030, avec un marché potentiel de l’ordre de 2 000 véhicules pour ces deux armées, auxquelles pourraient bien se joindre, prochainement, les armées néerlandaises.

19 CAESAR Mk2 et 24 Griffon MEPAC pour l’artillerie belge

Quelques jours plus tard, c’était au tour du Parlement belge de valider deux programmes d’acquisition clés pour l’artillerie du pays, aujourd’hui armée uniquement d’obusiers tractés légers LG1 de 105 mm, et de mortiers de 120 mm, eux aussi tractés.

Le premier programme concerne l’acquisition de 19 canons CAESAR Mk2 de 155 mm, ceux-ci venant s’ajouter aux 9 exemplaires déjà commandés préalablement, pour un total de 28 systèmes d’artillerie lourds mobiles. Ayant largement fait ses preuves au Levant, au Mali et, plus récemment, en Ukraine, le CAESAR va considérablement accroitre le potentiel d’appui feu et de destruction de l’artillerie belge, tout en accentuant l’interopérabilité des forces terrestres des deux pays qui partagent déjà la bulle SCORPION.

CAesar 55eme birage ukraine Armes et missiles hypersoniques | Actualités Défense | Coopération internationale technologique Défense
Les canons CAESAR français s’avèrent d’excellentes alternatives mobiles à l’artillerie tractée, tout en restant bien plus économiques que l’artillerie autotractée traditionnelle.

À ces 28 systèmes lourds, se sont ajoutés, avec l’aval des députés, 24 systèmes Griffon MEPAC, pour « Mortier Embarqué pour Appui au Contact ». Comme son nom l’indique, le griffon MEPAC s’appuie sur le véhicule blindé 6×6 VBMR Griffon, déjà acquis 382 exemplaires par l’Armée de terre belge aux côtés de 60 EBRC Jaguar dans le cadre du programme CaMo1, et des CAESAR NG dans le cadre de CaMo2. À noter que l’acquisition de VBMR-L Serval serait aussi en discussion.

Le MEPAC met en œuvre le mortier 2R2M rayé/embarqué de 120 mm, développé par Thales. Selon le constructeur, celui-ci s’avèrerait deux fois plus précis que le mortier 120 RT employés actuellement par les régiments d’artillerie français, et permettrait une mise en batterie en quelques secondes seulement. Il disposerait également d’une grande cadence de tir de 10 obus par minute, en faisant un outil d’appui feu idéal pour la doctrine très dynamique SCORPION.

Une plus grande densité d’équipements pour les armées belges

On constatera, de manière intéressante, qu’avec un effectif de seulement 10 500 hommes, les forces terrestres belges auront une dotation bien plus dense en matière de MEPAC qu’en France, avec un système pour 437 hommes contre un système pour 1425 hommes pour la seule FOT française, comme c’est déjà le cas pour les blindés (un griffon pour 29 hommes contre un pour 42 hommes), et pour les CAESAR (1/375 h contre 1/706 h).

griffon MEPAC
Les VBMR appartiennent à la bulle de combat infocentrée SCORPION

En revanche, la représentativité de l’Armée de terre sur la population est beaucoup plus faible, avec un militaire pour 1 100 habitants en Belgique, contre un pour 880 civils pour les militaires appartenant à la FOT en France, et un pour 570 habitants pour l’ensemble de l’Armée de terre.

Quoi qu’il en soit, cette nouvelle confirmation, venue de Bruxelles, renforce un peu plus l’interopérabilité à venir entre les armées françaises et belges, et marque, une nouvelle fois, la confiance de Bruxelles dans la BITD française.

Quelles questions l’attaque de la frégate Languedoc amène-t-elle ? (1/2)

Le 9 décembre, à 110 km des côtes yéménites, la frégate Languedoc (D643) de la Marine nationale, a abattu deux drones lancés à partir des cotes du Yémen, qui se dirigeaient « droit sur le navire ». Si cet épisode marque une escalade, tout au moins côté français, dans le conflit opposant aujourd’hui Israël et le Hamas, soutenu de toute évidence par l’Iran et ses séides, et s’il démontre, sans le moindre doute, l’excellence de l’entrainement, de la doctrine et des équipements employés par la Marine française, il pose aussi de nombreuses questions qui, loin d’être polémiques, méritent un examen attentif dans cet article en deux parties.

Type de drone, armement employé par la frégate Languedoc : de nombreuses inconnues demeurent

Pour analyser cet événement, il convient, dans un premier temps, de reconnaitre que de nombreuses inconnues demeurent. En effet, pour des raisons de sécurité évidente, pour la frégate elle-même, comme pour celle des navires commerciaux croisant dans la zone, le communiqué du 10 décembre, diffusé par l’État-major des Armées, se veut réduit à l’essentiel.

aster 15 tir d'une frégate fremm
Départ d’un missile surface-air Aster 15 à partir d’une frégate classe Aquitaine

On ignore ainsi quel a été le type de drone employé par les Houthis, donc leurs performances et leurs capacités de ciblage et de détection. Le communiqué de l’EMA désignant les menaces comme des drones, on imagine aisément que la frégate a pu obtenir des données sur les cibles, comme leur vitesse et les liaisons de données, permettant d’être affirmatifs dans ce domaine.

Notons aussi, pour couper court à certaines polémiques, que même si la frégate Languedoc avait été équipée de systèmes CIWS (protection antimissile rapprochée), moins onéreux à l’usage que les supposés Aster 15 employés ici, il est probable que le navire aurait fait usage de ces mêmes missiles contre ces menaces. Aucun commandant n’accepte, en effet, de mettre en danger son navire en laissant une menace se rapprocher, pour économiser quelques munitions, sauf à y être contraint.

Missile Aster 15, canon de 76 mm ou brouillage : quel système a été employé contre les drones yéménites ?

À ce titre, on ignore également quel système d’arme a été employé pour neutraliser les deux drones Houthis. L’hypothèse la plus probable est évidemment le missile surface-air Aster 15, qui aurait, pour l’occasion, effectué son baptême du feu. Mais la frégate française dispose de deux autres systèmes capables de neutraliser ces drones.

Le premier est le canon Oto-Melara SR de 76 mm, qualifié pour engager des cibles aériennes jusqu’à 8 000 mètres et des cibles navales au-delà de 20 km. Le second système repose sur les systèmes de brouillage et de guerre électronique embarqués à bord de la frégate, comme un brouillage de fréquence qui serait capable de couper la liaison de données du drone avec son contrôle terrestre, voire son éventuel (et très peu probable) autodirecteur radar.

Frégate classe Aquitaine
Gris plan sur la plage avant des frégates classe Aquitaine, avec le canon de 76 mm Oto-melara et les 4 systèmes SYLVER.

