mardi, décembre 2, 2025
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La menace militaire russe contre l’Europe sera critique dès 2028, selon la sécurité polonaise.

Pour le chef du BBN, le Bureau de la Sécurité nationale polonais, les européens n’ont plus, face à la menace militaire russe, que trois à cinq ans pour réagir à la reconstruction de son outil militaire, et éviter qu’un nouveau conflit vienne frapper l’Europe, impliquant cette fois des membres de l’OTAN.

Loin d’être spécialement alarmiste, cette analyse est partagée par un nombre croissant de rapports, qui s’inquiètent des capacités industrielles et de mobilisation en Russie, alors que les Européens semblent enfermés dans une perception erronée de la menace et de son calendrier.

Alors qu’il y a quelques mois à peine, nombreux étaient ceux qui chantaient les louanges des armées ukrainiennes et du soutien occidental à Kyiv pour contenir une menace russe perçue comme en plein délitement, l’ambiance a radicalement changé, ces derniers mois, autour de ces sujets.

Entre la montée en puissance rapide et soutenue de l’industrie de défense russe, la main mise du Kremlin sur la population et l’opinion publique du pays, et le délitement, pour le coup avéré, du soutien occidental aux forces armées ukrainiennes, le pessimisme est désormais de rigueur concernant ce conflit avec, au mieux, l’espoir d’un front gelé qui permettrait à Kyiv de conserver son indépendance, si pas l’intégralité de son territoire.

La reconstruction rapide des Armées russes si le conflit en Ukraine venait à prendre fin, ou à perdre en intensité

Au-delà des responsabilités évidemment partagées autour de cette situation, entre des Ukrainiens trop sûrs de leurs forces et de la faiblesse russe, des Américains embourbés dans des considérations de politique intérieure, et des européens plus prompts à donner conseil que des armes et munitions, la fin prévisible du conflit en Ukraine, ou sa stabilisation, engendre de nouvelles inquiétudes en Europe.

Leopard 2A4 Ukrainien
Les armements européens sont certainement arrivés trop tard et en trop petit nombre, pour permettre une victoire effective de l’Ukraine face à la Russie.

En effet, si la dynamique en cours se poursuit, les armées russes pourront rapidement reconstruire leurs capacités opérationnelles une fois le conflit à l’arrêt, avec un pays entièrement tourné vers une économie de guerre, et une opinion publique sous contrôle. Dans le même temps, en dépit des promesses américaines et européennes d’un soutien jusqu’à la victoire totale de Kyiv, ni les uns, ni les autres, n’ont pris la mesure de la transformation engendrée par ce conflit sur la géopolitique européenne.

Avec une industrie de défense russe ayant multiplié par deux, parfois par trois et davantage, ses cadences de production d’équipements de défense, des armées russes ayant fait leur difficile transformation dans la douleur en Ukraine, et un Kremlin en pleine confiance, les perspectives d’une reconstruction rapide des capacités militaires russes après la fin ou le gel du conflit en Ukraine, inquiètent désormais les services occidentaux en charge de ces questions.

Trois à cinq ans pour contrer la menace militaire russe en développement, selon le Chef du Bureau de la Sécurité Nationale polonais

C’est ainsi que le chef du Bureau de la sécurité nationale (BBN) polonais, Jacek Siewiera, par ailleurs ministre délégué rattaché à la présidence du pays, s’est montré des plus préoccupés, pour ne pas dire pessimiste, lorsqu’il a été interrogé par un journaliste au sujet d’un rapport produit par le Conseil allemand des relations étrangères (DGAP) .

Selon ce document, l’OTAN disposerait d’une période de 5 à 10 ans, pour répondre à l’évolution rapide de la menace russe, et ainsi empêcher qu’une nouvelle guerre n’éclate en Europe, à l’initiative d’une Russie en pleine confiance ayant retrouvé un outil militaire suffisant pour attaquer certains pays de l’Alliance Atlantique, comme les Pays Baltes.

menace militaire russe industrie Uralvagonzavod
La production industrielle militaire russe a été multipliée par deux, parfois par trois et au-delà, depuis le début du conflit en Ukraine, selon le premier ministre russe, Mikhail Mishustin.

Après avoir confirmé les inquiétudes avancées par le rapport du DGAP, Jacek Siewiera a ajouté que, selon lui, le délai évoqué par celui-ci était bien trop optimiste, estimant pour sa part que la fenêtre d’opportunité pour éviter un conflit avec la Russie s’étalerait sur 3 à 5 ans après la neutralisation du conflit en Ukraine.

Le fait est, depuis quelques mois, les analyses se multiplient pour alerter les nations européennes de l’évolution de la menace russe en devenir, et d’un possible déséquilibre susceptible de créer les conditions et les opportunités pour un nouveau conflit en Europe. La plupart de ces rapports estiment que la zone de danger débuterait autour de 2028, sur la base d’un conflit en Ukraine gelé à partir de 2024.

Il est vrai qu’avec une production mensuelle d’une soixantaine de chars, autant de VCI, et d’une quinzaine de systèmes d’artillerie mobile, comme évoqué parfois concernant l’industrie de défense russe, les armées de Moscou disposeraient, en 5 ans seulement, de l’équivalent de 15 divisions mécanisées lourdement armées, soit bien davantage que ne pourront en aligner les pays de l’OTAN, surtout si les Etats-Unis sont pleinement engagés dans le Pacifique.

Un calendrier qui fait écho à la menace militaire chinoise dans le Pacifique dès 2027

Justement, cette année charnière de 2028 en Europe, fait évidement écho à l’année 2027, identifiée depuis deux ans par l’US Navy et le commandement américain du Pacifique, comme l’année de tous les dangers concernant une possible annexion militaire de Taïwan par la Chine.

J-11 Forces aériennes chinoises
La date pivot de 2028 en Europe fait écho à la date pivot de 2027 identifiée par l’US Navy dans le Pacifique, au sujet de la possible invasion de Taïwan par l’Armée Populaire de Libération.

Que telle soit, ou pas, l’intention de Pékin, n’a que peu d’importances. Dans les faits, la montée en puissance des forces navales et aériennes chinoises, d’ici à 2027, sera telle qu’il sera indispensable, aux Etats-Unis et leurs armées, de concentrer l’essentiel de leurs moyens militaires sur ce théâtre pour contenir une menace perçue comme existentielle, aussi bien par le camp démocrate que républicain. Ce d’autant que les autorités chinoises multiplient les provocations et démonstrations de force vis-à-vis des alliés des Etats-unis dans le Pacifique.

Mais si les Etats-Unis tentent, depuis quelques années, de faire évoluer leur planification militaire et industrielle, pour être au rendez-vous de 2027 face à la Chine, ce n’est, de toute évidence, pas le cas d’une majorité d’européens face à la Russie en 2028, bien au contraire.

L’Europe occidentale préfère ignorer l’évolution de cette menace

Ainsi, à l’exception de certains pays d’Europe de l’Est, les plus exposés à la menace russe comme les pays Baltes, la Roumanie et surtout la Pologne, les européens, et plus particulièrement les européens de l’ouest, semblent à nouveau adeptes de la politique de l’autruche à ce sujet, avec des programmes militaires clés conçus sur un calendrier dépassant le plus souvent 2030, voire 2040, et des armées trop réduites pour espérer ne serait-ce qu’offrir une résistance comme fut celle des Ukrainiens, face à éventuel assaut russe contre Riga, Tallinn ou Vilnius.

Le décalage est d’autant plus flagrant que, là où Kyiv avait pu s’appuyer sur un pays tout entier mobilisé pour résister à l’agression russe, les Européens n’enverront à l’est qu’une partie de leurs capacités militaires, d’autant plus réduite que le rapport de force sera défavorable.

Leopard 2A7
Les quatre plus grandes économies européennes, Allemagne, Grande-Bretagne, France et Italie, n’aligneront ensemble que moins de 1000 chars de combat en 2028, moins de 25% de l’arsenal détenu par les forces armées russes à cette date.

Une chose est certaine, cependant. Ce n’est certainement pas en ne pariant que sur la protection américaine que les Européens pourront éviter un conflit avec la Russie d’ici à la fin de la décennie, comme ce n’est pas, non plus, en feignant d’ignorer la menace, que celle-ci disparaitra.

Et l’on ne peut, aujourd’hui, s’empêcher de faire un parallèle entre ce déni politique partagé autant par l’Allemagne, que l’Italie, la France ou la Grande-Bretagne, et la perception erronée de la menace russe telle qu’elle était avant l’agression contre l’Ukraine, il y a bientôt deux ans.

KNDS-Nexter fait la promotion de son char EMBT en Égypte au salon EDEX 2023

On aurait pu penser que le groupe franco-allemand KNDS ne considérait le char EMBT que comme un démonstrateur technologique, avec le nouveau Leopard 2A8, et le futur, mais toujours mystérieux, Leopard 2AX proposé, en outre, à l’Italie. Pourtant, c’est bien l’EMBT, et non le Leopard 2A8, qui est mis en avant par le groupe en Égypte, à l’occasion du salon EDEX 2023.

Le char EMBT présenté au salon EDEX 2023 comme une alternative pour l’Armée Égyptienne

Dans un communiqué de presse publié le 4 décembre, KNDS présente, en effet, les différents équipements qui sont présentés à l’occasion du salon EDEX, qui se tient du 4 au 7 décembre au Caire. Au-delà des CAESAR, VBCI MkII T40 et autres tourelles ARX30, le groupe met, dans ce communiqué, l’accent sur le char EMBT, présenté explicitement comme une alternative pour les forces armées égyptiennes.

char EMBT
Le char EMBT est présenté par KNDS comme un modèle industriel et opérationnel, et non plus comme un démonstrateur, au salon EDEX 2023 en Égypte.

À ce titre, l’EMBT n’est plus présenté, comme c’était le cas lors du salon Eurosatory 2022, comme un démonstrateur technologique s’inscrivant plus ou moins dans le programme MGCS, mais comme un char de 4ᵉ génération disposant d’attributs propres, comme un chargeur automatique de 22 coups pour son canon de 120 mm, un châssis à 7 roues, ainsi qu’un moteur de 1500 cv.

Il est d’ailleurs présenté comme une alternative pour équiper les armées égyptiennes, donc comme un prototype ouvrant la voie à une production industrielle, mettant en avant son tourelleau ARX30 pouvant assurer la protection anti-drones avec une nouvelle munition airburst bientôt disponible, un système de protection active Hard Kill (non défini), et surtout, la véritable innovation de ce modèle, un quatrième membre d’équipage ayant la fonction d’opérateur systèmes.

Les forces armées égyptiennes, un marché stratégique dans le collimateur du K2 Black Panther sud-coréen

Il faut dire que les armées égyptiennes représentent un marché stratégique dans le domaine des chars de combat. Celles-ci alignent, en effet, plus de 5 000 chars lourds et moyens, dont 1 300 M1A1 Abrams, 500 T-62 et 800 T-55, ainsi que plus de 2 700 M60 Patton. De fait, le potentiel de modernisation est considérable, avec pas moins de 4 000 chars obsolètes et devant être remplacés à ce jour (M60, T-62, T-55).

Ce marché est d’autant plus attractif que les tensions au Moyen-Orient incitent ces pays à accroitre leurs investissements dans le domaine des armements terrestres, après avoir produit, dans les années passées, d’importants efforts dans le domaine aérien et naval.

M1A1 Abrams Forces armées egyptiennes
Les forces armées égyptiennes alignent plus de 5 000 chars de combat, dont 1 300 M1A1 Abrams.

Si le marché du remplacement des chars égyptiens est immense, il est aussi complexe. Ainsi, les relations entre le Caire et Washington n’étant pas des plus apaisées, il est très peu probable qu’elles se tournent vers les nouvelles versions de l’Abrams, M1A2 ou M1E3, par ailleurs très onéreuses pour remplacer des chars moyens économiques. Ce problème s’applique également au Leopard 2A8 (ou l’éventuel AX à venir) qui, comme l’Abrams, est particulièrement lourd et très onéreux, à presque 20 m€ l’unité.

Le Caire n’a pas, non plus, la possibilité de se tourner vers les modèles russes, même s’il était question, il y a quelques années, d’une commande de T-90ME en production locale. Non seulement la production nationale russe est aujourd’hui entièrement tournée vers le remplacement des blindés perdus en Ukraine, mais une telle acquisition exposerait Le Caire aux sanctions CAATSA américaines. Rappelons à ce titre que l’Égypte a renoncé à acquérir 24 Su-35s russes il y a trois ans, précisément en lien avec les menaces de sanctions américaines.

Su-35s Russie initialement prévu pour l'Égypte
Sous la menace de sanctions CAATSA, l’Égypte a renoncé à acquérir les 24 Su-35s qu’elle avait commandé à la Russie. Cette photo avait été présentée comme montrant un des appareils destinés à l’Égypte.

