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Le conflit ukrainien s’enlise-t-il du déséquilibre entre attaque et défense ?

Les premières semaines du conflit ukrainien avaient été marquées par ce qui s’apparentait alors à une guerre de mouvement rapide, qui n’était pas sans rappeler les préceptes de la guerre eclair allemande ou l’offensive alliée en Irak en 1991.

Si la manœuvre russe contre Kyiv et Kharkiv se heurta à une résistance ukrainienne efficace et coordonnée, elle fut surtout handicapée par un manque évident de préparation des armées russes, qui s’attendaient, semble-t-il, à l’effondrement rapide des armées ukrainiennes.

Cette manœuvre rapide fut en revanche bien plus efficace dans le sud du pays, permettant en quelques semaines de faite la jonction avec le Donbass au nord, et la frontière russe à l’est, tout en s’emparant de l’ensemble des territoires au sud du Dniepr, et même au-delà, avec la prise de Kherson.

On pouvait remarquer, toutefois, qu’aucune offensive russe n’avait été engagée contre les défenses ukrainiennes fortifiées le long du Donbass. S’il pouvait alors s’agit d’une manœuvre de surprise, nombreux étant ceux qui attendaient une offensive russe limitée aux oblasts du Donbass, il est aussi probable que l’état-major redoutait les capacités de résistance des lignes défenses adverses.

La contre-offensive ukrainienne à l’été et à l’automne 2022, qui permit de libérer Kherson et de dégager Kharkiv, était aussi une manœuvre profonde. Néanmoins, celle-ci fut rendue possible par les lignes de défense et logistiques russes alors trop entendues, et non en raison d’une percée fulgurante ukrainienne sur le dispositif défensif russe.

Avancée russe conflit ukrainien
L’avancée russe dans le sud de l’Ukraine, lors des premières semaines du conflit, semblait encore donner la prévalence à la manœuvre offensive sur la posture défensive.

Le fait est, depuis le début de cette guerre, il apparait que le potentiel offensif et de manœuvre des deux armées, s’avère incapable de prendre l’ascendant sur le défenseur, qu’il soit russe ou ukrainien, sauf au prix de pertes bien trop excessives pour le gain obtenu.

L’échec des contre-offensives récentes du conflit ukrainien

Six mois après son lancement, force est aujourd’hui de constater que la contre-offensive ukrainienne de printemps, n’aura pas atteint les résultats spectaculaires promis. Évidemment, les attentes, visiblement excessives, autour de cette opération, fut davantage le fait des odalisques de plateaux TV, que des engagements pris par un état-major ukrainien conscient de la réalité de ses moyens, et connaissant le dispositif défensif déployé par les armées russes pour y résister.

Si des avancées ont, en effet, bien été enregistrées par les troupes ukrainiennes, notamment dans l’Oblast de Zaporojie, celles-ci furent obtenues au prix de nombreuses pertes, y compris concernant les précieux blindés et systèmes d’artillerie livrés avec parcimonie par les Européens et les Américains.

Les unités ukrainiennes se sont, en effet, retrouvées confrontées à un dispositif défensif russe bien mieux conçu que ne l’avait été l’offensive de février 2022, bien doté en force d’infanterie, épaulées par des unités blindées, particulièrement des chars, par une artillerie dense et positionnée, et renseignées par une multitude de drones, dans un environnement de guerre électronique intense.

offensive sur Kyiv
Le conflit ukrainien s'enlise-t-il du déséquilibre entre attaque et défense ? 9

Même les forces aériennes et d’appui aériens russes se sont montrées plus efficaces à défendre cette ligne, qu’elles ne l’avaient été initialement, spécialement en interdisant le ciel aux appareils ukrainiens, et en menant des frappes ciblées à l’aide d’hélicoptères Ka-52 et Mi-28, qui se sont montrées dévastatrices au début de la contre-offensive ukrainienne.

Si les Ukrainiens ne sont pas parvenus à percer durablement, les contre-offensives menées récemment par les forces russes, en particulier autour de Avdiivka, ne furent pas davantage couronnées de succès.

Des pertes insoutenables pour des gains limités

Dans les deux cas, les manœuvres offensives se heurtèrent à des défenses bien préparées, soutenues par une artillerie efficace, sans qu’il eût été possible ni de surprendre l’adversaire, ni d’en neutraliser les appuis par manque de munition de précision en nombre suffisant.

Il en a résulté des pertes insoutenables, pour des gains de territoires plus que limités, et un avantage tactique inexistant, d’autant que souvent, le terrain gagné dut être abandonné faute de réserve suffisante pour en assurer la défense.

Ainsi, selon le renseignement britannique, cette offensive russe autour de Avdiivka, menée par 3 brigades mécanisées, s’est soldée par la perte de 1000 à 2000 militaires, d‘au moins 36 chars et d’une centaine de véhicules, sans qu’aucun gain notable n’ait été enregistré.

Les couts exorbitants de ces tentatives, les résultats minimes enregistrés, ainsi qu’un certain entêtement politique à y recourir, engendrent depuis plusieurs mois d’importants mouvements de protestation au sein des armées russes.

C’est aussi le cas, depuis quelques mois, en Ukraine, ou l’on assiste à un certain essoufflement de la ferveur populaire, par ailleurs alimenté par des difficultés économiques croissantes dans le pays.

Vers un scénario coréen en Ukraine ?

Ces échecs répétés des manœuvres offensives, mais également la stabilisation du front dans la durée, et donc la multiplication des infrastructures défensives de part et d’autres, tendent vers un enlisement du conflit le long de la présente ligne d’engagement.

Surtout, il apparait que le taux d’échange pour faire face à une offensive, est à ce point favorable au défenseur aujourd’hui, que la persévérance dans une stratégie offensive, pourrait représenter le plus court chemin pour une victoire rapide… de l’adversaire.

Coree signature cesser le feu 27 juillet 1953
Signature de l’armistice le 27 juillet 1953 mettant fin aux combats en Corée.

De fait, ce premier conflit majeur du 21ᵉ siècle, se rapproche en de nombreux points, au conflit coréen, et notamment de la situation en 1952, lorsque les deux camps ne parvenait plus à prendre l’ascendant sur l’autre, amenant les Américains et les forces de l’ONU d’une part, et les Nord-coréens ainsi que leurs alliés chinois de l’autre, à signer un armistice le 27 juillet 1953, qui entérina le 38ᵉ parallèle comme frontière des facto entre les deux pays.

Les raisons du déséquilibre entre attaque et défense

Toutefois, avant de pouvoir anticiper les évolutions possibles du conflit en Ukraine (ce qui sera fait dans la seconde partie de l’article), il est nécessaire de comprendre les raisons qui sont à l’origine de ce déséquilibre flagrant entre l’attaque et la défense dans ce conflit.

En effet, ce constat va à l’opposé des doctrines majoritairement employées, en particulier au sein des armées occidentales, plus particulièrement depuis l’opération Tempête du Désert en Irak en 1991, qui fut l’éclatante démonstration de l’efficacité de la doctrine occidentale basée sur la manœuvre et l’exploitation des moyens interarmes.

À l’inverse, la guerre en Ukraine se rapproche aujourd’hui de la guerre de Corée, de ses tranchées et de ses offensives aussi limitées que meurtrières, et avant elle, de la Première Guerre mondiale.

En effet, de nombreux facteurs techniques et opérationnels, expliquent cette situation, et son caractère par ailleurs non transitoire, et non circonscrit au seul conflit russo-ukrainien.

Le renseignement et la mobilité des forces

Le premier de ces facteurs, résulte d’importants moyens de renseignement déployés dans les airs, sans l’espace, dans le cyberespace et sur le spectre électromagnétique, par les deux camps et leurs alliés.

Drone reconaissance ukraine
L’utilisation intensive des drones de reconnaissance permit aux deux camps en Ukraine de se prémunir de toute surprise tactique.

Il est, de fait, virtuellement impossible pour l’un comme pour l’autre de surprendre l’adversaire lors d’une offensive de grande envergure, qui nécessite immanquablement la concentration de forces importantes ne pouvant passer inaperçue de l’adversaire.

En outre, les forces étant désormais très mobiles, il est aisé de redéployer ses moyens presque en miroir de l’adversaire, annulant toute possibilité d’attaque surprise, qui constitue bien souvent l’élément clé d’une manœuvre offensive, en l’absence d’un rapport de force trop déséquilibré.

Outre le renseignement stratégique, l’omniprésence et l’efficacité des moyens de détection, d’écoute électronique et de reconnaissance, alimentant d’importants moyens de frappe dans la profondeur, tend à neutraliser l’élément de surprise, y compris à l’échelle tactique, si ce n’est pour ce qui concerne quelques frappes exceptionnelles.

On peut se demander, à ce titre, si ce n’est pas davantage l’accès à cette qualité de renseignement de la part des deux belligérants, bien davantage que la mise en œuvre de tel ou tel type d’armement, qui caractérise le mieux la notion de conflit de haute intensité, et à l’opposée, de conflit dissymétrique.

Les performances des nouveaux armements d’infanterie

Les performances des nouveaux équipements et des armements employés par l’infanterie des deux belligérants, expliquent, elles aussi, le gel de la ligne d’engagement.

Infanterie ukrainienne javelin
A Ukrainian service member holds a Javelin missile system at a position on the front line in the north Kyiv region, Ukraine March 13, 2022. REUTERS/Gleb Garanich

En effet, là où l’infanterie était, ces 50 dernières années, principalement employée en soutien des moyens mécanisés dans le cadre d’un conflit de haute intensité, celle-ci dispose désormais d’une puissance de feu, et de moyens d’action et de protection, en faisant un adversaire redoutable aussi bien pour les blindés, les aéronefs et même l’artillerie adversaire, par l’utilisation des munitions rôdeuses.

Celle-ci dispose, par ailleurs, d’une compétence unique, celle de pouvoir s’enterrer, et de conserver une certaine mobilité dans les tranchées les protégeant des frappes d’artillerie et des bombardements adverses.

Le fait est, une majorité des blindés détruits en Ukraine, de manière documentée, résulte de tirs de munitions antichars d’infanterie, missiles ou roquettes, ou de frappes de munitions rôdeuses, elles aussi mises en œuvre par l’infanterie. C’est aussi le cas des hélicoptères abattus, là encore, le plus souvent par des missiles sol-air d’infanterie SHORAD.

Cette puissance de feu étendue, associée à la protection offerte par les tranchées et infrastructures défensives, et à sa mobilité tactique, confère désormais à l’infanterie une puissance d’arrêt sans équivalent depuis l’apparition de la mitrailleuse à la fin du 19ᵉ siècle, y compris contre la cavalerie.

L’utilisation intensive des mines

Un temps passée au second plan opérationnel suite aux efforts internationaux pour en prohiber l’utilisation, les mines, qu’elles soient antichars, antipersonnelles et même navales, jouent, elles aussi, un rôle clé dans l’enlisement du conflit ukrainien.

Les mines sont intensivement employées en Ukraine

Le fait est, après 600 jours de conflit, la ligne d’engagement en Ukraine n’a plus grand-chose à envier, en termes de mines déployées, au 38ᵉ parallèle séparant Corée du Nord et du Sud, jusqu’ici réputé la zone la plus minée sur la planète.

En Ukraine, les mines font ce qu’elles sont censées faire, à savoir empêcher l’adversaire de déborder les lignes défensives déployées. Il n’est donc en rien surprenant que leur utilisation intensive, ait entrainé la fixation de la ligne d’engagement, même le long des côtes ukrainiennes. Ainsi, l’offensive amphibie russe sur Odessa dut être annulée, en raison du grand nombre de mines navales et terrestres déployées le long des plages ukrainiennes.

En outre, protégés par les lignes défensives garnies d’infanterie et par le feu de l’artillerie alliée, les champs de mines sont très difficiles à neutraliser, y compris par les moyens dédiés,

La neutralisation de la puissance aérienne

La plus grande surprise, concernant le conflit ukrainien, est incontestablement le rôle marginal de l’aviation de combat, y compris de la pourtant puissante et richement dotée force aérienne russe.

Su-27 abattu ukraine
La puissance aérienne tactique a presque été entièrement neutralisée en Ukraine, tant du côté russe qu’ukrainien.

La puissance aérienne avait, en effet, joué un rôle déterminant et majeur lors de tous les conflits de la seconde moitié du 20ᵉ siècle, allant des conflits israélo-arabes aux guerres du Vietnam et d’Afghanistan, en passant par les Malouines, les deux guerres du Golfe et l’intervention dans les Balkans.

À l’inverse, en Ukraine, l’extrême densité des défenses antiaériennes déployées de part et d’autres, aura suffi à interdire le ciel aux appareils russes et ukrainiens, contraints depuis un an à n’employer que des munitions de précision à longue distance, ou à mener des opérations très risquées à très basse altitude.

Même les hélicoptères de combat, exposés aux missiles antiaériens d’infanterie, peinèrent à accomplir leurs missions de tueur de char, sauf à de rares exceptions.

Il n’est, dès lors, pas question pour les unités engagées au sol, de pouvoir faire appel à un soutien aérien rapproché pour compenser un rapport de force défavorable, ni d’employer la force aérienne pour dégager un corridor de pénétration, neutralisant de fait le rôle clé que joua l’aviation de combat depuis l’arrivée des bombardiers tactiques en marge de la Seconde Guerre mondiale.