Notons à ce titre que, longtemps, la Marine nationale estimait que les puissants brouilleurs et lance-leurres armant ses frégates, constituaient une défense suffisante, et plus efficace, que les systèmes CIWS du moment, comme le Phalanx et le RAM américains.

Le ciblage de la frégate française par les forces Houthis interroge

Une seconde question se pose, concernant cet épisode. En effet, la frégate française évoluant à 110 km des cotes yéménites, donc sous l’horizon électromagnétique, le ciblage du navire était tout sauf évident, pour les opérateurs Houthis.

Selon le communiqué de l’EMA, les drones avaient, à chaque fois, une trajectoire d’interception vis-à-vis du navire français. S’il est éventuellement possible, bien que peu probable à 110 km des cotes, qu’un drone ait une trajectoire passant au-dessus du navire, pour viser une autre cible plus éloignée, les possibilités qu’un tel événement intervienne par deux fois, à deux heures d’intervalle (9:90 PM et 11:30 PM selon l’EMA), est statistiquement impossible, surtout sur une cible évoluant à plus de 15 nœuds.

SAMAD 3 drone houthis
Les Houthis emploient des drones à guidage GPS et électrooptique comme le SAMAD 3 pour tenter de frapper israël et les navires croisant en mer Rouge.

Dans ces conditions, il apparait que les opérateurs Houthis ont bénéficié d’une position et d’une trajectoire précise du navire français, d’autant plus que les drones sont relativement lents, et qu’il leur a fallu plusieurs minutes, voire plusieurs dizaines de minutes, pour rejoindre la zone dans laquelle évoluait la frégate. L’hypothèse la plus probable, ici, est que ceux-ci ont bénéficié de renseignements fournis par des navires de pêche, ou des navires commerciaux. Il faudra, à l’avenir, tenir compte de cette réalité pour les navires alliés évoluant dans cet espace menacé.

L’armement et l’équipement des frégates de la Marine nationale en question

Ceci étant posé, le débat lancé, à nouveau, hier sur les réseaux sociaux, concernant l’armement des navires français, et en particulier des frégates de premier rang de la Marine nationale, est probablement appelé à engendrer de nombreux commentaires, peut-être même des décisions politiques, dans les jours et semaines à venir.

Rappelons, à ce sujet, qu’en 2018, le Chef d’état-major de la Marine, l’amiral Prazuck, estimait que « le premier système de combat d’un patrouilleur, c’est son pavillon français« , en réponse à une question du député du Tarn, Philippe Folliot. Cette certitude de temps de paix, avait conditionné la conception d’une partie des navires, aujourd’hui en service au sein de la Marine nationale.

CIWS RapidFire navire de guerre des mines
Plusieurs unités secondaires de la Marine nationale seront protégées par le canon CIWS RapidFire

Et de fait, comme cela avait déjà été maintes fois traité dans nos articles, les frégates et navires français sont, le plus souvent, passablement sous-armés dans le domaine de la défense anti-missile et de la défense anti-aérienne, tout en étend redoutable, et reconnus comme tels, dans le domaine de la lutte anti-sous-marine ou de la frappe vers la terre.

Frégate polyvalente ou frégate spécialisée

Le second point d’importance, à poser en amont, concerne la distinction que l’on peut faire, entre une frégate polyvalente, et une frégate spécialisée. Une frégate spécialisée, par exemple, dans le domaine de la lutte anti-sous-marine, concentre ses moyens vers sa mission. De fait, elle n’a besoin que de capacités limitées à son autodéfense, dans les autres domaines.

Les frégates de défense aériennes de la classe Forbin sont un exemple représentatif de cette spécialisation. Celles-ci disposent, en effet, de moyens aériens avancés susceptibles de protéger, dans ce domaine, d’autres navires, en particulier les fameux ‘ »capital ship », comme le porte-avions ou les PHA de la classe Mistral. Pour cela, les Forbin disposent d’un puissant radar et de 48 missiles Aster 15 et 30, offrant une excellente couverture dans ce domaine, y compris contre d’éventuelles attaques de saturation.

Frégate de défense aérienne Forbin
La frégate Forbin est spécialisée dans la défense aérienne. Elle ne dispose que de moyens limités dans le domaine de la lutte anti-sous-marine.

En revanche, concernant la menace sous-marine, les navires n’emportent qu’un sonar de coque, et des moyens d’autodéfense. Dans ce domaine, les navires font reposer leur sécurité sur les capacités d’autres navires, spécialisés dans ce domaine. Auparavant, il s’agissait des frégates ASM de la classe Georges Leygues. Désormais, c’est le rôle des FREMM de la classe Aquitaine, bientôt épaulées par les 5 FDI de la classe Amiral Ronarc’h.

Il y a donc un évident problème lorsqu’une frégate spécialisée, est employée de manière isolée, comme une frégate polyvalente. En effet, même si la frégate Languedoc, de la classe Aquitaine, est équipée de missiles surface-air Aster 15 performants, elle peut s’avérer rapidement menacée en évoluant de manière isolée, face à un adversaire déterminé et disposant de moyens suffisants.

Ainsi, si en lieu et place de 2 drones lancés à 2 heures d’intervalle, les Houthis avaient lancé deux douzaines de drones contre le navire français, de manière simultanée, les 16 Aster 15 et le canon de 76 mm de la frégate française n’auraient probablement pas suffit, ne laissant comme espoir de salut au navire que ses systèmes de brouillage.

C’est là qu’intervient un dernier critère, mais il est de taille. Deux douzaines de drones, même évolués, ne couteraient que quelques millions d’euros à fabriquer, là où la frégate aura couté plus de 700 m€, et surtout que ses 120 membres d’équipage ont une valeur inestimable pour la Marine, et la nation.

L’absence de CIWS sur les navires français, un problème récurrent

La plupart des marines, occidentales ou non, ont tenté de répondre à ce type de menace de saturation dissymétrique, en déployant des systèmes de protection rapprochée, ou CIWS (Close-In Weapon System), sur leurs navires. Les plus connus d’entre eux sont les Phalanx et RIM-116 RAM américains, l’AK-630 et Pantsir-M russes, ou le HQ-10 chinois.

RIM-116 RAM
Le système RIM-116 RAM est un des CIWS les plus employés au sein des marines occidentales. Il emporte 21 missiles RAM dérivés du Sidewinder Air-air.

D’une portée réduite à quelques kilomètres, ces systèmes entre en jeu lorsque des menaces aériennes (mais aussi de surface), sont parvenues à franchir les défenses à longue et moyenne portée du navire. Par leurs capacités réduites, les CIWS ne peuvent assurer de défense que pour le navire porteur.

En revanche, ils ont certains avantages uniques. En premier lieu, ils permettent de considérablement renforcer la réponse disponible contre une menace. Un Phalanx dispose ainsi de 1 550 obus de 20 mm prêts à tirer, alors que le RIM-116 RAM emporte 21 missiles surface-air à courte portée.

