mardi, décembre 2, 2025
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L’Iran confirme la commande de Su-35s et de Mi-28 auprès de la Russie… encore…

L’agence de presse iranienne Tasnim a annoncé que Téhéran et Moscou avaient achevé les négociations pour l’acquisition de Su-35s, de Mi-28 et de Yak-130 pour moderniser les forces aériennes iraniennes. Si l’information était avérée, elle pourrait entrainer un profond changement du rapport de force régional.

Depuis le début du conflit en Ukraine, plusieurs pays, au ban des nations mondiales, se sont saisies de l’opportunité pour tenter de sortir de leur mise à l’index mondiale. C’est le cas de la Corée du Nord qui aurait récemment livré aux armées russes un million d’obus d’artillerie de 152 mm.

C’est aussi le cas de l’Iran qui, depuis le début du conflit, s’est considérablement rapprochée de Moscou tant du point de vue diplomatique que commerciale, mais aussi en matière d’armement. Ainsi, les drones d’attaque à très longue portée Shahed 136, de facture iranienne, jouent depuis plus d’une année un rôle important dans la stratégie de harassement menée par les forces russes contre les infrastructures ukrainiennes.

Les compensations russes au soutien de l’Iran et de la Corée du Nord à son effort de guerre

Comme nous le titrions il y a un mois de cela, sur la plus cruciale des questions, concernant ces rapprochements, à savoir quelles étaient les compensations obtenues par Pyongyang et Téhéran, pour s’être ouvertement rangés du côté de la Russie dans ce conflit, y compris en livrant des armes.

Shahed 136 Ukraine
L’Iran a fourni à la Russie plus d’un millier de drones d’attaque Shahed 136 d’une portée de plus de 2000 km, employés pour frapper les infrastructures ukrainiennes civiles.

Plusieurs de ces compensations sont apparues ces derniers mois, notamment dans la position de la Russie et de l’utilisation de son statut de membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations, pour entraver les réponses internationales contre ces deux pays.

En outre, les échanges commerciaux semblent sensiblement avoir augmenté entre la Russie et l’Iran, ainsi que probablement avec la Corée du Nord, bien qu’il soit beaucoup plus difficile de se faire une idée sur le sujet, eu égard à l’opacité du régime nord-coréen.

Toutefois, la principale préoccupation de Téhéran, comme de Pyongyang, concerne la modernisation de leurs forces armées, sous embargo sévère depuis plusieurs décennies. Dans ce domaine, évidemment, les offres russes ont de quoi intéresser les dirigeants et les armées des deux pays.

Des chasseurs lourds lourds Su-35s pour l’Iran, une information de longue date

Ainsi, cela fait désormais plus de 18 mois que Téhéran communique régulièrement sur l’acquisition de chasseurs lourds à long rayon d’action Su-35s auprès de Moscou. En décembre dernier, les autorités iraniennes promettaient même une première livraison au printemps 2023. Il n’en fut rien, même si de nombreuses hypothèses sur la provenance des 24 chasseurs annoncés, avaient été faites.

Su-35s
Le Su-35s est le chasseur le plus évolué de l’arsenal russe proposé à l’exportation. On ignore néanmoins dans quelle mesure l’industrie russe est capable de produire ces appareils pour un client export aujourd’hui, tout en soutenant l’opération militaire russe en Ukraine.

En début de semaine, l’agence nationale de presse Tasnim a une nouvelle fois annoncé l’imminence de l’acquisition des Su-35s par Téhéran, aux côtés d’hélicoptères de combat Mi-28 et d’avions d’entrainement et d’attaque Yak-130. Selon le communiqué, les autorités iraniennes et russes auraient finalisé et validé l’accord pour ce marché stratégique, qui ne serait autre que le plus important contrat d’armement signé par l’Iran depuis 30 ans.

Les contours de cet accord ne sont pas détaillés. On ignore de fait sur combien d’aéronefs celui-ci porterait, leurs configurations, ainsi que les services et munitions associés. Le calendrier des livraisons, lui non plus, n’est pas précisé.

Bien évidemment, il convient de prendre ces annonces avec prudence. D’une part, ce n’est pas la première fois, loin de là, que les autorités iraniennes annoncent avoir obtenu un accord sur le sujet, et même l’imminence des livraisons.

Chasseurs Su-35s, hélicoptères Mi-28 et avion d’entrainement Yak-130 pour moderniser les forces aériennes iraniennes

D’autre part, l’industrie russe est aujourd’hui entièrement tournée vers la production d’équipements militaires pour soutenir l’opération militaire spéciale en Ukraine, grande consommatrice de moyens. Il peut sembler, dans ces conditions, surprenant que Moscou puisse accepter de se défaire de 24 ou 36 Su-35s, et autant de Mi-28, alors que ses forces aériennes ont perdu plus de 80 avions de combat et autant d’hélicoptères de combat depuis le début du conflit, davantage que son industrie ne peut en produire sur le même intervalle de temps.

Mi-38NM forces armées russes
Le Mi-28 NM Havok est un redoutable chasseur de char, mais peut également être employé contre des infrastructures et des navires avec efficacité.

En outre, si la production industrielle militaire russe a incontestablement, et considérablement, augmenté ces derniers mois, il semble que le tissu industriel peine à maintenir les standards d’équipement et de qualité qui étaient les siens avant le conflit, en grande partie du fait de l’embargo occidental. En d’autres termes, si les Su-35s et Mi-28 annoncés venaient effectivement à être livrés à Téhéran, dans les mois à venir, ceux-ci ne seraient probablement pas équipés au même standard que les appareils de série, même ceux destinés à l’export.

Reste qu’on ne peut simplement balayer ou ignorer l’annonce faite par l’agence Tasnim. L’arrivée de Su-35s au sein des forces aériennes iraniennes viendrait, en effet, profondément modifier le rapport de force régional, en particulier dans le domaine de la supériorité aérienne.

Les forces aériennes iraniennes ne peuvent s’appuyer que sur un patchwork de chasseurs américains hérités de l’époque du Sha, de chasseurs soviétiques et français irakiens venus se réfugier dans le pays lors de la guerre d’Irak, et de quelques chasseurs chinois et russes obtenus dans les années 90, lorsque les sanctions contre Téhéran étaient moindres.

Non seulement cette flotte de chasse est pour le moins bigarrée, mais elle souffre de graves problèmes de maintenance par manque de pièces détachées, et d’obsolescence, car n’ayant pas été modernisés depuis plus de deux décennies. De fait, la défense du ciel iranien repose aujourd’hui avant tout sur les systèmes sol-air du pays.

Vers un potentiel bouleversement du rapport de force régional dans le Golfe ?

Dans ce domaine, l’arrivée d’un ou deux escadrons de Su-35s, équipés du puissant radar Irbis-E et de missiles air-air R-77 et R-37M, est de nature à considérablement renforcer la défense iranienne dans ce domaine, face à ses voisins du golfe Persique, mais également face à d’éventuelles frappes israéliennes ou américaines.

Su-35s et missile R-37m air-air à très longue portée
Le Su-35s est désormais qualifié pour mettre en œuvre le missile air-air à très longue portée R-37M. Ce binôme se montre très efficace en Ukraine semble-t-il.

Par son allonge et sa capacité d’emport, le chasseur lourd peut aussi permettre de faire peser une menace bien plus significative qu’aujourd’hui sur le trafic maritime dans le golfe Persique et en mer d’Oman, d’autant que les hélicoptères de combat Mi-28 peuvent, eux aussi, représenter une menace importante dans ce domaine.

Enfin, et surtout, l’autonomie du Su-35s lui permettrait de venir frapper le sol israélien, ou les bases militaires américaines en Irak, à partir d’une base iranienne. Cette menace prend une tout autre mesure lorsque l’on y ajoute les efforts produits depuis plusieurs années par Téhéran pour produire et stocker de la matière fissible enrichie, mettant le pays à quelques encablures de se doter d’une arme nucléaire, certes trop lourde et imposante pour armer un missile balistique, mais pouvant être transportée et larguée par un Su-35s.

Quoi qu’il en soit, il faut désormais attendre d’en savoir plus sur l’éventuelle application de ces accords, et sur leurs contenus, pour anticiper les intentions de Téhéran, mais aussi de Moscou, à leurs sujets.

Il faudra également se montrer particulièrement vigilant quant à l’émergence d’un accord similaire entre la Russie et la Corée du Nord avec, là encore, le potentiel de profondément bouleverser le rapport de force régional. À ce titre, on ne peut ignorer que l’émergence de tensions intenses sur d’autres théâtres, serviraient les intérêts de la Russie en Ukraine…

VL MICA NG : Le contrat roumain à 2 Md€ à saisir pour MBDA France

Le missilier MBDA a annoncé qu’il proposerait son nouveau système antiaérien à courte portée VL MICA NG, dans le cadre de la compétition pour la modernisation de la défense antiaérienne roumaine. Même si ce contrat, d’un montant de 2 Md€, aiguisera les ambitions de plusieurs autres industriels occidentaux, MBDA France tient là une opportunité unique de placer son nouveau système dans une grande armée de l’OTAN, après que celles-ci aient boudé le VL MICA pendant 20 ans, en dépit de ses performances.

Depuis l’entame de l’offensive russe contre l’Ukraine, de nombreux pays, en particulier en Europe, ont été amenés à moderniser leur défense antiaérienne, qu’il s’agisse de défendre leurs infrastructures terrestres ou leurs unités navales.

Le marché européen de la défense antiaérienne terrestre

En dépit d’une offre étendue et performante, le missilier européen MBDA est loin de s’être majoritairement distingué sur le vieux continent. Ainsi, dans le domaine de la défense à longue portée, c’est le MIM-104 Patriot américain qui s’est largement imposé, avec 7 opérateurs européens (+1 à venir, la Suisse), loin devant le SAMP/T Mamba franco-italien, en service uniquement au sein des forces armées de ces deux pays.

VL MICA MBDA
En dépit de ses qualités, le VL MICA en version terrestre, n’a pas trouvé preneur en Europe jusqu’ici.

Sur le segment intermédiaire, ce sont les NASAMS américano-norvégiens et l’IRIS-T SLM allemand qui se sont taillés la part du lion sur le vieux continent, avec respectivement 6 opérateurs et sept opérateurs. Le Land Ceptor de MBDA UK, basé sur le missile CAMM, a été choisi en Italie et surtout en Pologne, avec un contrat de plus de 2 Md€ pour 22 batteries PILICA+ assemblées sur place.

Les systèmes israéliens ont, eux aussi, remportés certains succès, avec le super contrat à 5 Md€ pour les systèmes antibalistiques Arrow 3 qui seront livrés à l’Allemagne, mais aussi avec la sélection du système David Sling à moyenne portée par la Finlande, et du système SPYDER à courte portée par la République tchèque.

Dans le domaine des missiles antiaériens à très courte portée, c’est le FIM-92 Stinger américain qui s’impose en Europe, avec 12 opérateurs. Il est suivi de près par le Mistral de MBDA France, avec 9 opérateurs, loin devant le RBS 70 suédois (5 opérateurs), le Starsteak britannique et le Grom polonais fermant la marche avec un unique opérateur chacun.

Le VL MICA français boudé par les armées européennes jusqu’ici

En revanche, et à l’instar des systèmes franco-italiens conçus autour du missile Aster, le système VL MICA du Français MBDA, a jusqu’ici été boudé par les armées européennes. Comme le NASAMS qui met en œuvre les missiles air-air AMRAAM, l’IRIS-T SLM équipé de missiles air-air IRIS-T, le Land Ceptor britannique avec le missile CAMM et le SPYDER et ses missiles air-air Python 5 et Derby, le VL Mica s’appuie sur le missile air-air à courte et moyenne portée MICA, qui équipe notamment les avions Rafale et Mirage 2000-5 et -9.

NASAMS Kongsberg
Le NASAMS du norvegien Kongsberg et de l’américain Raytheon a été choisi par 6 forces armées en Europe.

Il permet, dans sa version initiale, de déployer une bulle de défense aérienne d’une vingtaine de kilomètres de rayon, les cibles étant engagées à l’aide de missiles MICA ayant la caractéristique de pouvoir être équipés d’un autodirecteur infrarouge ou radar, et ce, de manière interchangeable. Si le VL Mica équipe de nombreuses unités navales en Europe et ailleurs, il n’a cependant pas su séduire dans sa version terrestre sur le vieux continent, il est vrai guère aidé en cela par le fait que les armées françaises ne s’en sont pas dotées elles-mêmes.

Dans ce contexte, la compétition lancée par Bucarest il y a quelques jours, pour moderniser la composante courte portée de sa défense aérienne, prend évidemment une dimension stratégique pour MBDA France, qui a déjà annoncé vouloir présenter son nouveau VL MICA NG, construit autour de l’évolution MICA NG de son missile, développée dans le cadre du programme Rafale F4.