Se tourner vers les modèles chinois reste dans le domaine du possible, d’autant que Pékin produits d’importants efforts pour raffermir ses relations avec Le Caire, y compris dans le domaine des équipements militaires. Toutefois, rien n’exclut la possibilité pour Washington d’étendre le champ d’application de CAATSA aux équipements chinois. En outre, les blindés chinois ont encore beaucoup à démontrer, et ne jouissent pas, à proprement parler, d’une excellente réputation, notamment en termes de fiabilité.

Deux modèles, en revanche, représentent des candidats potentiels sérieux pour ce marché à ce jour. Le premier est l’Altay turc, un char lourd qui est longtemps resté en friche suite aux sanctions européennes, par manque de solution de propulsion et de transmission.

Il semble que le problème a été résolu avec l’aide de la Corée du Sud, qui a autorisé la production sous licence du bloc moteur et de la transmission du K2 pour l’Altay, même si des interrogations subsistent à ce sujet, l’Altay étant plus de 10 tonnes plus lourd que son homologue turc.

Cependant, les relations entre le Caire et le Président Sissi, farouche adversaire des Frères Musulmans, et Ankara, pièce maitresse de ces mêmes frères musulmans, si elles se sont détendues ces derniers mois, n’apparaissent pas suffisamment solides pour venir négocier un contrat aussi majeur et déterminant.

K2 tout terrain e1601648961600 Planification et plans militaires | Actualités Défense | Chars de combat MBT
Le K2 Black Panther fait office de favori pour la modernisation du parc de chars égyptiens.

Le K2 Black Panther sud-coréen, quant à lui, coche, pour ainsi dire, toutes les cases nécessaires pour s’imposer en Égypte. Plus léger que les modèles américains et allemands, il est aussi parfaitement moderne, et doté de capacités et technologies avancées.

En outre, Hanwha defense, son constructeur, collabore déjà avec l’industrie de défense égyptienne pour la construction locale du canon automoteur K9. Enfin, la Corée du Sud se montre, en règle générale, particulièrement conciliante et adaptable en matière de conditions de paiement, de transfert de technologies et de production locale, de quoi largement convaincre le Caire.

Les atouts de la France et de KNDS-Nexter en Égypte

Il faudra donc à KNDS, et à la France qui porte ce dossier en Égypte, se montrer particulièrement convaincants, pour parvenir à s’imposer face au K2 Black Panther sud-coréen. Pour autant, ce couple dispose de plusieurs atouts à faire valoir.

Les relations de défense entre Paris et Le Caire sont à nouveau excellentes, après un passage à vide en 2017-2018. Ainsi, les forces aériennes égyptiennes ont commandé, il y a tout juste deux ans, 30 nouveaux avions Rafale, en plus des 24 commandés initialement en 2015. Il serait par ailleurs question d’une nouvelle commande de 26 appareils ou plus, pour atteindre une flotte de 80 Rafale au sein des forces aériennes égyptiennes, à parité avec celle des Émirats arabes unis.

La coopération industrielle de défense franco-égyptienne a, elle aussi, montré qu’elle fonctionnait bien, autour du programme de 4 corvettes Gowind 2500, dont trois ont été construites localement aux chantiers navals Al-Tersana d’Alexandrie.

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Les forces aériennes égyptiennes ont été les premières à choisir le Rafale en 2015, brisant 15 années d’échecs commerciaux pour l’avion français.

Enfin, en lien avec la nouvelle doctrine industrielle française mise en œuvre depuis quelques mois par le ministère des Armées et la DGA sur la scène internationale, rien n’exclut que la France puisse rechercher des partenaires autour du char EMBT, tant pour en lancer la production industrielle à des fins d’exportation, que pour renforcer la composante char de combat de l’Armée de terre.

En effet, tout indique, aujourd’hui, que le programme franco-allemand MGCS sera long et difficile à faire aboutir, alors que l’Armée de Terre française voit ses chars Leclerc modernisés a minima, pour n’assurer qu’un intérim de quelques années.

Par ailleurs, tous les acteurs potentiellement intéressés par le programme MGCS, qu’il s’agisse de l’Allemagne et de l’Italie, mais aussi de la Grande-Bretagne, des Pays-Bas ou de la Suède, ont, ou vont déployer une flotte de chars récents pour assurer précisément une capacité intérimaire pouvant s’étendre au-delà de 2040.

Une possible coopération industrielle et technologique étendue avec l’Égypte dans le domaine des chars de combat ?

Dans ce contexte, il n’est évidemment pas exclu que Paris puisse proposer au Caire, mais aussi à d’autres partenaires comme Abu Dhabi, voire Ryad, un partenariat industriel étendu autour de l’EMBT, dont le discours posé au salon EDEX 2023 pourrait constituer la première pierre visible.

Reste que, comme dit précédemment, et en dépit des atouts potentiels de l’EMBT face au K2 Black Panther, il faudra à Paris comme à KNDS-Nexter, faire montre de trésors de persuasion pour ravir ce marché aux sud-coréens, particulièrement agressifs pour s’y imposer.

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Un partenariat industriel entre KNDS-Nexter et l’Égypte permettrait à la BITD française de mitiger les risques autour du programme MGCS.

En revanche, les bénéfices, technologiques, industriels et commerciaux, en cas de succès, seraient, bien évidemment, à la hauteur des difficultés rencontrées, y compris en permettant à la BITD terrestre française de s’appuyer sur un second programme majeur dans le domaine des blindés lourds chenillés, outre le programme MGCS à l’avenir encore incertain.

Elle aurait ainsi l’assurance de pouvoir préserver et étendre compétences, savoir-faire et capacités industrielles, quels que soient les aléas du programme européen.

Les exportations de défense françaises enregistrent un record de 27 Md€ de prise de commande en 2022

Les exportations de défense françaises évoluent, depuis de nombreuses années, entre la seconde et la quatrième place mondiale, loin dernière les Etats-Unis, mais souvent au coude-à-coude avec la Russie et la Grande-Bretagne. Ces dernières semaines, la plupart des grands acteurs internationaux dans ce domaine ont annoncé des hausses spectaculaires de leurs exportations en 2023, qu’il s’agisse de l’Allemagne à 8,5 Md€, la Turquie à 4,4 Md€, la Corée du Sud à 17 Md$, ou Israël à 12,5 Md$.

Ces chiffres, impressionnants au demeurant, font pâle figure face aux prises de commande enregistrées par l’industrie de defense française en 2022. En effet, le Ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, a révélé, face à l’Assemblée nationale, que celles-ci avaient atteint les 27 Md€ en 2022, un record absolu dans ce domaine.

Une prise de commande record de 27 Md€ en 2022 pour les exportations de défense françaises

Après les 11,7 Md€ de prise de commande de 2021 en dépit du Covid, classant l’année dans le Top 3 des meilleures années dans ce domaine pour l’industrie de défense française, l’année 2022, sans grande surprise, aura battu tous les records. Mais avec un total de prise de commande de presque 27 Md€, il peut laisser pantois.

exportations de defense Rafale M inde
LE Rafale est aujourd’hui la star incontestée des exportations de defense françaises, représentant à lui seul près de la moitié des exportations de l’industrie de defense française depuis plusieurs années.

Sans surprise, car le seul contrat des Émirats arabes unis, avec 80 Rafale F4, leurs systèmes de maintenance et leurs munitions, qui était annoncé pour cette année, représentait à lui seul 14 Md€, soit davantage que la meilleure année jamais enregistrée dans ce domaine.

La surprise est venue, en revanche, des autres contrats exports, représentants presque 13 Md€, signés par les industriels français durant cette période. On y voit évidemment les effets de l’invasion russe d’une partie de l’Ukraine, comme les canons CAESAR tchèques et lituaniens, mais il s’agit, pour beaucoup, de contrats négociés de longue date, comme les Rafale Croate et indonésiens, soit en amont du début de l’agression russe.

Un solde industriel Défense positif pour la France

Ces montants, dépassant les 12 Md€ de prises de commande nettes, signifient également que l’industrie de défense française exporte désormais plus qu’elle ne produit de nouveaux équipements pour ses propres armées. En effet, les investissements cumulés des Programmes à Effet Majeur et de la R&D des armées françaises s’établissent autour de 12 Md€.

Ce constat a d’ailleurs permis au ministère des Armées de sensiblement changer ses perspectives en matière d’investissement, laissant les industriels, et leurs éventuels clients exports à venir, prendre une part plus importante dans les investissements de développement, afin de réduire la facture pour les armées françaises, sans réduire les volumes. En ces temps où tous les millions d’euros sauvés peuvent faire la différence, ce changement de paradigme conjoint entre le ministère et les industriels, est évidemment le bienvenu.

Sous-marin Scorpene brésil
Avec 14 sous-marins exportés, et au moins 3 nouveaux navires à venir en Inde, le Scorpène est devenu le modèle de sous-marin français le plus exporté de l’histoire, dépassant les 15 exemplaires de la Daphnée post-seconde guerre mondiale.

On notera, à ce titre, qu’avec un retour budgétaire supérieur à 50 % pour les investissements industriels concernant les équipements de defense neufs des armées, et un montant des exportations excédant celui des dépenses nationales, il apparait que le solde budgétaire pour l’état, dans ce domaine, est positif. En d’autres termes, l’état gagne aujourd’hui plus d’argent qu’il n’en dépense, grâce aux exportations, pour la conception et la fabrication des équipements de défense majeurs de ses armées.

Des perspectives encourageantes pour l’industrie de défense française pour les années à venir

Cette dynamique pourrait bien perdurer encore longtemps. Ce pour deux raisons. La première est que les industriels français sont engagés dans de nombreuses négociations et compétitions, avec souvent de bonnes chances de succès. On pense assurément aux Rafale M et sous-marins Scorpène indiens comme aux Rafale indonésiens restants à commander.

Le Rafale est également en lice pour d’autres pays, en Serbie, en Colombie, En Irak, en Ouzbékistan et, bien évidemment, en Arabie Saoudite, alors que l’Allemagne reste ferme sur son refus d’exporter le Typhoon vers Ryad. Dassault est aussi en discussion pour de nouvelles commandes avec le Qatar, l’Égypte, la Grèce et l’Inde.

Le domaine naval n’est pas en reste, avec le sous-marin Scorpene en négociation en Indonésie, aux Philippines, en Pologne, en Roumanie et en Argentine, alors que Naval Group propose à La Haye son Shortfin Barracuda, et continue de négocier avec Athènes la vente de corvettes et de nouvelles frégates FDI. Dans le domaine terrestre, le CAESAR attire toujours les convoitises après avoir convaincu plusieurs pays ces dernières années, du fait de ses performances au combat au Levant, au Mali et récemment, en Ukraine.

Canon Caesar Ukraine
L’efficacité du canon CAESAR, d’abord au Levant et au Mali, puis en Ukraine, font de ce système d’artillerie l’un des grands succès des exportations de defense françaises ces dernières années. ,

Enfin, les missiles, radars, sonars et autres satellites français, continuent de faire recette, certes de manière souvent moins spectaculaire, mais non moins efficace, que les Rafale, Scorpène et Caesar.

Au-delà de ces négociations prometteuses, les ventes signées ces dernières années, vont engendrer pour les 2 à 3 décennies à venir, des revenus récurrents plus que conséquents pour l’industrie de défense française, concernant les pièces de rechange, et surtout les différentes phases de modernisation des équipements préalablement vendus. Ainsi, un Rafale va générer, lors de sa vie opérationnelle, un investissement industriel récurrent équivalent à celui de son prix d’achat, au fil de ses évolutions et des maintenances programmées.

Dit autrement, les quelque 300 Rafale exportés à ce jour, vont générer, sur les 30 années à venir, l’équivalent d’une commande de 10 appareils neufs chaque année, soit plus d’un milliard d’euros (2023) de recettes récurrentes pour l’industrie de défense française.

La Défense, troisième industrie exportatrice en France

On comprend, dans ce contexte, que le record d’exportation de 2022, s’il est exceptionnel par son montant, ne constitue en rien un épiphénomène isolé, bien au contraire. Il est ainsi plus que probable que l’année 2023 soit, elle aussi, parmi les meilleures années jamais enregistrées pour les exportations de defense françaises, avec la signature de la Tranche 2 des Rafale indonésiens, des Caracal néerlandais, et la possible signature des Rafale M et Scorpène indiens d’ici à la fin de l’année.

TFX Kaan Turquie
La Turquie, comme la Corée du Sud, investissent massivement pour soutenir les exportations de leur industrie de défense, et pour atteindre l’autonomie stratégique. Leur arrivée va profondément bouleverser les équilibres hérités de la fin de la guerre froide sur le marché mondial de l’armement.

Il apparait, également, que les succès cumulés enregistrés depuis quelques années, formeront le socle sur lequel l’industrie de defense française pourra s’appuyer pour affronter la recomposition en cours du marché internationale des équipements de defense. Cette transformation radicale est induite par l’arrivée de nouveaux acteurs comme la Corée du Sud, la Turquie et l’Inde, la montée en puissance de certains autres, comme Israël, et surtout l’action combinée du retour dynamique des Etats-Unis sur certains marchés (frégates etc..), de l’arrivée de la Chine et de la résurrection russe, avec des équipements performants et attractifs.