En second lieu, ils sont, souvent, relativement légers, et ne requièrent qu’un espace réduit à bord du navire, pour être déployés. Le Phalanx ne pèse ainsi que six tonnes, et le RAM à peine davantage, avec une empreinte au sol et en volume relativement réduite. Enfin, ils sont relativement économiques, en comparaison des systèmes classiques.

En dépit de ces atouts, et pour des raisons essentiellement économiques, l’immense majorité des navires de la Marine nationale sont, aujourd’hui, dépourvus de ce type de système, en particulier les frégates de premier rang, que l’on voit bien, aujourd’hui, particulièrement exposées.

Fin de la première partie. Lire la seconde partie de l’article  » Quelles sont les options de la Marine nationale pour renforcer la protection de ses navires « .

Quelles sont les options de la Marine nationale pour renforcer la protection de ses navires ?

On peut penser que l’épisode de la frégate Languedoc, et le remous médiatique qu’il suscite déjà, pourront convaincre l’État-Major de la Marine nationale, et le ministère des Armées, de revoir leurs copies dans ce domaine. Soyons honnête, ils ne pourront le faire que si des crédits supplémentaires, fléchés vers ce type de besoin, étaient alloués d’une manière ou d’une autre.

Pourtant, aujourd’hui, l’industrie de défense française est en mesure de proposer plusieurs options, toutes ayant leurs propres avantages, pour renforcer la survivabilité des frégates de la Marine nationale, et plus généralement, de ses grandes unités de surface.

Seconde partie de l’article consacré à l’épisode de l’attaque de la frégate Languedoc. Lire la première partie  » Quelles questions l’attaque de la frégate Languedoc amène-t-elle ? « 

Augmenter le nombre de silos VLS – les emplacements réservés

La première des solutions, la plus évidente, consisterait à augmenter le nombre de silos à bord des frégates. En effet, les 32 silos des classes Aquitaine et Alsace, et les 16 silos de la classe Amiral Ronarc’h, sont loin de représenter une limite haute pour ces navires. La preuve en est, les frégates FDI acquises par la Grèce, emporteront 32 silos, et non 16 comme les navires français, ainsi qu’un CIWS Sea RAM sur le roof arrière.

FDI Grèce
Les FDI acquises par la Grèce sont armées de quatre systèmes Sylver 50 et d’un CIWS RAM sur le roof arrière, leur permettant d’emporter 32 missiles ASTER 30, comme les frégates antiaériennes françaises de la classe Alsace, ainsi que 21 missiles RAM d’autoprotection.

Augmenter le nombre de silos peut d’avérer une solution efficace, surtout lorsque des emplacements réservés ont été prévus à cet égard, comme sur les classes Forbin (2 Sylver 50 pour 16 missiles Aster), ou sur les classes Amiral Ronarc’h (deux Sylver 50 ou 70 pour missiles Aster 15/30 ou MdCN).

La doctrine française voulait que ces emplacements réservés puissent être employés pour augmenter la puissance de feu des navires, si les prémices d’une crise venaient à se faire ressentir. Cependant, et en dépit d’un grand nombre de crises, par ailleurs potentiellement majeures, qui se dessinent, aucune décision n’a été prise dans ce domaine à l’occasion de la LPM 2024-2030 votée il y a quelques mois.

Augmenter le nombre de VLS à bord des FREMM Aquitaine et Alsace sera, en revanche, un exercice plus difficile, donc long, onéreux et intrusif. En effet, le navire ne possède pas d’espace réservé pour cela, ce qui suppose, préalablement à l’ajout de VLS, de déplacer des systèmes existants. Une telle refonte est complexe, d’autant qu’elle pourrait venir altérer le centrage du navire, donc ses qualités nautiques et/ou, de discrétion acoustique, essentielles pour la lutte anti-sous-marine.

Naval Group et MBDA avaient, toutefois, étudié conjointement, il y a quelques années, une solution plus légère, reposant sur l’ajout de cellules de lancement VL MICA sur le côté du hangar aviation. Moins contraignantes que les VLS, les cellules de lancement verticales ne permettent pas un rechargement modulaire. En revanche, cette solution permettait d’ajouter, à moindres frais, 24 VL MICA à l’arsenal du navire.

Adapter dynamiquement l’armement embarqué à la mission

Une seconde solution, plus légère, pour accroitre les capacités de réponse d’une frégate à sa mission, serait de doter ses systèmes VLS Sylver du câblage et des systèmes de contrôle, permettant d’accueillir différents types de missile. Cette approche ne concerne, aujourd’hui, que les frégate de la classe Aquitaine, comme le Languedoc.

Marine nationale MdCN chargement sur frégate classe aquitaine
Les silos du système SYLVER 70 ne peuvent accueillir, aujourd’hui, que des missiles de croisière MdCN. La Marine nationale a annoncé, en 2021, qu’elle entamerait le déploiement des systèmes de contrôles partagés, leur permettant potentiellement d’accueillir des missiles surface-air Aster 30.

En effet, sur les 4 systèmes SYLVER du navire, deux sont de type Sylver 50, pour accueillir 16 missiles Aster 15 ou 30. Les deux autres sont des SYLVER 70, conçus pour mettre en œuvre le missile de croisière MdCN. En ajoutant le câblage et les calculateurs nécessaires, il serait alors possible d’accueillir des missiles Aster 30, en lieu et place de MdCN, dans les silos Sylver 70.

En procédant ainsi, les frégates pourraient voir leur panoplie de missiles aller de 16 Aster et 16 MdCN, jusqu’à 32 Aster, en passant par des solutions intermédiaires, comme 24 Aster et 8 MdCN.

Développer une solution multipack pour davantage de missiles ensilotés

Mais la solution la plus efficace, concernant les missiles en silo, serait incontestablement de developper une capacité du multipacking pour les systèmes SYLVER et, par exemple, le missile surface-air à courte portée VL MICA NG.

Le multipacking consiste à ensilotter plusieurs missiles dans un unique silo. C’est le cas, par exemple, du missile surface-air ESSM américain dans le VLS Mk41, permettant à quatre missiles de prendre place dans une unique cellule. On parle alors de « quadpack ».

ESSM Mk41
Le missile surface-air à moyenne portée ESSM américain peut être ensiloté par quatre missiles dans une unique cellule du VLS Mk41.

Si le VL MICA n’a pas les performances d’un Aster 15, bien qu’il s’en rapproche avec la version VL MICA NG, le missile est plus compact, et pourrait prendre place, à raison de 3 ou 4 missiles par silo, dans une cellule comme celle SYLVER 70 de 7 mètres de long. De fait, un unique SYLVER 70 dédié à cette fonction, ajouterait 32 missiles surface-air à courte/moyenne portée à l’arsenal d’une FREMM ou d’une FDI.