Il faut dire que, dans ce domaine, la Roumanie voit les choses en grand, en mettant sur la table pas moins de 2 Md€, autant que la Pologne pour ses 22 systèmes PILICA+. Les similitudes avec le contrat polonais ne s’arrêtent d’ailleurs pas là. Ainsi, comme Varsovie, Bucarest met en œuvre huit batteries antiaériennes américaines Patriot PAC-3, pour sa défense à longue portée et antibalistique, et exige que le système qui sera sélectionné puisse parfaitement s’intégrer avec celles-ci dans le cadre du Integrated Air and Missile Defense de l’OTAN.

Bien évidemment, un tel contrat aiguise les appétits de l’ensemble des industriels occidentaux présents sur ce segment. Ainsi, l’israélien Rafael a déjà entamé une campagne de séduction pour faire valoir son système SPYDER, au sujet duquel il a de grandes ambitions, en particulier en Europe. L’Allemagne avec l’IRIS-T SLM ne manquera pas de se positionner, d’autant que Bucarest participe à l’incitative European Sky Shield lancée par Berli, il y a un peu plus d’un an. Enfin, le NASAMS sera très certainement proposé.

Les atouts du nouveau VL MICA NG de MBDA France en Roumanie

Pour autant, le VL MICA a de réelles chances de s’imposer en Roumanie, avec des atouts susceptibles de briser ce désamour européen constaté ces dernières années. D’abord, la version proposée ne sera pas le VL MICA, mais le VL MICA NG, son évolution basée sur le nouveau missile du Rafale. Celui-ci dispose de performances accrues, notamment une portée plus que doublée avec l’emploi d’un propulseur à double impulsion lui conférant aussi une plus grande manœuvrabilité à moyenne et longue portée.

VL MICA NG batterie
La batterie VL MICA NG est à la fois mobile, rapide à deployer comme à deplacer.

Ses autodirecteurs radar et infrarouge ont aussi été largement modernisés, pour résister aux leurres et systèmes de brouillage les plus modernes, et pour pouvoir engager des cibles à faible observabilité. Enfin, l’ensemble de la kill-chaine, allant de la détection à la destruction, en passant par le réassort des missiles prêts au tir, a été largement optimisée dans cette version, pour répondre aux enjeux d’un engagement moderne.

A ces atouts déjà significatifs, s’ajoute l’intégration native du VL MICA NG avec les systèmes antiaériens à très courte portée (VSHORAD) Mistral. Or, Bucarest a d’ores-et-déjà annoncé son intention de se tourner vers le Mistral 3 français pour moderniser cette composante de sa défense antiaérienne multicouche. Par ailleurs, et c’est loin d’être négligeable, le VL MICA NG va être commandé par l’Armée de l’Air et de l’espace française, pour remplacer les batteries antiaériennes à courte portée Crotale qui protègent ses bases aériennes.

Enfin, la France déploie d’importants efforts pour se rapprocher de Bucarest en matière de Défense, allant au-delà du déploiement de forces terrestres et aériennes dans le cadre de l’OTAN. Rappelons à cet effet que les forces armées françaises commandent, dans le cadre de l’Alliance Atlantique, le front sud Europe, qui assure en particulier la défense de la Roumanie.

Reste à voir, désormais, si ces arguments sauront convaincre Bucarest de se tourner vers le VL MICA NG français, plutôt que vers un autre système. Il s’agirait alors, incontestablement, d’un immense succès, et probablement d’un grand soulagement, pour MBDA France qui développe ce système, laissant espérer une carrière plus riche à ce nouveau système, qu’elle ne l’a été pour son prédécesseur.

Dassault Aviation et la Team Rafale en pleine confiance à l’exportation

Avec une offre bien accueillie par Ryad, et des discussions entamées avec Tachkent, Dassault Aviation et la Team Rafale ont toutes les raisons de se montrer satisfaits de la dynamique en cours autour du chasseur français. Ce qui est surprenant, en revanche, est de constater que l’avionneur français se montre, désormais, assuré jusque dans ses indiscrétions faites aux journalistes spécialisés, signe d’une confiance retrouvée après les terribles premières années du Rafale.

Il faut dire que Dassault a des raisons objectives de se montrer confiant, avec un carnet de commande déjà plus que confortable, et des perspectives positives quant à de nouvelles commandes dans les années à venir. C’est l’occasion de faire un point détaillé sur les différentes négociations et discussions en cours concernant les futures commandes potentielles de Rafale dans le Monde.

Il y a tout juste dix ans, après les retentissants échecs au Maroc et au Brésil, et avec l’annulation du contrat indien MRCA qui devenait inéluctable, il n’y avait guère de monde pour se déclarer optimiste quant à l’avenir commercial du chasseur français Rafale. Même Dassault Aviation, qui n’a pourtant jamais dévié de sa confiance dans l’appareil, semblait alors en perte de confiance.

La difficile période de doute pour Dassault Aviation et la Team Rafale de 2005 à 2015

Les conséquences de cette difficile période continuent d’ailleurs de se faire ressentir aujourd’hui. Déjà peu enclin à s’ouvrir concernant ses négociations en cours, l’avionneur français était devenu presque opaque à ce sujet depuis, ne s’autorisant à commenter les contrats qu’une fois qu’ils avaient été signés.

Dassault aviation chaine rafale Merignac
Le manque de commande à l’exportation avait amené Dassault Aviation à placer sa chaine d’assemblage du Rafale de Mérignac en mode « survie », avec 11 appareils produits par an, pour les forces aériennes et aéronavales françaises.

De fait, lorsque ce même Dassault Aviation, déclare, devant le journaliste Michel Cabirol, qu’il considère désormais les négociations avec l’Arabie Saoudite comme prometteuses, et qu’il entend déployer d’importants efforts pour se positionner au Kazakhstan et en Ouzbékistan, il s’agit évidemment d’un profond changement de posture de sa part, et d’un signe incontestable d’un retour à la confiance au sein de la Team Rafale.

Il faut dire que l’avionneur a des raisons de se montrer confiant et optimiste. En effet, avec plus de 310 appareils commandés par 7 pays, jamais les perspectives n’ont été aussi prometteuses pour exporter ses avions de combat, tout au moins depuis le Mirage F1 et ses quelque 470 appareils exportés auprès de neuf forces aériennes à travers le Monde.

Pour comprendre cette confiance, il est utile de faire une synthèse de l’ensemble des négociations en cours concernant le chasseur français qui, après avoir dépassé le nombre de Mirage 2000 exportés, a désormais toutes les chances de battre le Mirage F1 dans ce domaine, et de venir flirter avec le succès des Mirage III et V qui fit de l’industrie aéronautique militaire française, et de Dassault Aviation, des piliers majeurs du marché mondiale des avions de combat.

Indonésie, Inde : les négociations à concrétiser rapidement

Comme le souligne Michel Cabirol sur le sujet, Dassault demeure pragmatique. Ainsi, ses priorités du moment concernent la concrétisation de deux commandes qui doivent être signées rapidement : les 18 derniers Rafale indonésiens, ainsi que les 26 Rafale M pour la Marine Indienne.

Rafale M charles de Gaulle
Le Rafale M a été préféré au F/A-18 E/F Super Hornet par la Marine Indienne pour armer son nouveau porte-avions, l’INS Vikrant.

Après une première commande de 6 appareils signée en février 2022, puis une seconde tranche, pour 18 chasseurs cette fois, officialisée en aout dernier, il ne manque dorénavant à Dassault qu’à acter la troisième et dernière tranche, encore de 18 Rafale, pour conclure ce contrat portant sur 42 aéronefs pour les forces aériennes indonésiennes.

Les spécificités de l’Indonésie dans ce domaine, qui ne peut s’engager que sur des dépenses avalisées par le Parlement, ont obligé les négociateurs français et indonésiens à décomposer la commande en trois tranches, au fil des autorisations de financement accordées par celui-ci. Selon Dassault Aviation, la signature de la troisième tranche devrait prochainement intervenir, même si de possibles glissements pour des raisons budgétaires sont attendues.

La seconde négociation, en courte finale, menée par l’avionneur et la Team Rafale, concerne les 26 Rafale M qui doivent être commandés par la Marine Indienne d’ici à la fin du mois de janvier 2024, pour respecter l’autorisation de crédits accordée par le Parlement indien. Ces appareils doivent armer le nouveau porte-avions INS Vikrant entré en service l’année dernière au sein de la Marine Indienne.

Colombie, Irak, Serbie : Le point sur les négociations en cours

Outre ces deux contrats représentant tout de même plus de 5 Md€, Dassault est engagée dans plusieurs négociations entamées il y a plusieurs années, qui pourraient se transformer rapidement en commandes fermes, si les conditions bloquantes venaient à être levées.

Kfir C7 forces aériennes colombiennes
Les forces aériennes colombiennes doivent remplacer leurs Kfir C7 dans les années à venir, le Rafale ayant leur préférence.

La première d’entre elles concerne le remplacement des Kfir C7 des forces aériennes colombiennes. Après l’imbroglio politique de la fin d’année 2022, ayant amené le président colombien à annoncer la commande de 16 Rafale, sans que les négociations aient été achevées avec l’avionneur, le sujet demeure chaud pour Dassault, avec une décision de commander le chasseur français dans les mois à venir, et un contrat qui pourrait être signé en 2025 ou 2026, selon des sources locales.

Les autorités irakiennes avaient, elles aussi, annoncé de manière trop anticipée un accord concernant l’achat de Rafale pour remplacer une partie des F-16 américains armant les forces aériennes irakiennes. Pour autant, les autorités de Bagdad semblent toujours déterminées à se tourner vers Dassault pour reconstituer leur flotte de chasse, tout en prenant une certaine distance avec les Etats-Unis dans ce domaine.

La Serbie, enfin, évolue dans un statut relativement proche de celui de la Colombie et de l’Irak. À plusieurs reprises, Belgrade avait annoncé l’imminence d’une commande de Rafale pour remplacer les MIG-29 des forces aériennes serbes. Des difficultés concernant la livraison de certaines munitions (le missile Meteor Européen en l’occurrence), puis les tensions entre Serbie et Kosovo, ont reporté à plusieurs reprises la concrétisation de ce contrat, qui pourrait toutefois être officialisé rapidement, si les conditions le permettent.

Égypte, Qatar, Inde, Grèce : Vers de nouvelles commandes de Rafale de la part des opérateurs historiques

Dassault peut se montrer confiant, au-delà des négociations en cours. En effet, plusieurs utilisateurs historiques du Rafale, ont annoncé qu’ils entendaient, dans un avenir plus ou moins proche, étendre le format de leur flotte.

RAfale B forces aériennes helléniques
Les forces aériennes helléniques prévoient de s’équiper d’un second escadron de Rafale pour remplacer les Mirage 2000-5 encore en service.

C’est notamment le cas de l’Égypte, le premier client export du Rafale, et du Mirage 2000 avant lui, qui, après avoir commandé 24 premiers appareils en 2015, a commandé une seconde tranche pour 30 nouveaux chasseurs, en 2021. À cette occasion, les autorités du pays avaient fait savoir qu’elles entendaient amener la flotte des forces aériennes égyptiennes à 80 appareils, au travers d’une future commande de Rafale au format F4.

Il en va exactement de même de la part du Qatar, le second client export historique du chasseur français. Après une première commande de 24 Rafale en 2015, Doha a fait valoir l’option pour 12 nouveaux avions en 2018, portant sa flotte à 36 chasseurs. Selon plusieurs informations concordantes, il semble qu’à nouveau, les autorités qataries souhaitent activer une seconde option, pour 24 nouveaux appareils, et amener la flotte de Rafale à 60 chasseurs.

En 2016, l’Inde officialisa une commande d’état à état pour 36 chasseurs Rafale. Celle-ci servait de solution intérimaire suite à l’annulation du contrat MRCA, qui prévoyait la construction de 114 chasseurs français en Inde. Si les 36 Rafale indiens ont bien été livrés, et jouent désormais un rôle clé dans le dispositif aérien du pays, y compris dans sa dissuasion, le besoin de remplacer les Mig-21, Mirage 2000 et Jaguar des forces aériennes indiennes, censé être couvert par le programme MRCA, demeure.

Rafale C Indian Air Force
Le Rafale est en position favorable en Inde concernant le contrat MRCA-2 portant sur 114 appareils assemblés sur place.