Il est probable que les prochaines années vont profondément bouleverser le paysage industriel défense sur la scène international, hérité de la fin de la guerre froide. Les importants succès passés, présents et à venir, de l’industrie de defense française sur la scène internationale, lui conféreront une stabilité enviable pour traverser les turbulences à venir.

Le nouveau missile PL-17 air-air chinois, d’une portée de plus de 350 km, serait opérationnel

De récents clichés, diffusés par l’Armée Populaire de Libération, montre des chasseurs lourds J-16 armés du nouveau missile PL-17 air-air à très longue portée. L’arrivée de ce missile pourrait sensiblement transformer la réalité tactique de ce théâtre, en repoussant de plusieurs centaines de kilomètres les avions de soutien américains et alliés autour de Taïwan.

Face à la menace que représentaient les flottes de bombardiers supersoniques soviétiques Tu-16 Badger, Tu-22 Blinder, et l’arrivée du nouveau et redouté Tu-22M Backfire, l’US Navy confia, à la fin des années 60, à la société Hugues Aircraft, la conception d’un missile air-air unique en son genre.

F14 AIM54 Planification et plans militaires | Actualités Défense | Chars de combat MBT
Le missile AIM-54 Phoenix et le F-14 Tomcat ont été le premier système de combat BVR multicible de l’histoire.

Bien plus lourd que les AIM-7 Sparrow et AIM-9 Sidewinder qui équipaient alors les chasseurs américains, le missile AIM-54 Phoenix représentait surtout un véritable prouesse technologique pour l’époque, doté qu’il était d’un autodirecteur radar permettant au F-14 Tomcat qui l’emportait de tirer simultanément plusieurs missiles vers plusieurs cibles différentes. Ainsi doté, un Tomcat pouvait engager et détruire 6 bombardiers supersoniques soviétiques à plus de 160 km de distance, avec un missile filant à plus de Mach 4.

Les héritiers du missile air-air à longue portée AIM-54 Phoenix

Si, avec la fin de la guerre froide, le Phoenix n’eut jamais à faire ce pourquoi il avait été conçu, ses avancées technologiques engendrèrent une nouvelle génération de missiles air-air à guidage radar actif, conçus pour intercepter jusqu’à 100 km et au-delà, les avions de combat adverses, y compris les agiles chasseurs. L’heure du combat aérien BVR, Beyond Visual Range, avait sonné, avec des missiles comme l’AIM-120 AMRAAM américain, le MICA français ou le R-77 russe.

Toutefois, ces missiles représentaient davantage une évolution des missiles air-air à moyenne portée à guidage radar semi-actif, comme le Sparrow américain, le Skyfkash britannique ou le Super 530 français, que des héritiers du Phoenix. Dans ce domaine, c’est le R-37 soviétique, code OTAN AA-13 Arrow, qui pouvait s’en prévaloir, avec une portée de 150 km, un guidage radar actif et une conception visant à éliminer les avions de soutien occidentaux, comme les AWACS ou les avions ravitailleurs.

Su-35s tire un missile R-37M
Le couple Su-35s et R-37M s’est montré efficace en Ukraine, y compris contre les chasseurs ukrainiens évoluant à très basse altitude et haute vitesse.

Avec la fin de la guerre froide, le besoin pour ce type de missile se dissipa, et même la société russe Vympel, à l’origine du R-37, mis le programme en hibernation, jusqu’au début des années 2010, et le retour des tensions avec l’occident. Depuis, le R-37 a évolué vers le R-37M, plus performant, pouvant atteindre des cibles à 400 km, et d’équiper aussi bien les intercepteurs MIG-31 que les chasseurs lourds Su-35s. Il semble d’ailleurs que le couple Su-35 / R-37M se montre très efficace en Ukraine, et serait particulièrement redouté des forces aériennes de Kyiv.

Missile PL-17, PL-21 : Les forces aériennes chinoises parient sur l’engagement à longue distance

La Chine aussi s’engagea dans le développement de ce type de missiles à très longue portée. Après le PL-15, entré en service en 2016 et très inspiré, semble-t-il, du Meteor européen, avec une portée de 150 km et une propulsion par statoréacteur, deux programmes furent lancés au milieu des années 2010 : le PL-17 d’une part et le PL-21 de l’autre.

Le PL-21, également désigné parfois sous la référence PL-XX, doit pouvoir prendre place dans la soute à munition du J-20, peut-être aussi du J-35, et voit donc ses dimensions contraintes, ainsi que sa portée estimée à 300 km. Une campagne d’essais aurait débuté dès 2017. Cependant, rien ne confirme, à ce jour, qu’il soit déjà en service.

Le PL-17, quant à lui, ne souffrait pas des mêmes contraintes. Destiné à être emporté sous les ailes des chasseurs de 4ᵉ génération comme le J-16, il pouvait prendre en longueur et en masse. C’est ainsi que le nouveau missile s’avera 50 % plus long que le PL-15 dont il semble reprendre beaucoup de composants, avec une longueur de plus de 6 mètres, effectivement incompatible avec les soutes à munition du J-20 ou du J-35.

Missile PL-17 PL-15 PL-10 sous les ailes de J-16 chinois
J-16 de l’Armée populaire de libération, armés de quatre PL-10, quatre PL-15, un PL-12 et un PL-17 en configuration air-air lourde.

En revanche, le missile est donné, selon les sources, pour avoir une portée allant de 350 km à plus de 400 km, avec une navigation de transit inertielle recalée par satellite et liaison de données, et un guidage terminal mixte infrarouge et radar actif, pour détecter et venir frapper sa cible. À l’instar du R-37M, le PL-17 évoluerait à de très hautes vitesses, au-delà de Mach 4, ce qui tend à le rendre plus difficile à éviter ou à leurrer, avec un délai de réaction particulièrement réduit.

Un enjeu stratégique pour repousser les avions de soutien de l’US Air Force

Quoi qu’il en soit, apparemment, le PL-17 est bel et bien opérationnel aujourd’hui, si l’on en juge par une série de clichés diffusés par l’Armée Populaire de Libération, montrant quatre J-16 en configuration de supériorité aérienne. Deux des appareils emportent, en effet, outre quatre PL-10 à courte portée, et quatre PL-15 à moyenne portée, un PL-12 à guidage radar actif, et surtout le fameux et imposant PL-17, sous le pylône n° 1 de l’aile gauche.

Ces photos sont intéressantes à plus d’un titre. En premier lieu, ce ne sont pas tant les J-16, un chasseur bombardier polyvalent plus employé pour les missions de frappe, que les J-20 et les Su-35s chinois qui sont en charge de la supériorité aérienne dans l’APL. En montrant le J-16 dans cette configuration, celle-ci veut de toute évidence faire passer le message que le missile est bel et bien opérationnel, même s’il n’équipe ni le J-20 (pour ne pas dégrader sa furtivité probablement), ni le Su-35s de conception russe.

J-20 soute ouverte
Les soutes du J-20 sont trop exiguës pour recevoir les 6 mètres du PL-17

En second lieu, on peut s’étonner de voir le PL-17 contrebalancé par un PL-12 sur le pylône opposé du J-16. Le câblage du missile a peut-être été limité à un unique pylône pour l’instant, ou les contraintes aérodynamiques et/ou de centrage avec un unique missile sous pylône, pourraient être trop importantes pour l’appareil. Il faudra donc surveiller les clichés à venir, pour déterminer les raisons de cet anachronisme avec un PL-12 plus ancien dans une configuration entièrement tournée vers des missiles modernes.

L’arrivée du PL-17 sous les ailes des J-16 chinois, va évidemment transformer le théâtre Pacifique, et plus particulièrement la bulle de déni d’accès qu’entend poser l’Armée Populaire de Libération autour de l’ile de Taïwan. Plus spécifiquement, ces missiles, comme les R-37M russes, représenteront une menace non négligeable, et surtout dissymétrique, pour les forces américaines, leurs forces aériennes et leurs avions de soutien, qui ne disposent pas de missiles comparables à ce jour.

AIM-260, LREW : La réponse américaine en préparation

De fait, en cas d’engagement, il est probable que ces avions de soutien, comme les Awacs, les avions de renseignement électronique, les appareils de patrouille maritime ou les ravitailleurs en vol, se voient repousser de plusieurs centaines de kilomètres, sans pouvoir s’y opposer.

Bien assurément, ces missiles ne représentent probablement pas un moyen d’interdiction contre les chasseurs évolués, pour peu qu’ils soient furtifs ou dotés d’un système de défense performant, comme c’est le cas des F/A-18 E/F de l’US Navy, ou des F-15E et Ex de l’US Air Force. En repoussant les avions de soutien, ils réduisent d’autant la capacité de détection de ces appareils, ainsi que leur autonomie au-dessus de la cible, ce qui, de fait, représente déjà un gain notable pour l’APL.

F-35A soute ouverte
Le missile AIM-260 est conçu pour prendre place dans les soutes du F-35 et du F-22.

Mais, la riposte américaine est en route. D’abord, avec le missile AIM-260 Joint Air Tactical Missile. Héritier de l’AIM-120 AMRAAM, celui-ci sera doté d’une portée de plus de 200 km, et d’un guidage alliant, comme pour le PL-17, navigation inertielle, liaison de donnée et guidage terminal mixte. En outre, comme le PL-21, il pourra prendre place dans les soutes des F-22 et J-35, sans venir dégrader leur furtivité. Le JTAM doit entrer en service dans les semaines ou les mois à venir. Il se pourrait même que ce soit déjà le cas, en particulier dans le pacifique.

Si la conception de l’AIM-260 a été confiée à Lockheed-Martin, celle d’un second missile, le Long-Range Engagement Weapon (LREW) l’a été à Raytheon, rebaptisée RTX en 2023. A l’instar du PL-17, le LREW n’a pas la contrainte de devoir prendre place dans les soutes des chasseurs furtifs américains, et semble destiné à armer les nouveaux F-15EX pour la chasse aux avions de soutien adverse, et peut-être les B-21 Raider, pour assurer leur autodéfense à longue portée.

Très peu d’informations ont filtré concernant ce dernier programme, ce qui en dit long sur sa sensibilité. Il est évident, toutefois, qu’américains, chinois et russes se sont engagés dans une course à la conception de missiles BVR à très longue portée, qui semble devenir une technologie clé pour la supériorité aérienne dans les années et décennies à venir.

Néanmoins, on regrette, et c’est un euphémisme, qu’aucun programme européen comparable ait été lancé dans ce domaine, d’autant que son prédécesseur, le METEOR, est universellement reconnu comme une grande réussite technologique et opérationnelle.

L’industrie militaire chinoise surpasserait l’occident dès 2023, selon un rapport du Pentagone

« L’industrie militaire chinoise produit désormais davantage d’équipement de défense que l’industrie des Etats-Unis, de ses alliés du théâtre pacifique, et de ses alliés européens, réunis ». C’est en ces termes que la nouvelle stratégie industrielle de défense nationale américaine, en cours de finition par le Pentagone, pose le problème du rapport de force industriel et capacitaire défavorable qui va s’appliquer aux forces américaines dans le Pacifique face à la Chine.

Alors qu’il s’exprimait une dernière fois face aux députés de la commission de la défense, l’Amiral Pierre Vandier, Chef d’état-major de la Marine nationale, avait déclaré en aout 2022, que d’ici à 10 ans, la Marine chinoise serait numériquement 2,5 fois supérieure à l’US Navy, alors qu’elle recevait, selon lui, l’équivalent de la Marine française tous les 4 ans en nouveaux navires.

Selon l’officier général français, il ne serait possible, face à une telle hydre en devenir, que d’y faire face en associant l’ensemble des forces navales et aériennes occidentales, pour espérer contenir cette menace. Cette déclaration, pourtant volontairement conçue pour marquer les esprits de la part d’un chef d’état-major à quelques encablures de la retraite, pourrait bien être elle-même trop optimiste.

industrie militaire chinoise nouvelle corvette
La construction d’un nouveau type de corvettes furtives a pu être observée dans les chantiers navals chinois de Liaonan. L’écart technologique entre productions chinoises et occidentales tend à se réduire rapidement.

En effet, selon un rapport du Pentagone en préparation, dont des extraits auraient été obtenus par les journalistes de Politico, il se pourrait bien que la production d’équipement militaire chinoise vienne à dépasser celle des Etats-Unis, mais aussi celle de l’ensemble de ses alliés de premiers rangs du théâtre Pacifique (Australie, Corée du Sud, Japon, Nouvelle-Zélande, Philippine et Taïwan) et européennes, et ce, dans la plupart des grands domaines d’action milliaire.

L’industrie militaire chinoise produit davantage que les États-Unis et ses alliés réunis

Dans le cadre de la rédaction de la première stratégie industrielle nationale, dirigée par le chef des acquisitions du Pentagone, William LaPlante, les services du Pentagone ont, en effet, dressé un tableau des plus alarmants concernant la production comparée d’équipements de defense par l’industrie américaine, et par l’industrie militaire chinoise.

