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Pour Eric Trappier, la priorité de Dassault est aujourd’hui donnée au programme Rafale et ses évolutions à venir, et pas au programme européen SCAF, dont l’échéance d’entrée en service s’établit désormais à 2045. Du moins est-ce ainsi qu’il avait présenté le sujet à l’occasion d’une interview donnée à la chaine d’information économique BFM Business en aout dernier.
On eut pu penser, alors, que cette déclaration s’inscrivait dans le bras de fer qui demeurait entre Dassault et le ministère des Armées, avec, en arrière-plan, le partage industriel et ses nécessaires concessions au sein du programme européen, ainsi que l’arrivée de la Belgique.
Au fil des semaines, toutefois, il est apparu que les positions des deux protagonistes français étaient bien plus alignées qu’il n’y paraissait, avec une évidente ambition, pour le ministère des Armées, de soutenir les évolutions à venir du Rafale.
Le Rafale F4.2 reporté à 2025
En effet, pour le ministère des Armées, le Rafale F4, et surtout la version F5, prévue pour 2030, doivent permettre à la fois de moderniser et d’étendre les capacités des forces aériennes françaises, et de soutenir l’attractivité et la compétitivité de l’appareil français sur une scène internationale en forte demande.
De toute évidence, l’Hôtel de Brienne (siège politique du ministère des Armées) a décidé de joindre le geste, ou plutôt le portefeuille, à la parole. En effet, selon un article publié par le site économique La Tribune, il prévoit d’investir pas moins de 4,6 Md€ d’ici à 2030 pour faire évoluer le chasseur français, et developper un drone de combat sur la base du démonstrateur Neuron.
Il s’agit, pour le ministère, Dassault Aviation, Safran, Thales, MBDA et les quelque 400 entreprises sous-traitantes du programme Rafale, de terminer le développement du standard F4.2 qui doit, entre autres choses, voire ses moyens de suppression des defense adverses, comprendre sa défense antiaérienne, grandement améliorées pour répondre aux enseignements de la guerre en Ukraine.
Initialement prévue pour 2024, la qualification finale du Rafale F4.2 a été repoussée à 2025, alors que les premiers F4.1 ont d’ores-et-déjà commencé d’être employés par l’Armée de l’Air et de l’Espace française.
On notera toutefois que les avions Rafale qui seront livrés en 2023 et 2024, soit 26 appareils pour l’AAE, le seront au standard F3R. Ils évolueront par la suite vers le nouveau standard, à l’instar de l’ensemble de la flotte.
Les investissements pour le Rafale F5 débutent dès 2024.
Mais le véritable bond en avant, que l’on peut même qualifier de reboot pour les anglicistes, et de renaissance pour les francophiles, sera la version F5, qui promet de doter, pour 2030, l’appareil de certaines capacités que l’on attend davantage des avions de combat de 5ᵉ et 6ᵉ générations.
Outre un nouveau Radar RBE2 XG en cours de développement, le Rafale F5 sera doté de la possibilité de contrôler et de mettre en œuvre des drones de combat, comme les Remote Carrier Expendable de MBDA, et surtout le programme de Loyal Wingman français annoncé à l’occasion de la LPM 2024-2030, basé sur le démonstrateur Neuron.
La conception du successeur au Neuron dotée de 128 m en 2024
Ainsi équipé et accompagné, le Rafale F5 sera en mesure d’évoluer en environnement contesté à l’instar du F-35 américain, tout en bénéficiant de certains atouts qui lui sont propres en termes d’endurance, de performances et de couts de mise en œuvre.
À ce titre, la conception du successeur du Neuron se voit doter, dès 2024, de 128 m€ de budget, auxquels s’ajouteront 212 m€ consacrés aux travaux de recherche et développement du standard F5, pour un total somme toute conséquent de 340 m€ consacrés au F5 pour la seule année 2024.
De 2024 à 2026, les investissements de R & D pour le programme Rafale atteindront 2,7 millions d’euros, qui se cumuleront aux 3,7 Md€ qui seront investis par le ministère des Armées pour l’acquisition d’appareils neufs, dont 13 seront livrés d’ici à la fin de 2023, et autant en 2024.
La France investira 11,76 Md€ pour le programme Rafale jusqu’en 2030.
Au total, à ce jour, les engagements cumulés pris par l’État français concernant le Rafale et ses versions, atteignent 11,76 Md€ de 2024 à 2030, auxquels s’ajouteront les investissements nécessaires à l’évolution des appareils déjà livrés à l’Armée de l’air et de l’espace, ainsi qu’à la Marine nationale, vers les nouveaux standard.
Ces investissements permettront aux forces aériennes françaises d’aligner 178 chasseurs en 2030, pour atteindre 225 appareils en 2035, soit l’objectif défini par le Livre blanc de 2013 pour la chasse française.
On peut toutefois raisonnablement s’interroger sur la validité de ce format conçu alors pour assurer des projections de puissance limitée et des missions de sécurité de temps de paix, alors que la situation et la menace internationale ont considérablement évolué depuis.
1,36 Md€ pour le SCAF de 2024 à 2026
En comparaison, les 1,36 Md€ qui doivent être investis par le ministère des Armées, paraissent quelque peu dérisoires. Pour autant, ce faible montant relatif, s’explique par plusieurs facteurs cumulés.
En premier lieu, l’accord liant français, espagnols et allemands, à ce jour, ne concerne que la Phase 1B du programme, c’est-à-dire la phase d’étude préalable à la construction du démonstrateur du Next Generation Fighter, ou NGF.
En outre, cette phase ne s’étend que de 2023 à 2026, et les 3 Md€ nécessaires à son développement, ont été financés à parts égales entre les trois partenaires du programme. Enfin, les investissements nationaux français pour de développements connexes au programme SCAF sont relativement peu importants, une partie d’entre eux ayant été transférés dans le développement du Rafale F5.
On le voit, tout indique aujourd’hui que le ministère des Armées a bien pris la mesure des besoins dévolution du programme Rafale pour demeurer un appareil opérationnel parmi les plus performants et les plus attractifs du marché.
En outre, les investissements partagés autour du programme SCAF permettent, en effet, de réduire la pression budgétaire sur celui-ci, en particulier lors des phases d’étude.
Le format de la chasse française toujours aligné dur le Livre Blanc de 2013
En revanche, on peut regretter, voire s’inquiéter, du format en devenir des forces aériennes françaises, ce d’autant que les succès à l’exportation du Rafale ces dernières années, génèreront, à eux seuls, des revenus supplémentaires pour l’état, compensant presque intégralement l’ensemble des investissements qui seront consentis, d’ici à 2030, dans ce domaine.
On peut naturellement argumenter autour du principe de cohérence des forces pour justifier les 225 avions de chasse ou les 200 chars de combat français.
Mais comment justifier qu’un pays membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unis, qui dispose d’une des industries de defense les plus performantes et exportatrices, se satisfasse aujourd’hui d’un objectif d’effort de defense à 2 % de son PIB, identique à tous ses voisins européens qui, eux, ne peuvent pas se prévaloir des mêmes capacités ?