Notons également que cette capacité quadpack est aujourd’hui au cœur du succès commercial du missile ESSM et du VLS MK41 à l’export, les deux ayant été repris par plusieurs marines occidentales ces dernières années pour moderniser leurs navires, ou armer leurs nouvelles unités.

Reste que le développement d’une solution multipack pour le système VLS SYLVER serait une tâche complexe, longue et onéreuse, nécessitant un programme adapté pour y parvenir. Toutefois, il ne fait aucun doute, à la vue des circonstances et du marché international, que le jeu en vaudrait la chandelle, pour Naval Group comme pour MBDA.

RapidFire, LMP : les solutions CIWS françaises pour la Marine nationale

La dernière option, pour répondre aux besoins de protection des navires de la Marine nationale, serait, évidemment, d’y ajouter un ou plusieurs systèmes CIWS. Si la France n’avait pas de solution nationale dans ce domaine jusqu’il y a peu, en dehors des systèmes conçus autour du missile Mistral, elle en a désormais deux.

Thales RapidFire
Le système CIWS RapidFire de Thales/Nexter va armer plusieurs unités de soutien ou de second rang de la Marine nationale.

La première est le canon naval de 40 mm RapidFire, développé conjointement par Thales et Nexter sur la base du canon 40 CTA qui arme l’EBRC Jaguar de l’Armée de terre. Doté d’une munition intelligente A3B (Anti-Aerial AirBurst) comme des munitions plus conventionnelles, perforantes ou explosives, ce système d’artillerie naval peut prendre à partie des cibles navales qu’aériennes, y compris les drones, dans un rayon de 4 km.

Le RapidFire est doté d’un système de guidage électrooptique autonome, et peut-être couplé au système de combat du navire. Il arme déjà le nouveau bâtiment logistique Jacques Chevalier, et armera également les futurs patrouilleurs océaniques et bâtiment de guerre des mines de la Marine nationale.

Sa masse réduite lui permet en outre d’être proposé pour renforcer la défense antiaérienne, antimissile et antidrone des frégates de premier rang, avec une empreinte réduite sur le navire.

La seconde solution a été dévoilée en octobre dernier par Naval group à l’occasion du NID2023, son événement consacré à l’innovation du groupe. Le Lanceur Modulaire Polyvalent, ou LMP, est, comme son nom l’indique, un système de lancement permettant de mettre en œuvre différents types de munitions, de manière dynamique.

LMP Naval Group
Le LMP de Naval Group constitue probablement une réponse adaptée pour doter rapidement les frégates françaises d’une solution CIWS.

Doté de 4 conteneurs amovibles, il peut ainsi accueillir 4 missiles surface-air Mistral 3 par conteneur, mais aussi deux missiles MMP, 10 roquettes de 70 mm, des leurres infrarouges ainsi que deux grenades anti-sous-marines.

Un unique LMP peut donc, au besoin, accueillir jusqu’à 16 missiles Mistral 3, en faisant, de fait, une alternative attractive au RIM-116 américain. En outre, comme le RapidFire, le système a été conçu pour avoir une empreinte réduite sur le navire, de sorte que son ajout peut se faire sans évolution majeure.

Conclusion

Nous voilà au terme de ce long article destiné à éclaircir quelque peu le contexte autour de l’attaque de la frégate Languedoc, et des débats qui s’ensuivent sur la scène médiatique comme sur les réseaux sociaux. Comme expliqué, la riposte du navire français était nécessaire, adaptée et empreinte du professionnalisme que l’on attend d’un équipage de la Marine nationale.

Cet épisode montre que l’environnement dans lequel les navires français sont aujourd’hui appelés à évoluer, est radicalement différent de celui-ci d’il n’y a de cela que quelques années, alors que ses navires ont été conçus précisément pour répondre à un type de menace qui n’existe plus.

FLF Marine Nationale Armes et missiles hypersoniques | Actualités Défense | Coopération internationale technologique Défense
Classée frégates de 1ᵉʳ rang pas intérim, les FLF modernisées ne disposent d’aucun VLS, et uniquement de deux systèmes CIWS SADRAL armées de six missiles SATCP Mistral, un armement très insuffisant pour s’engager dans un théâtre de moyenne ou haute intensité. Les FLF disposent, elles aussi, d’un espace réservé pour accueillir des silos VLS, qui n’ont jamais été employés.

Il faudra, sans le moindre doute, mener une réflexion approfondie, mais rapide, sur les évolutions qu’il sera nécessaire de donner à ces navires, y compris les plus récents, pour répondre à ces enjeux, et ne pas s’exposer, par manque de clairvoyance, à des épisodes tragiques venant couter la vie à nos marins.

À ce sujet, la BITD navale française est loin d’être démunie, et est en mesure de proposer des solutions pertinentes, sur des délais relativement courts, pour transformer les frégates françaises afin de répondre à la nouvelle réalité de la menace. Qui plus est, il ne fait guère de doute que ces avancées profiteront aux exportations françaises, venant de fait amortir le surcout budgétaire qui pourrait être engendré.

Reste que si l’épisode yéménite à ses vertus éducatives, il ne doit pas masquer la tendance profonde allant vers une menace symétrique intense dans les années à venir, que ce soit contre la Russie, la Chine ou d’autres. Il ne s’agit donc pas, ici, de se focaliser simplement sur la seule menace drone Houthis, mais bien sûr le durcissement généralisé de celle-ci, et l’indispensable réponse qu’il faut y apporter, dans les quelques années à venir.

Le site antimissile AEGIS Ashore de l’OTAN en Pologne bientôt opérationnel, mais contre quoi ?

Lancé en 2009, le site antimissile AEGIS Ashore, construit près de Redzikowo dans le nord de la Pologne, à proximité de la cote de la mer Baltique et à l’ouest de Gdansk, représente la seconde installation de ce type déployé par l’OTAN en Europe, après qu’un premier site en Roumanie, sur la base aérienne de Deveselu, ait été déclaré opérationnel en 2016.

Le site antimissile AEGIS Ashore OTAN de Redzikowo bientôt opérationnel

À l’instar du système Aegis qui équipe les destroyers américains de l’US Navy classe Arleigh Burke, le site de Redzikowo accueille un radar AN/SPY-1, un système de silos verticaux VLS Mk41, et des missiles antibalistiques SM-3. Ce triptyque, articulé par le système AEGIS lui-même, constitue le cœur du bouclier antimissile de l’US Navy à bord de ses destroyers et croiseurs, mais aussi de plusieurs autres marines alliés, comme la Corée du Sud ou le Japon.