C’est la raison pour laquelle New Delhi a lancé le programme MRCA-2 qui porte à nouveau sur 114 chasseurs à construire localement. La concurrence est évidemment féroce pour un tel contrat. Cependant, le Rafale dispose d’atouts de tailles, notamment des couts de mise en œuvre très inférieurs à ceux de la concurrence, du fait des infrastructures et des développements technologiques financés par le premier contrat Rafale. En outre, avec la commande de 26 Rafale M par la Marine Indienne, le chasseur français devient un appareil pilier des forces aériennes indiennes.

Le dernier des opérateurs actuels du Rafale à avoir annoncé son intention d’étendre sa flotte est la Grèce. Les Forces aériennes helléniques mettent en œuvre un escadron de 24 appareils aujourd’hui. Cependant, elles ont annoncé, à plusieurs reprises, vouloir se doter d’un second escadron dans les années à venir, en particulier lorsqu’il sera nécessaire de remplacer leurs Mirage 2000-5 qui jouent un rôle central pour tenir en respect les forces aériennes turques au-dessus de la mer Égée. On notera que les forces aériennes helléniques seront les seules à mettre en œuvre simultanément Rafale et F-35A.

Arabie Saoudite, Kazakhstan, Ouzbékistan : ces nouveaux prospects prometteurs

Longtemps, les clients et prospects potentiels du Rafale se résumaient à des forces aériennes clientes traditionnelles des chasseurs de Dassault Aviation. Ainsi, l’Égypte, le Qatar, l’Inde, la Grèce et les Émirats arabes unis, mettent tous les cinq en œuvre le Mirage 2000. Plus récemment, de nouveaux clients pour l’industrie aéronautique militaire française sont apparus, comme la Croatie pour 12 Rafale B et C d’occasion, et surtout comme l’Indonésie, avec 42 chasseurs français. Ces dernières semaines, des discussions ont été entamées là où personne ne les imaginaient jusqu’il y a peu.

Rafale en version air-air (au fond) et en version frappe au premier plan
Le Rafale est aussi performant dans le domaine de la supériorité aérienne (appareil du fond avec 3 réservoirs supersoniques, 2 Meteor, 2 Mica EM et 2 Mica IR), que dans le domaine de l’attaque (premier plan avec bidon subsonique, designateur laser et rack de bombes)

C’est en particulier le cas de l’Arabie Saoudite, client traditionnel des industries aéronautiques militaires britanniques et américaines, qui a demandé à l’avionneur français une contre-offre pour 54 chasseurs Rafale, face aux difficultés rencontrées par Ryad pour acquérir des F-35A américains ainsi que de nouveaux chasseurs Typhoon britanniques pour les forces aériennes saoudiennes. Si, de toute évidence, la demande saoudienne visait essentiellement à mettre davantage de pression sur Londres et Berlin pour autoriser la vente d’Eurofighter supplémentaires, Dassault aurait, semble-t-il, produit une proposition pertinente qui a su éveiller l’intérêt de Ryad, au point que l’avionneur estime désormais publiquement avoir ses chances dans ce dossier.

Si l’annonce de la demande de Ryad avait de quoi surprendre, d’autant que les relations entre le Royaume et la France n’ont pas été au beau fixe ces dernières années, les révélations faites, il y a quelques jours, par le site intelligence Online, concernant des discussions entre la France et deux républiques d’Asie centrale, pour l’acquisition de Rafale, avaient, quant à elles, de quoi laisser sceptiques, même les plus optimistes.

Pourtant, l’information a bien été confirmée, selon laquelle Paris aurait entamé des discussions avec Astana et Tachkent, afin de remplacer une partie de la flotte de chasse héritée de l’époque soviétique des forces aériennes kazakhs et des forces aériennes ouzbèkes. Le sujet aurait d’ailleurs été abordé par le Président Macron lors de sa visite dans les deux capitales au début du mois de novembre. Le plus surprenant, dans ce dossier, reste que selon la Tribune, Dassault serait très impliqué dans ces négociations, au point de se montrer confiant dans ses confidences au journaliste français.

Et les forces aériennes françaises alors ?

Un dernier client du Rafale pourrait annoncer, dans les années à venir, une extension de commande. Ce client n’est autre que la France. Il ne s’agit pas, ici, de la soixantaine de chasseurs qui doivent encore être commandés d’ici à 2030, pour parvenir, en 2035, à une force aérienne « tout Rafale » de 225 chasseurs, comme confirmé par la LPM 2024-2030. En effet, la France pourrait être amenée à commander de nouveaux Rafale dans les années à venir, pour deux raisons.

Rafale M PAN Charles de Gaulle
Les premiers Rafale M de l’aéronautique navale française sont entrés en service en 2000, et marqueront le poids des années à partir de 2030.

En premier lieu, il est probable que les premiers Rafale M, entrés en service à bord du Charles de Gaulle au début des années 2000, ne parviendront pas à tenir la ligne au-delà de 2035. En effet, les chasseurs embarqués subissent des contraintes d’usure bien plus importantes que les appareils basés à terre, que ce soit en raison des appontages et catapultages particulièrement éprouvants pour la cellule, ou le milieu marin qui corrode l’ensemble des pièces métalliques.

Déjà, l’état-major de la Marine Nationale alerte sur le vieillissement d’une partie de sa flotte de chasse. En outre, il sera probablement peu pertinent de faire évoluer ces cellules vers les standards F4 et encore moins F5, par leur potentiel restreint. Dès lors, pour maintenir une composante de chasse embarquée cohérente à bord du Charles de Gaulle, puis de son successeur, ce jusqu’à l’arrivée du SCAF, il pourrait être indispensable de commander, au-delà de 2030, une douzaine de Rafale M pour remplacer les cellules les plus éreintées.

L’arrivée du SCAF, justement, pourrait amener les forces aériennes françaises à étendre leur renouvellement de flotte Rafale au-delà des quelques appareils de la Marine. En effet, avec l’annonce faite concernant le futur standard Rafale F5, et son drone Loyal Wingman dérivé du Neuron, les forces aériennes françaises disposeront, à partir de 2030, d’un outil cohérent pour répondre à la menace du moment, et ce, pour plus d’une décennie. En outre, l’Allemagne, elle aussi, a récemment annoncé qu’elle pourrait developper un drone similaire pour épauler les futures versions de ses Eurofighter Typhoon.

Dans ce contexte, l’urgence de voir le SCAF entrer en service à l’horizon 2040, pourrait être revue, permettant aux industriels et aux forces aériennes européennes concernées par ce programme, de disposer de délais supplémentaires pour concevoir un système de combat aérien qui n’aura rien à voir avec les avions de chasse qui l’auront précédé. Par ailleurs, ce délai supplémentaire pourrait permettre d’obtenir des premiers retours d’expérience autour de l’utilisation des systèmes de systèmes et des drones de combat intégrés au Rafale et à l’Eurofighter Typhoon, de sorte à produire un équipement parfaitement adapté aux besoins et contraintes opérationnelles.

Rafale Neuron
Les performances du Rafale F5 et son son Loyal Wingman dérivé du Neuron, permettront de tenir la ligne jusqu’au-delà de 2040.

Dans cette hypothèse, il serait alors nécessaire que les forces aériennes françaises, l’Armée de l’Air comme l’Aéronautique navale, remplacent leurs chasseurs les plus anciens, au-delà de la douzaine de Rafale M préalablement évoqués.

Conclusion

Si les ventes de Rafale, à l’exportation comme sur le marché domestique, devaient stagner à leur niveau actuel, le programme de Dassault Aviation serait déjà un incroyable succès, dépassant de loin les espoirs des plus optimistes des soutiens du chasseur français il y a juste dix années de cela.

Cependant, comme évoqué dans cet article, le Rafale en a encore sous le pied, et pourrait bien devenir le rebond tant attendu par l’industrie aéronautique militaire française, depuis le succès du Mirage III et V dans les années 60 et 70. Cet optimisme semble avoir touché Dassault Aviation qui, depuis quelques mois, se montre singulièrement plus prolixe concernant les discussions en cours, s’autorisant même à se montrer confiant concernant certains dossiers sensibles.

RAfale B en PS
La dynamique positive du Rafale est encore loin d’être terminée.

Il faut dire que les enjeux sont à la hauteur des espoirs. Un Rafale rapportera, en effet, sensiblement autant à Dassault Aviation sur sa durée de vie, que lors de son achat. En outre, comme le montre la fidélité des opérateurs de Mirage 2000 vis-à-vis du Rafale, avec 62 % (5 des 8) des clients du chasseur à aile delta, qui se sont tournés vers le biréacteur de Dassault. En conséquence, le succès du Rafale aujourd’hui, va conditionner l’activité de toute la filière aéronautique militaire française, pour au moins les 40 années à venir, peut-être bien davantage.

On comprend, dans ces conditions, les efforts produits par l’ensemble de la Team Rafale, ainsi que des services plénipotentiaires de l’État français, pour ne pas laisser passer la vague du succès sur lequel surfe le Rafale aujourd’hui.

Le couple Rafale F5 Neuron sera conçu pour éliminer les défenses antiaériennes adverses

Les fonctions du couple Rafale F5 Neuron ont été précisées par le ministère des Armées français à l’occasion d’une réponse écrite donnée à la question d’une députée de l’opposition, en particulier pour ce qui concernera l’élimination des défenses antiaériennes adverses et les systèmes de déni d’accès.

Avec le retrait, à la fin des années 90, des derniers Jaguar équipés du missile air-sol anti-radiation (comprendre un missile capable de remonter les émissions d’un radar adverse pour venir le détruire) AS 37 Martel, les forces aériennes français perdaient leur dernière capacité spécialisée dans l’élimination des défenses antiaériennes adverses, une mission désignée par l’acronyme anglophone SEAD pour Suppression of Enemy Air Defense.

Les forces aériennes françaises perdent leurs capacités SEAD en 1997

Avec la disparition du bloc soviétique, et de ses très puissantes défenses antiaériennes multicouches, les autorités françaises avaient, en effet, estimé que ce type de capacité était désormais superfétatoire, ce d’autant qu’arrivait le Rafale et son système d’auto protection SPECTRA conçu pour brouiller et leurrer les radars adverses, ainsi que des munitions de précision et/ou à longue portée, comme le missile de croisière SCALP ou la bombe propulsée A2SM.

Rafale Scalp
Le ministère des Armées estimait jusqu’en janvier 2022 que le Rafale et ses munitions stand-off et de précision, étaient suffisants pour répondre à l’ensemble des menaces et cas d’usage identifiées.

Dès lors, alors que l’idéologie dominante reposait sur les bénéfices de la paix, le besoin, pour disposer d’importants moyens dédiés à la mission SEAD, semblait appartenir au passé, face aux engagements principalement dissymétriques auxquelles participaient les forces aériennes françaises, comme en Afghanistan ou en Irak.

Le fait est, le calcul des autorités françaises n’était pas dénué de sens, le Rafale s’étant notamment montré apte à opérer au-dessus du sol libyen et des défenses antiaériennes des troupes loyales au général Kadhafi, uniquement grâce aux performances du système SPECTRA, alors que les engagements en Afghanistan, en Irak et, plus tard, au Mali, ne devaient s’opposer à aucune défense antiaérienne.

Avec le réarmement rapide de la Russie à partir des années 2000, les progrès rapides et soutenus de l’industrie de défense chinoise, et les postures de plus en plus agressives de Pékin et Moscou, mais aussi de Téhéran et Pyongyang, firent à nouveau apparaitre le spectre des conflits de grande envergure dès le début des années 2010, et le besoin, pour les forces aériennes occidentales, pour éliminer les défenses antiaériennes adverses face à des systèmes multicouches de plus en plus denses et efficaces.

Si certains pays prirent la mesure de ce besoin dès le début des années 2010, y compris en Europe avec l’acquisition de chasseurs furtifs américains F-35A et de missiles antiradiations HARM par plusieurs forces aériennes occidentales en Europe et dans le Pacifique, ce ne fut pas le cas de la France, qui resta jusqu’il y a un an, rétive à doter à nouveau ses forces aériennes de capacités SEAD.

Le couple Rafale F5 Neuron au cœur de la LPM 2024-2030 française

Ainsi, quelques semaines à peine avant le début de l’offensive russe contre l’Ukraine, et la démonstration sans équivoque des performances des systèmes antiaériens modernes venus neutraliser les forces aériennes russes comme ukrainiennes, le Ministère des Armées répondait à une question écrite posée par le député J-C Lagarde, autour de l’opportunité de developper une version guerre électronique et SEAD du Rafale, par la négative, estimant que les forces aériennes françaises disposaient de la panoplie nécessaire pour faire face à tous les scénarios possibles, y compris dans ce domaine.

Rafale F5 Neuron Bourget 2023
Le nouveau drone de combat de type Loyal Wingman qui épaulera le Rafale F5, sera dérivé du démonstrateur Neuron de Dassault Aviation.