Sans grande surprise, le rapport annonce que les cadences de production industrielle chinoises s’avèrent très sensiblement supérieures à celles soutenues par l’industrie américaine, même s’il reconnait que les équipements américains s’avèrent supérieurs à ceux en service dans les armées chinoises.

Le rapport estime, surtout, que la production industrielle de défense cumulée des États-Unis, de ses alliés du Théâtre pacifique, ainsi que de ses alliés européens de l’OTAN, serait, elle aussi, numériquement inférieure à celle de l’industrie de défense chinoise, sans pour autant se risquer à donner une évaluation quantifiée du déséquilibre en question.

J-20
La Chine est le seul pays, en dehors des États-Unis, à mettre en œuvre massivement un chasseur furtif de conception nationale, le J-20.

Cette affirmation met en lumière d’importantes difficultés à venir, pour le bloc occidental. En premier lieu, ajouter la production européenne à ce calcul, sert davantage à renforcer l’efficacité de la démonstration, qu’à rendre compte d’un réel rapport de force.

En effet, l’immense majorité des efforts européens sont aujourd’hui orientés pour contenir la menace russe, elle aussi en croissance rapide, et non pour rééquilibrer un rapport de force défavorable dans Pacifique.

D’autre part, et en dépit des quelques gesticulations britanniques, françaises ou allemandes pour envoyer ponctuellement des forces navales aussi symboliques qu’éphémères sur ce théâtre, rien ne garantit que les européens seraient effectivement prêts, dans leur ensemble, à s’engager, aux côtés des États-Unis, face à la Chine dans l’hypothèse, par exemple, d’une invasion de Taïwan par Pékin.

Si l’on considère la manière dont une majorité des européens ne jurent, aujourd’hui, que par la protection américaine face à la menace russe, ce serait même très probablement l’hypothèse inverse qu’il conviendrait de privilégier.

Une planification industrielle et militaire parfaitement exécutée

Reconnaissons qu’alors qu’américains, européens et leurs alliés, ont méticuleusement détricoté leurs capacités militaires et industrielles depuis le début des années 90, Pékin, de son côté, s’est fermement engagé dans une démarche inverse, avec cependant une grande maitrise des programmes industriels et militaires, et de leurs calendriers respectifs.

Ainsi, et comme évoqué dans de précédents articles, il n’est pas usurpé de dire qu’en 30 années de temps, de 1990 à 2020, l’industrie de défense chinoise a su rattraper, dans la plupart des domaines, les 30 années de retard qu’elle avait face à l’industrie de défense occidentale.

porte-avions Liaoning Type 001
Le porte-avions Liaoning, premier porte-avions chinois, est entré en service conjointement aux chasseurs embarqués J-15, et aux destroyers d’escorte Type 052D et frégates anti-sous-marines Type 054A, révélant une exceptionnelle maitrise de la planification militaire industrielle chinoise

Et si les équipements occidentaux peuvent encore se prévaloir d’un certain ascendant technologique sur les armements chinois, celui-ci s’est considérablement réduit au fil des années, pour ne plus représenter, aujourd’hui, qu’un avantage tactique n’ayant qu’une influence faible sur la compensation du rapport de force numérique défavorable de l’occident face à l’Armée Populaire de Libération.

Le problème posé par le couple formé par une APL en plein renouveau, et une industrie de défense chinoise qui arrive à maturité, risque d’ailleurs de s’amplifier dans les années à venir, puisque ces deux entités sont engagées depuis plusieurs décennies dans une dynamique de croissance qualitative et quantitative, qui ne demande aujourd’hui qu’à continuer, alors même qu’elles sont désormais à parité opérationnelle avec leurs homologues US.

En d’autres termes, on peut craindre, pour les années à venir, que les armements et équipements de defense produits par l’industrie de défense chinoise, non seulement finissent de combler l’écart qualitatif avec les équipements US, mais puissent venir à les dépasser dans certains domaines, ne serait-ce que sur l’inertie technologique et scientifique à l’œuvre en Chine.

L’ambition de Pékin de devenir une superpuissance mondiale pour 2049 est-elle un leurre ?

On peut, à ce titre, s’interroger sur la validité du calendrier présenté par Xi Jinping concernant la montée en puissance des capacités industrielles et opérationnelles de la défense chinoise. Depuis son arrivée à la tête du pays en novembre 2012, il y a un peu plus de dix ans maintenant, Xi Jinping a systématiquement répété qu’il entendait amener son pays au statut de superpuissance mondiale pour 2049, et le centenaire de la création de la République Populaire de Chine.

canon porté PCL-181 APL
Le canon porté PCL-181 de 152 mm est très inspiré du CAESAR français.

Or, lorsqu’on observe attentivement les trajectoires suivies par les différents grands programmes militaires chinoises, que ce soit dans le domaine naval avec les sous-marins à propulsion nucléaire Type 09V et 09VI, celui des grands navires aéronavals comme le porte-avions Type 003, le futur PAN Type 004 et le porte-drones d’assaut Type 076, ainsi que les programmes aéronautiques comme le bombardier H-20, le chasseur embarqué J-35 et tant d’autres, on constate que ce statut pourrait être atteint bien plus tôt.

L’aspect le plus convaincant, dans ce domaine, n’est autre que les immenses efforts produits ces dernières années par Pékin, pour étendre rapidement sa puissance de dissuasion, avec la construction de 3 sites majeurs de silos pour missiles intercontinentaux ICBM ; l’arrivée, que l’on estime prochaine, du bombardier stratégique furtif H-20 ; ainsi que les efforts produits pour améliorer l’efficacité et la discrétion des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins SSBN et de leurs missiles SLBM.

De fait, il se pourrait bien que l’APL parviennent à dépasser la puissance militaire américaine et alliée, que l’on peut, sans grand risque, posé comme un marqueur incontestable du statut de superpuissance mondiale, et ce, dès le début de la prochaine décennie, soit vingt ans avant l’échéance tracée par le président Xi Jinping.

Il conviendrait, par ailleurs, de s’interroger, face à ce constat, sur les objectifs recherché pour avoir dévoilé une telle ambition, et surtout un calendrier aussi lointain et déconnecté de la réalité, si ce n’est pour endormir la vigilance occidentale qui, d’ailleurs, n’en demandait pas tant pour abaisser sa garde.

Des options limitées pour les États-Unis, et une décision politique qui tarde à venir

Reste que, comme le décrit la Stratégie industrielle de défense américaine en cours de finition, les options américaines sont limitées pour tenter de répondre au défi posé par la Chine dans ces domaines. D’autant que le calendrier, pour y parvenir, tend à se réduire de plus en plus dramatiquement.

Chaine assemblage F-35
L’industrie américaine de défense a montré, durant la crise Covid, qu’elle était très vulnérable et peu résiliente, en particulier pour ce qui concerne sa Supply Chain.

De manière triviale, la solution la plus évidente serait d’accroitre la production industrielle défense américaine. Toutefois, c’est tout sauf une entreprise aisée, alors que la crise COVID a montré la vulnérabilité de la Supply Chain américaine comme son manque de résistance, face à des facteurs exogènes défavorables.

À cela, s’ajoute un paysage industriel défense américain désormais centralisé à l’extrême, et aux mains de quelques grands groupes très puissants et protégeant davantage leurs marges que leur pays, en grande partie avec l’aide des nombreux relais politiques pour ne pas être menacé.

Enfin, les alliés des États-Unis, plus spécialement les européens, semblent peu enclins à prendre la mesure de la situation qui se dessine pour les années à venir avec, pour la plupart, un effort de défense bien trop limité face aux défis à venir, qui n’atteint, pour certains, pas même la valeur planché de temps de paix fixée par l’OTAN de 2 % de PIB.

Si ces pays rechignent à dépenser pour leur propre sécurité, on imagine aisément quelle sera leur posture en cas de guerre dans le Pacifique, au Moyen-Orient, et peut-être même en Europe.

De fait, les solutions préconisées par la stratégie US, qui reponsent sur un leadership d’état plus visible, une meilleure planification, une Supply Chain renforcée, et un recours accru aux PME et start-ups, apparaissent comme bien dérisoires face aux enjeux, et à la réalité du défi à venir.

Conclusion

On le voit, le diagnostic posé par le chef des acquisitions du Pentagone, William LaPlante, dans la nouvelle Stratégie Industrielle de défense américaine, est probablement le bon. Cependant, celui-ci est contraint, par son statut, quant aux mesures pouvant être préconisées pour répondre à la menace en croissance que représentent la Chine, mais aussi la Russie, l’Iran et la Corée du Nord.

Lancement d'un SNA Virginia Block IV
L’US Navy veut multiplier par 2,5 les cadences de production de ses sous-marins nucléaires d’ici à 2028. Mais les défis pour y parvenir sont immenses.

Ce serait d’autant plus le cas, si ces quatre pays venaient à agir de concert, comme on peut le soupçonner lorsque la Finlande met en cause un navire chinois dans la rupture de câbles sous-marins avec l’Estonie, et lorsque l’on observe la part croissante d’équipements et de munitions iraniens, chinois et nord-coréens, dans l’inventaire militaire russe employé en Ukraine.

Dans tous les cas, il ne fait guère de doute que pour contenir la menace chinoise dans le Pacifique, et protéger les intérêts stratégiques du pays dans cette zone, les armées américaines devront, dans un avenir proche, peser de tout leur poids sur cet unique théâtre, alors que l’industrie US sera entièrement tournée vers leur soutien face à l’APL.

Dans ce contexte, la plus efficace des postures que pourraient prendre les alliés européens, serait, sans le moindre doute, de se mettre en capacité de neutraliser la menace russe, et peut-être de contenir la menace sur le proche et Moyen-Orient et dans le Caucase, plutôt que de venir gesticuler dans le Pacifique, en s’en remettant à Washington pour faire face à Moscou.

Une chose est certaine, cependant : désormais, la course aux armements est lancée entre le bloc occidental, et l’axe formé par Moscou, Téhéran, Pékin et Pyongyang. Il ne faudrait, dès lors, certainement pas surévaluer un hypothétique avantage technologique occidental, pour compenser un rapport de force numérique trop défavorable. Voilà qui est dit… mais y aura-t-il quelqu’un pour écouter ?

Le Rafale n’intéresserait pas les forces aériennes du Kazakhstan

L’affirmation selon laquelle Astana et Paris auraient ouvert des discussions concernant lacquisition de chasseurs Rafale pour les forces aériennes du Kazakhstan, a été démenti dans une brève publiée par l’Agence Tass. Toutefois, si l’information initiale appelait à la prudence, le démenti, relayé par l’agence de presse russe, en fait tout autant.

Il y a quelques jours, une information, initialement publiée par le site intelligence online, rapportait que la France aurait ouvert des discussions avec ex-républiques d’Asie centrale, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan, au sujet de l’acquisition possible de chasseurs Rafale pour moderniser leurs flottes de chasse respectives.

Surprenante au départ, celle-ci fut par la suite confirmée par le très sérieux et bien informé Michel Cabirol du site économique latribune.fr, ajoutant que le sujet avait directement été porté par le Président français, Emmanuel Macron, à l’occasion de sa tournée officielle en Asie centrale au début du mois de novembre.

L’étonnant démenti publié par l’agence Tass

Cette information a été démentie aujourd’hui, concernant le Kazakhstan. Non pas Astana ou par les services du président Tokaiev, mais par l’agence russe TASS, citant Yerzhan Nildibayev, le commandant en chef de la défense aérienne kazakh, et par ailleurs chef du département des acquisitions d’armement du pays.

RAfale F3R
L’acquisition de chasseurs français par Astana serait un acte d’une grande portée politique.

Selon l’agence russe, l’officiel kazakh aurait démenti que des discussions étaient entreprises entre son pays et la France pour l’acquisition de chasseurs Rafale, jugés trop chers. Il précise, en outre, qu’Astana restait aligné avec son intention d’acquérir une dizaine de chasseurs Su-30SM auprès de la Russie, précisément pour moderniser ses forces aériennes.

Il est vrai que le chasseur lourd russe est beaucoup moins onéreux que le Rafale français, avec un prix moyen à l’exportation évoluant de 40 à 50 m$, deux fois moins que le chasseur français. Toutefois, si l’information initiale pouvait susciter certaines interrogations, la dénégation, publiée par l’agence Tass, en soulève encore davantage.

Ainsi, selon la tribune, tout indiquait que les discussions autour de cette possibilité avaient lieu au plus haut niveau politique de l’État. Alors que pour l’infirmer, l’agence de presse russe n’a pu citer qu’un opérationnel qui, bien que pilotant les acquisitions kazakhs, pourraient très bien avoir été exclu à ce niveau des discussions.

Su-30Sm forces aériennes kazakhs
Les forces aériennes du Kazakhstan mettent déjà en œuvre des Su-30SM, ainsi qu’une flotte extrêmement hétérogène de chasseurs soviétiques allant du Mig-23 au Su-27, en passant par le Su-25 et le Mig-31.