Les progrès de l’artillerie et l’arrivée des drones

Privées de puissance aérienne, les forces engagées en Ukraine ne pouvaient, dès lors, que se tourner vers l’artillerie, pour obtenir les effets souhaités. Fort heureusement, les deux camps disposaient d’une puissance d’artillerie sans commune mesure avec celle qui équipe aujourd’hui encore les armées européennes.

Si l’emploi massif de l’artillerie est au cœur des doctrines russes et ukrainiennes, toutes deux héritières de la doctrine soviétique, ce sont les progrès des nouveaux systèmes entrés en service ces dernières années, qui contribuèrent à accentuer son rôle fixateur dans ce conflit.

caesar Ukraine
Les systèmes d’artillerie modernes, comme le CAESAR, jouent un rôle clé dans le dispositif défensif ukrainien.

En effet, entre la portée étendue obtenue par les tubes allongés de 52 calibres et par les nouvelles roquettes longue portée, la précision des munitions à guidage GPS, et l’arrivée de munitions spéciales capables de cibler précisément les blindés ou les bunkers, l’artillerie devenait la principale menace sur le champ de bataille, que ce soit sur la ligne de front, et sur les lignes arrières.

Ce d’autant que les unités d’artillerie purent s’appuyer sur l’arrivée massive des drones de reconnaissance, susceptibles de détecter l’adversaire et de diriger des frappes précises pour le détruire.

Aux drones de reconnaissance virent s’ajouter, rapidement, les munitions vagabondes, ces drones armés d’une charge explosive, aptes à chercher une cible pendant plusieurs dizaines de minutes à plusieurs kilomètres derrière la ligne d’engagement, puis de le frapper en plongeant dessus et en faisant détoner la charge.

De fait, l’arrivée conjointe et massive de nouveaux systèmes d’artillerie plus précis et plus mobiles, et des drones capables de leur designer des cibles et même de les frapper directement, transforma l’ensemble du champ de bataille dans une bande allant de la ligne d’engagement à 25 à 30 km derrière celle-ci, dans laquelle tout mouvement s’avère extrêmement risqué.

L’épuisement des deux camps

Enfin, un dernier facteur explique aujourd’hui la trajectoire probable vers un enlisement du conflit, l’épuisement des deux camps, sensible aussi bien en Ukraine qu’en Russie, bien que de manière différente.

Les deux armées ont, en effet, enregistré des pertes considérables, équivalentes peu ou prou, aux effectifs initialement engagés en février et mars 2022. À ces pertes humaines déjà très difficiles à compenser, s’ajoutent des pertes matérielles encore plus importantes.

Ainsi, avec plus de 2400 chars détruits, abandonnés ou endommagés, 4 000 véhicules de combat d’infanterie ou blindés de combat, ou encore 580 systèmes d’artillerie automoteurs, les armées russes ont perdu, en 600 jours d’engagement, près de 75 % des équipements de première ligne dont elle disposait le 24 février 2022.

enterrement miltiaire ukraine
Les pertes lourdes et les conséquences économiques et sociales mennent aujourd’hui les deux camps à l’épuisement.

Au-delà des pertes militaires, et de l’immense effort produit par Moscou pour les compenser par son industrie de défense, l’économie russe souffre terriblement du conflit, quoi qu’en disent les données macroéconomiques, avec un nombre considérable de faillites au sein du tissu économique local dans le pays.

De fait, bien que majoritairement soumise et exposée à un matraquage médiatique constant, l’opinion publique russe soutien de moins en mois l’opération spéciale militaire de Vladimir Poutine en Ukraine, et la contestation, encore en sourdine, devient de plus en plus audible, notamment sur les réseaux sociaux, si pas contre le régime, en tout cas contre la guerre et ses conséquences.

La situation est sensiblement similaire en Ukraine. Après un effort de défense qui fit l’admiration de tous au début du conflit, le soutien ukrainien à la stratégie offensive de Volodymyr Zelensky semble s’éroder au sein de l’opinion publique comme des armées.

Ainsi, le nombre de volontaires pour rejoindre les armées ou la Garde nationale tend à diminuer, alors que les difficultés économiques touchant la population et les entreprises, y compris au sein de la BITD, sont de plus en plus importantes.

Cet épuisement sensible, de part et d’autre, sensible même parmi les alliés de l’Ukraine, aussi bien dans les armées que les opinions publiques, et les difficultés économiques croissantes, tendent aussi à inciter les dirigeants et chefs militaires à plus de prudence, et donc à une posture plus défensive qu’offensive.

Conclusion

On le voit, l’ascendant très net constaté en Ukraine, de la posture défensive face à la posture offensive, ne résulte pas d’un unique facteur transitoire, mais d’une série de facteurs concomitants, aussi bien technologiques que doctrinaux et sociaux.

De fait, ce constat s’applique très probablement au-delà de ce seul conflit, et doit donc être considéré dans la planification militaire, y compris dans les différents conflits de même intensité en gestation dans le monde.

Pourquoi l’augmentation de 150 % du budget de la défense turc est-elle si inquiétante ?

Le vice-président turc Cevdet Yilmaz a annoncé, le 17 octobre, que le budget de la défense turc atteindrait 40 Md$ en 2024, soit une hausse de 150 % par rapport à 2023. En l’absence d’explication concernant les raisons de cette hausse sans précédant, ni l’utilisation qui sera faite des crédits supplémentaires, cette annonce suscite de nombreuses inquietudes tant au sujet des ambitions regionales d’Ankara, que des programmes miltaires qui pourraient être prochainement annoncés par le président Erdogan fraichement réélu.

Si le pari de l’argument défense n’aura pas souri au PiS et au président polonais lors des récentes élections législatives, il s’est montré payant pour le président turc R.T Erdogan et l’AKP. La coalition islamo-conservatrice Alliance Populaire, dont il est le principal parti, conserve la majorité au Parlement avec 323 des 600 sièges, et rate de peu la majorité absolue des voix, avec 49,47 % des votes exprimés.

En effet, pour compenser une situation économique désastreuse, avec une Livre turque qui a perdu 80 % de sa valeur ces 5 dernières années, et une inflation dépassant les 50 %, ainsi que la gestion du séisme de mars 2023, le président Erdogan s’est appuyé sur les progrès réalisés par l’industrie de défense turque ces dernières années, et l’objectif de l’autonomie stratégique qui était désormais à portée de main.

Ces mauvais résultats économiques avaient d’ailleurs lourdement handicapé les armées ces trois dernières années. Ainsi, après 15 ans de hausse interrompue ayant amené les dépenses militaires de 10 Md$ en 2003 et l’arrivée de l’AKP au pouvoir, à plus de 20 Md$ en 2021, ce budget n’avait cessé de faire d’immenses variations, pour prendre en compte les effets de l’inflation galopante, pour s’établir à 16 Md$ en 2023.

Il n’y a donc pas surprenant, dans ce contexte, que le budget de la défense turc ait été réévalué à la hausse pour 2024. Mais personne n’avait anticipé une hausse aussi marquée.

Une hausse du budget de la défense turc sans équivalent de 150 % en un an

En effet, à l’occasion d’une conférence de presse donnée par le vide-président Cevdet Yilmaz, celui-ci a annoncé que le budget de la défense turc serait porté, en 2024, à 40 Md$, soit une hausse de 150 % vis-à-vis de celui de 2023.

Erdogan sous-marin classe reis type 214
Le soutien de R.T Erdogan à l’industrie de défense turque, permit à celle-ci de faire d’immenses progrès en 20 ans, et au pays de se rapprocher de l’autonomie stratégique.

Une telle hausse est sans précédant pour un pays n’étant pas en situation de guerre ces dernières années. Même la Pologne, particulièrement volontaire dans ce domaine, n’envisageait qu’une hausse de 50 % entre 2023 et 2024, afin de financer l’ensemble des programmes de modernisation des armées.

Le vice-président turc a indiqué que le pays atteindra, en 2024, un taux d’acquisition domestique de 85 %, et que les exportations de la BITD turque atteindront 11 Md$ en 2024, en hausse de 83 % par rapport à 2023 et ses 6 Md$ exportés.

En revanche, il n’a nullement donné le détail de la ventilation qui sera faite de cette hausse spectaculaire, qui amènera l’effort de defense du pays au-delà des 4 % de son PIB, ni les raisons ayant amené les autorités turques à arbitrer en faveur d’une telle hausse.

On ne peut, dès lors, qu’émettre des hypothèses à ces sujets, aucune d’entre elles n’étant, par ailleurs, particulièrement rassurante.

Des gages donnés aux armées et à l’industrie de défense turques ?

Les ressources supplémentaires ne pourront, dans les faits, qu’être ventilés vers deux grandes entités : les armées turques, et la BITD nationale. L’AKP et l’Alliance Populaire savent devoir beaucoup au soutien sans faille de cette dernière lors de la campagne. Il est alors plus que probable que les entreprises de défense turques seront les premières bénéficiaires de ces crédits.

Vers une hausse des soldes pour compenser l’inflation ?

Les relations entre les autorités et les armées du pays sont sensiblement plus tendues, même si, ces dernières années, de vastes purges ont permis au président Erdogan de position des militaires proches de l’AKP, aux fonctions clés des armées.

Forces spéciales turques
Une hausse sensible des soldes et traitement des militaires turcs pourrait, pour Erdogan, finir de s’assurer de leur parfait soutien.

Il est donc très probable, en premier lieu, que cette hausse serve à donner des gages aux armées turques, en permettant une modernisation rapide de ses équipements, mais aussi la hausse des soldes et des traitements, afin de s’aligner sur l’inflation du pays.

Toutefois, on notera que le budget étant exprimé en dollar américain, et non en livre turque, une hausse aussi spectaculaires n’était en rien nécessaire pour revaloriser les soldes sur la base de l’inflation, celle-ci étant, en grande partie, répercutée par la déflation de la monnaie nationale face au dollar.

Il est aussi possible que cette hausse permette d’anticiper une augmentation à venir du format des armées, et particulièrement des militaires sous contrat, même si rien n’indique qu’Ankara veuille se diriger dans cette direction.

Un effort accru pour atteindre l’autonomie stratégique ?

L’un des objectifs déclarés de cette hausse, serait de permettre d’accroitre encore davantage le taux d’équipement domestique des armées, qui doit passer de 80 % en 2023, à 85 % en 2024.

Un tel effort est aligné sur la stratégie mise en œuvre par R.T Erdogan depuis qu’il arriva au poste de premier ministre en 2003, en soutenant très activement le développement d’une puissante industrie de défense turque, susceptible d’amener, à terme, le pays vers l’autonomie stratégique.

Le fait est, la BITD turque produit aujourd’hui l’immense majorité des nouveaux équipements acquis par les armées, et le recours à des technologies importées, ne concerne désormais que quelques domaines précis et particulièrement ardus, comme les turboréacteurs des avions, les turbines des hélicoptères et des navires, ou encore les moteurs et transmissions des blindés.

TFX Kaan turquie
La Turquie n’est plus qu’à quelques encablures de l’autonomie stratégique concernant les technologies de défense. Mais les dernières compétences sont aussi les plus difficiles à acquérir, comme la conception des moteurs d’avions.

L’industrie turque a toujours également quelques lacunes en termes de métallurgie, d’optique ou de composant électronique de pointe. Les ressources supplémentaires libérées par cette hausse pourraient, dès lors, permettre d’entamer le développement et l’acquisition technologique nécessaire pour atteindre l’autonomie stratégique convoitée.

Rappelons à ce titre qu’aujourd’hui, de nombreux programmes majeurs de la BITD turque, sont handicapés par les sanctions plus ou moins officielles décrétées par les Etats-Unis, mais aussi la France, l’Allemagne, le Canada et la Suède, contre Ankara suite aux interventions des armées turques en Syrie, dans le nord de l’Irak, et en Libye.

Atteindre une réelle autonomie stratégique permettrait à Ankara de mener une politique internationale entièrement autonome, ne pouvant être entravée par les sanctions américaines ou européennes, en particulier dans le domaine des armements.

Des programmes d’acquisitions exceptionnelles planifiées ?

Char Altay turquie
Le char Altay pourrait enfin débuter sa production en série, avec l’aide de la Corée du sud pour le moteur et la transmission.

Il est aussi très possible qu’Ankara anticipe, par cette hausse massive de crédits, le lancement simultané de plusieurs programmes d’acquisition exceptionnels, planifiés de longue date.

En effet, plusieurs programmes de la BITD turque, semble atteindre ensemble, en 2024, la maturité pour entreprendre une production industrielle importante. Il peut s’agir du longtemps attendu char de combat Altay, qui se trouvait depuis le refus allemand d’accorder à Ankara des licences d’exportation pour les moteurs MTU et les transmissions RENK.

Il semble qu’Ankara et Séoul, qui avait déjà participé à la conception initiale de l’Altay, soient parvenus à un accord concernant l’acquisition de moteurs et de transmissions employées pour le K2 Black Panther, ainsi que les transferts de technologies requis pour une future production locale, permettant au programme de sortir de l’ornière dans laquelle il se trouvait depuis 2019.