Son fonctionnement est relativement simple, tout au moins du point de vue conceptuel. La chaine de détection avancée, formée de satellites américains, détecte le départ de missiles balistiques adversaires, et transmet l’information aux différents sites alliés pouvant être concernés par la trajectoire des missiles.

site antimissile aegis ashore pologne
Le site antimissile Aegis Ashore de l’OTAN basé à Redzikowo, dans le nord de la Pologne, sera bientôt opérationnel, 8 ans après un premier site à Deveselu, en Roumanie.

Les navires ou sites terrestres concernés mettent alors en œuvre leurs propres moyens de détection pour détecter la ou les cibles, et éventuellement, calculer une solution de tir. La trajectoire du missile étant balistique, celle-ci peut-être finement calculée. Une fois la solution de tir validée, elle est transmise à un missile SM-3, qui transporte, jusqu’au-delà de l’atmosphérique, un impacteur cinétique qui va venir percuter et détruire le vecteur.

Complémentaire du système terrestre THAAD, le système AEGIS, qu’il soit embarqué à bord de destroyers ou croiseurs, ou Ashore comme en Roumanie, à Hawaï et bientôt en Pologne, s’est montré très efficace lors des essais, avec des interceptions réussies contre différents types de cibles et de trajectoires, y compris contre des missiles balistiques intercontinentaux, ceux qui, justement, ont l’apogée le plus élevé, et la grande vitesse.

Le missile SM-3 du système AEGIS est performant, mais pas contre toutes les menaces balistiques

De fait, on peut raisonnablement se montrer satisfait de l’entrée en service prochaine du site antimissile de Redzikowo, en Pologne, d’autant que les tensions entre l’OTAN et Moscou ne cessent de croitre. Cependant, comme dans le cas du système antibalistique Arrow 3 acquis par l’Allemagne, le système AEGIS Ashore, pourrait bien se montrer assez peu efficace, contre les missiles russes, tout au mois dans sa version actuelle.

Rappelons, en préambule, qu’initialement, le déploiement du système AEGIS Ashore roumain de Deveselu, avait été décidé non pour contrer la menace russe, mais l’arrivée de missiles balistiques de portée moyenne (MRBM) ou intermédiaire (MRBM), en Iran. Par leur portée plus étendue, ces missiles iraniens pouvaient, en effet, atteindre certains pays de l’OTAN.

Arrow 3 Rafael
Le système antibalistique israélien Arrow 3 a été conçu pour intercepter les MRBM et IRBM iraniens. La Russie ne dispose d’aucun missile de ce type.

Si le SM-3, comme l’Arrow 3 israélien ou le THAAD de l’US Army, est parfaitement capable d’intercepter un missile MRBM ou IRBM, ayant un apogée de 80 à 150 km d’altitude, il ne peut intercepter des missiles d’une plus courte portée, comme le SRBM Iskander-M russe, dont l’apogée ne dépasse pas 60 km, soit sous le plancher d’interception de ces missiles, de l’ordre de 80 km pour pouvoir libérer l’impacteur cinétique.

En outre, si l’interception d’ICBM reste possible, celle-ci ne peut s’effectuer que dans les phases ascendantes ou descendantes du missile ou de ses munitions, l’apogée d’un ICBM étant très supérieur au plafond des impacteurs cinétiques de ces missiles. Surtout, ils s’avèrent en peine d’intercepter des missiles ou des vecteurs de rentrée atmosphérique, capables de manœuvre, comme c’est le cas des munitions emportées par les ICBM et SLBM russes aujourd’hui.

Enfin, le SM-3, comme tous les missiles conçus sur le principe de l’impacteur cinétique, est incapable d’intercepter un missile ou un planeur hypersonique, comme l’Avangard russe, pendant sa phase de planée, précisément car celle-ci s’effectue souvent sous le plancher d’interception du missile, alors que ce type de vecteur est capable de nombreuses manœuvres très difficilement anticipées par un système antibalistique à impacteur cinétique.

Planeur hypersonique Avangard
Les planeurs hypersoniques, comme l’Avangard russe, sont conçus pour évoluer selon une trajectoire imprédictible à des vitesses hypersoniques, rendant leur interception très difficile par les moyens dont disposent aujourd’hui les armées.

Ainsi, si l’entrée en service prochaine du système Aegis Ashore polonais viendra, en effet, durcir le bouclier antimissile européen, il convient de garder à l’esprit que celui-ci demeure très limité face aux armes nucléaires russes, justement conçues pour contrer, ou contourner, ce bouclier.

Au mieux obligera-t-il les ICBM russes à être lancés à plus grande distance des frontières polonaises ou roumaines, pour éviter une interception en phase ascendante, ou le recours à une trajectoire surtendue pour ces missiles, qui aurait pu rendre la détection plus difficile, et réduire les délais de réaction de l’OTAN.

Arrivée prochaine du missile SM-6 et du Glide Phase Interceptor pour contrer les planeurs hypersoniques

Si les capacités du système AEGIS, Ashore ou embarqué, sont relativement limitées sur le théâtre européen, les choses pourraient rapidement changer dans les années à venir. En premier lieu, avec l’arrivée annoncée prochaine du missile polyvalent SM-6. Composé d’un booster de SM-3, d’un corps de SM-2 et d’un autodirecteur d’AMRAAM, le SM-6 peut intercepter des cibles balistiques évolutives jusqu’à 35 km d’altitude, offrant ainsi une première réponse contre les armes hypersoniques, même si celle-ci est, pour l’heure, limitée aux phases de planer basses de la trajectoire.

D’ici à la fin de la décennie, les systèmes AEGIS pourront mettre en œuvre le nouveau missile Glide Phase Interceptor, ou GPI, conçu précisément pour avoir l’enveloppe de tir et l’agilité nécessaires pour intercepter des planeurs hypersoniques en phase de planer, alors que les moyens de détection de l’ensemble des systèmes AEGIS seront renforcées par l’arrivée d’une nouvelle galaxie de satellites conçue spécialement pour détecter et suivre des cibles manoeuvrantes et rapides, comme les armes hypersoniques.

SM-6 missile
Le missile SM-6 offre une première réponse à la menace hypersonique, en particulier dans le domaine naval. Toutefois, la fenêtre d’interception de ce missile, face à une cible vraiment hypersonique, est relativement étroite.

À ce moment-là, l’utilisation conjointe du SM-3, qui aura évolué vers le standard Block IIb plus puissant (et plus imposant) pour les phases balistiques, du SM-6 pour les phases terminales, et du GPI pour les phases de planer hypersonique, conférera à l’AEGIS Ashore de l’OTAN, des performances largement accrues, sans pour autant être intégrales, en particulier contre la menace des missiles russes.