L’hypothèse avancée de se tourner vers le Su-30SM plutôt que vers le Rafale est, elle aussi, suspecte. Les deux appareils n’évoluent, en effet, ni dans la même sphère opérationnelle, ni dans la même sphère technologique. À ce titre, il semble que les forces aériennes russes privilégient aujourd’hui, en Ukraine, l’utilisation de Su-35s pour la supériorité aérienne, et de Su-34 pour les missions de frappe, plutôt que leurs Su-30.

L’acquisition de Rafale par le Kazakhstan serait une décision politique majeure

Surtout, la décision de se tourner, ou pas, vers le Rafale, relève avant tout, pour le Kazakhstan, d’une décision politique, et non de la simple comparaison du rapport couts/bénéfices tels qu’il a été présenté par l’agence de presse russe.

Ainsi, si Astana venait à se tourner vers le chasseur français, elle marquerait, de manière très visible, une importante prise de distance vis-à-vis de Moscou, justifiant de choisir d’autres partenaires pour l’acquisition d’équipements aussi sensibles que les avions de combat. Rappelons, à ce titre, que ces derniers mois, les autorités kazakhs avaient, à plusieurs reprises, marqué leurs désaccords avec la Russie, y compris en signant un traité d’assistance militaire mutuelle avec la Chine.

À l’inverse, en continuant à acquérir des équipements de défense russes majeurs, Astana pourrait s’exposer aux conséquences de la législation américaine CAATSA, qui permet à Washington de mettre sous sanctions décideurs politiques et institutions clientes de l’industrie de défense russe.

Macron Tokayev Novembre 2023 Astana
Le président kazakh Tokaiev a reçu le président Macron en sa résidence de Akorda le 1ᵉʳ novembre 2023, à l’occasion de la tournée du président français en Asie centrale.

Enfin, sachant que l’information initiale aurait été confirmée par Dassault Aviation, qui est plutôt très discret quant à ses négociations internationales qu’exubérant sur le sujet, on peut douter de l’affirmation faite par Yerzhan Nildibayev, selon laquelle aucune négociation ne serait en cours à ce sujet.

Une information qui n’aurait pas dû sortir ?

En revanche, on peut penser que l’information n’aurait probablement pas dû filtrer dans la presse française, eu égard à la sensibilité politique du sujet, amenant l’agence Tass à publier un démenti peu convaincant pour en contrôler la narration.

Reste que la brève publiée par l’Agence russe, montre toute la difficulté et la sensibilité que représente ce type de négociation, en particulier lorsque des enjeux politiques majeurs y sont attachés. Il convient donc de se montrer patient, et surtout très prudent, face à ce type de révélation, ne serait-ce que pour ne pas mettre les négociateurs industriels et plénipotentiaires français, en position difficile, dans leurs démarches.

Pourquoi le tsunami F-35 en Europe va-t-il menacer les programmes SCAF et GCAP ?

Les autorités portugaises ont annoncé qu’elles se tourneraient vers le F-35 américain pour remplacer leur flotte de chasse équipée aujourd’hui de F-16. Il s’agit du 14ᵉ pays européen à se tourner vers le chasseur furtif de Lockheed-martin, devenu le standard européen de fait sur le vieux continent en matière d’avion de chasse. Comment expliquer ce succès sans précédant américain, et quels en sont, et seront, les conséquences, sur l’avenir de l’industrie aéronautique militaire du vieux continent ?

« La clause de solidarité de l’Otan est l’article 5, pas l’article F-35 ! » C’est en ces termes qu’en 2019, à l’occasion d’une prise de parole au sein de l’Atlantic Council, la ministre des Armées françaises, Florence Parly, avait tenté de ramener l’administration de Donald Trump à de plus justes positions, quant à la pression qu’elle faisait peser sur les européens pour acheter le chasseur furtif de Lockheed-Martin.

À ce moment-là, l’idée dominante, en France, était que le succès du F35 en Europe, s’expliquait d’abord et avant tout par la pression exercée par Washington et l’OTAN sur ses alliés, et ce, au détriment des appareils européens : le Gripen suédois, l’Eurofighter Typhoon européen et le Rafale français.

Quatre années plus tard, alors que la nouvelle administration Biden s’est montrée bien moins insistante pour imposer le chasseur en Europe, force est de constater que la dynamique F-35 est loin de s’estomper. D’ailleurs, après la Grèce il y a quelques mois, puis la Roumanie et la République tchèque il y a quelques semaines, le Portugal vient d’annoncer qu’il se tournerait vers le chasseur de Lockheed-martin pour remplacer ses F-16 vieillissants, devenant ainsi le 14ᵉ pays européens à s’être déclaré en faveur de cet appareil.

Historique du Tsunami F35 en Europe

Depuis les premières commandes européennes de la part des partenaires du programme britanniques, néerlandais, italiens, danois et norvégiens, le chasseur furtif de Lockheed-Martin s’est imposé partout où il avait été proposé, en Europe comme ailleurs.

F-35A USAF
Pourquoi le tsunami F-35 en Europe va-t-il menacer les programmes SCAF et GCAP ? 36

En Europe, au-delà des commandes de ces 5 premiers pays dès le début des années 2010, ce fut au tour de la Pologne en 2018, puis de la Belgique en 2019, de se tourner vers l’appareil.

En 2021, c’était la Suisse qui tournait le dos au Rafale français, pourtant présenté comme favori par la presse helvétique, pour acquérir le F-35, suivie en 2022 par la Finlande, au plus grand désespoir de la Suède qui espérait construire un puissant partenariat industriel et défensif autour du Gripen E/F avec son voisin dont elle partage bien plus qu’une frontière.

Grèce, Roumanie, République tchèque, Portugal : une déferlante F-35 en 2023

Mais l’année la plus notable, concernant les acquisitions européennes du F-35 américain, sera incontestablement 2023. Après qu’en début d’année, Athènes ait confirmé son intention de commander, dans les années à venir, le F35A pour remplacer une partie de ses F-16, la Roumanie puis la République tchèque firent de même quelques mois plus tard.

Enfin, cette semaine, le Portugal, dernier utilisateur historique du F-16 américain à ne pas avoir franchi le Rubicon, vient d’annoncer sa décision de remplacer prochainement ses chasseurs par le F-35A de Lockheed-Martin.

Les deux tiers des forces aériennes européennes équipées de F35 en 2030

Le fait est, comme évoqué dans un précédent article, il est plus que probable que d’ici à 2030, seules 7 ou 8 forces aériennes des 25 forces aériennes en Europe, ne seront pas équipées du chasseur furtif américain : la France, la Croatie et peut-être la Serbie, qui évolueront sur Rafale ; la Suède et la Hongrie avec une flotte de Gripen ; la Slovaquie, la Slovénie et peut-être la Bulgarie, sur F-16.

RAfale et Gripen
Pourquoi le tsunami F-35 en Europe va-t-il menacer les programmes SCAF et GCAP ? 37

Deux inconnues demeurent aujourd’hui sur le sujet. L’Espagne d’une part, même s’il s’agit d’un secret de polichinelle, puisque Madrid n’a d’autres choix que de choisir le F-35B pour remplacer ses Harrier II, et l’Autriche de l’autre, alors que le pays semble ne pas encore avoir arbitré quant à l’avenir de sa flotte de Typhoon Block 1.

Notons aussi que le raz de marée F-35 ne se limite pas à l’Europe. Ainsi, partout ou l’appareil a été autorisé à l’exportation, celui-ci s’est imposé, que ce soit en Australie, au Japon, en Corée du Sud, en Israël, au Canada et à Singapour. Les appareils européens, quant à eux, n’ont pu s’imposer que lorsque le chasseur américain n’était pas proposé, comme en Égypte, dans les pays du Golfe, en Inde, en Indonésie ou au Brésil.

Comment expliquer le succès du F-35 en Europe ?

Ce succès incontestable du chasseur furtif en Europe, n’est pas, en soi, une surprise. Depuis la fin des années 2000, Dassault Aviation répétait à qui voulait l’entendre, que le Lightning II avait été conçu, avant tout, pour tuer l’industrie aéronautique européenne, en la privant de ses marchés, et de prendre la main sur l’autonomie stratégique du vieux continent.

En effet, le chasseur américain avait, dès le départ, tout pour séduire les forces aériennes. D’abord, si ses performances aéronautiques et sa configuration monomoteur étaient incontestablement inférieures à celles des chasseurs européens, l’appareil américain avait des atouts exclusifs.

Cockpit F-35
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Il pouvait s’appuyer sur une furtivité avancée, en particulier en secteur frontal, et une chaine de détection, de traitement et de communication, beaucoup plus évoluée que ne l’étaient les appareils du vieux continent au début des années 2010.

L’âge des Eurocanards face à la nouveauté du F-35

Surtout, le F35 est arrivé sur le marché au parfait moment pour remplacer les appareils vieillissants en Europe, et particulièrement les F-16 et F-18 largement répandus auprès des forces aériennes européennes. À l’inverse, qu’il s’agisse du Rafale comme du Gripen ou du Typhoon, tous trois étaient apparus 20 auparavant, alors que beaucoup de forces aériennes européennes étaient au milieu de la durée de vie de leurs flottes de chasse.

En outre, l’appareil américain a été présenté, dès le début de sa commercialisation, avec une visibilité technologique et capacitaire sur plus de 20 ans, permettant aux acquéreurs de se projeter bien au-delà de la configuration initiale qui leur serait effectivement livrée, nonobstant les couts souvent importants de modernisation requis.

La visibilité technologique du F-35 très supérieure à celle des Rafale, Gripen et Eurofighter Typhoon

À l’inverse, qu’il s’agisse du Rafale, du Gripen ou du Typhoon, la visibilité évolutive offerte dépassait rarement plus de dix ans. On peut, à ce titre, se demander quel aurait été le succès du Rafale, si la perspective d’une version F5 et d’un drone de combat Neuron à horizon de 2030, avait été présentée à la Belgique ou la Pologne en 2018/2019 ?

RAfale et Neuron
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Enfin, au travers du programme Joint Strike Fighter qui rassemblait, dès son lancement, cinq pays européens, l’appareil devenait de fait un premier standard Européen, d’autant que parmi ces cinq pays figuraient déjà deux des concepteurs du Typhoon, la Grande-Bretagne et l’Italie. Difficile, dans ces conditions, de faire valoir la confiance de Londres et de Rome dans le chasseur européen, après s’être soi-même tourné vers le F-35.

Sur ce socle européen fertile, Lockheed-Martin a pu construire une stratégie de conquête particulièrement efficace, d’autant plus que les tensions en Europe devenaient de plus en plus intense, et que toutes les capitales européennes, à quelques exceptions près, semblaient n’avoir d’autre préoccupation que de donner des garanties à l’allié américain pour assurer leur protection.

Un standard européen dangereux pour le SCAF et le GCAP

Reste qu’au-delà de la captation de marché en Europe face au Rafale, au Gripen et au Typhoon, le succès du F-35 en Europe aujourd’hui, va s’avérer un handicap sévère pour le programme SCAF qui rassemble français, allemands, espagnols et belges, et le GCAP britannique, italien et japonais.

Le SCAF/GCAP seront-ils à contre-temps comme les Eurocanards ?

En effet, l’immense majorité des forces aériennes européennes auront été équipées de nouveaux F-35 entre 2020 et 2035, des appareils qui resteront en service jusqu’en 2060, voire 2075. Or, la fenêtre optimale du SCAF du point de vue commercial, s’étendra de 2040 à 2060, c’est-à-dire jusqu’à ce que le successeur du F35 soit proposé outre-atlantique.

NGF du programme SCAF
Pourquoi le tsunami F-35 en Europe va-t-il menacer les programmes SCAF et GCAP ? 40

De fait, à l’instar des Eurocanards des années 80 et 90, le SCAF, comme le GCAP, arriveront probablement sur un marché en faible demande, hors événement international majeur qui viendrait radicalement bouleverser le tempo technologique militaire actuel. Pire, trois des quatre partenaires du SCAF, et tous les partenaires du GCAP, seront déjà équipés de F35, venant réduire leurs besoins en termes de modernisation des forces aériennes.

Un marché initial très limité pour les 20 premières années de SCAF et GCAP

Ainsi, au mieux, le SCAF pourra compter sur une commande de 200 à 225 NGF par la France, de 150 appareils par l’Allemagne, de 100 chasseurs espagnols et d’une vingtaine d’appareils par la Belgique, soit de 470 à 500 appareils. De même, pour le Tempest, avec 150 appareils pour la Royal Air Force, une centaine pour les forces aériennes italiennes, et autant pour les forces d’autodéfense nippones, ne pourra s’appuyer que sur 350 appareils, au mieux 400.

Le marché adressable hors d’Europe risque de ne pas être d’un grand secours, alors que la majorité des Rafale, Typhoon et Gripen E exportés, ont été livrés à partir de la fin des années 2010, et continueront à l’être jusqu’en 2030, et même au-delà. Ils ne devront être remplacés qu’à compter de 2060, dans le meilleur des cas.