Plusieurs programmes aéronautiques, comme l’avion d’entrainement et d’attaque Hürjet, ou les hélicoptères ATAK-2 et T925, sont, eux aussi, proches d’une production de série, alors que le chasseur de génération intermédiaire KAAN, ex-TFX, pourrait effectuer son premier vol dans les mois à venir.

La Marine turque, quant à elle, entend lancer la fabrication des destroyers lourds du programme MILGEM, ainsi que celle du sistership du porte-hélicoptères d’assaut Anadolu, baptisé Thrace.

Enfin, même si le dossier est encore bloqué par le Congrès américain, il est possible que cette hausse anticipe un futur feu vert américain pour l’acquisition de 40 F-16V Block 70+, de même que de 80 kits permettant la modernisation d’autant de F-16C en service au sein des forces aériennes turques, et de plusieurs autres equipements.

F-16C Forces aérienne turques
Les forces aériennes turques souhaitent acquérir 80 kits permettant d’amener leurs F-16C/D vers le standard V Block 70.

En effet, le contrat global transmis au FMS par Ankara, atteint 20 Md$, soit presque autant que les 24 Md$ de hausse planifiée pour 2024 pour les armées turques. Il serait toutefois surprenant qu’Ankara soit contraint de payer dès 2024 l’ensemble de ce montant, alors que le Capitole atteint l’accord du Parlement turc pour l’adhésion de la Suède à l’OTAN pour autoriser la transaction.

Vers de nouveaux programmes stratégiques, gros consommateurs de crédits ?

La hausse annoncée pourrait aussi être destinée à financer certains programmes de défense stratégiques n’ayant pas encore été annoncés, et qui pourraient nécessiter des investissements très importants nécessitant une extension du budget des armées.

Il peut s’agir, par exemple, du développement d’un modèle de sous-marin nucléaire d’attaque, de porte-avions ou de croiseurs pour la Marine turque, d’un programme spatial militaire ambitieux, ou encore de solutions balistiques hypersoniques, tous étant grands consommateurs de crédits.

Néanmoins, l’hypothèse la plus crédible, dans ce domaine, serait qu’Ankara a décidé de s’engager dans le développement d’une dissuasion nucléaire propre, qu’elle soit sous-marine, aéroportée, voire terrestre.

En effet, dans une telle hypothèse, il serait nécessaire d’engager un effort sans précédant pour l’Etats turc dans ce domaine, pour developper rapidement à la fois les têtes nucléaires et les vecteurs indispensables à leur mise en œuvre.

centrale nucléaire Akkuyu CGI
La centrale nucléaire de conception russe d’Akkuyu comptera à terme 4 réacteurs pour une puissance globale de 4,8 GW.

En outre, il est très probable qu’une telle initiative vienne déclencher de très sévères sanctions, en particulier de la part des Etats-Unis et des Européens, aujourd’hui encore, aussi bien dans le domaine économique que concernant les technologies encore importées pour les systèmes d’arme turcs.

Rappelons à ce titre que R.T Erdogan a, par le passé et à plusieurs reprises, menacé de doter la Turquie de ses propres armes nucléaires. Dans le même temps, Ankara s’est tourné vers Moscou pour la construction de la centrale nucléaire d’Akkuyu de 4 réacteurs pour 4,8 GW, inaugurée conjointement par R.T Erdogan et Vladimir Poutine en avril dernier.

Selon certaines informations difficiles à vérifier, il semblerait que Moscou et Ankara aient négocié, au sujet de cette centrale, la possibilité d’enrichir l’uranium sur site, et de produire du plutonium, permettant à la Turquie de se doter de la matière fissible requise pour concevoir une tête nucléaire.

L’équilibre des dépenses de défense avec la Grèce irrévocablement rompu

Quel que soit l’emploi qui sera fait des quelque 24 Md$ supplémentaires confiés aux armées turques en 2024, cette hausse de crédit va profondément déséquilibrer l’ensemble des théâtres d’opération sur lesquelles elles sont présentes, que ce soit dans le Causasse face à l’Arménie en soutien de l’Azerbaïdjan, au Moyen-Orient par ses interventions et Syrie et dans le nord de l’Irak, ou encore en Afrique du Nord, en Libye plus précisément.

C’est cependant la Méditerranée orientale et la mer Égée qui seront le plus menacés par les nouveaux moyens donnés aux armées turques. Plus spécifiquement, la Grèce, mais aussi Chypre, vont probablement accueillir l’annonce du vice-président Cevdet Yilmaz avec la plus grande inquiétude.

Rappelons que pendant la guerre froide, et jusqu’au début des années 2000, les budgets des armées grecques et turques étaient équilibrés, créant un statuquo garant d’une certaine stabilité régionale. Peu après son accession au pouvoir, le président Erdogan a entrepris de briser cet équilibre en augmentant progressivement le budget des armées turques.

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Les forces armées grecques et chypriotes ne peuvent désormais plus, à elles seules, tenir en respect les armées turques dans la durée.

Si, pendant quelques années, Athènes tenta de rester au contact d’Ankara dans ce domaine, la crise de 2008, et la mise sous tutelle des finances publiques helléniques, permirent à la Turquie de prendre le large, et de rapidement atteindre le double, puis le triple, du budget des armées grecques.

Dans le même temps, le président Erdogan a multiplié les déclarations contre le partage géographique hérité de la fin de la Première Guerre mondiale, conférant à la Grèce le contrôle presque exclusif de la mer Égée.

À partir de 2017, la Turquie commença à multiplier les démonstrations de force en Méditerranée orientale, contre la Grèce, Chypre, mais aussi contre certains navires européens déployés dans le cadre de l’OTAN pour empêcher la livraison d’armes en Libye.

Quoi qu’il en soit, avec un budget de 40 Md$, les armées turques pourraient rapidement obtenir un ascendant qu’il sera alors impossible à la Grèce de compenser, tout au moins sans le soutien de certains de ses alliés européens, comme la France avec qui Athènes a signé un accord de défense ambitieux en 2021.

Avec un budget défense de 8,5 Md$ en 2023, et peu de marge de manœuvre pour l’augmenter significativement dans les années à venir, les armées grecques auront, en 2024, 5 fois moins de moyens que n’en disposent leurs adversaires turcs de toujours, soit le même rapport que celui qui sépare aujourd’hui l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

Conclusion

Si, ces dernières années, les augmentations des budgets des armées de l’OTAN ont été systématiquement bien accueillies pour faire face à la menace russe et, plus généralement, à la dégradation sécuritaire mondiale, celle annoncée cette semaine par le vice-président turc Cevdet Yilmaz, va certainement, au contraire, susciter de nombreuses inquiétudes.

hausse budget de la défense turc Cevdet Yilmaz
La hausse spectaculaire du budget de la défense turc pour 2024 annoncée par Cevdet Yilmaz, soulève de nombreuses questions, et de grandes inquiétudes.

Cette hausse est, en effet, la fois exceptionnelle par son ampleur relative de 150 %, et par son montant absolu exprimé en dollars US, pour une hausse de 26 Md$ égale au budget des armées italiennes.

En outre, avec un budget de 40 Md$ en 2024, les armées turques disposeront de ressources équivalentes à celles qu’avaient les armées françaises il y a tout juste deux ans, un pays doté d’une dissuasion nucléaire globale et performante.

À ce contexte déjà anxiogène, s’ajoute une réelle opacité de la part des autorités turques, que ce soit concernant les justifications d’une telle hausse, ou l’utilisation qui sera faite des crédits supplémentaires alloués.

Il faudra donc suivre avec une grande attention les déclarations et annonces à venir de la part d’Ankara, au sujet de ses programmes de défense, mais aussi de certains programmes mixtes, voire à potentiel stratégique.

Pourquoi le risque de guerre en cascade en 2023 est-il plus élevé que jamais ? Une tragédie en trois actes…

En 2020, face au risque de guerre en cascade, le pentagone estimait qu’il était en mesure de s’engager simultanément dans un conflit face à un adversaire majeur comme la Russie ou la Chine, et un face à un adversaire secondaire. Avec l’envoi de deux porte-avions en Méditerranée Orientale suite à l’agression terroriste du Hamas du 7 octobre, tout porte à croire, désormais, que l’outil militaire va rapidement atteindre ses limites, surtout si le conflit israélien venait à s’étendre.

Dans ce contexte, quels sont les risques que d’autres conflits d’opportunité viennent apparaitre, dans les mois et années à venir, face à une puissance militaire occidentale dorénavant incapable de tenir le rôle de régulateur qu’elle assuma pendant 30 ans depuis la fin de la Guerre Froide ?

Introduction

Au-delà du choc ayant suivi l’attaque terroriste du Hamas contre Israël le 7 octobre, et de la réponse émotionnelle qui suivit, de nombreux commentateurs et experts se sont rapidement interrogés sur les capacités américaines et occidentales à soutenir simultanément l’Ukraine face à l’agression entamée voilà 600 jours par Moscou, et Israël en cas d’embrasement au Moyen-Orient.

Ainsi, alors que l’hypothèse d’un double front représente depuis plusieurs années le scénario du pire pour le Pentagone, en particulier tant que la transformation des armées américaines n’aura pas été suffisamment avancée, la première réaction de Washington face à l’agression du mouvement terroriste palestinien, a été de déployer deux groupes aéronavals en Méditerranée Orientale, et de renforcer l’ensemble des forces américaines présentes dans la région.

Tout aussi rapidement, sont apparues des interrogations sur la capacité des Etats-Unis, de ses armées et de son industrie de défense, s’ils devaient simultanément soutenir Israël dans une campagne militaire qui se serait étendue au Moyen-Orient, en particulier face à l’Iran, et simultanément, continuer de soutenir l’Ukraine, pour qui le cordon ombilical américain est vital.

M1 Abrams 105 mm US Army
La puissance américaine à la fin de la guerre froide était sans concurrence aucune

Depuis quelques jours, on voit industriels et officiels du Pentagone alerter le Congrès et l’exécutif sur les limites du soutien US aujourd’hui. Surtout, des inquiétudes émergent, quant au risque de contagion des conflits, alors que de nombreuses zones dont le statuquo dépend directement des capacités d’intervention américaines, sont sous tensions.

Il apparait, en fait, que les deux sujets sont intimement liés, dans une tragédie en trois actes qui trouve ses origines dès la fin de la guerre froide.

Prologue : la Pax Americana post Guerre froide

Toute bonne tragédie débute par un Prologue. Il se déroule, ici, à la fin de la Guerre froide, en 1991, qui fut marquée simultanément par l’explosion du Pacte de Varsovie, l’effondrement politique du bloc soviétique, et celui économique et social de la Russie.

De fait, des deux acteurs majeurs ayant donné le La tout au long des 40 dernières années, un seul restait en capacité de tenir le rôle de superpuissance, même si Moscou disposait toujours d’un arsenal nucléaire conséquent.

Rapidement, les Etats-Unis se sont autoproclamés vainqueurs de la Guerre Froide, et entreprirent de jouer le rôle, alors incontesté, de gendarme du monde, dans ce qui deviendra vite une Pax Americana, en référence à la Pax Romana de l’Antiquité.

Avec son puissant outil militaire conventionnel encore intact, une avance technologique indéniable, et des moyens économiques et diplomatiques infiniment plus importants que ses éventuels compétiteurs, Washington s’imposa sur l’ensemble des théâtres.

US Air Force F-15 F-16 Guerre du Golfe
La première guerre du Golfe consacra la puissance militaire et technologique américaine.

Les réfractaires à la menace américaine se voyaient quant à eux exposés à de sévères sanctions, tant par les Etats-Unis eux-mêmes, que par des européens trop heureux d’en finir avec un effort de défense ayant plombé leurs finances publiques pendant 40 ans, et même par une Russie convalescente, et une Chine, encore sous hormone de croissance.

Après la démonstration de force contre l’Irak de 1991, qui finit de porter les armées US au pinacle de la puissance militaire mondiale, ce furent au tour de la Serbie de faire l’expérience des sanctions, puis des frappes américaines, pour mettre fin au conflit post-Yougoslavie, puis de différentes interventions militaires sur l’ensemble de la planète, pour conforter le rôle de leader incontesté des Etats-Unis à la fin des années 90.

Les guerres terroristes, initiées par l’attaque sur l’USS Cole le 12 octobre 2000, puis par les attaques du 11 septembre 2001, permirent à Washington une nouvelle fois d’affirmer sa position de leader mondial incontesté, fédérant pour l’occasion une nouvelle coalition élargie pour ces guerres qui dureront toutes deux plus de 20 ans.

Durant toute cette période allant de 1991 à 2021, la puissance militaire US était à ce point supérieure, que ce soit face à ses principaux compétiteurs russes et chinois, ainsi qu’à n’importe quelle puissance militaire ou terroriste sur la planète, qu’il était presque impossible de déroger à la trajectoire imposée par Washington et ses alliés.

Ceux qui le firent connurent soit une fin tragique, comme Mouammar Kadhafi et Oussama Ben Laden, soit furent mis au ban des nations, telle l’Iran ou la Corée du Nord.

Premier acte : la montée en puissance des armées russes, chinoises, iraniennes et nord-coréennes.