L’AEGIS Ashore, cible prioritaire de l’adversaire en cas d’attaque

Reste qu’alors qu’un destroyer AEGIS est mobile, donc, par nature, difficile à localiser, les sites AEGIS Ashore, à portée de tir des missiles de croisière, missiles balistiques à courte portée, et des drones d’attaque russes, seront certainement des cibles prioritaires lors d’une éventuelle attaque russe contre l’OTAN, avec des moyens qui dépasseront, sans le moindre doute, ceux déployés pour défendre les sites.

On peut se demander, dans ces conditions, si les quelque 800 m$ qu’auront couté chacun de ces sites, soit l’équivalent de 5 batteries Patriot PAC-3 ou SAMP/T Mamba, ont été effectivement dépensés avec sagesse, ou pas.

La Politique Défense de D Trump est-elle aussi insensée que perçue ?

La politique défense de D Trump inquiète chaque jour davantage, alors que la perspective d’une victoire potentielle de l’ancien président aux prochaines élections générales américaines se précise. Pourtant, toute brutale et radicale qu’elle puisse être, cette politique défense, telle qu’annoncée, n’est ni dépourvue d’arguments, ni de bon sens, et pourrait même devenir une planche de salut pour l’ensemble de la défense occidentale, y compris en Europe.

Depuis quelques semaines, la dynamique de Donald Trump et de ses partisans, tant pour s’imposer dans la primaire républicaine, que pour l’emporter face à Joe Biden lors des élections de 2024, semble s’accélérer, avec un avantage croissant donné au turbulent ancien homme d’affaires de Mar-a-Lago, face à tous ses concurrents.

La victoire de Donald Trump aux prochaines élections américaines, de plus en plus probable

Le sujet inquiète naturellement en Europe, sans toutefois provoquer de réelles réactions à ce jour. En effet, Trump comme l’ensemble de son clan, qui paraissent prendre en main l’ensemble des rouages du Grand Old Parti, le Parti républicain américain, entrainent dans leur sillage l’un des plus sévères changements de posture depuis la fin des années 30, en particulier sur le domaine de la politique internationale, de la défense, et surtout de la maitrise des déficits publics.

Politique Défense de D Trump
Donald Trump semble avoir tiré certains enseignements de son premier mandat pour ce qui concerne la manière d’aborder les négociations avec le Pentagone et les grandes entreprises de défense américaines

Donald Trump, et ses soutiens d’America First, qui s’identifient eux-mêmes comme des Faucons Fiscaux, entendent, en effet, mener une politique de rupture radicale dans ces trois domaines, que ce soit avec la politique des États-Unis ces dernières décennies, mais aussi avec celle du Parti républicain, engagé depuis la fin des années 70 dans la doctrine du « Dépenser plus pour être le plus fort », conçue par Ronald Reagan.

Les conséquences de cette rupture idéologique radicale commencent à se ressentir hors des États-Unis, y compris en Europe, alors que les Républicains du clan Trump bloquent aujourd’hui l’accord de budget sur la défense, et avec lui l’aide promise par les États-Unis à l’Ukraine et à Israël.

De fait, depuis quelques semaines, les médias européens semblent découvrir à quel point l’aide militaire américaine est prédominante et indispensable pour Kyiv, et à quel point son absence, ou son simple retard, peut représenter une menace mortelle pour l’Ukraine comme pour les équilibres géopolitiques sur le vieux continent.

La Politique Défense de D Trump, une rupture radicale avec la doctrine Reagan

Pourtant, cette posture portée le GOP et Donald Trump, souvent analysée sur les seules déclarations, parfois hasardeuses, de l’ancien président et de son équipe, repose sur une analyse bien plus rationnelle qu’il n’y parait, et en de nombreux aspects, justifiée, pour peu que l’on fasse l’effort de changer de perspective.

Rappelons que, dans ses grandes lignes, la stratégie « Défense » portée par Trump et les faucons fiscaux, s’appuie sur plusieurs actions d’éclat, dont une mise en réserve des États-Unis de l’OTAN si les alliés européens ne venaient pas à augmenter leurs propres investissements de défense, l’arrêt de l’aide américaine à l’Ukraine, la concentration des moyens américains dans le Pacifique face à la Chine, et la possible diminution des dépenses de Defense américaines pouvant aller de 30 à 50 %.

Us Navy porte-avions Nimitz class
La question posée par Donald Trump est de savoir si les États-Unis ont aujourd’hui les moyens, et le besoin, de s’imposer comme le protecteur absolu du camp occidental, avec le risque bien réel de déresponsabiliser certains de ses alliés dans ce domaine.

Présentée de cette manière, il est sans doute naturel que les européens, ainsi qu’une partie des Américains, en particulier dans les armées, s’inquiètent de telles perspectives, comme de leurs conséquences sur la paix dans le Monde, sur le rôle des États-Unis sur l’échiquier géopolitique, et sur la préservation des moyens militaires des armées américaines pour répondre aux défis à venir, portés par la Chine, la Russie et leurs alliés.

Pour autant, toutes ces décisions, perçues initialement comme radicales, reposent sur des arguments souvent valides, qui ne peuvent pas être simplement ignorés.

Mise en réserve de l’OTAN des États-Unis conditionnée par les dépenses européennes de défense

La première d’entre elles, la mise en réserve des États-Unis de l’OTAN, si les européens n’augmentent pas leurs investissements de défense, est à la fois la plus inquiétante, mais aussi la plus justifiée, d’un certain point de vue.

En effet, si certains pays européens membres de l’OTAN sont exemplaires dans leurs volontés et efforts de défense, comme la Pologne, la Grèce et les Pays baltes, d’autres, comme la Belgique, l’Espagne ou le Canada, profitent de toute évidence de la protection offerte par l’OTAN et les États-Unis, pour éviter d’investir eux-mêmes dans leurs propres outils de défense.

Pire encore, alors qu’ils disposent d’un PIB représentant la moitié du PIB américain, les quatre plus grandes économies européennes (Allemagne, Grande-Bretagne, France et Italie), ne dépensent, ensemble, qu’un cinquième du budget des armées américaines pour leur propre défense.

La conséquence de ce manque d’ambition est immédiate, puisque ensemble, ils ne parviennent à aligner que 15 % des chars et véhicules de combat d’infanterie américains, un quart des avions de combat, hélicoptères et navires de combat de surface, et moins d’un cinquième de l’artillerie, des défenses anti-aériennes et antimissiles, et de la flotte de SNA de leur allié.

Soldats belges et français
La Belgique fait partie de ces pays qui refusent d’augmenter leurs dépenses de défense sur des considérations purement budgétaires et de politique intérieure, faisant de fait reposer leur sécurité sur les dépenses de leurs alliés.

Dans les faits, seules les dissuasions françaises et britanniques semblent effectivement proportionnées en comparaison de celle des États-Unis, conformément aux PIB de chacun des pays.