Ces chiffres laissent entrevoir qu’il faudra faire vivre le programme SCAF de 2040 à 2060, sur les seules commandes nationales, et ainsi maintenir les BITD des 4 pays participants, avec une production annuelle n’excédant pas 25 appareils. Lorsque le marché sera prêt pour se renouveler, à partir de 2065, le NGF et le Tempest souffriront probablement des mêmes faiblesses que les Rafale et Typhoon face au F35, à savoir l’image d’un appareil et d’un système de combat relativement daté, qu’il sera plus difficile à valoriser face à un système de combat conçu dans les années 2050.

Repenser le programme SCAF pour recoller au tempo technologique américain ?

On le voit, le décalage commercial et technologique qui a tant handicapé les Eurocanards face au F-35 ces dernières années, risque fort de se retrouver lors de la prochaine génération, avec une industrie US qui continue de donner le tempo principal pour le marché adressable par les acteurs occidentaux.

Tempest du programme GCAP
Pourquoi le tsunami F-35 en Europe va-t-il menacer les programmes SCAF et GCAP ? 41

Notons d’ailleurs que ce décalage n’est pas apparu avec le Rafale, le Typhoon ou le Gripen, face au Lighting 2, mais avec les Mirage 2000, Tornado et, dans une moindre mesure, le JAS 37 Viggen, face aux F-15, F-16 et F-18 américains, dans les années 70 et 80. Ainsi, si en lieu et place du Mirage F1 et du Jaguar, français et britanniques avaient pu aligner le Mirage 2000 et le Tornado face au F-16 et F-18 américains en Europe, il est probable que certains arbitrages auraient été différents.

Quoi qu’il en soit, en maintenant la trajectoire actuelle telle qu’elle a été définie pour les programmes européens, il est presque certain que ce cycle néfaste soit appelé à se renouveler en 2060, avec, à terme, une érosion croissante du marché européen en faveur des appareils américains. Il pourrait même, au final, venir détruire, par coup de rabots successifs, l’ensemble de l’industrie aéronautique militaire européenne.

Transformer SCAF/GCAP en programme de programmes pour recoller au calendrier concurrentiel américain

Il n’est, bien entendu, pas question de reporter ces programmes, les besoins de modernisation des forces aériennes des pays concernés, et le remplacement des Rafale et Eurofighter, étant indiscutable dès 2040. En revanche, il pourrait être pertinent de les concevoir selon le concept de programme de programmes, et non plus, simplement, de système de systèmes.

En procédant ainsi, le NGF, comme le Tempest, ne serait qu’un des programmes d’un super programme bien plus étendu, et plus long, qui prévoirait dès le départ la conception d’autres appareils selon un tuilage technologique performant, de sorte à atteindre les années 2060, avec une offre parfaitement moderne, puisque conçue lors de la précédente décennie.

ligne d'assemblage Rafale Merignac
Pourquoi le tsunami F-35 en Europe va-t-il menacer les programmes SCAF et GCAP ? 42

Les programmes européens deviendraient, dans ce modèle, une organisation industrielle construite pour capitaliser sur les acquis technologiques, mais également sur les acquis en termes de coopération internationale et inter-entreprises, dans une vision à plus long terme visant à effectivement, structurer une offre européenne dynamique, perpétuellement efficace, tant du point de vue opérationnel que depuis la perspective commerciale.

Retours d’expérience et intégration de nouveaux acteurs simplifiés

Par ailleurs, un tel super-programme optimiserait les retours d’expériences des armées mettant en œuvre les équipements produits, aussi bien dans le but de les intégrer dans leurs protocoles de modernisation, mais aussi pour la conception des nouveaux appareils à venir.

Notons enfin qu’en transformant SCAF ou GCAP en programme de programmes, il deviendrait beaucoup plus aisé d’y intégrer de nouveaux acteurs, avec des besoins industriels et opérationnels différents, sans venir handicaper les acquis durement négociés, mais en privilégiant l’émergence d’un véritable standard européen, qui ne serait plus lsous tutelle américaine.

Ce serait évidemment difficile à concevoir, et très certainement complexe à mettre en œuvre. Mais le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ?

Le missile antinavire 3SM Tyrfing germano-norvégien entrera en service en 2035 pour contrer le FMAN/FMC

La Norvège et l’Allemagne ont annoncé qu’elles développaient conjointement le nouveau missile antinavire 3SM Tyrfing supersonique, destiné à prendre, dès 2035, la succession du NSM de Kongsberg. Il s’agit, incontestablement, d’une réponse d’Oslo et de Berlin, à la résurrection récente du programme franco-britannique FMC/FMAN, renforcée, en juin dernier, par l’arrivée de l’Italie.

Les succès commerciaux récents du missile NSM de Kongsberg face à l’Exocet français

Avec la famille de missile Exocet, la France a longtemps été le leader européen incontesté dans le domaine des missiles antinavires, et le seul concurrent de taille au célèbre Harpoon américain. Ainsi, les différentes versions du missile français développé à la fin des 70 par Aérospatiale, équipent encore plus de 35 forces navales dans le monde, et ont démontré son efficacité lors de plusieurs conflits, des malouines à la guerre Iran-Irak.

MM40 Exocet
Plus de 35 marines dans le monde mettent en œuvre aujourd’hui différentes versions du missile antinavire Exocet français.

Ces dernières années, toutefois, plusieurs concurrents sont apparus, venant rapidement grignoter les parts de marché d’un exocet peinant à se renouveler. L’un des plus sérieux d’entre eux est le Naval Strike Missile, développé par le norvégien Kongsberg.

Entré en service en 2012 sur les frégates norvégiennes, le missile a notamment été retenu par l’US Navy pour renforcer l’armement de ses Littoral Combat Ships, et armer les futures frégates de la classe Constellation. Il a depuis été retenu par sept autres marines, dont cinq appartiennent à l’OTAN (Allemagne, Australie, Canada, Espagne, Malaisie, Pologne et Roumanie).

Le programme FMC/FMAN qui rassemble la France, la Grande-Bretagne et l’Italie

Pour succéder aux Exocet subsoniques à vol rasant, la France et la Grande-Bretagne ont entrepris, dans le cadre des accords de Lancaster House en 2010, de développer une nouvelle famille de missiles navals baptisés Futur Missile de Croisière et Futur Missile Anti-Navire, ou FMC/FMaN dans la terminologie française.

Le premier doit permettre de succéder aux Tomahawk armant les destroyers, frégates et sous-marins de la Royal Navy, ainsi que les MdCN qui arment les frégates de la classe Aquitaine et les sous-marins nucléaires d’attaque Suffren de la Marine Nationale.

Rafale SCALP
Le missile de croisière franco-britannique SCALP / Storm Shadow a démontré son efficacité opérationnelle à plusieurs reprises sous les ailes des Mirage 2000, Rafale et Typhoon des deux pays.

Le second remplacera les Harpoon britanniques, ainsi que les Exocet français, sur toutes les unités de surface combattantes et à bord des sous-marins d’attaque des deux pays. Évidemment, Londres comme Paris anticipent un important succès à l’exportation pour ces deux missiles, sur la base de la confiance construite autour de la famille des Exocet.

Toutefois, la coopération franco-britannique s’avéra beaucoup plus difficile qu’anticipé, en partie en raison des conséquences du Brexit. Ainsi, si un second programme de missile, l’ANL pour Anti-Navire Léger, ou Sea Venom dans la nomenclature outre-Manche, a effectivement été qualifié en 2020, le programme de guerre des Mines conjoint a vu ses ambitions sensiblement se réduire.

Quant au programme FCAS, qui devait permettre de concevoir un drone de combat franco-britannique à horizon 2030, il a été tout simplement annulé unilatéralement par Londres, préférant se tourner vers le développement de sa flotte de F-35B, et vers le programme Tempest.

Le programme FMC/FMaN, lui, évolua pendant plusieurs années dans un statut de stase, n’étant ni réellement lancé, ni formellement abandonné. Il fallut attendre l’automne 2021 pour que le programme retrouve des couleurs, à l’occasion d’une réunion rassemblant des représentants du ministère de La Défense et des DSTL (Defense and Science Technology Laboratory) britanniques, de la DGA française ainsi que des industriels comme Thales, MBDA et Leonardo, qui s’est tenue à Londres les 27 et 28 octobre 2021.

FMC/FMAN MBDA
Le FMC aura un profil furtif, alors que le FMAN (à droite), sera conçu pour une vitesse supersonique, voire hypersonique.

Plus récemment, en juin 2023, l’Italie et l’industrie Leonardo rejoignirent le programme, lui redonnant, pour l’occasion, la trajectoire et le calendrier nécessaires pour sortir de l’ornière dans laquelle il se trouvait, avec l’objectif d’une entrée en service en 2028 pour la version FMAN antinavire supersonique, et en 2030 pour la version de croisière furtive.

Le missile antinavire 3SM Tyrfing germano-norvégien pour 2035

Bien évidemment, la redynamisation du programme FMAN/FMC ne fait guère les affaires de Kongsberg, les nouveaux missiles européens promettant d’être sensiblement plus performants que le NSM. En outre, le développement du missile avait déjà requis d’importants investissements, ne permettant pas d’envisager un nouveau développement rapidement, ou tout du moins, pas seul.

Il semble toutefois qu’Oslo ait trouvé un partenaire de poids, pour rester dans la course, et tenter de continuer à grignoter les parts de marché dans ce domaine. En effet, les autorités norvégiennes et allemandes ont annoncé, il y a quelques jours, s’associer dans le but de developper conjointement un nouveau missile supersonique antinavire, le SuperSonic Strike Missile ou 3SM, baptisé aussi Tyrfing.

Missile antinavire 3SM Tyrfing Kongsberg
Visuel diffusé par Kongsberg lors de l’annonce du développement du missile antinavire 3SM Tyrfing.

Selon les informations transmises à cette occasion, le nouveau missile sera destiné à armer les navires de combat des deux flottes, et pourra atteindre des cibles navales et terrestres avec une grande précision, et surtout à haute vitesse. Les deux pays partageant aussi un second programme majeur naval, avec le développement des sous-marins Type 212 CD, il ne fait guère de doute qu’une version à changement de milieu du Tyrfing sera, elle aussi, développée, ainsi qu’une possible version aéroportée.

Du fait des visuels transmis, les conjectures font état d’une propulsion par statoréacteur, avec une vitesse pouvant atteindre Mach 3,5, voire d’un Scramjet, qui lui permettrait d’atteindre le seuil hypersonique de Mach 5.

Surtout, le communiqué de presse publié par Kongsberg, qui pilotera le programme, annonce un objectif à 2035 concernant l’entrée en service du missile. Considérant la prime jeunesse du NSM, et l’ambition d’une entrée en service aussi rapide, il ne fait aucun doute qu’il s’agit là, pour Oslo comme pour Berlin, d’une réponse à l’initiative FMC/FMAN précédemment évoquée.

On remarquera, à ce titre, que Berlin multiplie, depuis quelques mois, les programmes en coopération bilatérale de ce type, s’appuyant sur un partenaire disposant des compétences technologiques.

C’est ainsi que sur le modèle de la coentreprise germano-isralienne EuroSpyke, qui a été la fossoyeuse d’Eurosam dans le domaine des missiles antichars, Berlin a lancé, ces derniers mois, Eurotrophy, pour vendre le système hard kill israélien Trophy en Europe, et s’apprête à créer EuroArrow et EuroPuls, pour faire de même avec le système antibalistique israélien Arrow 3, et le système lance-roquette multiple Puls, lui aussi israélien.

Une bonne nouvelle pour maitriser les prix et les délais des deux programmes européens

Pour autant, l’annonce du développement du Tyrfing n’est pas, en soi, une mauvaise nouvelle, y compris pour la France, l’Italie et la Grande-Bretagne. Comme l’a montré l’expérience américaine, le fait de ne disposer, sur son périmètre intérieur, que d’une offre unique, tend à créer une envolée des couts de développement et d’acquisition.

SCALP EG Su-24 Ukraine
Le missile SCALP EG / Storm Shadow est intensément employé en Ukraine contre les infrastructures russes. Il a démontré sa capacité à évoluer au travers des défenses antiaériennes denses de Moscou.

À l’inverse, lorsque au moins une offre concurrente existe sur le même périmètre, les effets de la concurrence, notamment sur les marchés extérieurs, tendent à imposer aux industriels une plus grande maitrise dans ce domaine, au plus grand bénéfice des armées et des contribuables européens.

Qui plus est, avec cette annonce, le programme franco-italo-britannique ne peut désormais plus se permettre de déraper sur le plan du calendrier, et obligera industriels et politiques à produire les efforts nécessaires pour, effectivement, une entrée en service des deux versions d’ici à 2030. Alors que l’Exocet a atteint les limites de ce que peut faire un missile de ce type, et que le SCALP a été largement employé en Ukraine, il est plus que bienvenue qu’une nouvelle génération de ces types de missile arrivent bientôt pour préserver leur caractère dissuasif face à un adversaire potentiel.

Reste désormais à MBDA France & UK, ainsi qu’à Leonardo, a démontré qu’ils maitrisent parfaitement leur sujet, pour concevoir, dans les temps, deux missiles qui sauront s’imposer en Europe et ailleurs, comme le fit l’Exocet, face à toute la concurrence, et pas uniquement celle posée par le NSM et le Tyrfing.