Cette Pax Americana commença à donner les premiers signes de faiblesse en 2008, lorsque la Russie déclencha une opération militaire majeure pour soumettre son voisin géorgien, et s’emparer de deux régions frontalières, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud.

Chars russes Tbilissi 2008
L’intervention russe contre la Géorgie en 2008 fut le premier coup de canif de Moscou à la Pax Americana

Les autorités russes ne fléchirent face aux menaces américaines, qu’après avoir obtenu les résultats politiques visés, sans que cela n’ait déclenché la moindre riposte américaine, et encore moins européenne.

Six ans plus tard, c’était au tour de la Crimée et du Donbass Ukrainien d’être militairement saisis par les armées russes, là encore sans aucune riposte américaine ou des européens de plus en plus dépendants du gaz et du pétrole russe.

Dans le même temps, l’Armée Populaire de libération chinoise voyait les effets des efforts de réforme entamés depuis 20 ans, porter leurs fruits, avec l’arrivée de premiers matériels performants de nouvelle génération, comme les chasseurs J-10 et J-11, les destroyers Type 052, et les chars Type 99.

L’Iran, pour sa part, avait pansé ses plaies de sa guerre face à l’Irak, et entamé le développement de nouveaux équipements, comme des armes balistiques de nouvelle génération. La Corée du Nord, enfin, avait fait la démonstration de sa maitrise de l’arme nucléaire dès octobre 2006, devenant un des sujets majeurs de préoccupation des Etats-Unis.

Or, si les Armées américaines avaient toujours l’ascendant militaire sur chacun de ces adversaires potentiels, il apparut, dès le début des années 2010, qu’il leur serait des plus difficiles de se confronter simultanément à plusieurs d’entre elles, surtout sur des théâtres différents.

J-10C Chine
À l’instar du J-10C, la Chine a fait des progrès technologiques stupéfiants de 1980 à 2000, rattrapant en 20 ans 40 années de retard sur les technologies occidentales.

C’est alors qu’apparut la notion de double front, jusque-là très peu probable même pendant la Guerre Froide, selon laquelle les Etats-Unis devraient s’engager contre deux de ces acteurs majeurs, et donc de diviser leurs forces et leur soutien.

Toutefois, jusqu’en 2015, l’annexion du Donbass ukrainien, et le durcissement de l’annexion chinoise sur la Mer de Chine du Sud, le risque était jugé faible par le Pentagone et le Département d’État, qui continuait de percevoir Pékin comme un partenaire stratégique, et Moscou comme une puissance régionale sur le déclin, en particulier lors de l’administration Obama.

En 2020, le Pentagone admettait qu’il n’était désormais plus en mesure de soutenir un double engagement simultanée comme la Russie et la Chine. Au mieux, précisait-il alors, les Armées US pouvaient s’engager simultanément face à une puissance majeure (Chine ou Russie), et face à une puissance secondaire (Iran et Corée du Nord).

Ce constat lucide joua probablement un rôle déterminant dans la décision du Président Bien de désengager les forces américaines d’Irak et d’Afghanistan. La Pax Americana avait, de toute évidence, vécu.

Second acte : la guerre en Ukraine

De ce point de vue, la décision russe d’attaquer l’Ukraine le 24 février 2022, résulte directement de la fin de la Pax Americana marquée par les retraits américains d’Irak et d’Afghanistan en 2021.

Il était alors évident que les armées US voulaient, par cette décision, concentrer leurs forces dans l’hypothèse d’un conflit avec la Chine autour de Taïwan. Dans le même temps, l’absence de sanctions européennes sévères suite à l’annexion de l’Ukraine et du Donbass, avait fini de convaincre le Kremlin de la faiblesse des européens.

Armées ukrainiennes mars 2022
La défense acharnée des militaires ukrainiens aux premiers jours de l’assaut russe permis aux occidentaux de réagir et d’entamer la livraison d’armes et de matériels vers Kyiv.

Enfin, Moscou avait sous-estimé les capacités militaires ukrainiennes, et la volonté des autorités et des militaires du pays. Du point de vue biaisé de Vladimir Poutine, l’Ukraine serait abandonnée par l’occident, et ses défenseurs seraient incapables de résister au rouleau compresseur des armées russes.

Le fait est, si les Ukrainiens n’avaient pas montré d’extraordinaires qualités de combattants dès le début du conflit, en stoppant l’avancée de la colonne russe qui fondait sur Kyiv, ainsi que la poussée vers Kharkiv, il est probable que le pari de Poutine aurait été gagnant.

En résistant à la progression russe, les Ukrainiens et leur président, Volodymyr Zelensky, donnèrent le temps aux occidentaux de prendre la mesure de l’événement historique, et d’y répondre, en entamant un important soutien militaire vers Kyiv.

Si l’aide européenne et américaine permit, au fil de mois, aux armées ukrainiennes de faire jeu égal, et parfois de surpasser, les forces russes, elle mit aussi en évidence d’importantes faiblesses dans la préparation occidentale pour répondre à un conflit majeur, avec notamment un outil industriel largement sous-dimensionné pour répondre aux besoins en matière d’équipement et d’armement d’un tel engagement.

Il devint alors rapidement évident que même sans s’y engager directement, et en dépit d’un soutien international élargi, les Etats-Unis étaient, à la fin, incapables de soutenir, dans la durée, un double conflit, même face à un adversaire secondaire.

M2 Bradley Ukraine
Les Etats-Unis ont fourni plus de 42 Md$ d’aides militaires à l’Ukraine depuis le début du conflit.

En effet, la seule guerre contre la Russie par proxy ukrainien, avait suffi à venir mettre à mal les stocks de munition et de certains armements, sans qu’ils puissent dynamiquement être reconstitués. Impossible, dans ces conditions, de pouvoir s’engager pleinement dans un conflit secondaire, pour neutraliser une menace contre un allié, par exemple.

Si rien n’indique, à ce jour, que l’attaque du Hamas contre Israël du 7 octobre, résulte de cette situation, il ne fait guère de doute que la faiblesse relative des armées américaines conditionne ici les réactions de chaque protagoniste, qu’il s’agisse des Israéliens, des Iraniens, et des pays du proche et Moyen-Orient.

Troisième et dernier acte : la contagion et le risque de guerre en cascade

Or, sur la base du constat fait par le Pentagone en 2020, si le conflit au Moyen-Orient autour d’Israël venait à perdurer, les Etats-Unis seraient alors dans l’incapacité d’intervenir militairement pour neutraliser un nouveau conflit émergeant.

Dans le même temps, la Russie, qui pouvait remplir ce rôle régulateur pour certains de ses alliés, notamment au sein de l’OTSC, est, elle aussi, incapable d’intervenir au-delà de l’Ukraine. Quant à la Chine, elle ne semble pas, jusqu’à présent, vouloir remplir le vide laissé par les Etats-Unis et la Russie, alors que les Européens n’en ont probablement plus les moyens.

C’est dans ce contexte que la contagion des conflits régionaux est la plus probable. Ainsi, depuis quelques semaines, on voit les tensions s’exacerber à de nombreux endroits de la planète, l’Azerbaïdjan menaçant d’envahir l’Arménie, la Corée du Nord se montrant plus agressive que jamais vis-à-vis de son voisin du sud et du Japon, l’Iran menaçant d’intervenir contre Israël avec ses alliés Houthis.

risque de guerre en cascade Hamas Israel
L’attaque du Hamas contre les villes israéliennes pourraient être la première d’une série de guerre en cascade consécutive d’une instabilité géopolitique majeure.

Par ailleurs, plus le nombre de conflits déclarés ou en forte tensions est élevé, plus le rôle régulateur des Etats-Unis sera proportionnellement faible, et plus il sera tentant pour un dirigeant d’engager un conflit jusque-là contenu par crainte d’une réponse internationale sous l’égide des Etats-Unis.

Ce constat, aisément compréhensible, démontre que la stabilité offerte par les Etats-Unis de 1991 à 2021, reposait sur un équilibre par nature instable, qui tend à accroitre les déséquilibres plutôt qu’à les compenser, d’autant plus que le déséquilibre est important.

En d’autres termes, plus le nombre de conflits est élevé, plus il est probable que d’autres conflits apparaitront en lien avec la faiblesse accrue des Etats-Unis pour y répondre.

Or, si ce déséquilibre peut initialement convaincre certains dirigeants d’engager des conflits secondaires, que ce soit en Europe dans les Balkans, en Afrique sud-saharienne, ou au Moyen et Proche-Orient, d’autres conflits, bien plus importants, pourraient émerger par la suite, face au chaos généré.

On pense alors à une intervention chinoise contre Taïwan, mais également à un conflit indo-pakistanais ou sino-indien, ou encore à une opération militaire turque contre Chypre, en mer Égée ou en Thrace, avec des risques de ripostes américaines et occidentales limités.

Conclusion

On le voit, le monde est entré, ces derniers, dans une période de grande instabilité qu’il n’avait plus connu depuis les années 30, lorsqu’en l’absence de puissance dominante après l’érosion franco-britannique et de la Russie lors de la Première Guerre mondiale, les puissances secondaires se montraient de plus en plus agressives et promptes à employer la force militaire.

US Army in Europe
Les armées US et occidentales pourraient bien devoir intervenir sur un grand nombre de théâtres d’opération dans les mois et années à venir, face à des adversaires potentiels très variés.

Il serait évidemment aisé de blâmer les Etats-Unis pour la situation présente. Bien sûr, Washington a le plus souvent usé d’une position dominante absolue, sans discernement, avec des objectifs à court terme, et sans grandes visions.

Toutefois, les Européens, et leur manque évident de volonté de prendre part à la réorganisation mondiale en cours, mais également certains émergents, refusant fermement de s’engager hors de leurs frontières, ont, eux aussi, largement contribué à la dégradation actuelle.

Reste à voir, dorénavant, à quelle vitesse la contagion se rependra, et quelle sera son ampleur ? Malheureusement, il semble désormais trop tard pour l’empêcher. Au mieux, par une unité réaffirmée et une cohésion renforcée, les occidentaux pourront-ils en limiter les conséquences. En auront-ils la volonté ? Ou tout simplement le courage ? C’est toute la question…

La Marine japonaise a testé le Rail Gun de l’ATLA sur un de ses navires

Lancé en 2016, le programme de rail Gun a été développé par l’Agence des acquisitions, technologies et logistique nippone, ou ATLA, de manière relativement discrète.

L’objectif de ce programme, tel qu’il a été défini en 2016, et rappelé en 2022, n’était pas de developper un système d’artillerie naval lourd se voulant une alternative aux missiles de croisière, comme c’était le cas du programme américain abandonné en 2021.

Le programme de Rail Gun de l’ATLA pour la Marine japonaise

Au contraire, pour l’ATLA, la technologie du canon électrique devait permettre de compléter les capacités de défense antimissile, antiaérienne et antidrone des navires de la Marine japonaise, misant notamment sur des projectiles de calibres bien inférieurs à ceux developper par BAe pour l’US Navy.

Avare de commentaires sur son projet, il était difficile d’évaluer les avancées japonaises dans ce domaine. Jusqu’à aujourd’hui. En effet, l’agence nippone a publié, sur son compte X, une vidéo montrant les premiers essais de son canon, à bord d’un navire des forces navales d’autodéfense.

Vidéo diffusée par l’Agence des acquisitions des technologies et de la logistique japonaise.

Si des observations et certaines annonces non confirmées laissaient supposer que la Chine avait déjà équipé, à des fins de test, un système de ce type sur un navire de débarquement en 2018, rien n’atteste à ce jour que des essais de tirs avaient bien eu lieu.

Il s’agit donc, en l’occurrence, du premier essai documenté d’un tir de canon électrique à bord d’un navire à la mer, même si très peu d’informations, en dehors de la vidéo elle-même, ont été divulguées par l’agence.

Les contraintes de la technologie du canon électrique

La technologie des canons électriques permet de propulser un projectile dans un tube de lancement à des vitesses très élevées, en employant un puissant champ électromagnétique, et non une réaction chimique exothermique comme pour les canons d’artillerie traditionnels.

Cette technologie doit permettre, en théorie, d’atteindre des vitesses de sortie de bouche hypersonique (supérieures à Mach 5), conférant au projectile une grande vitesse initiale, une portée étendue, et une flèche réduite en tir tendu.

BAe Rail Gun US Navy
Le programme de l’US Navy de railgun développé par BAe, a été suspendu en 2021.

Appliquée à l’artillerie navale de gros calibre, le Rail Gun devait permettre d’atteindre des portées autour de 200 km, et même au-delà en augmentant la vitesse initiale.

Le système devait donc représenter une alternative économique et efficace aux missiles de croisière et missiles antinavires, avec un cout par tir jusqu’à 20 fois inférieur à celui d’un missile.

En outre, par son fonctionnement, il devait permettre de simplifier l’installation à bord d’un navire de combat, et d’éliminer le risque de détonation secondaire lié à la présence de missiles et de poudre pour obus à leur bord.

Toutefois, les contraintes thermiques et mécaniques, consécutives au déploiement massif d’énergie et à l’accélération du projectile, eurent raison des ambitions de l’US Navy dans ce domaine. De toute évidence, les connaissances actuelles en matière de métallurgie étaient encore insuffisantes pour donner naissance à ce type de canon.