Le ton avait radicalement changé, quelques mois plus tard, lorsque la suppression des défenses aériennes adverses étaient devenues un des objectifs majeurs des futures versions du Rafale, la F4.2 d’abord, mais surtout le Rafale F5. À l’occasion des échanges entourant la rédaction puis le vote de la nouvelle Loi de Programmation Militaire 2024-2030, ce dernier fut d’ailleurs associé au développement d’un nouveau drone de combat furtif dérivé du Neuron, précisément pour venir défier les systèmes de déni d’accès modernes des adversaires potentiels de la France.

Le couple Rafale F5 et Neuron (nom temporaire dans l’attente d’un nom définitif), est désormais gravé dans la Loi de Programmation Militaire qui débutera en 2024, et les premiers crédits d’ores et déjà votés pour leur donner naissance d’ici à 2030. Toutefois, l’articulation des capacités de ces deux appareils demeuraient encore quelque peu vague dans le discours officiel français.

Ce flou s’est partiellement dissipé à l’occasion d’une nouvelle réponse écrite du Ministère des Armées à la question d’une députée de l’opposition, Nathalie Da Conceicao Carvalho, députée Rassemblement National de la 2ᵉ circonscription de l’Essonne. On y apprend ainsi que le Neuron aura fonction de localiser et identifier les défenses antiaériennes adverses, s’appuyant sur sa grande furtivité pour évoluer dans l’espace aérien contesté, et permettant au Rafale, qui le contrôle, de demeure hors de portée des missiles ennemis. La neutralisation de ces défenses, quant à elle, sera effectué par le moyen interarmées le plus approprié.

Le fait que le Neuron sera le pilier des capacités SEAD des forces aériennes françaises dans les années à venir, n’est pas, en soi, une révélation. Par sa grande discrétion, l’appareil semble, en effet, taillé pour ce type de mission, et pour suppléer le Rafale qui souffre, dans ce domaine, d’un manque évident de furtivité pour accomplir, seul, une telle tâche.

Bulle de combat infocentrée et version navale du Neuron

En revanche, cette réponse confirme, comme nous l’avions évoqué dans un précédent article, que le Rafale F5 sera le premier chasseur français conçu pour mettre en œuvre et opérer au sein d’une bulle d’information interarmées, le faisant entrer de plein droit dans la 5ᵉ génération des avions de combat, avec même certains emprunts à la 6ᵉ génération, celle du SCAF.

Rafale M Porte-avions Charles de gaulle
Tout laisse à croire que le futur drone de combat dérivé du Neuron qui sera développé dans le cadre du programme Rafale F5, sera également disponible dans une version navalisée embarquée à bord du porte-avions Charles de Gaulle puis de son successeur.

L’immense quantité d’informations numériques que devra traiter le Rafale F5, alimenté simultanément par ses propres senseurs et par ceux de ses drones Neuron et autres, sera d’ailleurs au cœur de l’évolution de l’avion Rafale lui-même vers ce standard. Plus qu’un nouveau radar, ou un turboréacteur plus performant, celui-ci sera surtout doté d’un réseau câblé en fibre optique, et de capacités de traitement numériques très largement accrues, accentuant sa classification native au sein de la 5ᵉ génération.

Ce que laisse aussi deviner la réponse du Ministère des Armées, est que le couple Rafale F5 Neuron tendra à devenir le pilier de la chasse française, qu’elle soit basée à terre, mais aussi embarquée. Aucun distinguo n’est fait, dans la réponse donnée, ni dans les différentes interventions ayant précédé, entre les Rafale B et C de l’Armée de l’Air et de l’espace, et les Rafale M de la Marine Nationale, embarqués à bord du PAN Charles de Gaulle.

En d’autres termes, tout porte à penser que le futur drone ailier, dérivé du Neuron, qui épaulera le Rafale F5, sera lui aussi décliné dans une version navalisée, conférant au Groupe Aéronaval français un potentiel opérationnel de tout premier plan, tant dans les domaines de suppression de défenses adverses, que pour mener des missions de lutte antinavire.

De nombreuses inconnues subsistent autour du programme Rafale F5

Il reste cependant de nombreuses inconnues entourant ce programme, et les capacités à venir des forces aériennes françaises qui en découleront. En premier lieu, le bulle de combat infocentrée évoquée précédemment, demeure encore nébuleuse, alors que d’autres programmes de drones et munitions vagabondes, que l’Aarok, le Colibri, le Larinae et l’Eurodrone RPAS, y trouveront probablement leur place, tout comme les évolutions à venir de l’A330 MRTT, de l’A400M et les futurs Archange.

Remote carrier Expandable
Les drones aéroportés Remote Carrier Expendable de MBDA trouveraient naturellement parrainent leur place dans le programme Rafale F5, et pas uniquement au sein du programme SCAF.

De même, il semblerait pertinent que, conjointement au Neuron, soient développées certaines versions du drone aéroporté Remote Carrier Expendable de MBDA, dans le cadre du Rafale F5, et pas exclusivement pour le SCAF. En effet, bien que plus économique qu’un Rafale, le drone de combat Neuron ne sera pas, à proprement parler, consommable. Il sera aussi assurément indispensable de s’appuyer sur des drones plus légers et peu onéreux, pour designer les cibles aux frappes alliées dans un environnement très contesté.

Le corollaire de ce dernier point concerne évidemment le prix unitaire du Neuron, ainsi que ses performances. Ceux-ci peuvent, en effet, être très différents, allant des 30 m$ du Kizilelma turc au 90 m$ du MQ-25 Stingray américain. Ce prix d’acquisition, comme les couts de possession, détermineront le format de la flotte de drones de combat française, mais aussi la doctrine d’utilisation qui sera établie autour du couple Rafale F5 Neuron.

Ces prix conditionneront également de manière évidente son attractivité sur la scène internationale, et avec elle, celle du Rafale F5 dans les années à venir, comme alternative efficace et économique au F-35A américain. Il faudra donc encore attendre que le Ministère des Armées lève le voile sur ces aspects, pour anticiper avec précision quelle sera la portée exacte de ce nouveau programme, par ailleurs très prometteur de manière évidente.

Corvette, sous-marin, porte-avions : la construction navale chinoise a-t-elle rattrapé l’occident en 2023 ?

De récents clichés, dévoilés sur les réseaux sociaux chinois, montrent les avancées technologiques considérables de la construction navale chinoise ces dernières années, au point de venir désormais flirter avec les navires occidentaux les plus avancés. Du porte-avions Fujian au nouveau sous-marin Type 039C, que nous apprennent ces nouveaux navires chinois, quant au niveau technologique atteint par Pékin ces dernières années ?

Au début des années 90, la construction navale militaire chinoise marquait un retard très important sur ses homologues occidentaux et soviétiques/russes. Ainsi, les frégates Type 053H1G Jianghu-V, entrées en service entre 1993 et 1995, n’emportaient que 8 missiles antinavires YJ-8, une copie illicite du MM-38 Exocet français, de l’artillerie navale et des lance-roquettes anti-sous-marines, un armement que l’on trouvait sur des unités occidentales datant des années 60 ou 70.

La construction navale chinoise a rattrapé 30 années de retard technologique ces 30 dernières années

De fait, longtemps, la perception généralement étendue concernant la puissance navale chinoise, était loin d’être flatteuse, en particulier en occident. Persuadés qu’ils étaient de leur supériorité technologique, et de leur avance dans ce domaine face aux productions chinoises, industriels et militaires américains comme européens, ont largement tardé à réagir face à la montée en puissance et aux progrès technologiques rapides des chantiers navals chinois, et avec eux, des forces navales de l’Armée Populaire de Libération.

Type 053H3 jiangwei II
Les frégates chinoises des années 80, comme cette Type 053H3 jiangwei II, affichaient un équipement et des capacités technologiques comparables à celle des navires occidentaux des années 60

En effet, en à peine 30 années, ceux-ci ont non seulement rattrapé les 25 à 30 années de retard technologiques qu’ils avaient vis-à-vis des Marines et chantiers navals occidentaux, mais ils arrivent, désormais, à developper et mettre en service des équipements aussi performants que les productions les plus récentes et avancées du monde occidental.

Plusieurs observations récentes viennent ainsi corroborer cette affirmation pour le moins inquiétante, alors qu’au-delà des avancées technologiques évidentes, les chantiers navals chinois peuvent aussi se prévaloir de cadences de production incomparablement plus élevées que dans les chantiers occidentaux.

Le porte-avions Fujian, le plus imposant et puissant porte-avions non-américain de la planète

La première démonstration de cette maitrise technologique chinoise est venue du nouveau porte-avions Type 003 Fujian, un navire de plus de 80 000 tonnes, dotés de catapultes électromagnétiques, et d’un puissant système de défense et de commandement, en faisant le plus puissant porte-avions moderne, après les super porte-avions américains des classes Nimitz et Ford.

Dans le même temps, la Marine chinoise a admis au service les trois premiers porte-hélicoptères d’assaut de la classe Type 075, pendant du nouveau LHD de la classe America de l’US Navy. Long de 237 mètres pour un tonnage de 40 000 tonnes, ils sont conçus pour débarquer 800 marines chinois et leurs 60 véhicules à l’aide de trois aéroglisseurs et une trentaine d’hélicoptères, conférant à Pékin des capacités de projection de puissance à longue distance détenues jusqu’ici que par l’US Navy.

LHD Type 075 chinois
Le LHD Type 075 de la Marine chinoise sont très proches, en taille comme en performances, des LHD des classes Wasp et America de l’US Navy.

Des observations, encore plus récentes, tendent à montrer que les ingénieurs chinois sont désormais capables de concevoir et de mettre en œuvre des unités navales plus avancées, technologiquement, que les meilleurs navires occidentaux du moment.

Une nouvelle corvette furtive chinoise en construction

Ainsi, après que la construction des premières frégates Type 054B a été confirmée il y a quelques mois, un navire disposant, entre autres avancées, d’une propulsion électrique intégrée, un nouveau cliché publié sur le réseau social X, montre la construction d’une nouvelle corvette furtive, à mi-chemin entre les Merkury russes et les Visby suédoises.

Longue d’environ une centaine de mètres, cette nouvelle corvette se caractérise par un profil très furtif, y compris pour ce qui concerne son artillerie navale, avec des formes proches de celles des corvettes suédoises réputées comme exemplaires dans ce domaine. Dans le même temps, le navire, dont le tonnage devrait avoisiner les 2 000 tonnes, dispose d’une grande plateforme aviation et d’un imposant hangar, pour mettre en œuvre des hélicoptères Z-9 et peut-être même Z-20, ainsi que d’un puissant armement.

Celui-ci se compose, de ce que l’on peut observer sur l’unique cliché diffusé, d’un canon naval de 57 mm, d’un système de silos verticaux pour 8, ou plus probablement 16 missiles, et d’un CIWS HQ-10 en plage arrière. On imagine aisément que des tubes lance-torpilles pour des torpilles légères Yu-8, et de l’artillerie navale légère, complètent cet arsenal puissant pour ce type de navire.

construction navale chinoise corvette furtive
Unique cliché de la nouvelle corvette furtive chinoise en construction aux chantiers navals de Liaonan.

En terme de senseurs, la photo dévoilée montre un radar AESA à face plane monté sur un mat intégré, laissant présager des performances élevées pour ce type de navire, y compris dans le domaine antiaérien, et donc la présence de missiles antiaériens à moyenne portée, comme le HQ-16 d’une portée de 50 km. La présence d’un sonar d’étraves, et/ou tracté, ne peut pas être confirmée. Toutefois, les précédentes corvettes chinoises Type 056A, sont particulièrement bien dotées dans ce domaine, avec un sonar de coque, un sonar à profondeur variable, et une flute.

Il manque encore beaucoup d’informations concernant cette nouvelle corvette, dont on ignore en particulier s’il s’agit d’un simple démonstrateur technologique, ou de la première unité d’une nouvelle classe destinée à remplacer les Type 056 transférées aux gardes cotes chinois il y a deux ans. Mais, il ne fait guère de doute que ces navires n’auront guère à envier aux meilleures productions occidentales, pouvant même les dépasser dans certains domaines.

Le nouveau sous-marin Type 039C de la classe Yuan et son kiosque furtif

Il en va exactement de même pour ce qui concerne les nouveaux sous-marins à propulsion conventionnelle Type 039C de la classe Yuan. S’agissant d’un sous-marin, les informations concernant ce nouveau navire, que l’on sait déjà en service, sont particulièrement peu nombreuses, et souvent sujettes à caution. La Chine est, en effet, particulièrement peu loquace quant aux progrès enregistrés par sa flotte, et presque totalement opaque au sujet de sa flotte sous-marine, construite par des chantiers navals loin des yeux des curieux.