Pourquoi la France devrait-elle developper, en plus du programme SCAF, un second avion de combat ?

Il y a quelques jours, la ministre belge de la Défense, Ludivine Dedonder, annonçait par un post sur LinkedIn, que l’accord conférant à la Belgique le statut d’observateur au sein du programme SCAF, serait signé dans les semaines à venir.

Surtout, elle précisa que son pays devrait rejoindre le programme qui rassemble déjà l’Allemagne, l’Espagne et la France, de plein droit en juin 2025. Pour l’heure, le rôle exact de Bruxelles et de son industrie aéronautique, au sein du programme, n’a pas été communiqué. Il devra probablement être négocié durant les 18 mois à venir, jusqu’à l’entrée officielle du pays.

L’arrivée de la Belgique dans le programme SCAF ouvre la porte à d’autres pays européens

L’arrivée de Bruxelles dans le programme SCAF ne s’est pas faite sans heurts. Ainsi, Eric Trappier, le PDG de Dassault Aviation, s’était montré pour le moins hostile à l’idée de devoir, à nouveau, morceler le partage industriel qui fut particulièrement difficile à négocier, pour laisser entrer les entreprises aéronautiques belges, d’autant qu’il conserve une certaine amertume quant à la décision de Bruxelles de choisir le F-35A américain plutôt qu’un avion européen pour moderniser ses forces aériennes.

F-35A USAF
Le choix par Bruxelles du F-35A pour remplacer ses F-16 peut désormais difficilement lui être reprochée, alors que l’Allemagne a commandé l’appareil, et que l’Espagne s’apprête à le faire.

La position du chef d’entreprise français, concernant l’acquisition de l’avion américain par Bruxelles, sera toutefois difficile à conserver, alors que l’Allemagne a déjà commandé deux escadrons de F-35A pour remplacer les Tornado participant à la mission de partage nucléaire de l’OTAN, et que l’Espagne s’apprête à commander 25 F-35B pour remplacer ses Harrier 2, et probablement 25 autres F-35A pour remplacer une partie de ses F-18.

Pour autant, le problème de fond, à savoir un périmètre industriel et technologique fixe, face à un nombre croissant d’acteurs, reste, lui, très présent, d’autant qu’au-delà de la Belgique, d’autres pays européens pourraient, à leur tour, se montrer intéressés à rejoindre le programme.

C’est notamment le cas de la Suède, qui vient d’annoncer son retrait définitif du programme GCAP britannique, et qui se donne jusqu’au début de la prochaine décennie, pour déterminer la marche à suivre pour le remplacement de ses Gripen E/F.

L’arrivée de Stockholm, et en particulier de Saab, dans le programme SCAF, serait évidemment un atout de taille, du point de vue technologique comme commercial. Toutefois, cela ne pourra pas se faire sans, une nouvelle fois, venir rogner sur les périmètres industriels déjà consentis aux grands acteurs des BITD aéronautiques allemandes, espagnoles et surtout françaises.

Un périmètre trop restreint pour préserver les compétences de l’industrie aéronautique française

Et pour cause ! Dans sa conception actuelle, le SCAF et ses sept piliers technologiques, sont un ensemble bien défini, mais contraint, du point de vue technologique. Ainsi, il n’est pas question de developper d’autres avions de chasse que le Next Generation Fighter, ou NGF, l’avion de combat qui sera au cœur de ce système de combat aérien de 6ᵉ génération.

Lecornu Robles Pistorius
Les ministres de la Défense français (S.Lecornu à gauche), espagnol (E.Robles au centre) et allemand (B. Pistorius, à droite), ont été contraints de reprendre en main le programme pour imposer un partage industriel aux industriels, et préserver le programme SCAF.

En d’autres termes, le SCAF est aujourd’hui, du point de vue technologique, un jeu à somme nulle. Et l’arrivée d’un nouvel acteur ne pourra se faire qu’au détriment des acteurs industriels déjà présents, tout du moins du point de vue du développement des compétences technologiques. En effet, du point du chiffre d’affaires direct, il est probable que ce périmètre sera relativement préservé, avec l’augmentation du nombre d’appareils et de systèmes produits en lien avec l’arrivée de nouveaux acteurs.

On comprend, dans ces conditions, l’hostilité mal maitrisée de Dassault Aviation, qui fait ici office de porte-voix de la plupart des acteurs de la BITD aéronautique française, déjà impliquée au sein de la team Rafale, face à l’arrivée de nouveaux acteurs.

Alors que pour les industriels espagnols, et une grande partie des industriels allemands, le programme SCAF permettra une montée en compétence plus que significative, pour les industriels français, qui savent avoir les compétences pour developper seuls un système comme le SCAF, ce partage ne peut se faire qu’au détriment du maintien de compétences et savoir-faire difficilement acquis, et souvent enviés par le monde.

Eurofighter Typhoon de la Luftwaffe en patrouille e1626176087880 Planification et plans militaires | Actualités Défense | Chars de combat MBT
Airbus DS souhaitait co-developper le NGF à parité avec Dassault Aviation, pour mettre à profit et étendre ses compétences et savoir-faire dans le domaine.

C’est aussi le cas d’Airbus DS, qui dispose de compétences et savoir-faire très étendus dans la conception de cellule et de commandes de vol, et qui a dû se mettre en retrait face à Dassault, dans le cadre du partage industriel. Ce qui fut au cœur des tensions opposant les deux industriels pendant presque deux ans, et ayant amené le programme au bord de l’implosion.

On comprend, dans ces conditions, ce que l’arrivée de nouveaux acteurs dans le programme SCAF, peut avoir de déstabilisant pour ces industriels concentrés sur la préservation et le développement de leurs savoir-faire concurrentiels, plus que dans la dimension politique de l’initiative, en particulier en France, dont la BITD est la plus étendue.

Le Rafale F5 et le Neuron pour assurer l’intérim industriel et commercial

En dépit du tropisme très européen du président français, il semble que les autorités du pays ont entendu, en partie tout du moins, les inquiétudes de leurs industriels. Ainsi, le nouveau standard du Dassault Rafale, désigné F5, présenté à l’occasion des discussions parlementaires autour de la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, s’est avéré beaucoup plus ambitieux qu’il ne devait initialement l’être.

Cette version va, en effet, représenter un tournant technologique et opérationnel majeur pour le chasseur français, que l’on peut aisément comparer à ce que dont les Super Hornet et les Gripen E/F, vis-à-vis des appareils qui les précèdent.

RAfale ASMPA
Le Rafale F5 aura la difficile mission de porter la composante aérienne de la dissuasion française jusqu’au-delà de 2040, dans un environnement sécuritaire plus que dégradé.

Surtout, la conception du Rafale F5, et avec lui du drone de combat Loyal Wingman dérivé du Neuron, va représenter une bouffée d’oxygène plus que bienvenue pour les grands industriels français.

Ceux-ci vont pouvoir developper des systèmes et s’approprier des compétences technologiques dont ils ont été privés dans le cadre du programme SCAF, et ainsi réduire l’écart technologique qui les séparera de certains industriels européens et mondiaux, à la sortie du programme.

Un second programme est nécessaire pour préserver l’autonomie stratégique française

Reste que le programme SCAF continue de représenter, d’un certain point de vue, une menace sur les compétences technologiques des industries aéronautiques de défense française, mais aussi sur la réalité de l’autonomie stratégique du pays.

On notera, à ce titre, que ce dernier point est parfaitement assumé par l’exécutif, le président Macron n’ayant jamais masqué son intention de transférer le concept d’autonomie stratégique d’un échelon national, à celui d’un échelon européen. Cette ambition était d’ailleurs au cœur du lancement des différents programmes franco-allemands annoncés en 2017, dont SCAF était le fer de lance, aux côtés de MGCS, MAWS, CIFS et Tigre III.

Drone Neuron
Le développement du drone de combat dérivé du Neuron, dans le cadre du programme Rafale F5, permettra aux industriels français de developper des compétences propriétaires dont ils ont été privés par le partage industriel dans SCAF.

On ne peut, toutefois, s’empêcher de constater que l’euphorie de 2017, a depuis cédé la place à de nombreuses inquiétudes et déceptions, y compris avec le partenaire allemand. Ce sont d’ailleurs en grande partie celles-ci qui ont amené le ministère des Armées à concevoir un programme Rafale F5 beaucoup plus ambitieux qu’il ne devait l’être, tant pour préserver les capacités stratégiques et opérationnelles des armées, que celles technologiques des industriels nationaux.

Dans ce contexte, on se doit de s’interroger sur la nécessité, au-delà du Rafale F5 et de SCAF, pour la France, d’envisager la conception d’un second programme aéronautique tuilé vis-à-vis de SCAF, et prenant la suite du Rafale à horizon 2040 ? Sa principale finalité serait de préserver les compétences de la BITD, son marché international ainsi que l’autonomie stratégique française, sur le constat qu’il est encore certainement beaucoup trop tôt pour s’appuyer sur un hypothétique élan vers une autonomie stratégique européenne.

Loin de faire double emploi avec SCAF, ce programme pourrait, au contraire, se concentrer sur la conception d’un système de combat aérien complémentaire à celui-ci, autour d’un avion de combat plus léger et surtout moins onéreux, à la portée des forces aériennes moins fortunées, comme le furent longtemps les Mirage de Dassault Aviation face aux F-4 américains et autres Lighting britanniques.

Enfin, un tel programme pourrait permettre d’accueillir de nouveaux acteurs européens, sans venir menacer le partage industriel autour de SCAF, en particulier la Suède, elle aussi attachée au développement d’un système de combat plus léger et moins onéreux que ne promettent de l’être SCAF ou GCAP.

Conclusion

On le voit, l’érosion des compétences avancées de la BITD aéronautique française, et sa dissolution dans une super BITD européenne, ne sont pas inéluctables, ni même, en réalité, souhaitables dans un avenir proche.

Programme SCAF système de systèmes et cloud de combat
Contrairement aux avions de génération précédente, le programme SCAF porte sur un système de combat complet, intégrant notamment un cloud de combat destiné à devenir le cœur opérationnel de l’engagement coopératif du système et son interface unique avec les systèmes rattachés. E d’autres termes, tous les systèmes du SCAF pourront collaborer avec un nouveau système, dès lors qu’il sera connecté au cloud de combat, à l’instar, par exemple, de ce que fait Windows entre les programmes et les périphériques d’un PC.

Si un programme comme SCAF peut, en effet, représenter une fondation solide pour y parvenir, il n’est pas raisonnable de parier l’autonomie stratégique française sur une ambition trop optimiste à la vue des enseignements récents, qu’il s’agisse des difficultés rencontrées dans les négociations autour de SCAF et MGCS, de l’abandon possible de MAWS et de CIFS, et des initiatives unilatérales comme European Sky Shield.

Sans revenir en arrière, et préconiser un abandon de SCAF, ce qui résulterait immanquablement en un programme national bien moins ambitieux, il est possible, en étendant l’assiette de SCAF par l’ajout de nouvelles cellules et capacités, ou en développant en parallèle, un second programme, de faire d’une pierre de coup, en accueillant davantage de partenaires européens, sans raboter les partages industriels déjà en tension en son sein.

Reste que, pour y parvenir, il sera nécessaire de revenir sur certains dogmes aux fondements contestables, comme celui de l’avion polyvalent, unique et évolutif qui serait plus économique qu’une flotte moins homogène, comme sur l’obsession sur les grandes séries, censées permettre des économies d’échelle qui sont loin d’être évidentes à l’usage.

Surtout, il parait indispensable de préserver, dans la présente situation sécuritaire, la réalité de l’autonomie stratégique française, sur laquelle le pays peut s’appuyer non seulement pour se protéger, mais également pour protéger ses voisins.

NGF salon du bourget
Le programme SCAF offre d’immenses marges de progression pour faire émerger, à terme, l’autonomie stratégique européenne. Toutefois, dans les 30 années à venir, la France ne soit pas se démunir de sa propre autonomie stratégie acquise de hautes luttes au fil des années, tant que les partenaires européens ne seront effectivement pas prêts à s’engager pleinement et définitivement dans cette voie.

Et de se rappeler que, selon la dernière étude de l’Agence Européenne de Défense, si les budgets d’acquisition des équipements de défense en Europe ont fortement progressé en Europe, ceux-ci ont majoritairement été employés pour acquérir des équipements non européens, alors que dans le même temps, les budgets consacrés à la Recherche et au développement technologique dans ce domaine, ont diminué au sein de l’UE.

De toute évidence, le concept d’autonomie stratégique européenne est encore trop immature pour que la France puisse parier son avenir dessus. Il faut donc préserver les compétences de la BITD française dans son entièreté, y compris en étendant le périmètre du seul programme SCAF.

Les succès export de l’industrie de défense peuvent-ils financer les armées ?

Si les armées et l’industrie de défense collaborent dans de nombreux domaines, elles peinent à trouver, aujourd’hui, un terreau mutuellement fertile lorsqu’il s’agit de soutenir les exportations d’armement. Pourtant, un changement de modèle pourrait permettre d’étendre considérablement cette coopération, aux bénéfices aussi bien des industriels que des armées, et de leurs capacités d’investissement pour l’acquisition de nouveaux équipements.