Un système antiaérien, antimissile et antidrone

Consciente de ces contraintes, l’ATLA n’a pas cherché à reproduire le programme américain, même si elle a récemment annoncé qu’elle entendait se rapprocher de Washington et de l’US Navy pour mettre en commun leurs travaux de recherche dans ce domaine.

Rail Gun ATLA Gros plan
On remarque l’épaisseur relative du canon par rapport au calibre du tube.

En effet, l’agence japonaise a développé un canon de plus petit calibre, spécialisé dans le domaine antiaérien, antimissile et antidrone, et non dans l’artillerie à longue portée. De fait, le canon électrique nippon subit moins de contraintes que le modèle d’essai américain, lui permettant, semble-t-il, de briser le mur technologique sur lequel le programme de BAe s’est brisé il y a deux ans.

On remarquera, à ce titre, sur la vidéo diffusée, l’épaisseur remarquable du tube employé par l’agence japonaise lors des essais, qui représente, semble-t-il, plus de 30 % du calibre du projectile propulsé.

On notera que l’approche nippone d’un système de plus petit calibre, spécialisé dans la defense sol-air, a été reprise par d’autres programmes de ce type actuellement en développement, dont le Tyfun turc. C’est aussi l’axe retenu par l’ISL franco-allemand pour le développement d’un canon électrique européen.

De nombreuses inconnues demeurent

Il faudra, bien évidemment, attendre un retour plus détaillé de la part de l’agence concernant les essais montrés en vidéo, pour se faire une idée quant à l’applicabilité opérationnelle de cette technologie.

Rail Gun LST chine 2018
Cliché de 2018 d’un Railgun monté sur un LST chinois

Car, si la vidéo montre, en effet, des tirs, elle ne détaille pas certains paramètres clés, comme l’usure relative du tube, ou encore les performances effectivement atteintes lors des essais.

Il n’en demeure pas moins vrai que l’agence nippone a, pour la première fois, effectué des essais de tir à la mer d’un canon électrique, avec une vidéo pour le justifier.

Ces essais ouvrent donc la voie à cette nouvelle technologie, longtemps attendue, et parfois présentée comme une avancée potentiellement majeure en matière de systèmes d’arme, qui pourraient bien équiper les navires nippons, si pas dans les années à venir, en tout cas lors de la prochaine décennie.

Quel avenir pour les armées polonaises après la défaite électorale du PiS ?

À l’instar de la Turquie il y a quelques mois, le gouvernement sortant d’Andrzej Duda et le PiS avaient fait de la défense et des armées polonaises un des enjeux de cette élection législative.

Il est vrai qu’exposé à divers scandales de corruption d’une part, et à des tensions de plus en plus importantes avec l’Union européenne de l’autre, le PiS manquait d’arguments pour défendre son bilan, en dehors de l’immense effort entamé pour moderniser et étendre les armées polonaises.

La défense au cœur des élections législatives polonaises de 2023

À mesure que les sondages montraient tous une élection serrée entre le parti de centre-gauche KO et le PiS, il devenait de plus en plus évident que ce dernier ne conserverait pas sa majorité parlementaire absolue, alors que le risque d’une défaite face à une coalition de centre-gauche menée par Donald Tusk ne cessait de croitre.

De fait, ces derniers mois, les annonces gouvernementales se sont multipliées de la part de Varsovie par la voix du ministre de la Défense Marius Błaszczak, de sorte qu’il n’y a pas eu une semaine depuis le mois de juin dernier, sans qu’un contrat majeur n’ait été annoncé lancé ou signé par la Pologne.

Les plans de bataille polonais de 2011 déclassifiés par Marius Błaszczak

Le pinacle argument survint lorsque mi-septembre, le ministère de la Défense polonais décida de déclassifier et de diffuser des plans de bataille datant de 2011, lorsque Donald Tusk dirigeait le pays. Celle-ci s’appuyait alors sur une stratégie en deux temps, avec un retrait initial sous la Vistule, puis une contre-attaque.

Donald Tusk élections 2023
Donald Tusk et la coalition de centre-gauche remportent les élections législatives polonaises d’octobre 2023.

Selon le ministre polonais, la diffusion de ces plans, pourtant issus d’une tout autre époque alors que la menace n’avait rien de commun avec aujourd’hui, était indispensable pour « comprendre la vision stratégique » de son opposant.

Une défaite cuisante pour le PiS et une victoire pour Donald Tusk

Malgré ces arguments, pourtant largement répétés par les médias d’état, le PiS n’aura pas réussi à inverser la courbe des sondages. Selon les sondages sortie des urnes, celui-ci n’obtiendrait que 36,6 % des voix, et 198 sièges à la Diète, la chambre basse du pays.

Son allié d’extrême-droite, Konfederacja, n’obtiendrait quant à lui que 6,5 % des voix, et 14 sièges. Ensemble, cette coalition ressemblerait uniquement 212 sièges, loin des 231 nécessaires pour atteindre la majorité.

Pour sa part, la Coalition civique ou KO de Donald Tursk aurait rassemblé 31 % des voix pour 161 sièges. Avec ses alliés de Troisième Voie (13,5 %, 57 sièges) et de Nouvelle Gauche (8,5 %, 30 sièges), la coalition de centre gauche proeuropéenne obtiendrait 248 sièges, une avance confortable pour revendiquer la victoire et former un nouveau gouvernement.

Les engagements et contrats défense pris par Andrej Duda

Si le nouveau gouvernement aura fort à faire dans de nombreux domaines, le volet defense sera incontestablement le dossier le plus difficile à prendre en main, et à faire évoluer.

Armées polonaises K2 Black Panther
Les Armées polonaises ont commencé à percevoir les premiers lots de chars K2 Black Panther sud-coréens commandés en 2022.

En effet, ces derniers mois, les annonces, signatures de lettres d’intention et de contrats, se sont multipliés avec de nombreux industriels américains, sud-coréens, britanniques et, parfois, européens, avec l’objectif de constituer, d’ici à 2035, une armée de 300.000 hommes parfaitement armés et équipés.

Un format des armées polonaises à 300 000 hommes en 2035

De fait, la plupart des engagements pris par les autorités polonaises, depuis un an, est dimensionné vis-à-vis de cet objectif et ce format. Ainsi, ce sont 250 chars Abrams M1A2, et un millier de K2 Black Panther, qui ont été commandés, ou sont en passe de l’être, par Varsovie.

Dans le domaine de l’artillerie, les armées polonaises se sont engagées à commander 231 systèmes lance-roquettes à longue portée K239 Chunmoo sud-coréens, ainsi que 480 systèmes HIMARS américains. Ceux-ci doivent être épaulés par 96 hélicoptères de combat AH-64E Apache, et 50 chasseurs légers FA-50.

Au total, les engagements pris par Varsovie ces derniers mois avoisinent les 50 Md€, dont moins de 10 % le sont avec des industriels de defense de l’Union européenne (Italie et France principalement).

La création d’une dette souveraine de 2 % du PIB pour financer la modernisation de la défense polonaise

Le financement de cet effort exceptionnel, s’étalant sur 15 ans, devait reposer sur la création d’une dette souveraine représentant, à terme, plus de 2 % du PIB du pays, au travers d’un fond spécialement créé à cet effet. Varsovie peut, en effet, s’appuyer sur une faible dette souveraine, lui conférant une bien plus grande latitude dans ce domaine que ses voisins de l’ouest.

HIMARS
Varsovie a récemment annoncé la commande de 480 Systèmes HIMARS, en plus des 231 K239 sud-coréens commandés précédemment.

Toutefois, la stratégie défense (et électorale) du PiS, ne prenait pas en considération deux facteurs clés mis en avant par l’opposition lors de la campagne électorale.

Des contraintes importantes sur l’exécution des engagements pris par Varsovie

D’abord, l’objectif de créer une force armée de 300 000 hommes semblent inaccessibles, alors même que 35 000 cadres des armées polonaises ont quitté le service ces 12 derniers mois, dans un mouvement d’une ampleur inédite.

En second lieu, si la dette permet de décaler les couts immédiats des investissements, pour les lisser dans la durée, la Pologne devra néanmoins, pour atteindre un tel objectif, amener son effort de defense au-delà de 4 % de son PIB, contre 2,5 % aujourd’hui.

Cette hausse considérable ne pourra être financée que par la hausse des prélèvements, ce de manière conséquente (équivalent à + 7 % de TVA par exemple), ou la baisse des nombreuses aides sociales distribuées par l’état.

AH-64E Apache
L’opposition polonaise estimait que le pays ne pourrait pas recruter et former les 400 pilotes nécessaires à la mise en œuvre des 96 hélicoptères de combat H-64E Apache commandés par le ministre de la Défense polonais.

Une telle hausse serait non seulement impopulaire, mais elle viendrait sensiblement entamer l’économie et l’attractivité polonaise, avec le risque de mettre un coup d’arrêt sévère à sa croissance.

Pour parfaire ce tableau, déjà complexe, les engagements pris à ce jour par les autorités polonaises, ne couvrent pas l’ensemble des besoins pour disposer d’une force armée homogène.

Les 3 défis défense de la nouvelle coalition de gouvernement

C’est dans ce contexte que le nouveau gouvernement, probablement dirigé par Donald Tusk, aura la difficile tâche de réorganiser et de renégocier la défense et les engagements pris précédemment par le gouvernement Duda.

Pour l’heure, la stratégie et les objectifs du prochain, ou la prochaine, ministre de la Défense, ne sont pas connus, d’aucun qu’ils devront être coordonnés au sein de la nouvelle coalition de gouvernement.

Pour autant, on peut, de manière certaine, identifier trois chantiers majeurs qui conditionneront l’ensemble des décisions à venir dans ce domaine : rationaliser le format des armées au regard des contraintes ; réorganiser l’agenda des contrats et la montée en charge de ‘l’industrie de défense polonaise, et ramener la Pologne au cœur de l’effort européen de défense.

Rationaliser le format des armées et des équipements

La rationalisation du format des armées sera incontestablement le dossier majeur du nouveau ministre de la Défense polonais pour les mois, peut-être les années à venir.

Armées polonaises
L’objectif d’une armée à 300 000 hommes annoncé par le PiS parait irréaliste à beaucoup de spécialistes du sujet.

S’il n’est pas très compliqué de revoir à la baisse le format humain de 300 000 hommes en 2035, probablement hors d’atteinte, il sera en revanche beaucoup plus difficile de réorganiser et de renégocier l’ensemble des contrats et des engagements pris sur la base de cet objectif.

Il ne sera déjà guère aisé d’obtenir des industriels ayant parfois fait évoluer leurs propres calendriers productifs, voire leurs infrastructures, pour répondre aux mirobolants contrats polonais.

Surtout, en cas de réduction sensible de format, les conditions contractuelles comme le prix, les transferts de technologies, et les délais de livraison, seront certainement caduques, entrainant des tensions en séries dans les mois à venir.

Cet effort de rationalisation, pourtant indispensable, va, sans le moindre doute, consommer l’essentiel de l’énergie du ministère de la Défense polonais pour les 2 ou 3 prochaines années, sans annonces spectaculaires comme celles auxquels l’opinion publique polonaise a été habituée ces derniers mois, bien au contraire.

Réorganiser l’industrie de défense polonaise et son agenda de production

Cette tâche pourra être dévolue à un dossier brulant, à savoir la réorganisation de l’industrie de défense polonaise, et de son agenda productif. En effet, comme nous l’avions plusieurs fois abordé, la stratégie appliquée jusqu’ici par Varsovie souffrait d’une terrible faiblesse.

Ainsi, l’immense majorité des contrats majeurs d’équipement des armées polonaises auront été passés et exécutés sur une période de 15 ans, avec des équipements d’une durée de vie de 30 à 35 ans en moyenne.

Marius Blaszczak
Pour l’opposition polonaise, le plan d’acquisition du ministre de la Défense Marius Blaszczak des équipements des armées ne s’appuyait pas suffisamment sur l’industrie nationale.

Si la justification avancée de l’évolution de la menace est valide, le gouvernement d’Andrej Duda allait toutefois créer un phénomène de vague d’équipement autoentretenue particulièrement délicate à conduire, tant pour les finances publiques que pour l’industrie de défens polonaise.

Celles-ci devraient, dans cette hypothèse, se dimensionner pour une production intensive de 15 ans, puis tenter de subsister sans contrat majeur de l’état pendant de nouveau 15 ans, jusqu’à l’arrivée de la nouvelle vague de modernisation.

En outre, selon les propos tenus par l’opposition avant les élections, les contrats passés par le gouvernement avec les industriels américains, britanniques et sud-coréens, ne bénéficiaient pas suffisamment aux industries polonaises, en particulier dans le domaine des transferts de technologies.

Il sera donc indispensable, concomitamment à la rationalisation des formats et la renégociation des contrats, de réorganiser la stratégie industrielle polonaise de défense, ainsi que son agenda.

Ramener la Pologne dans l’effort européen de défense

Peu après son arrivée au pouvoir suite aux élections présidentielles et législatives de 2015, l’une des premières mesures d’ampleur internationale du PiS fut de dénoncer le contrat passé avec Airbus Helicopters pour la construction de 50 hélicoptères de manœuvre H225M Caracal.