On peut comprendre, d’un certain point de vue, que les États-Unis, et notamment les contribuables américaines, peinent à comprendre la raison d’un tel déséquilibre, et de devoir payer pour la protection des européens, là où, au contraire, les européens se montrent en dilettante sur le sujet, et ne font guère preuve d’empressement, et de détermination, pour corriger le problème.

L’arrêt de l’assistance militaire américaine à l’Ukraine

La position de Donald Trump vis-à-vis de l’Ukraine découle directement ce premier point. Pour celui-ci, comme pour son camp, la guerre en Ukraine ne représente pas une menace pour les États-Unis (contrairement, par exemple, à une potentielle offensive chinoise contre Taïwan). C‘est aux européens, non aux États-Unis, de trouver la solution à ce conflit d’ampleur régionale

Si cette posture fait fi des engagements pris par Washington par le passé, comme le Mémorandum de Budapest, elle n’est pas, elle non plus, dénuée de sens. En effet, avec un PIB 12 fois plus important que celui de la Russie, et une population trois fois plus nombreuse, les Européens pourraient, évidemment, largement relever le défi militaire de Moscou, en Ukraine comme partout en Europe et dans le bassin méditerranéen.

VCI M2 Bradley en Ukraine
L’arrêt de l’aide militaire américaine à l’Ukraine entrainera immanquablement la déroute des armées de Kyiv, sauf si les européens acceptaient de prendre le relais. C’est probablement là l’objectif visé par D.Trump.

Ce constat est d’autant plus clair, que les États-Unis ont largement supporté l’aide militaire à Kyiv depuis février 2022, laissant donc le temps aux Européens de se structurer pour prendre le relais, que ce soit économiquement et industriellement. Là encore, on peut comprendre que du point de vue du contribuable américain, les États-Unis n’ont pas vocation à suppléer des européens évoluant en roue libre, sur leurs propres taxes et déficits publics.

La réduction de 40 à 50 % des budgets de la défense des États-Unis

Si les deux précédents points ont déjà suscité l’inquiétude en Europe, le dernier, à savoir la baisse potentiellement annoncée des dépenses de defense américaine, peut être interprétée comme un cataclysme géopolitique en devenir.

Il s’agit, cependant, d’une réponse, certes radicale et extrême, mais peut-être nécessaire, à un problème majeur qui handicape sévèrement l’effort de défense américain, à savoir les dépenses pantagruéliques du Pentagone.

Le fait est, avec plus de 880 Md$, les armées américaines ont un budget supérieur aux dépenses de défense cumulées des 10 pays qui suivent les États-Unis dans le classement mondial des dépenses de défense (Chine, Russie, Arabie Saoudite, Inde, Royaume-Uni, Allemagne, France, Corée du Sud, Japon et Ukraine), sans pouvoir se prévaloir d’une puissance militaire relative équivalente.

L’emballement des dépenses de défense américaines ces dernières décennies

Les causes de cette situation sont à trouver, selon les Faucons Fiscaux d’America First, dans les dépenses inconsidérées du Pentagone, dans des programmes de défense mal conçus et mal pilotés, et dans une industrie de défense américaine devenue hors de contrôle. Le fait est, le constat fait ici est loin d’être sans fondement.

Missile stinger en Ukraine
Le prix du missile air-air à très courte portée Stinger a été multiplié par 12 en 30 ans, une hausse qui ne se justifie ni par l’inflation, ni par l’évolution du missile.

Comme nous l’avions abordé dans un précédent article, la concentration des entreprises américaines pour donner naissance aux grands groupes que nous connaissons aujourd’hui, comme Lockheed-Martin, RTX, Boeing, L3 Harris etc… a engendré une baisse drastique de la compétition entre industriels pour les programmes militaires américains, créant des situations de quasi-monopole dans de nombreux domaines.

Ainsi, le missile antiaérien Stinger de Raytheon (RTX), a vu son prix de vente passer de 25 000 $ en 1992, à 400 000 $ aujourd’hui, sans que cette augmentation puisse être justifiée par l’inflation, des gains de performances, ou quoi que ce soit d’autre, tant s’en faut.

Dans ce contexte, réduire de 40 ou 50 % le budget des armées américaines, peut apparaitre comme un remède, évidemment radical, mais potentiellement efficace, pour obliger ces industriels, mais également le Pentagone dans son ensemble, à beaucoup plus de sobriété.

On peut même s’interroger sur le fait qu’il puisse s’agir, ici, du seul remède disponible pour venir à bout de la puissance économique et politique obtenue par le Lobby militaro-industriel américain, qui aujourd’hui handicape l’effort de défense relatif des États-Unis face à la Chine, avec des prix d’achat et de possession « plusieurs fois supérieurs » à ceux pratiqués en Chine ou en Russie.

Chaine de production F-35 Lockheed-martin
Les grands groupes industriels de défense américains disposent désormais d’un pouvoir économique, politique et social en faisant des acteurs clés de la décision d’État. Une situation contre laquelle le président (républicain) Eisenhower avait tenté de mettre en garde lors de son départ en 1961.

En ce sens, Donald Trump serait évidemment en totale opposition avec la doctrine Reagan qui a prévalu dans le Parti républicain depuis 1978. En revanche, et de manière probablement surprenante, on ne peut pas s’empêcher de faire un parallèle entre la stratégie visée par le GOP version Trump, et celle de Dwight Eisenhower, lorsqu’il était lui-même le locataire de la Maison-Blanche, et qu’il luttait fermement contre la mainmise des industries de défense américaines sur la politique du pays.

Notons, enfin, qu’une baisse importante des prix de l’industrie de défense américaine, entrainerait, par ricochet, mais surtout par le jeu de la concurrence, une baisse des couts dans l’ensemble du camp occidental, alors qu’il semble bien qu’une certaine contagion ait atteint les acquisitions de défense occidentales, en Europe notamment.

Un traitement radical, mais probablement efficace, contre les dérives des dépenses de défense US

On le voit, la doctrine défense portée par Donald Trump, et par ses soutiens, les faucons fiscaux d’America First, si elle parait brutale et excessive, de premier abord, n’en est pas moins dénuée de bases solides, et d’un raisonnement qui peut largement se défendre.

Mieux encore, elle peut engendrer des changements en matière d’effort de défense, ainsi qu’une certaine recomposition de la réalité des alliances dans le camp occidental, qui pourraient bien, au final, s’avérer bien plus bénéfiques, voire salutaires, qu’il n’y parait.

Toutefois, on se doit également de tenir compte le contexte dans lequel cette rupture idéologique pourrait avoir lieu, alors que les échéances de 2027 dans le Pacifique, et de 2028 en Europe, semblent se dessiner chaque jour davantage.