Depuis 2017, les dépenses de défense française ont sensiblement augmenté, passant de 34 Md€ en 2016 à 44,9 Md€ en 2023, et 47,2 Md€ en 2024, soit une hausse de presque 40 % en seulement 8 ans. L’effort de défense, quant à lui, est passé de 1,55% du PIB, à 1,95% aujourd’hui, avec l’objectif de rester au-dessus de la barre des 2 % sur l’ensemble de la LPM 2024-2030.

Un déficit de crédits d’équipements des armées malgré les hausses des budgets défense

Malgré cette manne budgétaire supplémentaire, les Armées françaises sont toujours contraintes à de difficiles arbitrages dans leurs programmes d’équipement. Ainsi, les hélicoptères Gazelle de l’ALAT (Aviation légère de l’Armée de terre), pourtant déjà obsolètes depuis longtemps, continueront à voler jusqu’au milieu de la prochaine décennie, dans l’attente de la dotation complète de H160M guépard issus du programme HIL.

Gazelle Alat
Les hélicoptères Gazelle de l’ALAT continueront à voler jusqu’en 2035, dans l’attente de l’arrivée de l’ensemble des H160M Guepard

De même, seuls 7 des 10 patrouilleurs hauturiers ont été commandés pour remplacer les Patrouilleurs de haute mer A69, qui naviguent toujours malgré leur âge canonique dépassant les 40 ans.

Enfin, de nombreux besoins, comme dans le domaine de la défense aérienne, l’arme blindée, l’artillerie ou la flotte de chasse, sont couverts a minima dans cette LPM, ce qui n’ira pas sans handicaper sévèrement les performances des armées françaises au combat, surtout face à un adversaire symétrique, le cas échéant.

Les causes de ce manque de crédits sont multiples. En premier lieu, une grande partie de la hausse de l’effort de défense français, a été absorbée par l’inflation de ces dernières années, divisant par plus de deux la réalité de la hausse des crédits de ces dernières années.

D’autre part, le budget des armées de départ, en 2016, était très inférieur au budget nécessaire pour couvrir le fonctionnement normal des armées françaises à cette date, et ce, depuis plus de 20 ans. De fait, les armées ont dû reporter de nombreux programmes industriels, et doivent désormais faire face à des besoins accumulés dépassant de beaucoup ses capacités d’investissement.

Patrouilleur Hauturier OPV Marine Nationale
Le remplacement des A69 de la Marine Nationale par les nouveaux patrouilleurs Hauturier ne se fera pas à parité, malgré les besoins.

Dans le même temps, les capacités d’investissement de l’État français sont fortement contraintes, avec une dette publique dépassant les 110 % du PIB et aujourd’hui menacée par la hausse des taux d’intérêts, des engagements fermes pris vis-à-vis de Bruxelles concernant la maitrise des déficits, et une croissance qui, bien que souvent meilleure que celle de ses voisins, demeure insuffisante pour libérer les marges budgétaires qui seraient nécessaires aux armées, et à leurs capacités d’investissement.

L’Industrie de défense, un outil au potentiel sous-exploité par les armées françaises

Dans ce contexte, il parait inutile de tenter d’accroitre les investissements de défense, en particulier dans le domaine des acquisitions d’armement, au-delà de l’effort planifié par la Loi de Programmation Militaire 2024-2030.

Si solution il y a, celle-ci ne peut émerger que par l’application de nouveaux paradigmes, susceptibles de profondément modifier l’organisation des investissements industriels de défense, ainsi que la libération des crédits pour y parvenir. Il se trouve que la France dispose d’un outil adapté à un tel défi, son industrie de défense.

Celle-ci est présente sur la presque totalité des segments technologiques de défense, conférant au pays une réelle autonomie stratégique, en équipant presque totalement les armées nationales de matériels performants. En outre, elle est très exportatrice avec, en moyenne, 40 % de son chiffre d’affaires global annuel de 15 Md€, réalisés à l’international.

industrie de défense Nexter
L’industrie de défense française permet au pays de préserver son autonomie stratégique.

De fait, les relations entre cette industrie, et les armées françaises, sont naturellement très intenses, nombre des équipements et technologies de défense proposées sur la scène mondiale, ayant été développés initialement pour les armées nationales.

Celles-ci participent également au succès de cette industrie à l’exportation, au travers de leurs performances militaires démontrant l’efficacité des équipements, mais également des missions SOUTEX (soutien aux exportations), durant lesquelles les armées allouent des personnels militaires et civils pour former les armées clientes de cette industrie.

Pour autant, ces relations, dès lors qu’il est question des exportations, sont davantage perçues par les armées comme une contrainte, que comme la relation symbiotique qu’elles devraient être. En effet, les armées ne tirent presque aucun bénéfice direct du soutien aux exportations de l’industrie de défense française. Au mieux comprennent-elles que celles-ci sont indispensables pour maintenir les compétences et savoir-faire de la BITD, et participent au rayonnement du pays sur la planète.

Les conséquences de cette relation ambivalente, peuvent se trouver dans de nombreux programmes. Ainsi, la Marine nationale refuse de commander des sous-marins d’attaque à propulsion conventionnelle, alors même qu’une flottille française de ces navires qui sont le fer de lance des exportations de Naval group, contribuerait incontestablement à plus de réussite sur la scène internationale.

En outre, des sous-marins conventionnels apporteraient une évidente plus-value à la Marine nationale, qu’il s’agisse de sécuriser les cotes et les ports français, y compris l’accès à la base de sous-marins nucléaires de L’ile Longue, ou d’évoluer dans certaines mers étroites ou de faible profondeur, comme la mer Baltique ou la mer Égée. Leurs couts inférieurs et leurs équipages sans tranche nucléaire, en feraient aussi de bons candidats pour protéger certains territoires ultramarins, comme la Nouvelle-Calédonie.

SNA Suffren
Pour la Marine Nationale, il est exclu de se tourner vers des sous-marins à propulsion conventionnelle, au risque de venir menacer la flotte de SNA déjà réduite au maximum.

Pour autant, il n’est pas question, aujourd’hui, pour elle de se tourner vers ces navires. Ceux-ci sont, en effet, moins performants et versatiles que les SNA, mais en l’état des budgets, ils pourraient venir menacer le format de cette flotte de SNA, pourtant réduite à son maximum. Rappelons à ce titre que les états-majors français ont appris, ces 30 dernières années, à ne surtout pas prêter le flanc à ce type de programme, au risque de voir le pouvoir politique s’y précipiter et prendre des décisions sur des bases budgétaires, contraires aux besoins opérationnels.

De fait, les bénéfices, pour la Marine nationale, de mettre en œuvre une flottille de sous-marins conventionnels, sont loin de compenser les contraintes et les risques qui en découleraient. Et tant pis si la vente d’un Scorpene à l’exportation génère près de 150 m€ de recettes fiscales et d’économies sociales pour les finances publiques.

Pourquoi faut-il intéresser les armées aux exportations de l’industrie de défense

On comprend, de l’exemple précédent, à quel point les relations entre les armées et l’industrie de défense sont contre-productives et déséquilibrées, bien loin de l’approche quasi symbiotique qu’appliquent certains pays, notamment l’Italie, mais aussi, dans une moindre mesure, l’Espagne et l’Allemagne, largement plus coordonnés dans ce domaine.

Une inversion de paradigme, qui permettraient aux armées de retirer des bénéfices directs et presque immédiats, liés aux succès à l’exportation des équipements de défense français, changerait profondément cette dynamique, au plus grand bénéfice de ces deux entités, piliers de l’autonomie stratégique et de la sécurité du pays.

Dans une telle hypothèse, non seulement les armées pourraient voir un intérêt évident de s’engager dans certains programmes qu’elles rechignent à soutenir aujourd’hui, mais en mettant en service ces équipements, elles permettraient aux éventuels clients internationaux de se tourner vers les équipements français avec plus de sérénité, sachant que sa pérennité sera garantie par les besoins des armées françaises elles-mêmes.

Scarabe Arquus
Le Vehicle blindé léger SCARABE d’Arquus aurait très certainement bénéficié d’un soutien des armées françaises, pour s’imposer sur la scène internationale.

Par ailleurs, les armées auraient alors un rôle bien plus important à jouer dans la création des clubs d’utilisateurs d’équipement militaires français, tel qu’il a été préconisé par le ministère des Armées dorénavant. C’est notamment de cette manière que la Bundeswehr pilote, conjointement à Krauss-Maffei Wegmann, le club d’utilisateur Leoben, pour le soutien et la coopération des utilisateurs du char Leopard 2, et un outil décisif dans le succès de ce blindé sur la scène internationale.

Enfin, et surtout, les armées tireraient un bénéfice direct des ventes d’équipements de l’industrie de défense française, sur la scène internationale, lui permettant d’accroitre ses propres investissements dans ce domaine, avec l’objectif, à terme, d’accroitre ses inventaires sans augmenter le poids budgétaire direct sur les finances publiques.

Comment le mettre en œuvre ?

Contre toute attente, la mise en œuvre d’un tel modèle, ne s’avèrerait pas particulièrement complexe, et pourrait même suivre une trajectoire progressive, ne requérant aucun investissement public préalable.

Pour cela, il serait nécessaire de déterminer, de manière relativement précise, les recettes fiscales et sociales générées par les programmes concernés, à l’exportation, et uniquement pour ce qui concerne les finances publiques nationales.

Ce montant serait alors réalloué, de manière partielle, mais préalablement défini, pour le financement des acquisitions des armées qui ont été nécessaires pour soutenir ces programmes. Ces recettes seraient, enfin, rétribuées aux industriels sous la forme de crédits d’impôts, pour apurer leurs investissements de départ pour la conception et la mise à disposition des équipements concernés pour les armées françaises.

patrouilleur Adroit
La Marine Nationale a mis en œuvre le Patrouilleur Adroit de DCNS (Naval group), pendant plusieurs années, pour soutenir les possibilités d’exportation de ce modèle d’OPV. Il a été vendu à l’Argentine, aux côtés de 3 OPV neufs de même modèle.

Ce modèle de financement par recettes variables, permet d’éviter de nombreux écueils et contraintes, notamment concernant le non-fléchage sectoriel des recettes de l’état, et ne viendrait pas directement affecter les finances publiques, donc les déficits publics. Enfin, les équipements fournis aux armées ne peuvent être décomptés, dans ce modèle, comme un investissement, et ne seront, dès lors, pas décomptés comme de la dette publique par les instances européennes.

Bien évidemment, celui-ci doit faire l’objet d’une étude minutieuse, afin d’analyser toutes les difficultés, contraintes et éventualités auxquelles il peut être confronté, et pour l’adapter au plus de scénarios possibles. Il s’agit toutefois d’une base de travail pertinente, en particulier pour les industriels cotés, qui peuvent s’appuyer sur le marché pour engager les investissements nécessaires pour soutenir, par ce procédé, leurs parts de marché, et leur croissance.

Pour autant, sur la base d’un volume d’exportation moyen de 6 Md€ par an, d’un retour budgétaire moyen de 50%, et d’un taux d’investissement, là encore, de 50 %, il permettrait aux armées de bénéficier de 1,5 Md€ de crédits d’investissement supplémentaires par an, à destination des programmes à effet majeurs. Quant aux industriels, ils bénéficieraient enfin d’un outil efficace pour soutenir commercialement leurs initiatives technologiques, au-delà des besoins immédiats des seules armées françaises.

Conclusion

On le voit, il y aurait de nombreux intérêts à mener une réflexion autour d’une refonte du lien entre industriels et armées française, dans le but d’étendre les marchés des premiers et les capacités d’investissement en matière d’équipement de défense des seconds.

canon CAESAR armée de terre
Certains équipements, comme le Rafale, le Scorpène ou le canon Caesar, sont de véritables succès de l’industrie de défense française sur la scène internationale.

Naturellement, pour y parvenir, il serait indispensable de s’éloigner des modèles existants pour le financement de l’effort de défense, afin de concevoir une approche répondant aux contraintes importantes auxquelles font face les armées, les industriels et surtout les finances publiques.

Une chose est certaine, cependant. Ce n’est pas en se limitant à des incantations politiques, sur le fait que les investissements de défense sont insuffisants, et les armées mal équipées, qu’une solution potentielle pourra émerger. Il faudra, pour cela, accepter de faire table rase de certains acquis hérités d’une période révolue lorsque les finances publiques étaient autrement saines.

Toutefois, si l’effort est produit, il peut potentiellement aboutir à un modèle aussi souple et performant, que répondant parfaitement aux exigences et contraintes de l’ensemble des acteurs, au plus grand bénéfice du pays, de sa sécurité, et de la pérennité de son industrie de défense.

Reste que l’inversion de paradigme n’est assurément pas l’exercice le plus aisé à mettre en œuvre dans les hautes sphères de l’État, même lorsque les bénéfices dépassent de beaucoup les risques et contraintes.