H225M Caracal HForce armement Planification et plans militaires | Actualités Défense | Budgets des armées et effort de Défense
La première mesure internationale forte du PiS une fois arrivée au pouvoir fut de dénoncer le contrat portant sur la construction locale de 50 hélicoptères de manœuvre H225 Caracal en 2015.

Depuis cette date, Varsovie avait systématiquement privilégié les partenaires non européens pour ses nombreux contrats de défense, en particulier les Etats-Unis (F-35A, HIMARS, Patriot PAC-3, M1A2 Abrams, AH-64E Apache …), la Corée du Sud (FA-50, K2 Black Panther, K9 Thunder, K239 Chunmoo…) et la Grande-Bretagne (Land-Ceptor, Frégate Arrowhead 140 …).

En fait, depuis 2015, seuls deux contrats majeurs ont été passés avec des industriels européens, la livraison de deux satellites de reconnaissance français et 32 hélicoptères AW149 italiens, représentant moins de 10 % de l’ensemble des contrats militaires d’importation passés par Varsovie ces huit dernières années.

Le retour du très europhile Donald Tusk, qui a été président du Conseil européen de 2014 à 2019, marquera très certainement le retour de la Pologne dans un effort de défense plus européen, en particulier pour ce qui concerne le choix des partenaires industriels à venir.

Conclusion

On le voit, la tache qui attend le nouveau gouvernement polonais, en matière de défense, sera tout, sauf aisée. La situation laissée, peut-être à dessein, par le PiS, va engendrer de douloureux arbitrages, et probablement de réels renoncements.

Si la tâche sera complexe d’un point de vue industriel et budgétaire, elle le sera encore sûrement davantage du point de vue politique, alors qu’il sera nécessaire d’expliquer à une opinion publique abreuvée depuis plusieurs années d’annonces spectaculaires, pourquoi la poursuite de cette trajectoire est impossible.

Il faudra donc, au nouveau ministre de la Défense et à son équipe, faire preuve aussi bien de talent de négociateur que de communicant, tout en menant une réflexion stratégique sur l’avenir, la nature et le format, des armées polonaises face à la menace, dans les années et décennies à venir. Nous verrons bien quelle perle rare Donald Tusk et sa coalition nommeront pour prendre en main cette mission ô combien délicate.

Pour leur aide militaire à la Russie, qu’a promis Moscou à l’Iran et à la Corée du Nord ?

John Kirby, le pote-parole du National Security Counsil américain, a présenté une série de documents pour soutenir l’hypothèse d’une aide militaire à la Russie fournie par la Corée du Nord, notamment sous la forme de transferts de nombreux containers de munition d’artillerie, ce vendredi 13 octobre.

Ce soutien n’est pas sans rappeler celui obtenu, dès le début de l’agression russe contre l’Ukraine, auprès de l’Iran, particulièrement sous la forme de drones d’attaque à très longue portée Shahed 136, largement employés depuis.

Mais s’il est relativement aisé de déterminer la nature de l’aide militaire iranienne et nord-coréenne à la Russie, la nature des contreparties offertes par Moscou, reste pour l’heure obscure, même si celles-ci seront, selon toute probabilité, de seulement trois types.

Bien que tous deux s’en défendent, les preuves ne cessent de s’accumuler, depuis plusieurs mois, concernant l’assistance militaire fournie par Téhéran d’abord, par Pyongyang, ensuite, à la Russie, pour soutenir son effort militaire en Ukraine.

L’aide militaire à la Russie d’Iran et de Corée du Nord

Ainsi, de nombreux débris et éléments recueillis par les forces ukrainiennes ont montré que l’Iran avait bien livré plusieurs centaines de drones d’attaque à très longue portée Shahed 136 à Moscou, et permis aux entreprises russes d’en copier la plupart des éléments pour concevoir le drone d’attaque Geranium.

Aide militaire à la Russie : le Shahed 136
Le Shahed 136 iranien a permis aux armées russes de contourner les efficaces défenses antiaériennes et antimissiles ukrainiennes, et de frapper certaines infrastructures civiles à moindre cout.

Plus récemment, a l’issue d’une visite très relayée de Kim Jong-un, le leader nord-coréen, à Moscou, le Conseil National de Sécurité américain a annoncé avoir obtenu des éléments indiscutables au sujet de l’envoi, par la Corée du Nord, d’un millier de conteneurs par voie ferrée en Russie.

Selon le renseignement américain, il s’agirait de matériels militaires et surtout de munition, alors que pour la première fois en 20 mois de guerre, les armées ukrainiennes ont tiré plus d’obus d’artillerie que l’armée russe la semaine dernière.

Si ces aides iraniennes et nord-coréennes ne sont probablement pas déterminantes pour l’avenir du conflit en Ukraine, même si elles jouent un rôle non négligeable, celles-ci n’ont certainement pas été obtenues sans contreparties de la part de Moscou.

Considérant les situations très spécifiques de ces deux pays, à l’index et sous sanctions de la communauté internationale, et les menaces auxquels leurs dirigeants pensent être exposés, les contreparties obtenues par Pyongyang et Téhéran de la part du Kremlin, peuvent être de trois types.

Le véto russe au Conseil de Sécurité des Nations Unis

La première, et non des moindres, repose sur le siège de membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unis de la Russie, et surtout du droit de veto permanent qui s’attache à cette position aux mains de seulement cinq pays (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni et Russie).

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Un soutien russe au Conseil de Sécurité des Nations Unis permettrait à Téhéran et Pyongyang de voir les sanctions internationales s’éroder avec le temps, tout au mois en dehors du bloc occidental.

En d’autres termes, avec le soutien de la Russie, le Conseil de Sécurité sera dans l’impossibilité de voter de nouvelles sanctions coercitives contre l’un ou l’autre de ces pays, car protégés par le veto systématique de la Russie.

Dans cette hypothèse, le pire des scénarios serait que les deux pays aient obtenu certaines coudées franches pour leurs programmes militaires respectifs, sans risquer une mise à l’index de l’ensemble de la communauté internationale, même si les sanctions occidentales seraient inévitables.

Toutefois, on peut penser que Moscou aura pris certaines précautions dans la négociation de son soutien dans ce domaine spécifique, sachant que la Russie avait voté, jusqu’il y a peu, les sanctions internationales contre ces deux pays alliés à la poursuite de leurs programmes nucléaires militaires.

En revanche, dans le cadre préalablement défini, le soutien russe au Conseil de Sécurité, peut permettre à Téhéran et Pyongyang de voir les sanctions mises en place par le Conseil de Sécurité, s’éroder avec le temps, tant dans le domaine économique que pour ce qui concerne la vente de systèmes d’armes.

La livraison d’équipements militaires avancés russes aux armées iraniennes et aux armées nord-coréennes

La seconde hypothèse, éminemment problématique à relativement court terme, repose sur de possibles livraisons d’armes et systèmes d’armes russes aux armées iraniennes et nord-coréennes.

Sous sanctions internationales depuis plusieurs décennies, celles-ci emploient aujourd’hui en majorité des équipements militaires datant des années 60, 70, et 80, soit avant la révolution islamique iranienne de 1978, et la révélation du programme nucléaire militaire nord-coréen, en 1990.

Mig-29 corée du nord
Le Mig-29 est le chasseur le plus moderne au sein des forces aérienens nord-coréennes

Téhéran comme Pyongyang étaient parvenus à acquérir certains équipements plus modernes, comme des avions Mig-29 pour les forces aériennes nord-coréennes, et des systèmes antiaériens Tor par l’Iran, dans les années 80 et 90, mais en quantité et volumes insuffisants.

De fait, pour l’un comme pour l’autre, obtenir, en compensation des matériels et des munitions livrés aux armées russes, certains systèmes d’armes avancés, comme des systèmes sol-air, des avions de combat, des sous-marins, des blindés ou des missiles, permettrait de sensiblement moderniser leurs forces armées, et donc l’équilibre des forces sur leurs théâtres respectifs.

L’hypothèse de bouleverser les rapports de force sur la péninsule coréenne, ou dans le golfe Persique, est d’ailleurs probablement jugée bénéfique par le Kremlin, puisque obligeant les Etats-unis et leurs alliés à déployer des forces supplémentaires pour rétablir l’équilibre stratégique, et donc d’affaiblir leur présence en Europe, et leur soutien à l’Ukraine.

Reste que l’industrie de défense russe est aujourd’hui pleinement mobilisée pour soutenir l’intervention en Ukraine, et qu’il parait peu probable qu’elle libère des ressources humaines et industrielles au profit des alliés iraniens et nord-coréens, tout du moins tant que le conflit en Ukraine demeurera dynamique.

Des transferts de technologies de défense vers les industries iraniennes et nord-coréennes

Dernière possibilité, les autorités russes ont pu autoriser certains transferts de technologies de défense vers ces deux pays et leur industrie de défense.

sous-marin Hero Kim Gun-ok Corée du Nord
Le transfert de certaines technologies permettrait aux industries nord-coréennes et iraniennes de faire d’importantes avancées dans l’efficacité des systèmes d’arme produits.

Cette hypothèse permettrait de simultanément contourner les contraintes de production de l’industrie de défense russe au profit du conflit en Ukraine, et de masquer, tout au moins de manières trop évidentes, le soutien apporté aux industries de défense des deux pays.

Dans le même temps, selon les technologies transférées, celles-ci ont le potentiel de déstabiliser les rapports de force régionaux à moyens termes, surtout si elles sont accompagnées, comme c’est probable, de composants de fabrication russe afin de donner à Moscou le contrôle sur la montée en puissance des armées de ses alliés.

Il sera probablement impossible, dans un avenir proche, de déterminer avec certitude la nature exacte des compensations obtenues par l’Iran et la Corée du Nord, pour leur soutien actif à l’effort militaire russe en Ukraine. Toutefois, il est probable qu’elle soit à trouver dans une de ces trois hypothèses, voire dans un subtil mélange de celles-ci.

Rien ne dit, d’ailleurs, que Pyongyang et Téhéran aient obtenu des compensations identiques de la part de la Russie, ce d’autant que les besoins de ces deux pays sont assez divergents, même s’ils sont tous deux exposés à de sévères sanctions internationales.

L’US Army va multiplier par 4 la production de munition aux Etats-Unis face aux risques de conflit avec la Chine.

L’US Army et son sous-secrétaire aux acquisitions, Doug Bush, ont engagé un important effort pour augmenter la production de munition aux Etats-Unis, afin de faire face aux risques de conflit avec la Chine et l’Armée Populaire de Libération dans le Pacifique autour de Taïwan.

Nous dirigeons nous vers une guerre entre les Etats-unis et la Chine ? Cette question, quiconque suit un minium les questions de défense, se l’est posée ces derniers mois (sauf s’il est membre du gouvernement canadien…). Il est bien évidemment impossible d’y répondre avec certitude, en particulier par l’opacité entourant la préparation militaire chinoise dans une telle hypothèse.

Le Pentagone se prépare à affronter l’Armée Populaire de Libération dans le Pacifique

Ce qu’il est possible d’affirmer, en revanche, sans la moindre marge d’erreur, c’est que les Etats-Unis, et plus particulièrement les armées américaines, s’y préparent activement, avec un empressement évident.

En effet, qu’il s’agisse de l’US Army avec l’OMFV, le M10 Booker ou encore le M1E3 Abrams, de l’US Air Force avec le programme NGAD et les drones de combat, de l’US Navy avec la production intensive de sous-marins, de frégates et de navires robotisés, ou du corps des Marines des Etats-Unis, entièrement repensé pour retrouver ses racines amphibies, toutes les armées américaines sont focalisées sur cette hypothèse, et sur un court calendrier.

M10 Booker
L’attention politique en matière de production industrielle défense aux Etats-Unis se concentrait surtout sur de grands programmes médiatiques jusqu’il y a peu.

Ces derniers mois, il semble à ce titre que le Pentagone ait franchi une nouvelle étape dans cette préparation opérationnelle. Jusqu’ici concentré sur le développement et la mise en œuvre de programmes majeurs d’armements et sur sa doctrine JADC2, il semble désormais concentrer ses efforts sur des sujets beaucoup plus terre-à-terre, comme la logistique, la médecine de guerre, les stocks de sang.

Dans ce domaine, les stocks de munition représentent évidemment un enjeu critique pour les armées américaines, d’autant que plusieurs simulations ont montré que ceux ne permettaient pas, aujourd’hui, de soutenir un engagement de plus de quelques semaines dans le pacifique face à l’Armée populaire de libération.

L’US Army augmente la production de munition aux Etats-Unis grâce à la robotisation

Un effort tout particulier est donc entamé outre-atlantique pour rapidement réapprovisionner les stocks des quatre armées, par ailleurs sévèrement réduits par les besoins de la guerre en Ukraine.

C’est ainsi qu’en quelques mois seulement, la production d’obus d’artillerie de 155 mm de l’industrie US va passer de 24 000 munitions par mois aujourd’hui, à 60 000 obus mensuels en 2024, 80 000 en 2025 et plus de 100 000 au début de l’année 2026.