Pentagone
La Politique Défense de D Trump est-elle aussi insensée que perçue ? 42

Une chose est certaine, si Donald Trump venait à être élu en 2024, et avec lui une majorité de Représentants et des Sénateurs pour lui donner la mainmise sur les deux chambres du Capitole, il faudra, aux européens, très rapidement réagir, et surtout ne pas se perdre en discussions et lamentations stériles.

En effet, dans le même temps, la menace en Europe, comme dans le Pacifique et ailleurs, continuera de se renforcer. Le mieux, évidemment, serait d’anticiper dès à présent cette situation. Mais il serait certainement trop optimiste que d’attendre cela.

Sous-marins polonais : la Corée du Sud mène la grande offensive

Pendant plusieurs années, le programme ORKA de sous-marins polonais, était adepte du moonwalk, feignant d’avancer, mais restant indiscutablement figé, et laissant les Français de Naval group, les Allemands de TKMS et les Suédois de Kockums, pourchasser ce qui semblait bien n’être qu’un lièvre.

Après cette longue et éreintante période d’atermoiements, le programme a été relancé, sur la base d’un nouveau cahier des charges, au printemps 2023, et ouvert à de nouveaux acteurs non européens. En particulier, ce nouveau programme semblait avoir été conçu pour permettre au nouveau partenaire clé de la défense polonaise, la Corée du Sud, d’y participer, voire de s’y imposer. À en juger par les propositions faites ces derniers jours par Hanwha Ocean, Séoul n’a aucunement l’intention de laisser passer l’opportunité d’enregistrer un premier succès à l’exportation de son sous-marin KSS-III Dosan Anh Changho.

L’offre très attractive de Hanwha Ocean pour la flotte de sous-marins polonais

Il faut dire que Hanwha Ocean n’a pas hésité à sortir le grand jeu pour séduire Varsovie, quel que soit le gouvernement qui présidera à la décision finale. Ainsi, les sous-marins proposés seront dotés, outre d’un système AIP, de batteries Lithium-ion. Il s’agit là d’une réponse probable à l’annonce récente de Naval Group concernant son Scorpene Evolved, lui aussi équipé désormais en standard par ces nouvelles batteries bien plus performantes.

sous-marins polonais Scorpene evolved
Le Scorpene Evolved, de Naval group, est nativement proposé avec des batteries Lithium-ion, afin de disposer d’une plus grande autonomie en plongée, d’une vitesse supérieure et d’une possibilité de recharge rapide et simplifiée.

En outre, la proposition sud-coréenne comporte un très important volet industriel, comme c’est aussi le cas des propositions concernant les constructions locales en Pologne des chars K-2PL, canons automoteurs K-9PL et systèmes d’artillerie à longue portée K239. L’offre intègre notamment la construction d’un complexe permettant la construction et la maintenance de la flotte de sous-marins, et même son extension au besoin.

Mais le point le plus différenciant, vis-à-vis des offres européennes, concerne l’armement des sous-marins proposés par Hanwha Océan. Dans les faits, Séoul propose ni plus, ni moins, que de transposer à la Pologne sa doctrine trois axes, conçue pour conférer à la Corée du Sud une capacité de dissuasion conventionnelle significative face à la menace nucléaire nord-coréenne.

Pour cela, les KSS-III proposés à la Marine Polonaise, pourront être équipés des mêmes silos verticaux, et des mêmes missiles de croisière et balistiques, qui arment et armeront les navires sud-coréens. Ceux-ci seront à même, selon la doctrine trois axes, de frapper les sites de lancement nucléaire de l’adversaire, avant qu’ils n’aient pu lancer leurs missiles, afin de réduire le nombre de vecteurs potentiels, à un nombre pouvant être contenu par la défense antiaérienne et antimissile du pays (et de l’OTAN).

Transposer la doctrine 3 axes sud-coréenne au théâtre européen

Cette capacité est aussi exclusive, alors qu’aucun sous-marin européen n’est équipé de munitions comparables, qu’elle parait séduisante de prime abord pour Varsovie, qui doit faire face à la montée en puissance des armées russes, y compris dans le domaine nucléaire. Toutefois, comme nous l’avions évoqué dans un article consacré à la doctrine trois axes sud-coréenne, celle-ci est très difficilement transposable au théâtre européen, face à la Russie.

Missile SLBM Hyunmoo 4-4
Les missiles SLBM Hyunmoo 4-4 sud-coréens sont conçus pour éliminer les sites potentiels de lancement de frappes nucléaires nord-coréens, avant qu’ils ne puissent lancer leurs missiles.

En effet, là où la Corée du Nord ne dispose, selon les estimations, que de 35 à 60 têtes nucléaires, la Russie en possède plus de 6 000, dont 2 000 sont opérationnelles. À aucun moment, dans ce contexte, le potentiel de frappe conventionnelle d’une flottille, somme toute restreinte, de sous-marins eux aussi conventionnels, ne pourra être susceptible de contenir une telle menace, et donc d’en dissuader l’utilisation.

Une fois dépourvu de cet aspect, la plus-value offerte par la configuration sud-coréenne devient toute relative, surtout si les navires ne sont pas en mesure de se comparer à leurs homologues européens dans d’autres domaines, notamment la navigation silencieuse en eaux peu profondes, qui constituera probablement l’une des exigences majeures des sous-mariniers polonais appelés à évoluer, le plus souvent, dans la mer Baltique.

Dit autrement, le principal argument avancé par Hanwha Ocean en Pologne, s’il peut sembler, de prime abord, disruptif, n’est dans les faits que d’une utilité limitée, et ne constitue en rien un argument massue censé tuer la compétition, bien au contraire.

La compétition autour du programme Orka reste ouverte, malgré l’offre agressive sud-coréenne

Par cette offre, la Corée du Sud et Hanwha Océan montrent, toutefois, leur détermination à produire les efforts nécessaires pour s’imposer dans cette compétition. Dans le même temps, on peut craindre que les équipes commerciales allemandes, françaises et suédoises, engagées depuis plusieurs années dans des discussions stériles avec Varsovie, ne soient plus prêtes à se montrer aussi volontaires pour s’y imposer, d’autant que le nouveau cahier des charges a été explicitement produit pour faire la place nécessaire à l’offre sud-coréenne.

Donald Tusk election pologne
Vainqueur des élections législatives polonaises cet automne, la coalition pro-européenne de centre-gauche, emmenée par Donald Tusk, aura fort à faire pour ramener le pays dans la sphère européenne.

Reste à voir comment le nouveau gouvernement polonais, qui doit encore être formé, avec à sa tête le très européen Donald Tusk, va-t-il appréhender le sujet, sachant qu’il aura probablement fort à faire pour réintégrer la Pologne dans la dynamique pro-européenne qui était la sienne lorsqu’il dirigeait le pays jusqu’en 2014. Incontestablement, le choix d’un modèle de sous-marin européen pour le programme Orka, donnerait un signal plus que bienvenu dans ce domaine.