Le nouveau sous-marin chinois est ainsi le premier à arborer un kiosque conçu pour en renforcer la furtivité face aux radars, et surtout face aux sonars actifs. À l’instar du F-117 américain, premier avion furtif opérationnel de l’histoire, le Type 039C arbore pour cela un kiosque en forme de trapèze, conçu pour réfracter les ondes sonores d’un sonar actif, diminuant considérablement l’écho renvoyé vers le sonar actif adverse.

Type 039C classe Yuan sous-marin chinois
Gros plan sur le sous-marin Type 039C et sur son disque si caractéristique.

Alors que les sous-marins s’avèrent de plus en plus discret, l’efficacité des sonars passifs est moindre, même épaulés par les avancées technologiques et informatiques de ces dernières années. En outre, l’arrivée des drones sous-marins, et les progrès réalisés en terme de multistatisme, tendent à renforcer l’intérêt des sonars actifs, en particulier en zone côtière, pour débusquer et prendre à partie les submersibles adverses. De fait, la furtivité des submersibles, face à ce type de sonar, tend à s’imposer dans les années à venir.

Cette approche n’est d’ailleurs pas inconnue des ingénieurs occidentaux. Ainsi, le nouveau A26 Blekinge suédois, doit arborer un kiosque aux formes similaires. Quant au nouveau Type 212 CD construit conjointement par l’Allemagne et la Norvège, il est tout entier conçu autour de ce même paradigme. Pour autant, le premier sous-marin suédois n’entrera pas en service avant 2028, alors que le Type 212CD entrera en service, au mieux, un an plus tard.

Un tempo technologique chinois bien plus rapide que celui en occident

Si ces deux observations peuvent apparaitre marginales du point de vue du rapport de force, il convient de les intégrer dans une appréciation dynamique globale qui, pour le coup, a de quoi susciter des inquiétudes.

En effet, tout indique que la Chine a su, en 30 années, rattraper les 30 années de retard qu’elle avait du point de vue technologique sur ses homologues occidentales dans de nombreux domaines. Poussée par ce tempo technologique très supérieur à celui de l’occident, et même en tenant compte d’un poids évidemment réduit à venir des progrès liés à l’espionnage souvent avancé comme principal source de progrès des ingénieurs chinois, il est à craindre que dans les quelques années à venir, la Chine aura dépassé l’occident dans le domaine des technologies miliaires navales, sauf peut-être dans celui des sous-marins à propulsion nucléaire.

fregate Type 054B chinoise
Les nouvelles frégates de lutte anti-sous-marine Type 054B sont équipées d’une propulsion électrique intégrée, et d’une plateforme aviation étendue pour recevoir l’hélicoptère naval Z-20..

Après s’être convaincu de la supériorité occidentale sur la Chine, conséquence de forces numériquement plus importantes jusqu’au milieu des années 2010, puis du manque de fiabilité et d’aguerrissement des navires et chinois jusqu’il y a peu, il ne restait, aux marines occidentales, que l’avantage technologie pour espérer contrebalancer l’écrasante supériorité numérique en devenir de la Marine chinoise.

Si ce bénéfice technologique venait à s’étioler dans les années à venir, voire à s’inverser comme on peut le craindre, il ne resterait plus aucun atout sur lequel l’occident, Etats-unis en tête, pourrait construire une capacité dissuasive navale suffisante pour tenir en respect Pékin dans le Pacifique, et en particulier pour venir déployer un blocus naval autour de Taïwan.

Soutien à l’Ukraine : Vers une plus grande implication européenne lors de la 17ᵉ rencontre de Rammstein

Plusieurs pays européens, dont la France et l’Allemagne, ont annoncé renforcer leur implication conjointe en soutien à l’Ukraine, à l’occasion de la 17ᵉ rencontre de l’UDCG, sur la base aérienne de Rammstein. Ces annonces pourraient constituer le socle sur lequel les européens pourront construire une initiative d’aide à Kyiv efficace, même si les Etats-Unis venaient à devoir se mettre en retrait dans ce domaine, pour les raisons que l’on connait. Mais sera-ce vraiment le cas ?

Depuis plusieurs mois, les lecteurs de Meta-Defense avaient été alertés quant aux risques d’une évolution défavorable du rapport de force en Ukraine. L’action conjuguée d’un puissant effort industriel russe d’un côté, et le danger de voir l’aide américaine à Kyiv s’étioler avec un possible retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, dessinaient, en effet, des perspectives pour le moins inquiétantes pour l’avenir de l’Ukraine dans son combat existentiel face à l’agression russe.

Les inquiétantes perspectives autour de la guerre en Ukraine qui ont émergé ces dernières semaines

À plusieurs reprises, nous avions indiqué que la seule alternative permettant d’envisager une issue favorable à ce conflit dans les mois et années à venir, reposait sur un sursaut industriel et politique des européens, qui devraient alors se substituer aux Etats-Unis pour alimenter les armées de Kyiv en équipements militaires, en miroir de ce que pourra produire l’industrie russe.

Uralvagonzavod T-90M production
La production industrielle de défense russe a considérablement augmenté ces derniers mois, faisant craindre un renversement du rapport de force en faveur des armées russes dans les mois à venir.

En procédant ainsi, les Européens neutraliseraient, en effet, la stratégie du Kremlin qui repose précisément sur l’érosion du soutien occidental à l’Ukraine, et l’épuisement de la volonté de résistance de ses combattants, pour emporter une victoire sur le long terme.

Ces dernières semaines, les inquiétudes avancées depuis janvier 2023 sur ce site, commencèrent à émerger dans le discours public, au point qu’un important sentiment de désespoir bien palpable commençait à se faire sentir, y compris en Ukraine, concomitamment à la progression de Donald Trump dans les sondages outre-Atlantique, et aux conséquences de la guerre entre Israël et le Hamas au Proche-Orient.

Si les premières réactions des dirigeants européens, ne prêtaient guère à l’optimisme, notamment lorsque Joseph Borrell, le chef de la diplomatie de l’Union européenne, annonça que l’Europe n’avait pas la possibilité de se substituer à l’aide américaine à l’Ukraine, il semble qu’une certaine prise de conscience se soit installée au sein de plusieurs chancelleries du vieux continent, afin de s’emparer du sujet et de tenter d’y apporter des solutions efficaces.

Des annonces encourageantes pour le soutien à l’Ukraine lors de la 17ᵉ rencontre de Rammstein de l’UDCG

C’est en particulier ce que l’on peut deviner de ce qu’il s’est dessiné lors de la 17ᵉ rencontre de l’Ukraine Defense Contact Group, ou UDCG, qui s’est tenue sur la base aérienne américaine de Rammstein, en Allemagne, il y a quelques jours.

Soutien à l'Ukraine SAMP/T Mamba Franco-italien
La France et l’Italie ont déjà livré une batterie antiaérienne à moyenne portée SAMP/T Mamba à l’Ukraine, pendant européen du Patriot américain.

À l’occasion de ce format qui rassemble près d’une cinquantaine de nations en soutien à l’Ukraine, une coalition d’une vingtaine de pays, très majoritairement européens, s’est organisée pour consolider l’aide matériel et technique à l’Ukraine dans le domaine de la défense antiaérienne dans les mois à venir.

Bien que pilotée par les Etats-Unis, en présence du secrétaire d’État américain Lloyd Austin et du Chef d’État-major des Armées américaines, le général Brown, cette coalition semble clairement organisée pour permettre une montée en puissance et l’aide et de l’implication des européens dans le processus de soutien à Kyiv.

On devine, sans que cela ait évidemment pas été évoqué, qu’un des piliers de cette initiative, repose précisément sur le risque de voir l’ancien président républicain américain, Donald Trump, revenir à la Maison-Blanche à l’occasion des élections présidentielles de 2024, dont il est désormais le favori des sondages.

France, Allemagne et Grande-Bretagne à la manœuvre pour piloter les premières coalitions antiaériennes et navales d’aide à l’Ukraine

C’est d’ailleurs la France et l’Allemagne qui assureront conjointement le pilotage de cette coalition, Berlin ayant, à ce titre, annoncé la livraison prochaine de 4 nouveaux IRIS-T SLM à l’Ukraine, un système de défense antiaérienne dont les qualités et l’efficacité ont été démontrées concrètement sur ce théâtre face aux missiles de croisière et aux drones russes.

Cette livraison s’inscrit dans un nouveau lot d’aides militaires allemandes d’un montant global de 1,4 Md€, portant également sur 20 000 obus d’artillerie de 155 mm et de 8 000 mines antichars, livrés d’ici à la mi-décembre.

D’autres initiatives ont été présentées conjointement à cette occasion. Les Pays-Bas préparent ainsi un nouveau lot d’aides pour 2 Md€. L’Estonie, qui dirige la coalition « Guerre cyber » d’aide à l’Ukraine, a annoncé une nouvelle enveloppe de 0,5 m€ à cette initiative, déjà alimentée par le Luxembourg à hauteur de 10 m€. Enfin, la Norvège et la Grande-Bretagne ont, pour leurs parts, pris les rênes de la coalition Maritime d’assistance à l’Ukraine, pour sécuriser la mer Noire.

On le voit, il apparait, de manière évidente de ce qui précède, que les Européens tendent à s’impliquer davantage dans le soutien à Kyiv, y compris en prenant à leur charge certaines composantes clés de la défense du pays. Pour l’heure, il ne s’agit que d’un frémissement. Aucune initiative dimensionnée n’a été dévoilée pour effectivement assumer les besoins des armées ukrainiennes face à l’inexorable montée en puissance des armées russes.

Vers une implication croissante des Européens en Ukraine ? Ou pas…

Toutefois, ce frémissement semble indiquer que les prémices de la prise de conscience nécessaire, côté européen, pour contenir les effets dévastateurs d’une potentielle mise en retrait des Etats-Unis dans l’assistance apportée à l’Ukraine, qu’ils soient la conséquence du retour de Donald Trump sur Pennsylvania avenue, ou de l’émergence de nouveaux conflits, au Proche-Orient ou dans la zone Indo-Pacifique.

Donald Trump en campagne
La menace de voir Donald Trump retrouver le chemin de la Maison-Blanche transparait du changement de posture des européens, mais également des cadres de l’administration Biden, lors de la 17ᵉ rencontre de Rammstein

Plus particulièrement, l’implication croissante de l’Allemagne et de la France, les deux plus grandes économies de l’UE, aux côtés de la Grande-Bretagne et de la Norvège, les deux piliers européens n’appartenant pas/plus à celle-ci, tend à montrer une mobilisation européenne étendue, y compris parmi les pays les plus moteurs dans ce domaine sur le vieux continent.,

Reste à voir, désormais, si ce sursaut remarqué lors de la 17ᵉ rencontre de Rammstein, constituera le socle d’une dynamique ambitieuse et coordonnée, ou s’il ne s’agira, dans les faits, que d’initiatives isolées destinées à donner le change aux opinions publiques européennes le temps que le sujet se fasse oublier ?

Pour se doter de sous-marin nucléaire sud-coréen, Séoul se dirige vers un bras de fer avec Washington

L’Amiral Kim Myung-Soo a explicitement appelé à developper une flotte de sous-marin nucléaire sud-coréen, pour contrer l’évolution de la menace sous-marine de Pyongyang, alors qu’il était interrogé dans le cadre des auditions parlementaires pour designer le futur Chef d’état-major des armées du pays.

Il a surtout désigné les États-Unis comme le principal frein à ce développement vital pour la sécurité du pays, alors que Séoul prend une autonomie de plus en plus marquée vis-à-vis de Washington en matière de défense ces dernières années.

Depuis plusieurs années, les autorités sud-coréennes évoquent, de manière de plus en plus insistante, la possibilité de doter la Marine sud-coréenne de sous-marins nucléaires d’attaque, afin de contenir la menace croissante liées aux nouvelles performances des vecteurs nucléaires nord-coréens, mais aussi chinois et russes.

Les contraintes sur le nucléaire liées aux accords de défense entre États-Unis et Corée du Sud

Jusque-là, cependant, les allusions faites semblaient relativement lointaines, et sans emphases. En effet, Séoul est tenu, dans ce domaine, par un accord de puissance très restrictif négocié avec les États-Unis qui assurent, depuis la fin de la guerre de Corée, la protection du pays, notamment avec son parapluie nucléaire et anti-missile.

Ohio classe SSBN, sous-marin nucléaire lanceur d'engins américain
Les États-Unis assurent la protection militaire de la Corée du Sud, y compris dans le domaine nucléaire et stratégique.

En contrepartie, la Corée du Sud et ses armées ont interdiction stricte de se doter de capacités nucléaires, les États-Unis redoutant que cela ne viennent de trop déséquilibrer le théâtre sud-est asiatique face à Pyongyang, mais surtout face à Pékin et Moscou. Si cet accord couvre naturellement les armes nucléaires, il s’étend aussi, par capillarité, aux navires à propulsion nucléaire, et plus particulièrement aux sous-marins.