Production de munition aux états-unis robotisée
La production mensuelle américaine d’obus de 155 mm va être multipliée par 4 d’ici à 2026, par la robotisation à marche forcée des sites industriels.

Pour y parvenir, les industriels américains se sont tournés vers les progrès de la robotique, les usines étant l’une après l’autre modernisée avec l’aide du service des acquisitions de l’US Army, et de son secrétaire adjoint, Doug Bush (sans aucun lien, il est fils unique), un ancien officier de cavalerie et analyste de l’US Army.

Toutefois, si la production d’obus classique, de munition de petit calibre ou de corps de bombe, peut aisément se robotiser, ce n’est pas le cas des systèmes plus complexes, comme les roquettes d’artillerie à longue portée, ou les missiles.

Les contraintes de la production de munition de précision

Face aux demandes croissantes des armées américaines, les industriels, comme RTX (ex Raytheon), ont dû faire appel à d’anciens personnels en retraites, seule main-d’œuvre mobilisable pour effectivement augmenter la production à court terme, et répondre aux besoins.

Dans ce domaine, l’US Army fait face à un goulet d’étranglement, qu’il sera difficile, et surtout pas rapide, de contourner. En effet, pour déployer de nouvelles infrastructures, et surtout pour recruter et former le personnel nécessaire, les industriels réclament au Pentagone des contrats à long terme leur donnant l’assurance de pouvoir amortir leurs investissements (et préserver leurs marges, donc leurs cours de bourse).

fabrication missile RTX
Contrairement aux munitions classiques, la fabrication des munitions de précision reposent encore beaucoup sur des compétences humaines, donc sur une ressource difficile à recruter, à former, et à fidéliser.

Or, les armées américaines qui, comme leurs homologues européennes, font face simultanément aux conséquences de certaines compressions budgétaires, ainsi qu’aux difficultés de recrutement et de fidélisation des militaires, n’a plus les effectifs pour instruire les dossiers et les commandes efficacement, selon Doug Bush, s’exprimant lors de la conférence annuelle de l’US Army.

« Si je m’inquiète d’une chose, c’est cette main-d’œuvre et son maintien, parce que nous ne pouvons rien faire sans elle. », a-t-il conclu ce sujet lors de cette conférence, marquant l’enjeu majeur que représente aujourd’hui la pleine coopération des industriels et militaires américains face aux perspectives qui se présentent.

Un investissement politique sans précédant depuis la fin de la guerre froide

L’investissement direct des autorités politiques des armées américaines dans ces dossiers, et plus uniquement dans les grands programmes à forte couverture médiatique, montre sans aucun doute, la fébrilité qui, aujourd’hui, s’impose au Pentagone.

De toute évidence, les stratèges américains, pas davantage que leurs homologues européens, avaient anticipé une dégradation aussi rapide, mais aussi globale, de la situation sécuritaire dans le monde, obligeant les armées US à une transformation à marche forcée, à peine parvinrent-elles à quitter les théâtres irakiens et afghans.

usine armement américiane
Les capacités industrielles de production d’armement américaines n’avaient plus fait l’objet d’une telle attention politique depuis la fin de la guerre froide.

De fait, les efforts déployés outre-atlantique, tant en matière d’intensité que de nature, attestent d’une anticipation bien réelle d’un possible conflit majeur, à relativement court terme, et de se rappeler que la date de 2027, pour une opération militaire chinoise contre Taïwan, est de plus en plus fréquemment, et de plus en plus invariablement, avancé.

On le voit, s’il est impossible de prédire un conflit sino-américain dans le Pacifique, il est en revanche incontestable que les armées américaines s’y préparent activement, et sur des délais particulièrement courts, de quelques années seulement.

Il convient toutefois de se rappeler que ce niveau de préparation visé par les armées américaines, est peu différent de celui qui fut le sien pendant toute la durée de la guerre froide, sans qu’un affrontement direct n’ait jamais opposé soviétiques et américains.

Le budget des armées canadiennes pourrait être privé d’un milliard de dollars en 2024.

En 2023, le budget des armées canadiennes s’élevait à 26,4 Md$ Canadiens (18,3 Md€), soit un effort de defense de seulement 1,3 % du PIB. Au sein de l’OTAN, Ottawa se retrouve en queue de peloton, ne cédant qu’à la Belgique, à l’Espagne et au Luxembourg, en termes d’effort de défense.

Et les choses pourraient bien empirer en 2024. En effet, loin de suivre la tendance générale à la hausse en 2024, avec un effort de defense moyen qui attendra alors 2,58 %, les armées canadiennes pourraient, au contraire, voir leur budget amputé d’un milliard de dollars canadiens, soit une baisse de 3,3 %.

Cette baisse s’inscrit dans un effort budgétaire global engagé par le gouvernement libéral de Justin Trudeau, pour faire économiser d’ici à l’année prochaine, 15 Md$ au budget fédéral canadien.

Un milliard de moins pour le budget des armées canadiennes en 2024

Comme c’est le plus souvent le cas lorsque exposé à ce type d’arbitrage, le ministre de la Défense canadien, Bill Blair, assure que cette baisse ne se répercutera pas sur les capacités opérationnelles des armées, et en particulier sur les unités opérationnelles.

En outre, il fait valoir que depuis l’arrivée du Parti libéral au pouvoir en 2015, les dépenses de defense canadiennes n’ont cessé de croitre, alors que l’effort de defense du pays était sous la barre des 1 % de PIB.

budget des armées canadiennes remplacement CF-18 Hornet
En janvier 2023, Ottawa a annoncé la commande de 88 F-35A pour remplacer ses CF-18 Hornet pour un montant de 19 Md$. Sans hausse de budget, le financement de ce programme va capter l’ensemble des capacités d’investissement et de modernisation des armées canadiennes pour les 10 années à venir.

Pour autant, la situation internationale a, elle aussi, considérablement évoluée depuis 2015, ce qui a amené nombre de pays qui, eux aussi, dépensaient moins de 1 % de la richesse nationale à cette époque, à dépasser les 2 % désormais. C’est notamment le cas de la Suède, des Pays-Bas, et de la plupart des pays d’Europe de l’Est.

Enfin, même si positionné sur le continent américain, le Canada n’est pas moins exposé aux nouvelles menaces russes et chinoises, du fait de sa frontière arctique entrainant de nombreuses frictions avec Moscou, de sa façade pacifique et de sa proximité évidente avec les Etats-unis, face à Pékin.

Levée de bouclier du chef d’état-major et des parlementaires de l’opposition

Comme on pouvait s’y attendre, l’annonce faite par Bill Blair, et l’hypothèse croissante de voir le budget des armées canadiennes amputé d’un milliard de $, n’est pas du gout de tous dans le pays, et tout d’abord des militaires eux-mêmes.

Interrogé sur le sujet par le Parlement, le chef d’État-major canadien, le général Wayne Eyre, s’est montré des plus inquiets quant aux conséquences d’une telle coupe budgétaire sur le potentiel opérationnel des forces du pays.

« Il n’y a aucun moyen de retirer près d’un milliard de dollars du budget de la défense et de ne pas avoir d’impact, c’est donc quelque chose avec lequel nous luttons maintenant », a-t-il déclaré aux députés, venant directement contredire les propos tenus par son ministre de tutelle.

justin trudeau armée canadienne
Justin Trudeau est l’un des derniers rescapés au pouvoir de la période qui croyait encore aux bénéfices de la paix.

Lé général canadien a également fait part de l’incompréhension qu’une telle décision engendrait au sein des armées, alors que les tensions et crises internationales ne cessent de croitre en nombre comme en intensité.

L’opposition parlementaire canadienne, elle aussi, se montre des plus critiques, quant à cette possibilité de réduction budgétaire, alors que ces dernières années, les représentants canadiens étaient systématiquement sous pression de la part de leurs alliés de l’OTAN, lors des sommets de l’alliance.

Une perception erronée de la menace et de la protection américaine ?

Paradoxalement, l’opinion publique canadienne est, elle-même, plutôt favorable à la hausse des crédits des armées, 59 % d’entre eux soutenant une telle hausse, selon un sondage datant de cet été.

Toutefois, à l’instar de certains européens, les Canadiens ont une perception de la menace, notamment russe, mais aussi de l’efficacité de la protection américaine, venant directement s’opposer aux efforts nécessaires pour renforcer leurs armées.

Surtout, la baisse des crédits de defense viendra directement menacer les programmes de modernisation annoncés ces dernières années, parfois jugés, probablement à raison, comme incompatible avec les moyens budgétaires dont disposent les armées canadiennes.

sous-marin classe victoria canada
Avec un budget en baisse, les chances de remplacer les sous-marins de la classe Victoria s’éloignent pour la Marine royale canadienne.

On peut ainsi douter qu’Ottawa ambitionne réellement de doter la Marine canadienne de 12 nouveaux sous-marins afin de remplacer les 4 sous-marins de la classe Victoria actuellement en service, comme annoncé il y a quelques mois, ou même s’il sera possible de financer l’acquisition des 16 avions de patrouille maritime évoquée peu de temps avant.

L’héritage d’un mal bien connu en Europe

Reste que cette hypothèse, qui se présente chaque jour davantage comme une décision, met en lumière un mal bien connue en Europe occidental, éloignant les dirigeants de leurs obligations régaliennes pour des considérations économiques et sociales, plus performantes du point de vue électoral.

Ce phénomène, à l’origine des nombreuses dérives liées aux bénéfices de la paix post guerre froide, a été exacerbé par le sentiment de protection absolue donné par les Etats-unis, amenant les dirigeants, mais aussi les opinions publiques, à s’éloigner des considérations de defense au profit d’autres sujets plus attractifs.

On peut se demander, aujourd’hui, si le fait que Justin Trudeau soit l’un des rares rescapés encore au pouvoir de cette période au sein de l’OTAN, n’explique pas en partie l’ineptie d’un tel arbitrage dans le contexte sécuritaire présent ?

En Indonésie, Naval Group dégaine le Scorpene Evolved équipé de batteries lithium-ion

Le français Naval Group a présenté à Jakarta le Scorpene Evolved, évolution de son sous-marin champion des exportations, équipé dorénavant de batteries Lithium-ion pour des performances accrues et une maintenance allégée. Pour s’adjuger le contrat qui porte sur deux navires, avec une flotte de six sous-marins en perspective, l’industriel français y intègre d’importants transferts de technologies pour l’industrie indonésienne, militaire comme civile.

Si l’attention publique et les grands titres font la part belle aux succès du Rafale sur la scène internationale, il est loin d’être le seul équipement produit la Base industrielle technologique de défense française, à s’imposer dans les compétitions mondiales.

Le sous-marin Scorpene, conçu et fabriqué par Naval Group, fait partie de ces équipements stars des exportations de défense française. Avec 14 exemplaires déjà commandés par 4 Marine internationales, 2 pour le Chili, 2 pour la Malaisie, 4 pour le Brésil et 6 pour l’Inde, et 3 exemplaires supplémentaires qui doivent être à nouveau commandés par New Delhi dans les mois à venir, il est le modèle de sous-marin le plus exporté de l’histoire française.

En outre, Naval Group est aujourd’hui dans plusieurs négociations avancées avec d’autres marines mondiales, pour de nouveaux sous-marins de ce type. Ainsi, la Roumanie serait proche de commander deux Scorpene dans les mois à venir. Naval Group est également en discussion avancée avec les Philippines, même si dans ce domaine, l’industriel français doit faire face à des offres très agressives espagnoles et sud-coréennes.

Un MoU signé en février 2022 avec l’Indonésie avec Naval Group pour deux sous-marins Scorpene

Des négociations exclusives sont par ailleurs engagées depuis plusieurs années avec Jakarta. Ainsi, en février 2022, Naval Group et les autorités indonésiennes ont signé un Memorandum of Understanding pour la conception et construction locale de deux sous-marins Scorpène, sur un modèle avec d’importants transferts de technologies comparables à ceux mis en œuvre avec succès au Brésil et en Inde.

Prabowo Subianto Florence Parly
Rencontre entre Florence Parly, ministre des Armées française, et Prabowo Subianto, ministre de la Defense indonésien.

En Indonésie, les négociateurs français peuvent s’appuyer sur la confiance bâtie autour de la commande de 42 avions Rafale, pour moderniser les forces aériennes du pays.

En outre, la Marine indonésienne, qui s’était initialement tournée vers la Corée du Sud avec les 3 sous-marins de la classe Nagapasa entrés en service entre 2017 et 2021, s’est montrée plus que réservée quant aux performances et à la fiabilité des navires construits, incriminant un manque flagrant de soutien technologique de la part de Séoul dans ce contrat.

Enfin, les tensions croissantes entre Jakarta et Pékin, en particulier en Mer de Chine du Sud, ainsi que la législation CAATSA américaine, ont amené l’Indonésie à se rapprocher rapidement du bloc occidental ces dernières années, en s’éloignant aussi bien de la Russie que de sa posture non alignée héritée de Soekarno pendant la guerre froide.

Le Scorpene Evolved équipé de batteries lithium-ion

En dépit de ces atouts, les discussions entre Naval group et les autorités indonésiennes semblaient ne pas avoir progressé ces derniers mois. Or, chaque mois passé augmente les chances de voir une offre concurrente agressive émerger, comme c’est aujourd’hui le cas aux Philippines.

