Pour le chef du BBN, le Bureau de la Sécurité nationale polonais, les européens n’ont plus, face à la menace militaire russe, que trois à cinq ans pour réagir à la reconstruction de son outil militaire, et éviter qu’un nouveau conflit vienne frapper l’Europe, impliquant cette fois des membres de l’OTAN.
Loin d’être spécialement alarmiste, cette analyse est partagée par un nombre croissant de rapports, qui s’inquiètent des capacités industrielles et de mobilisation en Russie, alors que les Européens semblent enfermés dans une perception erronée de la menace et de son calendrier.
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Alors qu’il y a quelques mois à peine, nombreux étaient ceux qui chantaient les louanges des armées ukrainiennes et du soutien occidental à Kyiv pour contenir une menace russe perçue comme en plein délitement, l’ambiance a radicalement changé, ces derniers mois, autour de ces sujets.
Entre la montée en puissance rapide et soutenue de l’industrie de défense russe, la main mise du Kremlin sur la population et l’opinion publique du pays, et le délitement, pour le coup avéré, du soutien occidental aux forces armées ukrainiennes, le pessimisme est désormais de rigueur concernant ce conflit avec, au mieux, l’espoir d’un front gelé qui permettrait à Kyiv de conserver son indépendance, si pas l’intégralité de son territoire.
La reconstruction rapide des Armées russes si le conflit en Ukraine venait à prendre fin, ou à perdre en intensité
Au-delà des responsabilités évidemment partagées autour de cette situation, entre des Ukrainiens trop sûrs de leurs forces et de la faiblesse russe, des Américains embourbés dans des considérations de politique intérieure, et des européens plus prompts à donner conseil que des armes et munitions, la fin prévisible du conflit en Ukraine, ou sa stabilisation, engendre de nouvelles inquiétudes en Europe.

En effet, si la dynamique en cours se poursuit, les armées russes pourront rapidement reconstruire leurs capacités opérationnelles une fois le conflit à l’arrêt, avec un pays entièrement tourné vers une économie de guerre, et une opinion publique sous contrôle. Dans le même temps, en dépit des promesses américaines et européennes d’un soutien jusqu’à la victoire totale de Kyiv, ni les uns, ni les autres, n’ont pris la mesure de la transformation engendrée par ce conflit sur la géopolitique européenne.
Avec une industrie de défense russe ayant multiplié par deux, parfois par trois et davantage, ses cadences de production d’équipements de défense, des armées russes ayant fait leur difficile transformation dans la douleur en Ukraine, et un Kremlin en pleine confiance, les perspectives d’une reconstruction rapide des capacités militaires russes après la fin ou le gel du conflit en Ukraine, inquiètent désormais les services occidentaux en charge de ces questions.
Trois à cinq ans pour contrer la menace militaire russe en développement, selon le Chef du Bureau de la Sécurité Nationale polonais
C’est ainsi que le chef du Bureau de la sécurité nationale (BBN) polonais, Jacek Siewiera, par ailleurs ministre délégué rattaché à la présidence du pays, s’est montré des plus préoccupés, pour ne pas dire pessimiste, lorsqu’il a été interrogé par un journaliste au sujet d’un rapport produit par le Conseil allemand des relations étrangères (DGAP) .
Selon ce document, l’OTAN disposerait d’une période de 5 à 10 ans, pour répondre à l’évolution rapide de la menace russe, et ainsi empêcher qu’une nouvelle guerre n’éclate en Europe, à l’initiative d’une Russie en pleine confiance ayant retrouvé un outil militaire suffisant pour attaquer certains pays de l’Alliance Atlantique, comme les Pays Baltes.
Après avoir confirmé les inquiétudes avancées par le rapport du DGAP, Jacek Siewiera a ajouté que, selon lui, le délai évoqué par celui-ci était bien trop optimiste, estimant pour sa part que la fenêtre d’opportunité pour éviter un conflit avec la Russie s’étalerait sur 3 à 5 ans après la neutralisation du conflit en Ukraine.
Le fait est, depuis quelques mois, les analyses se multiplient pour alerter les nations européennes de l’évolution de la menace russe en devenir, et d’un possible déséquilibre susceptible de créer les conditions et les opportunités pour un nouveau conflit en Europe. La plupart de ces rapports estiment que la zone de danger débuterait autour de 2028, sur la base d’un conflit en Ukraine gelé à partir de 2024.
Il est vrai qu’avec une production mensuelle d’une soixantaine de chars, autant de VCI, et d’une quinzaine de systèmes d’artillerie mobile, comme évoqué parfois concernant l’industrie de défense russe, les armées de Moscou disposeraient, en 5 ans seulement, de l’équivalent de 15 divisions mécanisées lourdement armées, soit bien davantage que ne pourront en aligner les pays de l’OTAN, surtout si les Etats-Unis sont pleinement engagés dans le Pacifique.
Un calendrier qui fait écho à la menace militaire chinoise dans le Pacifique dès 2027
Justement, cette année charnière de 2028 en Europe, fait évidement écho à l’année 2027, identifiée depuis deux ans par l’US Navy et le commandement américain du Pacifique, comme l’année de tous les dangers concernant une possible annexion militaire de Taïwan par la Chine.
Que telle soit, ou pas, l’intention de Pékin, n’a que peu d’importances. Dans les faits, la montée en puissance des forces navales et aériennes chinoises, d’ici à 2027, sera telle qu’il sera indispensable, aux Etats-Unis et leurs armées, de concentrer l’essentiel de leurs moyens militaires sur ce théâtre pour contenir une menace perçue comme existentielle, aussi bien par le camp démocrate que républicain. Ce d’autant que les autorités chinoises multiplient les provocations et démonstrations de force vis-à-vis des alliés des Etats-unis dans le Pacifique.
Mais si les Etats-Unis tentent, depuis quelques années, de faire évoluer leur planification militaire et industrielle, pour être au rendez-vous de 2027 face à la Chine, ce n’est, de toute évidence, pas le cas d’une majorité d’européens face à la Russie en 2028, bien au contraire.
L’Europe occidentale préfère ignorer l’évolution de cette menace
Ainsi, à l’exception de certains pays d’Europe de l’Est, les plus exposés à la menace russe comme les pays Baltes, la Roumanie et surtout la Pologne, les européens, et plus particulièrement les européens de l’ouest, semblent à nouveau adeptes de la politique de l’autruche à ce sujet, avec des programmes militaires clés conçus sur un calendrier dépassant le plus souvent 2030, voire 2040, et des armées trop réduites pour espérer ne serait-ce qu’offrir une résistance comme fut celle des Ukrainiens, face à éventuel assaut russe contre Riga, Tallinn ou Vilnius.
Le décalage est d’autant plus flagrant que, là où Kyiv avait pu s’appuyer sur un pays tout entier mobilisé pour résister à l’agression russe, les Européens n’enverront à l’est qu’une partie de leurs capacités militaires, d’autant plus réduite que le rapport de force sera défavorable.

Une chose est certaine, cependant. Ce n’est certainement pas en ne pariant que sur la protection américaine que les Européens pourront éviter un conflit avec la Russie d’ici à la fin de la décennie, comme ce n’est pas, non plus, en feignant d’ignorer la menace, que celle-ci disparaitra.
Et l’on ne peut, aujourd’hui, s’empêcher de faire un parallèle entre ce déni politique partagé autant par l’Allemagne, que l’Italie, la France ou la Grande-Bretagne, et la perception erronée de la menace russe telle qu’elle était avant l’agression contre l’Ukraine, il y a bientôt deux ans.