Les performances nord-coréennes, dans le domaine des vecteurs stratégiques sous-marins, étaient, en effet, plus que limitées, rendant le besoin pour Séoul de disposer de submersibles à propulsion nucléaire moindre. Ces dernières années, toutefois, Pyongyang a démontré de nouvelles compétences technologiques, avec le développement de nouveaux missiles de croisière et balistiques bien plus performants que les générations précédentes.

Missile Pukguksong-3, sous-marin Hero Kim Gun-ok : la menace sous-marine stratégique nord-coréenne s’accroit rapidement pour Séoul

C’est ainsi qu’il y a tout juste deux ans, la Marine nord-coréenne testait pour la première fois le missile balistique à changement de milieu Pukguksong-3, un vecteur balistique de moyenne portée (2 500 km de portée estimée), capable d’emporter une charge nucléaire, et d’être lancé par un sous-marin en plongée.

La menace empira pour Séoul en septembre 2023, avec le lancement du nouveau sous-marin nord-coréen « Hero Kim Gun-ok », un submersible dérivé de la classe Romeo Soviétique des années 50, mais armé de quatre de ces missiles balistiques à changement de milieu et capacités nucléaires, ainsi que de six missiles de croisière, eux aussi à changement de milieu, et potentiellement armés d’une tête nucléaire.

Sous-marin nord-coréen hero Kim Gun-Soo lance missiles
Le nouveau sous-marin Senpo-C « Héro Kim Gun-Son » nord-coréen sera armé de 4 missiles nucléaires SLBM Pukguksong-3

Ce nouveau navire, bien qu’à propulsion conventionnelle, pourra bientôt mener des patrouilles stratégiques dans le nord du golfe de Corée, ou de la mer du Japon, le mettant potentiellement hors de portée des sous-marins d’attaque à propulsion conventionnelle et AIP sud-coréens, y compris les très performants Dosan Anh Changho de facture locale.

L’arrivée de ce nouveau binôme stratégique nord-coréen, formé des sous-marins Senpo-C de la classe Hero Kim Gun-ok, et du missile Pukguksong-3 SLBM (Submarine Launched Ballistic Missile), constitue de fait une grave menace pour la Corée du Sud, et neutralise en grande partie, l’efficacité de sa doctrine « 3 axes », conçue pour contenir la menace nucléaire nord-coréenne à l’aide des seules capacités conventionnelles aux mains des armées de Séoul.

Le programme K-SSN de sous-marin nucléaire sud-coréen pour rétablir l’efficacité de la doctrine 3 axes

C’est précisément pour tenter de rétablir l’équilibre que le programme K-SSN (Korean-Ship Submersible Nuclear ou Sous-marin nucléaire d’attaque Coréen), prend de l’ampleur en Corée du Sud, au point qu’interrogé par un député du PPP, le Parti conservateur au pouvoir, dans le cadre des auditions pour sélectionner le futur chef d’état-major interarmées sud-coréen, l’amiral Kim Myung-soo en a fait l’apologie, soulignant son caractère désormais indispensable, nonobstant les accords limitants avec Washington.

Le fait est, tout indique qu’aujourd’hui, en Corée du Sud, le sujet fait très majoritairement l’unanimité, tant dans l’opinion publique que dans la classe politique et dans les armées, comme expliqué précédemment, cela n’a rien de surprenant.

sous-marin nucléaire sud-coréen plus performant que Dossan Anh Change sous-marin
Bien que reconnu performants, les sous-marins AIP sud-coréens Dosan Anh Changho ne sont pas conçus pour traquer des sous-marins lance-missiles évoluant dans le nord du golfe de Corée ou de la mer du Japon.

Le SNA représente à la fois le seul outil capable de contenir la nouvelle menace que représentent les sous-marins lance-missiles nord-coréens Senpo-C, que le fait qu’ils constituent aussi le passage indispensable pour se doter, à l’avenir, de sous-marins à propulsion nucléaire de type lance-missiles de croisière (SSGN) ou lance-missiles balistique (SSBN), eux aussi dans le collimateur capacitaire de Séoul pour répondre à l’explosivité de ce théâtre d’opération.

Reste que convaincre Washington de laisser la Corée du Sud s’équiper de sous-marins à propulsion nucléaire, sera tout sauf une mince affaire. Comme exposé précédemment, les États-Unis, qui assurent la protection stratégique de la Corée du Sud comme du Japon, craignaient jusque-là que la nucléarisation des armées de ces deux pays engendrent une réponse incontrôlable de leurs belliqueux voisins.

Un nouveau contexte international plus favorable à une renégociation des accords de défense entre la Corée du Sud et les États-Unis

Pour autant, la situation stratégique a sensiblement évolué ces dernières années. Déjà, en mai 2021, Séoul obtenait de Washington la levée des restrictions faites à la Corée du Sud en matière de développement et de mise en œuvre de missiles balistiques, à des missiles d’une portée de 800 km emportant une charge militaire de 500 kg.

Quelques mois plus tard, en septembre 2021, les États-Unis, accompagnés de la Grande-Bretagne, annonçaient le développement du programme SSN-AUKUS visant à doter l’Australie de sous-marins nucléaires d’attaque américains et britanniques, en lieu et place des sous-marins à propulsion conventionnelle français commandés jusque-là par Canberra.

Astute class SSN
Les futurs SSN-Aukus remplaceront les Astute britanniques et équiperont la Marine Australienne.

De son côté, la France accompagne depuis 2012 le Brésil dans le développement de son propre sous-marin nucléaire d’attaque, le Álvaro Albert, dont la construction a débuté il y a quelques semaines.

De fait, alors que le sujet de l’exportation directe et l’accompagnement technologique concernant les sous-marins à propulsion nucléaire était tabou jusqu’il y a peu, les nouveaux développements géostratégiques ont, de toute évidence, profondément altérer ce paradigme tacite entre les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité, rendant l’hypothèse bien plus probable pour Séoul qu’elle ne pouvait l’être il y a tout juste 3 ans.

La Corée du Sud en route pour une réelle autonomie stratégique à moyen terme

Pour autant, on peut s’attendre à une réticence américaine, en voyant Séoul prendre, chaque année davantage, son indépendance sécuritaire vis-à-vis de la protection américaine.

S’appuyant sur une industrie de défense particulièrement dynamique qui enregistrent de nombreux succès à l’exportation, ainsi que sur une évidente volonté de pouvoir, au besoin, assurer seule sa défense, la Corée du Sud est parvenue à developper une doctrine pertinente pour contenir la menace nucléaire nord-coréenne, et à se doter des moyens conventionnels nécessaires pour la mettre en œuvre.

C’est ainsi qu’en quelques années seulement, les industriels sud-coréens ont su developper une vaste famille de missiles balistique et de croisière, y compris à changement de milieu, conçus pour mener des frappes préventives de décapitation des capacités nucléaires de Pyongyang (1ᵉʳ axe), mais aussi des systèmes antiaériens et antibalistiques pour intercepter les vecteurs nucléaires lancés par la Corée du Nord et ayant échappé à ces frappes (2ᵉ axe).

Pukgukson-3 SLBM
L’arrivée des nouveaux missiles SLBM Pukguksong-3 nord-coréens neutralise en grande partie l’efficacité prévisible de la doctrine conventionnelle « 3 axes » développée par la Corée du Sud.

Enfin, les forces aériennes, navales et terrestres sud-coréennes disposent désormais des munitions de précision lourdes nécessaires pour éliminer les postes de commandement et infrastructures critiques adverses, une fois la composante nucléaire neutralisée, et venir à bout des très nombreuses forces armées conventionnelles nord-coréennes (3ᵉ axe).

Dans les faits, Séoul a su se doter, en trois décennies de temps, de l’ensemble des moyens nécessaires pour disposer d’une capacité conventionnelle susceptible effectivement de contenir une menace nucléaire limitée, telle celle de Pyongyang, qui ne dispose que d’une cinquantaine de têtes nucléaires, mais aussi des compétences industrielles et technologiques pour y parvenir en autonomie.

Les succès sud-coréens mettent en lumière les échecs européens

En bien des aspects, la Corée du Sud a suivi une trajectoire opposée à celle de la plupart des pays européens qui, partant d’une situation autrement favorable, n’ont fait, ces 30 dernières années depuis la chute du bloc soviétique, qu’accroitre leur dépendance à la protection américaine, alors même que deux pays européens disposent, eux aussi, d’une dissuasion plus que crédible.

Marine sud-coréenne
En bien des aspects, la trajectoire suivie par Séoul pour développer son autonomie stratégique ces 30 dernières années, est à l’opposée de celle de la plupart des pays européens, qui n’ont fait qu’accroitre, sur la même période, leur dépendance stratégique à la protection américaine.

Reste à voir, désormais, quelle forme prendra cette recomposition stratégique dans la péninsule coréenne, comment répondront les États-Unis à l’insistance de Séoul pour se doter d’une flotte de sous-marins à propulsion nucléaire, et comment la Chine, et la Russie, y répondront à leur tour, le cas échéant ?

Une chose est certaine, en revanche, cette dynamique rapide que l’on peut observer sur la péninsule Coréenne, et plus généralement sur l’ensemble du théâtre indo-pacifique, n’a rien à envier à celle qui prévalait dans les années 50 ou 80 en Europe ou dans l’Atlantique Nord.

Porte-aéronefs, sous-marins, Eurofighter Typhoon : l’Espagne veut s’imposer en Turquie

Le ministre de la Défense turc, Yasar Gular, a confirmé qu’Ankara était en négociation avec Madrid et Londres pour l’acquisition d’une quarantaine de chasseurs Eurofighter Typhoon, afin de moderniser les forces aériennes du pays.

Cette annonce intervient après que d’autres négociations avec Madrid, au sujet de la construction d’un sister-ship au porte-hélicoptères TCG Anadolu, et de transferts de technologies dans le domaine de la propulsion AIP des sous-marins, aient été dévoilées ces dernières semaines.

Qu’en est-il de ces annonces, et quelles en seraient les conséquences industrielles, militaires et politiques, si elles venaient à se confirmer ?

Si, avec un effort de défense de seulement 1,3 % de son PIB, l’Espagne est loin d’être l’allié le plus ambitieux au sein de l’OTAN. Ce n’est pas, en revanche, le cas pour ce qui concerne son industrie de défense.

Ainsi, il apparait que Madrid est le troisième pays le plus investi au sein des programmes du Fonds Européens de Défense, l’Espagne participant à 74 projets de recherche et plus de 300 millions d’euros investis par Madrid, suivant l’Italie avec 320 m€ et la France, en tête avec 360 m€.

Navantia Flight III destroyer
Navantia s’est taillé une réputation d’efficacité commerciale et industrielle sur le marché des navires de surface combattants ces dernières années, enregistrant de nombreux succès à l’exportation.

Surtout, ces dernières années, les industriels de défense espagnols, très soutenus par les autorités du pays et la bouillonnante ministre de la Défense Margarita Robles, ont montré d’exceptionnelles qualités pour monter en compétence, et s’arroger des marchés déterminants, tant dans le domaine des véhicules blindés que des navires de combat ou encore dans le domaine de l’aéronautique militaire et de l’électronique embarqué.

Pour soutenir de telles ambitions, avec un budget défense aussi limité, il est évident que les grands industriels de défense espagnols, dépendent beaucoup de leurs succès sur les marchés exports. Jusqu’à présent, le pari a été gagnant pour Madrid, notamment avec les nombreux succès de Navantia dans le domaine des navires de combat.

Toutefois, alors que le marché international des équipements de défense tend à se tendre, avec l’arrivée de nouveaux acteurs très soutenus par leurs états comme la Corée du Sud et la Turquie, la concurrence toujours féroce des acteurs traditionnels et les grandes puissances toujours plus investis pour étendre leur sphère d’influence, Madrid se doit de redoubler d’agressivité pour maintenir son industrie de défense dans la trajectoire vidée.

C’est dans ce contexte que, ces dernières semaines, plusieurs annonces et indiscrétions successives montreraient un rapprochement entre l’industrie de défense espagnole et la Turquie, pour plusieurs programmes de grande ampleur.