C’est dans ce contexte que l’industriel français vient de dégainer une offre des plus attrayantes et des plus compétitives, probablement pour s’imposer définitivement dans ce dossier.

classe Nagapasa
La Marine indonésienne a plusieurs fois fait état de défaut de conception et de finition de ses sous-marins de la classe Nagapasa.

Avec le Scorpene Evolved, Naval Group entend amener son Scorpene à un tout autre niveau de performances, en le dotant de batteries lithium-ion, et non d’un système anaérobie Air-Independant Propulsion ou AIP, comme proposé par la Corée du Sud, la Suède ou l’Allemagne.

En effet, dans cette configuration, le navire sera en mesure de tenir la mer pendant 80 jours, dont seulement deux jours en surface. En outre, les batteries lithium-ion se chargeant beaucoup plus vite, et pouvant délivrer une puissance électrique bien supérieure que les batteries acide-plomb classique, et même que les systèmes AIP, les sous-marins disposent de performances très supérieures, venant flirter avec celles des navires à propulsion nucléaire.

Un sous-marin adapté aux besoins de la Marine indonésienne

De fait, le Scorpene Evolved sera parfaitement adapté aux besoins de la Marine indonésienne, en particulier pour tenir en respect les submersibles chinois au besoin.

Ceux-ci bénéficieront par nature de la discrétion et des capacités opérationnelles du Scorpene le plus évolué, ainsi que de l’ensemble de ses systèmes d’armes et de détection, comme le missile antinavire à changement de milieux SM39 Exocet et la torpille lourde F21, l’une des plus performantes, si ce n’est la plus performante, du marché aujourd’hui.

Surtout, la technologie lithium-ion, outre le fait qu’elle s’avère bien plus compacte que les systèmes AIP existants, nécessite une maintenance beaucoup plus légère, pouvant notamment être rechargé à la mer, à l’inverse des systèmes AIP.

Scorpene Evolved SM39 Exocet
Les sous-marins Scorpene Evolved pourront mettre en œuvre de nombreux systèmes d’armes, dont le missile antinavire SM39 Exocet.

Ceux-ci nécessitent, en effet, un important dispositif industriel de soutien, spécialement pour produire et transférer l’oxygène liquide et d’hydrogène purs employés par les piles à combustible.

De fait, d’éventuels sous-marins AIP indonésiens ne pourraient recharger leurs piles que dans les bases navales les plus grandes, sans pouvoir faire de même dans les bases navales déployées dans cet archipel de presque 2 millions de km², composé de 17 000 iles.

D’importants transferts de technologies vers Jakarta

Cette nouvelle offre s’appuie aussi sur de nombreux et cruciaux transferts de technologies, promettant spécifiquement de conférer aux industriels indonésiens les compétences nécessaires pour concevoir, fabriquer et entretenir eux-mêmes les systèmes lithium-ion qui pourraient équiper les autres lots de sous-marins prévus.

Dans ce domaine, Naval group peut s’appuyer sur son excellent bilan en Inde, un environnement que l’on sait complexe tant au niveau industriel et politique, mais aussi au Brésil, avec à la clé, la construction d’un sous-marin nucléaire d’attaque, l’Alvaro Alberto, dont la première tôle a été découpée cette semaine.

Le sujet est d’autant plus critique, pour Jakarta, que la précédente coopération technologique en matière de sous-marin, pour donner naissance aux navires de la classe Nagapasa dérivés des Type 209 allemands, fait l’objet de nombreuses critiques, tant par la Marine indonésienne quant à la qualité des navires produits, que par les industries.

batteries lithium-ion
Les batteries lithium-ion sont exploités bien au-delà des sous-marins, par exemple, dans l’industrie automobile pour la révolution des voitures électriques.

Enfin, contrairement à la technologie AIP dont l’utilisation se résume aux sous-marins, les batteries lithium-ion sont désormais employés dans de nombreux domaines, allant de l’industrie automobile aux systèmes numériques portables.

De fait, Naval Group garantit, dans son offre, que plus de 30 % des investissements concernant les travaux et les équipements de la première tranche de sous-marin, seront produits en Indonésie, avec d’importantes possibilités de croissance dans les années à venir, et pour les lots à venir.

Une flotte de 6 Scorpène Evolved en perspective

En effet, si les négociations aujourd’hui portent sur deux navires, le besoin exprimé par al Marine indonésienne est beaucoup plus important et porte sur six navires.

Il s’agit, pour Jakarta, d’être en mesure de faire face à la montée en puissance de la Marine chinoise, qui dispose non seulement de sous-marins nucléaires d’attaque Type 093/A, mais également d’une quarantaine de sous-marins conventionnels et AIP Type 039, susceptibles d’opérer à proximité des eaux indonésiennes.

Par le bond technologique plus que significatif proposé par Naval Group, les forces navales indonésiennes disposeraient alors de submersibles conçus pour prendre l’avantage sur leurs homologues chinois.

Surtout, cette offre permet à l’industriel de tabler efficacement sur un contrat global de six navires, même décomposé en trois lots de deux, pour permettre à Jakarta de profiter parfaitement des avancées opérationnelles ainsi que des transferts de technologies exploitables aussi bien par l’industrie de defense que l’industrie civile.

Selon les informations obtenues par le site spécialisé Navalnews.com, il semble d’ailleurs que le groupe naval français s’apprêterait à convertir l’ensemble de ses offres en cours vers le nouveau Scorpene Evolved.

KSS-III classe Dosan Anh changho
Les sous-marins sud-coréens KSS-III de la classe Dosan Anh Changho sont équipés d’un système AIP.

Cette technologie pourrait ainsi permettre de sortir de la compétition purement commerciale et budgétaire lancée par Navantia aux Philippines, en proposant un navire aux performances très supérieures à celles de ses homologues espagnols et sud-coréens, proposés en version AIP.

Cette offre pourrait aussi ouvrir de nouvelles portes au groupe français en Inde, au-delà de la commande de trois sous-marins de la classe Kalvari qui doit prochainement être annoncée.

En effet, les nouveaux navires indiens devraient être équipés du système AIP développé par la DRDO, l’agence de l’armement nationale, tout comme devraient l’être les six sous-marins précédemment livrés.

Toutefois, comme expliqué auparavant, les performances offertes par les batteries lithium-ion sont très supérieures à celles des systèmes AIP, tout en requérant une maintenance inférieure de 30 % aux batteries acide-plomb.

De fait, en proposant les navires en version lithium-ion, Naval Group serait en mesure de sauter l’étape AIP, et de la faire sauter à la Marine indienne, avec en perspective, les six sous-marins à venir du programme P75i.

Conclusion

On le voit, l’annonce faite par Naval Group concernant les sous-marins Scorpene Evolved indonésiens, et leurs batteries Lithium-ion, ont une portée dépassant de beaucoup le seul contrat avec Jakarta.

classe Kalvari modèle Scorpene
En portant l’ensemble de son offre Scorpene vers le standard Scorpene Evolved, Naval Group peut redistribuer les cartes autour du programme P75i indien.

En procurant des performances sensiblement supérieures aux batteries acide-plomb et aux systèmes AIP, les nouvelles batteries proposées par le groupe naval français, peuvent lui conférer un atout de taille tant en Indonésie que dans d’autres compétitions en cours.

En outre, comme il semble désormais que ce soit devenu la règle, Paris s’appuie sur d’importants transferts de technologies, et sur l’expérience acquise par la BITD navale française ces dernières années dans ce domaine, pour renforcer son offre, face à une concurrence internationale très agressive.

Car s’il est une chose certaine aujourd’hui, c’est que le paysage industriel entourant l’offre mondiale de sous-marins se recompose rapidement. Longtemps aux mains des européens et des Russes, il voit dorénavant apparaitre les modèles chinois, sud-coréens et bientôt turcs, alors que l’Espagne, elle aussi, a investi pour s’y inviter.

En dernier lieu, d’ici à 2035, il est fort probable que l’offre mondiale excédera sensiblement la demande. Il ne restera aux industriels alors que de s’engager dans une compétition sur les prix sous respirateur d’état, comme c’est déjà le cas de la Corée du Sud et de l’Espagne, et vers laquelle semble se diriger l’Allemagne, ou de se distinguer par des performances et des technologies propriétaires, accompagnés d’une souplesse contractuelle élevée.

De toute évidence, le français Naval Group a choisi cette stratégie pour se distinguer en Indonésie, et au-delà.

Pourquoi la vente de 24 F-16 danois à l’Argentine a été autorisée en urgence par les Etats-Unis ?

Washington a autorisé la vente de 24 chasseurs d’occasion F-16 danois à l’Argentine pour la modernisation de sa flotte de chasse, à seulement quelques heures de la visite du président Alberto Fernandez à Pékin, probablement pour empêcher la commande de JF-17 sino-pakistanais.

Contactée par les journalistes du quotidien argentin conservateur La Nacion, l’un des deux grands acteurs de la presse quotidienne du pays, la vice-secrétaire adjointe à la sécurité régionale du département d’État, Mira Resnick, a confirmé l’autorisation donnée par le Département d’État pour l’acquisition par Buenos Aires de 24 chasseurs Lockheed-Martin F-16 d’occasion auprès du Danemark.

Washington autorise en urgence la vente de F-16 danois à l’Argentine

La sous-secrétaire a par ailleurs ajouté que des négociations étaient avancées pour accompagner cette autorisation d’une aide budgétaire de 40 m€, afin de rendre l’opération soutenable pour les autorités argentines, dans un pays qui a vu son PIB plonger de 40 % entre 2017 et 2020, et exposé à une inflation galopante de 100 % ces derniers mois.

Cela fait plusieurs années que Buenos Aires tente d’acquérir de nouveaux avions de combat pour compenser le retrait de ses derniers Mirage III, ne laissant à ses forces aériennes que quelques A-4 Skyhawk subsoniques pour couvrir un pays grand comme cinq fois la France.

F-16 danois à l'argentine
Le Danemark est autorisé par Washington à vendre 24 de ses F-16 à l’Argentine. Le montant de l’offre n’est pas rendu public.

Jusqu’à présent, outre les difficultés économiques sévères rencontrées, les démarches argentines se sont opposées au veto britannique sur les sièges éjectables Martin-Baker, qui équipent la majorité des appareils occidentaux.

En effet, depuis la guerre des Malouines, Londres applique un veto strict sur toutes les technologies militaires britanniques vers l’Argentine, particulièrement efficace dans le domaine des avions de combat.

C’est aussi pour ne pas froisser son allié que Washington n’avait jusqu’ici pas répondu favorablement aux demandes de Buenos Aires au sujet de l’acquisition d’appareils d’occasion, même si, dans le domaine des sièges éjectables, les Etats-Unis disposent d’une solution nationale avec le ACES II.

La menace de voir l’Argentine se tourner vers le JF-17 Thunder chinois

Traditionnellement équipés de matériels occidentaux, les armées argentines avaient, jusqu’ici, résisté aux sirènes russes ou chinoises. Mais face à l’intransigeance de Londres et de Washington, l’hypothèse de voir Buenos Aires se tourner vers le JF-17 Thunder sino-pakistanais, un chasseur monomoteur performant et économique, déjà acquis par le Nigeria et la Birmanie.

JF-17 Birmanie
Le Chengdu JF-17 est un chasseur monomoteur léger évoluant dans la catégorie du Tejas indien ou du FA-50 sud-coréen, et pas du F-16 américain.

En outre, il semble que l’offre de Pékin était particulièrement souple et économiquement performante, si ce n’est concernant certaines attentes chinoises en matière de politique internationale.

La crainte était donc grande, à Washington, que le président argentin Alberto Fernandez, en visite officielle en Chine à partir du 12 octobre, revienne de Pékin avec la commande de 15 JF-17 Thunder, et la possibilité d’acquérir d’autres lots, en application de la fameuse (et fumeuse) théorie des dominos qui conditionna la politique internationale américaine pendant la guerre froide.

Empêcher le président Alberto Fernandez de commander les chasseurs chinois

Le fait que l’annonce vienne du quotidien de la droite conservatrice argentine la Nacion, et non par des voix officielles, montrent par ailleurs la fébrilité américaine, mais aussi de la droite argentine, dans ce domaine, ainsi que l’urgence de cette communication, qui n’aurait probablement pas été divulguée si elle était passée par les seules voix officielles.

En procédant ainsi, il est probable qu’ils entendent empêcher la signature d’un contrat à l’occasion de cette visite officielle, sachant que l’opinion publique argentine, et surtout les armées, sont plus enclins à soutenir Washington que Pékin.

Alberto Fernandez Xi Jinping
Il était indispensable à Washington d’empêcher la signature d’un contrat pour l’acquisition de JF-17 à l’occasion de la visite du président Fernandez à Pékin ce 12 octobre.

Reste à voir, dorénavant, à quel point la stratégie de communication américaine aura été efficace, et si, effectivement, le président Alberto Fernandez reviendra de Pékin sans avoir commandé de chasseurs JF-17.

Par ailleurs, il ne fait aucun doute que cette annonce déplaira fortement à Londres, alors que les autorités argentines et l’opinion publique du pays continuent de considérer les Malvinas comme argentine, malgré la défaite militaire cuisante de 1982.