Un second porte-aéronefs classe Anadolu, le TCG Trakya

La collaboration industrielle de défense entre Madrid et Istanbul n’est pas, à proprement parler, une nouveauté. Ainsi, le nouveau porte-aéronefs de la Marine turque, le TCG Anadolu entré en service en avril 2023, et aujourd’hui navire amaril de la flotte turque, est dérivé de la classe de porte-aéronefs Juan Carlos I conçue par Navantia.

porte-hélicoptères LHD classe Anadolu
Le TCG Trakya, à l’instar du TCG Anadolu, mettra en œuvre des drones de combat comme des hélicoptères

Privé de F-35B après la mise sous sanction américaine suivant l’acquisition d’une batterie de défense aérienne S-400 russe, l’Anadolu a évolué pour faire désormais office de porte-hélicoptères d’assaut, avec la capacité à venir de mettre en œuvre des drones de combat, comme le drone MALE embarqué TB3 et le drone subsonique élevé Kizilelma.

La construction d’un sister-ship à l’Anadolu était, dès le départ, planifiée par l’amirauté turque. Toutefois, les négociations avec Navantia n’avaient jusqu’à présent pas débuté. On pouvait alors penser qu’à l’instar de Paris, Berlin et Washington, Madrid avait choisi de prendre une posture plus distante avec le régime de R.T Erdogan, ouvertement menaçant contre plusieurs de ses voisins, notamment la Grèce et Chypre, membres de l’Union européenne.

Ce n’est, de toute évidence, pas le cas. Ainsi, plusieurs déclarations font état de négociations avancées entre Ankara et Navantia pour la construction du TCG Trakya, le second navire de la classe Andalou, dont le nom désigne la Thrace, une région grecque bordant l’enclave européenne d’Istanbul.

drone de combat Byakar Kizilelma
Le Kizilelma est un drone de combat subsonique élevé présenté comme une alternative aux chasseurs embarqués légers pour équiper les porte-hélicoptères d’assaut de la classe Anadolu.

Comme son prédécesseur, le navire de 27 000 tonnes et de 232 mètres de long, serait construit par les chantiers navals SEDEF et optimisé pour la mise en œuvre des futurs drones embarqués en cours d’essais dans le pays.

Avec l’Anadolu, le Trakya conférera potentiellement à la Marine turque un avantage significatif sur les marines de Méditerranée occidentale, notamment face à la Marine Hellénique, son adversaire de toujours, qui était parvenue jusqu’ici à se developper en capacité miroir de celle-ci.

La technologie AIP espagnole pour les sous-marins du programme MILDEN

Une autre collaboration majeure pourrait intervenir dans les mois à venir entre Ankara et Madrid, toujours dans le domaine naval. En effet, à l’instar de la Corée du Sud, les industries navales turques ont acquis de nombreux savoir-faire dans la construction de sous-marins, notamment au travers de la construction locale des Type 209 et Type 214 allemands, ces derniers formants aujourd’hui la nouvelle classe Reis de sous-marins AIP turcs.

Sous-marin Type 214 classe Reis
L’industrie navale turque a acquis de nombreuses compétences lors de la construction des sous-marins des classes Gür et Reis.

De fait, aujourd’hui, les industries navales du pays sont en mesure de concevoir et construire un sous-marin d’attaque moderne à plus de 80 %, et ne leur manque que quelques technologies clés, comme dans le domaine des piles à combustible pour la propulsion anaérobie.

C’est ainsi qu’a été lancé le programme MILDEN, pendant du programme MILGEM qui donna naissance aux corvettes de la classe Ada et frégates anti-sous-marines de la classe Istanbul, qui entend donc donner aux industriels turcs l’ensemble des compétences nécessaires à la conception et la construction de sous-marins à propulsion conventionnelle ou AIP.

De son côté, l’industrie navale de défense espagnole, et Navantia en particulier, viennent de finir les essais du premier sous-marin AIP issu du programme S-80 Plus et de conception locale, le S-81 Issac Peral, première unité de la classe éponyme.

Après de nombreuses années de retard, et un programme national limité à 4 exemplaires, il est désormais crucial pour Madrid et Navantia, de valoriser leurs investissements sur la scène internationale. À ce titre, ceux-ci s’avèrent à la fois très présents, et particulièrement agressifs, sur l’ensemble des marchés qui leur seraient potentiellement ouverts, comme en Pologne, au Canada, ou encore aux Philippines, même si l’Issac Peral n’a pas encore fait la preuve de ses capacités opérationnelles.

S-80 plus classe Issac Peral
Livré avec près de 10 années de retard, le sous-marin Issac Peral, première unité de la classe éponyme, entrera en service dans les mois à venir au sein de la Marine espagnole.

La convergence entre les besoins des industriels turcs concernant la technologie AIP, et le savoir-faire espagnol, associé à un besoin évident d’exporter rapidement ces technologies, a amené Madrid et Istanbul a entamé des négociations qui permettraient, potentiellement, à Ankara de boucler la boucle technologique pour pouvoir lancer la conception effective de son programme MILDEN, en dépit des hésitations plus ou moins assumées de Stockholm et de Berlin à soutenir la Turquie dans ce domaine.

40 Eurofighter Typhoon pour les forces aériennes turques

Mais, l’annonce la plus spectaculaire concernant le rapprochement entre l’Espagne et la Turquie en matière d’équipement de défense, est venu la semaine dernière du président R.T Erdogan lui-même, et de son ministre de la Défense, Yasar Gular.

Ce dernier a, en effet, révélé que son pays était en négociation avancée avec l’Espagne et la Grande-Bretagne, en vue d’acquérir 40 avions de combat Eurofighter Typhoon, dans le but de moderniser les forces aériennes turques. Il répondait en cela aux déclarations du président Erdogan qui, quelques jours plus tôt face au Parlement turc, avait confirmé son intérêt pour acquérir le chasseur européen, en marge de sa visite à Berlin.

Dassault Rafale Grèce
La commande de 40 Eurofighter Typhoon par la Turquie est une réponse à la commande de 24 Dassault Rafale français par la Grèce.

Il s’agit, pour Ankara, de répondre, au plus vite, à l’entrée en service des Rafale français acquis par Athènes, et par la suite, des F-35A qui doivent être commandés par la Grèce. Les forces aériennes turques ne peuvent aujourd’hui compter, de manière certaine, que sur des kits de modernisation nationaux pour ses F-16 C et D, dans l’attente du feu vert du Congrès américain pour l’achat de 40 F-16V Block 70 et de 80 kits pour porter autant de ses F-16C/D vers ce standard.

En outre, même si le chasseur léger de conception national, le TFX Kaan, doit effectuer son premier vol d’ici à la fin de l’année, la motorisation de l’appareil de série dépend toujours d’un accord donné par Washington concernant la production locale de nouveaux turboréacteurs GE F110 (ceux qui propulsent les F-16 C/D), ce qui demeure loin d’être acquis, même si Ankara venait à autoriser l’adhésion de la Suède à l’OTAN.

De leur côté, les partenaires du consortium Eurofighter, qui rassemble la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, savent que la ligne de production du chasseur européen risque de fermer au-delà de 2028, faute de nouvelles commandes exports, alors que les autorités allemandes semblent pouvoir difficilement faire marche arrière dans le dossier saoudien.

De fait, comme dans le cas des technologies sous-marines, il existe une conjonction forte entre les besoins de la Turquie et des membres du consortium Eurofighter, quitte à ce que certains d’entre eux, l’Allemagne en particulier, doivent faire preuve de plus de souplesse vis-à-vis d’Ankara que précédemment. On imagine mal, en effet, Berlin s’opposer une nouvelle fois à la vente d’Eurofighter à la Turquie, après l’épisode saoudien.

Eurofighter Typhoon ligne d'assemblage
Les lignes d’assemblage de l’Eurofighter Typhoon sont désormais menacées au-delà de 2028, faute de nouvelles commandes domestiques ou exports.

Au-delà de l’acquisition des appareils eux-mêmes, ce contrat, que l’on pourrait qualifier d’existentiel pour plusieurs des industriels engagés dans le programme Eurofighter, pourrait permettre à la Turquie de négocier auprès du britannique Rolls-Royce, les transferts de technologie indispensables pour developper un turboréacteur de conception locale pour son TFX Kaan, de sorte à délier l’avenir du programme des arbitrages de Washington.

Vers une rupture du statuquo militaire en Méditerranée Orientale ?

Comme pour le TCG Trakya, et les sous-marins du programme MILDEN, l’acquisition de 40 Eurofighter Typhoon par la Turquie, et les transferts de technologie y attenant, pourraient venir menacer le fragile statuquo militaire en Méditerranée occidentale, et plus particulièrement en mer Égée, face à la Grèce et à Chypre.

Jusqu’à présent, en effet, Athènes était parvenue à tenir en respect Ankara, et son avantage numérique incontestable, au travers d’un subtil mélange de compétences militaires et technologiques défense plus avancées, et grâce au rôle modérateur des puissances exportatrices d’équipements de défense, en particulier des Etats-Unis, distillant avec une évidente volonté d’équilibre ses systèmes entre Ankara et Athènes.

Dans ce contexte, la politique particulièrement permissive envers Ankara appliquée par Madrid, mais également par Londres dans certains domaines, en venant rompre le statuquo militaire en Méditerranée Orientale, risque fort d’avoir, à terme, des conséquences bien plus significatives que la préservation de la ligne de production des Eurofighter ou l’amortissement des investissements autour des Issac Peral, ne justifieront probablement pas.

MAWS : pourquoi la commande allemande de 8 P-8A Poseidon met la France dans l’embarras ?

Sans que l’avenir du programme franco-allemand MAWS ait été officiellement remis en question par les autorités allemandes, la commission des budgets du Bundestag a confirmé l’acquisition de 8 avions de patrouille Maritime américains P-8A Pegasus pour remplacer les P-3C Orion allemands.

Ce faisant, Berlin fait entièrement peser la responsabilité de l’abandon ou de la poursuite du programme d’avion de patrouille maritime européen, sur son partenaire français, tout en se mettant en position de force dans les éventuelles négociations industrielles à venir.

En mai 2021, Berlin annonçait la prochaine acquisition de 5 avions de patrouille maritime Boeing P-8A Poseidon pour remplacer une partie de ses P-3C Orion à l’âge canonique. Pour beaucoup d’observateurs, cette décision marquait alors la fin du programme Maritime Air Warfare System, ou MAWS, lancé en 2017 conjointement par la France et l’Allemagne, pour remplacer les Atlantique 2 de la Marine Nationale et les P-3C de la Luftwaffe, à horizon 2035.

Vers un abandon du programme MAWS par l’Allemagne avec l’acquisition de P-8A Poseidon américains

Cette conviction fut renforcée lorsque, quelques mois plus tard, après l’annonce de la création du fonds spécial de 100 Md€ destiné à financer la transformation de la Bundeswehr suite à l’attaque russe contre l’Ukraine, plusieurs déclarations d’officiels allemands laissaient entendre qu’une seconde commande de six appareils supplémentaires était à l’étude.

P3C Orion Luftwaffe
Les Orion allemands devront quitter le service actif d’ici à 2028

Il s’agissait, pour la Luftwaffe, de répondre aux besoins croissants dans le domaine de la surveillance maritime aéroportée et de la patrouille maritime de l’OTAN, afin de garder les flottes du nord et de la Baltique russes, et surtout leur importante flotte de sous-marins, sous contrôle en mer Baltique, mer du Nord et dans l’Atlantique nord.

Dans ce contexte, il semblait bel et bien que le programme MAWS, qui restait dans un état semi-végétatif depuis plusieurs années, était condamné. D’ailleurs, face à ce risque, la France entama des études dans le but de sélectionner l’appareil qui pourra remplacer ses Atlantique 2 au-delà de 2030. Le processus est d’ailleurs décrit dans le cadre de la Loi de Programmation Militaire 2024-2030 récemment votée par le Parlement français.

Côté allemand, toutefois, l’abandon de MAWS n’a jamais été évoqué officiellement. Au contraire, en octobre 2022, Berlin insistait très officiellement sur le fait que, de son côté, les P-8A Poseidon prochainement acquis, n’étaient que des solutions intérimaires pour remplacer les P-3C les plus anciens. Et d’ajouter que, à la suite des études françaises pour sélectionner le remplaçant de l’Atlantique 2, l’avenir du programme MAWS était, dès lors, dans les mains de Paris.

8 P-8A Poseidon pour 2,8 Md€ pour remplacer les P-3C Orion de la Luftwaffe d’ici à 2026

On y voit désormais un peu plus clair dans les ambitions de Berlin dans ce domaine. En effet, la commission des budgets du Bundestag a autorisé l’augmentation du budget dédié à l’acquisition des P-8A allemands, passant de 1,1 Md€ à 2,8 Md€, avec l’objectif d’acquérir 8 appareils, soit trois de plus que les 5 initialement annoncés, et non six comme évoqué en mars 2022, ainsi qu’un simulateur complet pour entrainer les équipages.

P-8A Poseidon Boeing Royal Air Force
Le P-8A de Boeing a été choisi par 8 forces aériennes dans le monde, dont 4 apparentant à l’OTAN (Allemagne, Etats-Unis, Norvège, Royaume-Unis)

À cette occasion, le Bundestag a précisé que ces 8 appareils ne constituaient, pour l’instant, qu’une flotte intérimaire, dans l’attente de l’entrée en service du MAWS autour de 2035. Bien évidemment, tout le message que veut faire passer Berlin, ici, est dans le « pour l’instant ».

Comme on peut l’imaginer, cette annonce vise à mettre Paris, et son programme de sélection du remplaçant potentiel de l’Atlantique 2, dans l’embarras. Ainsi, si la France venait à suspendre cette procédure inscrite dans la LPM, elle s’attirerait probablement les foudres des industriels, peut-être aussi des militaires, sachant que le programme MAWS n’avait jamais vraiment débuté au bout de trois ans, jusqu’à sa mise en coma artificiel par la décision allemande d’acheter des Poseidon américains.

Dassault Falcon 10X
Le Dassault Falcon 10X est un concurrent très prometteur pour le remplacement des Atlantique 2 français, si le programme MAWS venait à être abandonné.

En particulier, il est plus que probable, dans une telle hypothèse, que le Falcon 10X de Dassault Aviation, pourtant un concurrent très sérieux face à l’A320Neo d’Airbus, n’aurait que très peu de chances d’être retenu par le programme franco-allemand, qui se tournera sans le moindre doute vers l’avionneur européen dans ce dossier.

À l’inverse, si la France venait à persévérer dans cette procédure, elle porterait alors la responsabilité de l’échec du programme MAWS sur la scène publique et internationale. Pire encore, si Paris choisissait de jouer la carte allemande, la Marine nationale n’aurait alors pas de solution de secours si le programme MAWS venait à échouer, ou simplement à prendre du retard, alors que la Luftwaffe pourrait simplement étendre sa flotte de P-8A sans couts de structures supplémentaires.

Des arbitrages à venir complexes pour la France pour remplacer les Atlantique 2 de la Marine Nationale

Quoi qu’il en soit, il faudra désormais arbitrer rapidement dans ce dossier, tant pour Paris que pour Berlin. En effet, la conception d’un remplaçant aux Atlantique 2 et aux P-3C, qu’il soit basé sur le Falcon 10X de Dassault, ou sur l’A321 Neo d’Airbus, prendra quelques années, alors que les avions français devront être retirés du service en 2035, et que les derniers Orion allemands seront retirés du service en 2028.

Surtout, en procédant ainsi, Berlin s’assure d’être dans une position des plus favorables face à Paris dans le domaine des négociations concernant le partage industriel et même le choix de l’appareil si le programme MAWS venait à perdurer, tout en préservant son image de partenaire industriel fiable sur la scène internationale, si le programme venait à échouer.

MAWS A320 Neo MAP
L’A320Neo d’Airbus est le candidat le plus probable si le programme MAWS était poursuivi par Paris et Berlin.

Remarquons, à ce titre, que la présente situation, n’a rien d’exceptionnel lorsqu’il s’agit de programme en partenariat auquel participe l’Allemagne. En effet, Berlin n’a jamais officiellement quitté un programme partenaire dans le domaine de la défense, et a toujours privilégié des postures plus subtiles, de sorte à ne pas porter la responsabilité de l’échec, même lorsque la décision avait bien sûr été prise par les autorités allemandes.

C’est ainsi que la décision concernant l’abandon du Tigre III n’a toujours pas été annoncée par l’Allemagne, alors qu’en l’absence de progrès, Paris et Madrid ont été contraints d’avancer conjointement sur un programme intermédiaire moins ambitieux.

Reste à voir, désormais, quelle sera la réponse française à l’annonce faite cette semaine par le Bundestag, et comment Paris saura, ou pas, s’extirper de la chausse-trappe tendue par les parlementaires allemands ?

Le Programme SSN-AUKUS a-t-il des surcouts de 25% cachés en pleine lumière ?

Le capitaine Lincoln Reifsteck, qui dirige le programme d’intégration et d’acquisition dans le cadre de l’Alliance AUKUS, a donné des détails quant au calendrier de livraison des futurs sous-marins nucléaires d’attaque australiens, et plus particulièrement pour ce qui concerne les trois sous-marins américains de la classe Virginia qui seront vendus par Washington à Canberra entre 2032 et 2038. Problème : les informations transmises laissent apparaitre des surcouts inévitables de l’ordre de 25 %, au minimum, concernant ce programme.

Politiquement et commercialement, la manière dont l’ancien premier ministre australien, Scott Morrison, avait mené ses négociations secrètes autour du programme AUKUS et au détriment de la France, est très contestable. En revanche, l’arbitrage de fond, pour passer de sous-marins à propulsion conventionnelle à des sous-marins à propulsion nucléaire, a beaucoup de sens, pour un pays insulaire bordé par trois océans, au cœur du théâtre le plus explosif de la planète en ce moment.

Pour autant, et peut-être en raison d’une conception illégitime, le programme SSN-AUKUS, qui doit permettre à l’Australie d’acquérir une flotte de huit sous-marins nucléaires d’attaque d’ici entre 2032 et 2048, dont trois de la classe Virginia américains et cinq nouveaux SNA codéveloppés avec la Grande-Bretagne, semble peiner à trouver parfaitement son équilibre.

SSN-AUKUS, un programme à 350 Md$ pour l’Australie

C’est notamment le cas dans le domaine budgétaire, alors que les dernières estimations font état d’un cout global de ce programme de l’ordre de 350 Md$ (en $ australiens 2023) sur l’ensemble de sa durée de vie, soit plus de 3 fois le prix du programme de 12 sous-marins conventionnels de la classe Attack abandonné au prétexte de ses couts jugés « pharaoniques » par l’exécutif australien.

SSN-AUKUS remplacera aussi les Astute britanniques
Les sous-marins nucléaires d’attaque SSN-AUKUS permettront d’équiper la Marine Australienne, mais aussi de remplacer les SNA classe Astute de la Royal Navy

Ce déséquilibre risque de s’aggraver dans les mois et années à venir, en raison de certains détails rendus publiques par le capitaine Lincoln Reifsteck, à la tête du AUKUS integration and acquisition program, à l’occasion du Naval Submarine League’s annual symposium, qui s’est tenu la semaine dernière.

L’officier naval a, en effet, détaillé le calendrier des livraisons des sous-marins australiens. Ainsi, en 2032, la Marine australienne percevra un premier sous-marin nucléaire d’attaque classe Virginia Block IV, qui sera prélevé sur l’inventaire de l’US Navy. Un second navire de la même classe, sera transmis à la Royal Australian Navy en 2035.

En 2038, celle-ci prendra possession d’un troisième Virginia, neuf cette fois, et apparentant au Block VII. Suite à cela, de 2041 à 2049, 5 sous-marins de type SSN-Aukus seront livrés à la Marine australienne à un rythme d’un navire tous les deux ans. Le premier sera construit en Grande-Bretagne, les quatre autres, semble-t-il, le seront en Australie.

Le remplacement des premiers sous-marins classe Virginia australien dès 2055

Jusque-là, rien ne parait particulièrement problématique. Cela le devient, lorsque l’on ajoute que les Virginia Block IV, ont commencé à être livrés à l’US Navy en 2020, et le seront jusqu’en 2026. Cela signifie que les deux sous-marins, qui seront vendus d’occasion à la Marine australienne, auront entre 6 et 15 années de service au sein de l’US Navy, avec un pic de probabilité entre 9 et 11 ans, pour les deux navires.

Virginia SSN
Les deux premiers SNA australiens seront des Virginia Block IV d’occasion qui auront entre 6 et 15 années de service lors de leur arrivée en Australie.

Et, quand on ajoute que les Virginia ont une durée de vie théorique de 33 ans, le problème à venir commence à se dessiner de manière beaucoup plus évidente. En effet, il apparait de ce qui précède, que les deux premiers Virginia livrés à la RAN en 2032 et 2035, devront être remplacés entre 2053 et 2059, avec un pic de probabilité en 2055 et 2057.

Vers l’acquisition de nouveaux sous-marins nucléaires américains par l’Australie ?

Ces navires auront donc plus de 25 années et service lorsque le dernier SSN-AUKUS entrera en service au sein de la Marine australienne. Celle-ci aura alors deux possibilités. La première, et la moins probable, repose sur l’acquisition de trois nouveaux sous-marins nucléaires d’attaque américains, à ce moment-là probablement le navire aujourd’hui connu sous le nom de code SSN(x).

Si tant est que l’US Navy accepte une nouvelle fois de se défaire de certaines des capacités industrielles qui lui sont dédiées dans son bras de fer avec Pékin, qui sera alors sans le moindre doute à son apogée, cette solution permettrait à Canberra de franchir un nouveau pas capacitaire, le SSN(x) promettant d’être d’une génération postérieure à celle des SSN-AUKUS.

SSN Type 09III Marine chinoise
La Montée en puissance de la Marine chinoise apparait bien plus rapide que ne l’est la Marine australienne pour moderniser ses moyens.

En revanche, cette solution sera incontestablement très onéreuse, sans le moindre espoir pour les autorités australiennes, de voir un quelconque retour budgétaire lié à des investissements sur son sol.

Ou vers l’extension du programme SSN-AUKUS ?

L’autre solution, la plus raisonnable, et par ailleurs la plus probable, serait de s’appuyer sur les compétences industrielles déployées en Australie pour construire les 4 derniers SSN-AUKUS actuellement prévus, pour remplacer les 2 Virginia Bloc IV d’occasion, et peut-être le troisième Virginia Bloc VII, qui devra être remplacé en 2071.

C’est bien là que le problème se situe. En effet, à ce jour, les estimations budgétaires sur lesquelles l’exécutif, et surtout le Parlement australien, travaille, ne concerne que les 8 premiers navires, dont les deux premières unités devront quitter le service autour de 2055, 6 ans à peine après la livraison du denier SSN-AUKUS.

Sous-marins Collins
Le trou béant entre l’entrée en service des SSN-AUKUS et le retrait des Collins, est à l’origine des surcouts qui ne manqueront d’émerger tôt au tard en Australie au sujet du programme tripartite.

En d’autres termes, pour maintenir une flotte de 8 navires sur une période « raisonnable », de l’ordre de 16 ans, soit la moitié de la durée de vie d’un navire, il faudra donc construire ou acquérir deux sous-marins nucléaires d’attaque supplémentaires, évoluant en opposition de phase vis-à-vis des six autres navires, de sorte que le problème risque fort d’être auto entretenu.

Le périmètre réel à 10 sous-marins du programme SSN-AUKUS australien

De fait, si le programme SSN-AUKUS portera bien sûr 8 navires à propulsion nucléaire, il est plus juste de considérer qu’il s’agirait ici du Virginia Block VII livré en 2038, des 5 SSN-AUKUS livrés de 2042 à 2049, puis des deux derniers, en 2055 et 2057, plus ou moins 3 ans. Quant aux deux Virginia Block IV, ils devraient être décomptés, eux aussi, dans le programme SSN-AUKUS, comme solution intérimaire dédiée au remplacement des Collins.

Toutefois, en prenant un tel périmètre, il est plus que probable que l’enveloppe budgétaire, déjà terrifiante de 350 Md$ du programme, viendrait dépasser les 400 Md$, et probablement flirter avec les 450 Md$, faisant surgir un dernier problème, mais il est de taille.

En effet, ce surcout correspondrait, à peu de chose près, à l’enveloppe globale pour les 12 sous-marins de la classe Attack initialement commandés par Canberra auprès de Naval Group.

En d’autres termes, présenté de cette manière, il apparait que les autorités australiennes ont jugé plus pertinent d’acquérir 2 sous-marins nucléaires d’attaque ayant une durée de vie de moins de 20 ans, permettant, au mieux, de maintenir un navire à la mer la moitié du temps, plutôt que 12 sous-marins conventionnels océaniques Attack.

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Pire encore, cet arbitrage ne prend pas en compte les couts d’extension de vie des Collins, pour atteindre 2032 et 2035, et semble totalement passer à côté des tensions croissantes dans le pacifique avec la Chine, qui devraient devenir critiques à partir de 2027, au dire du Pentagone.

Le plus surprenant, est qu’à ce jour, cette question du remplacement des premiers Virginia australiens, et du poids budgétaire qu’il représentera, semble être ignorée, tout au moins du discours public, alors qu’il est impossible que le problème n’ait pas été remonté par la Marine Australienne, a tout le moins.

On peut s’attendre, dans ces conditions, à ce que le programme SSN-AUKUS fasse encore, à l’avenir, parler de lui, mais aussi qu’il fasse de nouvelles victimes parmi les autres programmes d’équipements des armées australiennes.